Véronique Gallo, humoriste : « Je ne rentre pas dans les cases, tant pis ! »

Ex-prof de français, elle a tout plaqué pour faire ses vidéos sur le net. Un carton ! C'est sur scène désormais que Véronique Gallo, divorcée et mère de trois enfants, met sa vie en boîte. L'Olympia l'attend le 9 juin, après une tournée en Californie. Nous avons rencontré cette formidable comédienne et autrice belge qui fait beaucoup rire, et pas seulement...

Les mères de famille connaissent bien Véronique Gallo : ses vidéos, sur YouTube, inondent les réseaux sociaux. Elle y raconte le quotidien d’une maman débordée par ses deux adolescents et sa petite dernière. En s’interrogeant en permanence sur ce qu’elle transmet et sur la place de chacun. Mais elle ne se contente pas d’être rigolote sur Internet : elle a quatre spectacles à son actif. Le dernier en date, « Femme de vie », passe à l’Olympia le 9 juin prochain.

Elle a aussi écrit trois romans, aux thèmes graves : la mort du père ; la vie de sa grand-mère immigrée italienne ; celle, encore une fois, d’une mère de famille contrainte à se reconstruire. Aussi grave que drôlissime, son œuvre, très contemporaine, est une clef de réflexion sur la famille, mais aussi sur la nécessaire bienveillance entre humains. Rencontre parisienne avec une artiste belge tout en sensibilité.

Le fil rouge de votre spectacle, ce sont trois femmes : la grand-mère, la mère, votre personnage, et sa fille, Clochette. Soit les trois âges de la vie d’une femme…

Nous sommes toutes la fille de quelqu’un, c’est un héritage avec lequel on doit composer. Je suis intéressée par le contraste entre les générations. Ma mère, par exemple, est une femme extrêmement indépendante pour son époque, qui a divorcé, qui s’est affranchie de plein de diktats. Une très bonne maman, qui a fait du mieux qu’elle pouvait, avec les moyens qu’elle avait. Mais elle est quand même le fruit de sa génération.

Quand j’ai divorcé, et que je me suis retrouvée seule, elle véhiculait malgré elle des valeurs patriarcales auxquelles elle n’avait jamais réfléchi : elle en est constituée. Cela m’intéressait donc de diffuser cette dimension dans le spectacle, et de réfléchir à ce que je transmets moi-même à ma fille, y compris sur le rapport au corps.

J’ai des souvenirs, adolescente, de ma mère, qui se plaignait d’une « bouffée de chaleur », se trouvait « moche », « grosse », qui était hyper-dure avec elle-même. Sans m’en rendre compte, j’ai reproduit le même schéma. Nous, les femmes, avons presque tendance à être notre propre ennemi.

Il reste une mémoire collective des injonctions, y compris dans la culpabilité et l’autoflagellation qu’on s’impose. Il faut vraiment travailler sur soi pour réussir à le décomposer. Et même quand on y réfléchit, ça n’est pas si simple, parce que ce sont des automatismes qui reviennent.

Je pense à ces vacances d’été après un accouchement, sur la plage, où je me suis forcée à rentrer le ventre. Alors que, lorsque je revois les photos, je me trouve magnifique, en fait. Tout ce temps perdu à ne pas être parfaite, à ne pas être soi, c’est terrible, non ? Oui, il y a une injustice, on n’a pas tous le même corps. Mais on n’en a reçu qu’un, donc autant l’aimer et en prendre soin le plus possible.

Derrière l’humour des relations mère-fille que vous décrivez, vous mettez une bonne dose de gravité…

Je ne me sens pas particulièrement humoriste. Je sais que mes spectacles sont drôles, et c’est un des buts. Mais ce que j’aime, c’est saisir la pulsation de la vie. Et elle n’est pas forcément marrante. Elle peut être cruelle, difficile, engendrer des souffrances, des émotions, de la culpabilité, ce qui constitue tout mon matériau. L’humour sert à dédramatiser et à prendre un peu de hauteur.

À l’origine, vous étiez professeure de lettres. Comment en êtes-vous venue à vous produire sur scène ?

J’ai été professeure douze ans avec grand bonheur. Mais j’ai toujours su que je voulais monter sur scène. C’est écrit noir sur blanc dans tous mes journaux intimes, depuis petite fille. Et puis je voulais surtout écrire des histoires. Étonnamment, je ne me le suis pas autorisé. Mes parents avaient accepté que je passe un an aux États-Unis, au moment du bac.

Quand je suis revenue, j’ai fait part de ma volonté d’entrer au conservatoire. Mais mon père m’a dit : « Mais enfin, tu adores écrire, tu aimes éperdument la littérature : commence par des études sérieuses. Et puis tu seras la première de la famille à aller à l’université. » Je l’avoue, j’étais fière de changer le destin de cette famille Gallo, de ce grand-père ouvrier, venu du nord de l’Italie, qui a travaillé en usine. Mon père était terriblement honteux d’être fils d’immigrés.

