Qu'est-ce que la laïcité ?

Qu'est-ce que la laïcité ?

Expulsion de la religion des écoles, après la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité, France ©Getty - API/Gamma-Rapho
Expulsion de la religion des écoles, après la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité, France ©Getty - API/Gamma-Rapho
Expulsion de la religion des écoles, après la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité, France ©Getty - API/Gamma-Rapho
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À quoi ressemble notre modernité laïque ? Y a-t-il une singularité française sur cette question ? Comment cette notion se déplace-t-elle dans le débat public ?

Avec
  • Abnousse Shalmani Journaliste, réalisatrice et écrivain
  • Philippe Portier Sociologue spécialiste des laïcités, titulaire de la chaire Histoire et sociologie des laïcités à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes – EPHE

Alain Finkielkraut reçoit la journaliste, romancière et essayiste Abnousse Shalmani, qui vient de faire paraître  Laïcité, j’écris ton nom (Observatoire, 2024) et le politologue Philippe Portier, titulaire de la chaire "Histoire et sociologie des laïcités" à l'École pratique des hautes études, auteur notamment de  L'État et les religions en France, Une sociologie historique de la laïcité (PUR, 2016). Ensemble, ils tentent de dresser un état des lieux de notre modernité laïque.

Une laïcité française ?

Dieu serait parfaitement heureux en France parce qu’il n’y serait pas dérangé par les prières, rites, bénédictions et demandes d’interprétation de délicates questions diététiques. Environné d’incroyants. Lui aussi pourrait se détendre le soir venu, tout comme des milliers de Parisiens dans leur café préféré. Peu de choses sont plus agréables, plus civilisée qu’une terrasse tranquille au crépuscule” écrivait l’Américain Saul Bellow, s’expliquant ainsi en des termes laïques le curieux adage "Heureux comme Dieu en France" naguère employée par les juifs d'Allemagne et d'Europe de l'Est. Doit-on comprendre qu’il existe réellement une singularité française en matière de laïcité ?

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Abnousse Shalmani souligne “l’ironie tragique” et la résonnance particulière que prend cette assimilation de la laïcité française à ses terrasses, après les attentats de novembre 2015. Elle se rappelle : “Quand je suis arrivée en France, en 1985, à l’âge de huit ans, l’une des premières choses qui m’a sauté aux yeux, ce sont ces femmes qui étaient assises seules aux terrasses des cafés, en jupe, en train de boire un verre de vin blanc. Après l’Iran, la monarchie des Mollahs, qui s’était recouvert de noir en un temps extrêmement rapide, cette image a imprégné ma rétine.

Selon Philippe Portier “ce qui apparait très clairement avec la laïcité française, ce pour quoi notre pays a pu être un lieu d’accueil pour les réprouvés d'Europe et d’ailleurs, c’est le fait que son espace commun a pu être détaché de toute norme religieuse qui viendrait englober, surveiller, contrarier les comportements libres. De ce point de vue, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen marque manifestement une rupture dans notre histoire quand elle affirme dans son article 10 'Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses.' Il y a là quelque chose de très important qui vient libérer l’espace social et permet à chacun de s’arracher à sa condition ancestrale pour affirmer sa propre autonomie de choix.

Aussi bien Abnousse Shalmani que Philippe Portier relativisent l’idée d’une exception française en matière de laïcité. La journaliste rappelle que “la laïcité n’a jamais été un concept purement occidental”, citant des exemples historiques de semblables lois de séparation dans le monde. Le politologue, lui, insiste sur le fait que la laïcité est l'un des marqueurs de nos démocraties modernes : “tous les pays occidentaux sont marqués, à partir du moment où ils entrent dans la modernité démocratique, par un système qui affirme tout à la fois la liberté de conscience et la neutralité de l’État.

Laïcité à l’école : qu’a fait la loi de 2004 ?

Selon Philippe Portier, “la loi de 2004 marque une rupture dans l’histoire de notre laïcité, ce qui peut expliquer pourquoi les pays étrangers nous ont à ce point critiqué. La laïcité de 1905 est une laïcité de liberté, la laïcité de 2004, à travers la loi proscrivant les signes religieux dans les écoles publiques est une loi qui marque davantage de restriction que d’ouverture.” Aussi, selon lui, la loi de 2004 est “la revanche de ceux qui sont favorables à une laïcité de contrôle, au nom d’une prétendue émancipation.

Abnousse Shalaman parle, elle d’une loi qui “protège”, s'inscrivant ainsi dans la continuité de la loi de 1905, et en adéquation avec un contexte social et politique qui a profondément changé. Avant l’année 1989, qui fut marquée par la première affaire du voile et la fatwa contre Salman Rushdie, selon Abnousse Shalmani “il n’y avait pas de problème de voile.” Interpellant Philippe Portier, elle poursuit : “Ce voile que vous mettez sur le plan religieux, je le mets sur le plan politique. À partir de 1979, et de la révolution islamique, ce voile s’est répandu comme l’étendard de l’islam politique. Ce que je ne cesserai jamais de dire c’est que l’islam, comme le protestantisme, le bouddhisme, l’indouisme, est tout à fait soluble dans la République. L’islam politique ne l’est pas.(...) Aujourd’hui, nous sommes dans cette espèce de guerre identitaire, qui essentialise des élèves musulmans, qui empêche l’émancipation.

Libre Pensée
18 min

Bibliographie de l'émission :

LSD, La série documentaire
55 min

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