Le Palácio da Pena du Roi-Artiste | Historia
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Le Palácio da Pena du Roi-Artiste

Devenu Ferdinand II du Portugal par son mariage avec Maria II, l'héritière du trône, le prince de Saxe-Cobourg-Gotha fait bâtir, en 1838, cet étrange château où s'entremêlent tous les styles. Le premier exemple du romantisme en architecture.

Par Victor Battaggion

Publié le 1 juil. 2010 à 00:00Mis à jour le 20 août 2023 à 13:27

Sintra, petite ville médiévale située à 30 kilomètres de Lisbonne, offre un avant-goût du paradis terrestre. Se déployant sur le flanc nord d'une serra, elle est au coeur d'une végétation luxuriante, folle et furieuse. Ce n'est plus une forêt, mais bien une jungle débordante d'espèces tropicales qui s'étend à perte de vue. Souriante, la cité se dresse au milieu de ce tourbillon vert émeraude avec son Palais national coiffé de deux étranges et monumentales cheminées coniques, voisin du Palácio da Pena. Les touristes du monde entier viennent ici pour visiter le premier et, au passage, flâner dans les parcs idylliques des Quintas manoirs. Au moment de la pause, du goûter ou de l'apéro, ils s'installent sur les terrasses, commandent un rafraîchissement et dégustent les mignardises confectionnées avec soin dans les pâtisseries du centre-ville. Queijadas , travesseiros , pastéis da pena ...

Beaucoup de ces vacanciers reprennent ensuite le train en direction la capitale, ou remontent dans leur car pour poursuivre leurs pérégrinations. Peu d'entre eux prennent le temps de se rendre au Palácio da Pena, distant de deux kilomètres seulement. Dommage. Perché sur l'une des cimes de la serra , à 500 mètres d'altitude, l'édifice a des allures de château de la Belle au Bois dormant. Exubérant, lumineux, onirique. Inoubliable. Il nous renvoie immédiatement au palais de Neuschwanstein de Louis II de Bavière. Une sorte de folie. Une gigantesque coupe glacée aux cinq parfums - chocolat, citron, orange, fraise et curaçao - agrémentée d'une bonne dose de chantilly. On nage en plein délire. Ou mégalomanie. D'inspiration romantique, le plus extravagant des monuments portugais construit sous l'égide du prince Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha 1816-1885 mêle différents styles architecturaux : mauresque, baroque, gothique, manuélin et Renaissance. Pour s'y rendre, il faut emprunter une petite route qui joue aux montagnes russes. Quelques minutes, en taxi ou bus, suffisent pour atteindre l'entrée du site.

Portails en ronde-bosse, tourelles médiévales, fenêtres manuélines, minarets aux couleurs criardes... Je traverse un monumental portique flanqué de deux tours de guet, et me retrouve face à un impressionnant triton sculpté au-dessus d'une porte. Assis sur une conque, il porte sur ses épaules un magnifique bow-window aux motifs floraux. Son expression terrifiante et ses yeux exorbités semblent sonder l'âme des visiteurs. Cette chimère, mi-homme, mi-poisson, allégorie de la création du monde, rappelle la figure d'Adamastor, personnage titanesque tiré du poème épique de Luis de Camões, les Lusiades 1572. Pour la ciseler, l'artiste s'est inspiré d'une oeuvre similaire, et antérieure, visible au couvent de Cristo à Tomar, sur les rives du fleuve Nabão.

Quelques pas plus loin, je fais la connaissance de José Manuel Martins Carneiro, le directeur du Palácio da Pena. C'est un homme charmant, maîtrisant parfaitement le français, qui a su garder une certaine simplicité malgré le prestige de sa charge. Affable, il m'invite à prendre place sur l'un des fauteuils de son bureau. En fond sonore, de la musique classique. Mon hôte détaille avec enthousiasme l'histoire de ce château digne d'Alice au Pays des merveilles : « Da Pena reste intimement associé à la figure de Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha, un prince prussien au destin extraordinaire. Plein d'esprit, il reçoit l'éducation d'un gentilhomme, et même d'un artiste, plutôt que d'un homme d'État. Ses connaissances de la culture portugaise sont bien plus étendues que celle de l'élite lusitanienne. D'ailleurs, à 19 ans, il est déjà l'auteur d'un ouvrage sur l'histoire de l'art de notre pays ! Son union avec la reine Marie II de Portugal, en 1836, le hisse fortuitement au rang de roi consort, sous le nom de Ferdinand II de Portugal. Vous rendez-vous compte ? »

