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Le Québec est-il en train de dire bye bye au français?

La deuxième langue officielle du Canada est parlée par une part décroissante de la population du pays. Et cela tracasse les Québécois.

Marqueur de l'identité québécoise selon les indépendantistes et nationalistes, la francophonie (et surtout son déclin) amène sur la table des problématiques bien plus politiques qu'il n'y paraît. | Adrien Olichon <a href="https://unsplash.com/fr/photos/bandiera-blu-e-bianca-del-paese-D-b8riA56w4">via Unsplash</a>
Marqueur de l'identité québécoise selon les indépendantistes et nationalistes, la francophonie (et surtout son déclin) amène sur la table des problématiques bien plus politiques qu'il n'y paraît. | Adrien Olichon via Unsplash

Temps de lecture: 4 minutes

«Montréal est une ville vraiment bilingue, mais chez nous, nos parents ne parlent pas du tout anglais», affirme Christina, attablée dans un petit café de Montréal. Son amie Vanessa acquiesce. Ces deux jeunes femmes ne sont pas originaires de la principale ville du Québec, mais de la région d'Abitibi-Témiscamingue, dans l'ouest de la province canadienne. Comme beaucoup de jeunes, elles sont venues dans la métropole pour leurs études, puis y ont trouvé un emploi, s'y sont définitivement installées et y parlent généralement anglais.

Cosmopolite, la ville accueille une population issue du monde entier, l'immigration étant encouragée dans le pays par la politique gouvernementale, qui souhaite que le Canada accueille chaque année un demi-million d'immigrants d'ici à 2025 pour compenser un criant manque de main-d'œuvre. Mais dans la province majoritairement francophone, ce projet ne fait pas l'unanimité, notamment à cause du déclin de la pratique du français qu'il pourrait engendrer.

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Un déclin inéluctable?

Deuxième langue officielle du Canada, le français est parlé par un nombre croissant d'habitants. Toutefois, un recensement établi en 2021 montre que ces derniers représentent un pourcentage de plus en plus faible de la population: alors que 22,2% des Canadiens étaient francophones en 2016, ce chiffre a chuté à 21,4% en 2021. L'anglais, de son côté, est la première langue parlée par 27,6 millions de Canadiens, soit 75,5% de la population (contre 74,8% en 2016). Toutes ces données poussent certains experts à appeler à la vigilance.

«Il y a un déclin de la langue française, oui, mais il y a aussi une certaine stabilité, assez étonnante: au Québec, le français est la langue d'usage de 80% de la population depuis plus de cinquante ans», rappelle toutefois le sociologue Joseph Yvon Thériault. Votée en 1977, la loi 101 établit en effet le français comme l'unique langue officielle du Québec. Et puisqu'il s'agit de la seule langue reconnue dans les milieux professionnels (notamment depuis 2022), elle doit rapidement être maîtrisée par les immigrants.

«Cette loi a eu un effet important sur la stabilisation de la langue. Il y a eu un déclin dans les dix dernières années, mais il ne se fait pas au profit de l'anglais, plutôt de celui des langues des autres immigrants [en 2022, le Québec a accueilli 68.700 immigrants et comptait 8,7 millions d'habitants, ndlr]. Il est normal que ces personnes parlent une autre langue avant d'apprendre le français», souligne le sociologue.

«Le problème n'est pas l'apprentissage, mais l'usage»

Marqueur de l'identité québécoise selon les indépendantistes et nationalistes, la francophonie (et surtout son déclin) amène sur la table des problématiques bien plus politiques qu'il n'y paraît. Le 24 mai 2022, le gouvernement québécois a voté la loi «96» pour renforcer celle de 1977. Elle prévoyait notamment d'étendre l'usage officiel du français aux petites entreprises, aux devantures des commerces ou encore aux immigrants. À l'époque fustigé par le reste du pays dénonçant un «repli identitaire», le Premier ministre québécois, François Legault, considère qu'il s'agit d'une question de «survie».

Pour Camille Goyette-Gingras, présidente des Organisations unies pour l'indépendance du Québec (OUI Québec), un mouvement indépendantiste non affilié à un parti politique, cette loi affirme l'importance, pour les Québécois, de préserver l'usage du français d'un point de vue pragmatique. «Le français et l'anglais sont supposés être les deux langues officielles du Canada, mais dans les faits, il n'y a qu'au Québec qu'il y a un bilinguisme, le reste du pays ne parle qu'anglais. Le problème n'est pas l'apprentissage, mais l'usage: il est très compliqué d'avoir des services publics en français ailleurs qu'au Québec. Il s'agit d'un deux poids, deux mesures par rapport aux Anglais qui vivent au Québec et qui peuvent avoir accès à des services en anglais.»

Particulièrement sensible à la question culturelle, le mouvement OUI Québec tente de sortir des débats identitaires et conservateurs autour de l'immigration. «Notre langue d'usage a une dimension culturelle très importante, c'est quelque chose qui nous habite au cœur, mais attention à la question de la migration, soulève Camille Goyette-Gingras. Ce ne sont pas les immigrants qui interfèrent avec le déploiement de la langue française, ce sont les politiques de migration qui ne favorisent pas son usage.»

La jeunesse au centre des débats

La question du maintien de la langue française chez les plus jeunes est également au centre des préoccupations. «S'il y a toujours eu un rapport de domination avec les anglophones au Québec, l'anglais est devenu, pour les jeunes de la province, une langue d'accès à la mondialisation et non une langue de domination. Il y a un rapport à cette langue qui n'est plus antagonique et qui affaiblit la force combative des francophones dans la défense de leur langue», détaille le sociologue Joseph Yvon Thériault. «Il y a un désir d'apprendre l'anglais qui n'était pas là avant. Sans la loi 101, les parents enverraient leurs enfants dans les écoles anglaises. C'est la langue du commerce, de la pop culture, ça fait partie de l'équation contemporaine.»

Selon Camille Goyette-Gingras, les jeunes sont pourtant particulièrement actifs dans la mobilisation indépendantiste. «On est au début d'une sensibilisation d'ampleur des jeunes. Le dernier référendum pour l'indépendance date de 1995, ils ne l'ont pas connu. On constate chez la Gen Z une prise de conscience face au flux de contenus anglais que l'on trouve sur le web.»

Et la France dans tout ça? Pour Joseph Yvon Thériault, notre pays «ne défend pas bien le français»: «L'anglicisme des gens, en France, nous frappe au Québec. Les Québécois aimeraient que la France soit plus présente, le français est une très grande langue, elle devrait être mieux défendue par sa plus grande puissance.» D'après le sociologue, l'immigration française au Canada a aussi son rôle à jouer dans le maintien de la langue. Avis aux candidats à l'expatriation: vous y serez accueillis à bras ouverts.

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