L’acteur et chanteur Guy Marchand est mort à 86 ans

« J'aurais voulu être un chanteur de charme/J'aurais voulu toucher le cœur des dames. » Guy Marchand est un incompris : il voulait être un chanteur, un crooner, il n'est dans la mémoire collective que l'interprète de « Destinée ». Il voulait être un acteur dramatique, on a retenu presque uniquement son interprétation de Paul Memphis dans Les Sous-Doués en vacances ou Nestor Burma.
Rarement un artiste – il se présentait comme « le Poulidor du cinéma français » – aura été aussi peu en phase avec ses envies et surtout avec celles de ses fans. Pourtant, le public lui resta d'une fidélité rare. Guy Marchand, qui aimait jouer les ronchons, est décédé à l'âge de 86 ans.

Drôle et paradoxale carrière pour ce titi parisien, né en 1937 dans le 19^e arrondissement, à Belleville, qui va enchanter le show-business de son détachement britannique, de sa classe très française, de son humour inclassable et de son autodérision dévastatrice. C'est par la chanson que Guy Marchand se fait remarquer. Avec sa voix de crooner et son sens de l'amusement, il enregistre « La Passionata » et tourne un clip déjà kitch en 1965. La musique, dont il est le compositeur, fait la place belle aux cuivres. C'est un succès (300 000 exemplaires).

Guy Marchand et sa « Destinée »

Le jeune homme d'à peine 30 ans lance le style Marchand : composition soignée, mais paroles frivoles et idiotes. Suivront « Je suis tango » (« J'en fais toujours trop »), « L'Amoureux transi », « Le Gentleman de Monte-Carlo » (à la mélodie exceptionnelle), « Ben v'là aut'chose », « Je cherche une femme », « Les Filles on n'sait jamais »… En 1977, il signe une chanson gentillette pour rendre un hommage (vache) à tous les crooners qu'il admire tant. « Hey crooner/Tu t'mets ton micro comme un bouquet d'fleurs/Ta voix sortait comme dans un haut-parleur/Sucré comme la guimauve d'un confiseur. »

« Destinée » c’était un gag et je me suis fait humilier.

Après avoir signé « Avec le PMU, on joue comme on aime », il enregistre en 1982 son plus grand succès, « Destinée ». Cet immense tube, porté par deux films qui l'utilisent la même année (Le Père Noël est une ordure et Les Sous-Doués en vacances), devient son jackpot-sparadrap : on lui rappelle sans cesse ces quelques notes signées Cosma et ces paroles totalement grotesques (« Dans la vie/Aucun jour n'est pareil, tu t'ennuies/Tu attends le soleil impatiemment, éperdument, passionnément »).

À LIRE AUSSI Guy Marchand : les 6 grands rôles de l'acteur« Un jour, j'ai fait une chanson horrible, on me la demande tout le temps. Zidi nous demande de faire un tube, un saucisson, et avec Cosma on fait un truc comme L'Été indien. On a fait L'Été indien, mais à l'envers. On a écrit la plus grosse connerie. Ça a été un énorme succès et j'ai souffert énormément. Destinée, c'était un gag et je me suis fait humilier », explique-t-il. Dès 1982, la carrière de chanteur de Guy Marchand est marquée au fer rouge. Ses albums suivants – qui mettent davantage en avant sa voix – passent totalement inaperçus.

L'art et l'argent selon Guy Marchand

Il faut dire que Marchand marche sur deux jambes. Depuis le début des années 1970, on le voit de plus en plus au cinéma. Multipliant les seconds rôles – comme dans Cousin cousine (1975) ou dans l'excellent Hôtel de la plage (1977) –, il crève l'écran en 1981 dans Garde à vue, le chef-d'œuvre de Claude Miller. Son rôle de policier balourd réussit à s'imposer face à Lino Ventura et Michel Serrault. Il obtient un césar en 1982 – décidément, quel grand cru ! Il tourne avec les plus grands : Truffaut, Tavernier, Costa-Gavras, Granier-Deferre, Corneau…

La carrière de Guy Marchand connaît un troisième tournant quand il accepte la proposition de France 2 de camper le personnage de Nestor Burma, le détective privé de Léo Malet. Il ne joue pas, il incarne à merveille ce dandy privé qui enquête en dilettante dans les rues de Paris. Face à Navarro, Julie Lescaut ou Les Cordier sur TF1, la série connaît un succès incroyable sur le service public. Pendant douze ans (1991-2003), Guy Marchand joue les « redresseurs de torts » et apparaît comme le Columbo français, dont les aléas des enquêtes et des factures impayées ne perturbent pas son amour des chats et du whisky. Il arrête de tourner ce personnage surréaliste pour rejoindre l'écurie TF1 pour « l'art… l'art… gent ».

Les décennies suivantes sont moins remplies : Marchand continue d'enregistrer des disques, souvent orientés vers la musique sud-américaine, qu'il vénère, tourne dans quelques films et téléfilms (Convoi exceptionnel, Dix pour cent, etc.) et écrit des livres dans un style remarquable pour un comédien (Le Guignol des Buttes-Chaumont, son autobiographie, ou Le Soleil des enfants perdus). À plus de 80 ans, il avoue avoir du mal à boucler ses fins de mois. Sans pathos, mais toujours avec humour et second degré : « Je ne vends plus de disques et je suis à découvert au Crédit agricole de Cavaillon… »

En 2020, fatigué et barbu, Guy Marchand enregistre « Un chanteur de charme », une chanson moins rigolote que sa devancière de 1965, mais toujours aussi ironique et lucide sur la vie d'un artiste populaire. « Je ne suis qu'un chanteur de charme sans un regret sans un remords. […] Il ne restera rien de moi/au loin que l'écho d'une voix/comme la musique d'ascenseur d'un vieux crooner. »