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« Après les noces, reprend mon guide, le couple royal passe sa lune de miel dans le Palais national de Sintra. À cette époque, la ville, ancienne résidence royale de la dynastie des Avis XIVe-XVIe siècles, est le lieu de villégiature de l'aristocratie et de la bourgeoisie. Mais aussi un salon de l'Europe. La jeunesse dorée du "Grand Tour" - ce périple initiatique que tout jeune Européen se devait d'entreprendre dès le XVIIe siècle - y fréquente les cercles artistiques et politiques. Rien d'étonnant à ce que les romantiques du XIXe siècle se prennent d'affection pour ce lieu dévolu à la contemplation, surnommé le "glorieux Éden" par Lord Byron. Les collines souvent embrumées de Sintra, et la vue qu'elles offrent sur la mer, cristallisent leurs aspirations. Ferdinand II tombe fatalement amoureux des ruines d'un monastère hiéronymite construit en 1503 sous le règne de Manuel Ier 1469-1521. Pensez-vous ! En 1838, il achète le terrain, ainsi que les propriétés environnantes, pour y faire ériger un palais à l'architecture romantique, intégrant et respectant les vestiges du couvent. Les travaux sont entamés deux ans plus tard, d'après ses plans, et sous l'oeil de l'architecte prussien Lugwig von Eschwege. Fait notable : celui que l'on surnomme l'Artiste-Roi finance l'édifice et le parc sur sa cassette personnelle. »

Une étrange féerie, donc. Nous commençons la visite par le cloître à deux étages du monastère d'origine. De style manuélin, il arbore des magnifiques azulejos hispano-arabes, verts et bleus, aux motifs floraux. José Manuel Martins Carneiro attire mon attention sur la conque en pierre posée sur quatre tortues qui trône au milieu de la cour, puis me guide jusqu'à la salle à manger privée de la famille royale. Cette pièce, à l'ambiance intime, a gardé l'ossature du réfectoire du XVIe siècle. À ceci près que tous les murs, y compris le plafond voûté, sont couverts d' azulejos fabriqués trois siècles plus tard. La table, démesurée, est méticuleusement dressée au centre de façon à restituer l'atmosphère de l'époque de Ferdinand II. Je laisse vagabonder mon esprit. Trop, peut-être. J'imagine furtivement le Lièvre de Mars, le Chapelier et Alice, assis là, à boire le thé, deviser et gaspiller leur temps en devinettes sans solutions. Quelle différence y a-t-il entre un corbeau et un bureau ?

Nous poursuivons. Intacte, la chapelle Saint-Jérôme abrite l'un des chefs-d'oeuvre de la Renaissance portugaise : un magnifique retable en marbre noir et en albâtre, exécute par un artiste français, Nicolas Chanterène, entre 1528 et 1532. Cet extraordinaire cadeau du roi Jean III 1502-1557 a résisté au terrible tremblement de terre de 1755 qui a ravagé Lisbonne et, au passage, le monastère. Un miracle !

Après avoir gravi un escalier circulaire, nous traversons deux salles, meublées avec un goût certain, avant de faire une halte dans la chambre du roi. Je réprime un hoquet de stupéfaction. Le plafond et les murs sont recouverts de moulures en stuc aux motifs géométriques. On dirait de la dentelle fine, haute couture, délicatement tissée à la main. Ça, c'est du luxe ! « Et vous n'avez pas vu celle de la reine... », lâche mon guide, avec un sourire amusé, avant de m'y conduire. De fait, celle-ci la surpasse en beauté, bien qu'elle soit très similaire.

Le parcours se poursuit à travers un dédale de couloirs et une succession de pièces saturées de meubles, de tableaux, et d'inestimables objets d'art. Deux d'entre elles valent vraiment la visite : la Salle arabe entièrement peinte en trompe-l'oeil et l'immense Salon noble dans lequel les souverains portugais recevaient leurs invités. Lorsque nous arrivons dans les cuisines, un lapin blanc aux yeux roses, élégamment habillé, passe près de moi, bondit sur l'une des tables encombrées d'ustensiles en cuivre. Il me regarde, tire une montre de la poche de son gilet, la tapote, puis repart en courant. C'est l'heure de prendre le chemin de retour...

Victor Battaggion

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