« Mes deux premiers sont nés, et j’ai réalisé que les confitures, ça me faisait chier, et que je voulais écrire. »

Véronique Gallo

Il fallait à tout prix s’intégrer, surtout ne pas parler italien, maîtriser l’orthographe, s’extraire de cette gêne et de cette honte de l’immigration, ce qui est très triste quand on y pense. Donc je n’ai pas rechigné devant l’université… Sauf que la vraie vie m’a rattrapée, et que je suis tombée amoureuse en troisième année de fac. Je rêvais d’une famille, c’était une nécessité, un besoin profond, presque physiologique.

Je n’ai d’ailleurs absolument pas questionné ce désir d’enfant. C’était une évidence. Je suis entrée dans une espèce de train-train. Tout le monde m’avait seriné que ce serait formidable d’être enseignante, que j’aurais les vacances avec les enfants, que je pourrais confectionner des confitures et des gâteaux. Mes deux premiers sont nés, et j’ai réalisé que les confitures, ça me faisait chier, et que je voulais écrire.

C’est donc la naissance de vos enfants qui a tout chamboulé ?

Mon père est mort, brutalement, à 54 ans, et c’est venu tout secouer. J’allais avoir 26 ans, j’ai réalisé que la vie était très courte. Et que si je devenais grand-mère un jour, je ne pouvais pas raconter à mes petits-enfants, en guise d’histoire : « Mamie avait envie de monter sur scène et d’écrire des romans, mais la vie en a décidé autrement. »

Ça a été une claque. Et j’ai bougé. Tout le monde m’a prise pour une folle. Y compris ma mère, qui me soutient pourtant beaucoup. C’était une pulsion de vie. J’ai vraiment senti que, si je ne me lançais pas, j’allais m‘éteindre.

Mais il ne suffit pas de le décider, dans ce milieu. Comment vous êtes-vous lancée ?

Il existe en Belgique une structure qui permet aux artistes de se former de manière professionnelle. En 2006, à l’occasion d’un stage avec mon metteur en scène, Jean Lambert, et Bruno Delvaux, je suis née une seconde fois. J’ai compris que ma place, c’était d’être seule sur scène.

À la fin du stage, ils ont proposé de m’aider. J’ai écrit mon premier spectacle. Au départ, ça n’a pas été évident : aucun théâtre n’a pris la peine de lire mon texte. Il restait un dernier petit théâtre très connu, qui s’appelle la Samaritaine, à Bruxelles, dirigé par une très grande dame, Huguette Van Dyck.

Elle était mon dernier espoir : je lui ai envoyé le texte, et je l’ai appelée. Elle m’a hurlé dessus au téléphone, en me disant : « C’est vraiment mauvais, arrêtez de m’importuner. » J’ai pleuré trois jours. Trois semaines plus tard, j’ai reçu un mail de cette dame, qui s’était foulé la cheville, avait pris le temps de lire mon texte, et voulait me voir.

À quoi ça tient ?

C’est le destin. J’ai joué trois semaines dans son théâtre, en 2008. Avec un nouvel heureux coup du sort : le soir de la première, une critique du journal « le Soir », en Belgique, enceinte jusqu’aux yeux, était dans la salle. Et mon spectacle, « On ne me l’avait pas dit », parlait justement de la distorsion, pour les femmes, entre l’image qu’on nous a donnée de la vie de famille, et la réalité. Elle m’a mis trois étoiles dans le journal.

«  les grands humoristes belges me reprochaient ne pas mettre de vannes toutes les deux minutes, et les gens de théâtre trouvaient le spectacle trop drôle pour eux. »

Véronique Gallo

À partir de ce moment, tout s’est enclenché. Tout en continuant à enseigner, j’ai écrit le second spectacle, « Mes nuits sans Robert », puis le troisième, « Tout doit sortir ». Cela marchait très bien, mais sans dépasser les frontières belges.

J’étais reconnue par la presse, par le public puisque les salles étaient remplies, mais absolument pas par le milieu ; les grands humoristes belges me reprochaient ne pas mettre de vannes toutes les deux minutes, et les gens de théâtre trouvaient le spectacle trop drôle pour eux.

J’ai vraiment connu un passage difficile en 2013. J’ai rencontré un coach professionnel, un moine zen. Il m’a aidée à assumer qui je suis, à devenir cette raconteuse d’histoires, et tant pis si je ne rentre pas dans les cases. À partir de là, je me suis autorisée aussi à écrire mes romans, qui ne sont pas drôles du tout, mais c’est génial finalement.

Et la vidéo, c’est venu comment ?

Je ne connaissais pas du tout YouTube. En 2013, mes deux fils, alors adolescents, m’ont suggéré d’aller jeter un coup d’œil aux vidéos de Cyprien. Je me souviens m’être gentiment moquée. Et puis l’idée a fait son chemin. J’ai créé « Vie de mère » en 2015, et ça a tout changé. J’ai même gagné un festival d’humour en 2016 à Marseille, aux Écrans de l’humour, alors que ma vidéo concourait avec cinq autres, qui cumulaient des millions de vues, quand j’atteignais péniblement les 5 000. J’ai raflé le prix du talent web et celui du public.

Le président de cette édition, c’était Kev Adams. Ses productrices se sont occupées de mon spectacle suivant, et m’ont mis le pied à l’étrier en France, en Suisse, un peu partout. Là, je me sens suffisamment forte, je suis devenue ma propre productrice. Parce qu’à mon âge je sais ce que je veux. J’ai repris les rênes, et c’est un bonheur.

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