Krautrock über alles : une histoire du rock planant et expérimental allemand des années 1970

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Krautrock über alles : une histoire du rock planant et expérimental allemand des années 1970

Une approche historique plutôt que stylistique convient bien au Krautrock. Celui-ci se définit en effet mieux à travers un jeu d’influences musicales ancrées dans un certain contexte, celui de l’explosion psychédélique de la fin des années 1960, qu’à travers un style particulier.

Le terme « Krautrock » est apparu pour la première fois dans la série d’articles Germany Calling, rédigée par Ian MAcDONALD, et publiée à partir de décembre 1972 dans l’hebdomadaire anglais New Musical Express. Cette contraction de « Sauerkraut » (choucroute) et « rock » fait référence au titre Mama Düül und ihre Sauerkrautband spielt auf (« Mama Düül et son orchestre-choucroute en scène »), publié sur le premier album d’AMON DÜÜL, Psychedelic Underground, en 1969. On le trouve aussi sur le quatrième album de FAUST, Faust IV (1973).

Ce terme reste finalement peu utilisé dans les années 1970 et se répand surtout dans les années 1990. En Allemagne même, son utilisation reste très marginale. Tout récemment, dans le magazine anglais Mojo d’août 2005, Ralf HÜTTER de KRAFTWERK déclare même : « C’est un terme qu’on ne devrait jamais utiliser. En Allemagne personne ne le connaît. On ne mange pas de choucroute. Cela n’existe tout simplement pas. Si vous en trouvez en Allemagne, c’est qu’elle a été apportée d’ailleurs ».

L’appellation « Krautrock » est pourtant tenace. Elle désigne les groupes allemands, apparus dans les années 1968 à 1975, qui offrent une alternative à la domination anglo-américaine, en piochant allègrement dans tous les courants préexistants, du rock psychédélique au Free Jazz, en passant par les « musiques du monde » et la musique contemporaine. Ils ajoutent à leur breuvage une forte dose d’électricité : effets de guitare, orgues, synthés, traitements studio, expérimentations électroacoustiques…

Le Krautrock n’a jamais eu de définition précise. Il est simplement une manière bien commode de placer tous ces nouveaux groupes allemands dans un même panier. On retrouve donc sous cette appellation une production musicale particulièrement éclectique : AMON DÜÜL I et II, ASH RA TEMPLE, CAN, CLUSTER, THE COSMIC JOKERS, FAUST, GURU GURU, HARMONIA, KRAFTWERK, NEU!, POPOL VUH, KLAUS SCHULZE, TANGERINE DREAM…

Non seulement le terme est imprécis, mais il est péjoratif. Voir qualifier sa musique de « rock-choucroute » n’est pas franchement flatteur. Les journalistes anglais observaient sans doute avec une certaine condescendance ces hordes germaniques ayant pour ambition de se réapproprier l’idiome rock, une invention anglo-américaine par excellence. Certains préféreront les termes de « Kosmische Musik » ou de « rock planant allemand ». C’est pourtant grâce à ce coup de projecteur de la presse anglaise, que le rock planant et expérimental allemand a pu connaître une aussi relative qu’éphémère gloire internationale. À l’opposé, son influence restera aussi souterraine que constante à travers les décennies.

Petit retour sur l’histoire de ce courant musical qui est revenu en force dans les années 1990, auréolé de la couronne de pionnier du Post-Rock et des musiques électroniques.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne doit faire table rase de son passé. Elle doit oublier, refouler toutes références culturelles rappelant le régime nazi. C’est tout un héritage, toute une tradition qui doivent être jetés aux orties.

Les racines du choux rock : musique contemporaine, Free Jazz, Folk, Chanson à texte, Beat Music…

En Allemagne de l’Ouest, dans le domaine de la musique contemporaine, l’idée « d’Allemagne année zéro » aboutit à l’avènement, vers 1954, de l’école de Darmstadt, dont Karlheinz STOCKHAUSEN devient une figure emblématique. L’école de Darmstadt reprend et radicalise les postulats du sérialisme élaborés dans les années 1910/1920.

Le « nouveau sérialisme » est une musique atonale (sans rythme ni mélodie) basée sur le système dodécaphonique, une musique aride et destinée à un public de connaisseurs, pour ne pas dire de spécialistes. Grâce à cela la République Fédérale Allemande acquière rapidement un rayonnement mondial dans le domaine des musiques dites « savantes ».

En comparaison, dans le domaine des musiques populaires, la RFA est plutôt à la traîne. La présence de bases militaires américaines et de stations de radio pour les GI permettent aux Allemands d’assimiler lentement la culture anglo-américaine, le Jazz, le Rhythm and Blues et le Rock and Roll.

Au lendemain de la guerre la « chanson à texte » allemande est sinistrée, le chant ayant été employé à outrance par le régime nazi à des fins de propagande et d’endoctrinement. La chanson militante allemande refait progressivement surface à partir des années 1950 dans son lieu de prédilection depuis les années 1920/30 : les ruines du château de Burg Waldeck. Des ateliers de créations collectives s’y développent et Burg Waldeck redevient un haut lieu de discussion politique et de débats. De 1964 à 1969, un important festival international de la chanson folk y est organisé et fait écho au courant du Protest Song aux États-Unis.

Ce festival accueille autant les chanteurs engagés locaux (Reinhard MEY, Franz-Josef DEGENHARDT…) que les célébrités internationales (Pete SEEGER, Phil OCHS…). Il marque le point de départ du mouvement folk en RFA et permet à de jeunes producteurs, animateurs radio, journalistes et autres intellectuels de rencontrer les artistes lors de discussions acharnées. C’est à Burg Waldeck que les futurs organisateurs du festival d’Essen, Martin DEGENHARDT et Rolf-Ulrich KAISER, vont se forger une « conscience politique ».

À partir du début des années 1960, une nouvelle génération, celle qui n’a pas directement connu les traumatismes de la guerre et du régime nazi, se réveille. La jeunesse allemande se met à l’heure anglaise, une heure marquée par les temps binaires de la Beat Music, un style développé en Allemagne, au contact direct des nombreux groupes anglais en provenance de Liverpool.

Grâce au Top Ten Club et au Star Club, Hambourg devient pour quelques temps le centre névralgique de la Beat Music. De nombreux groupes de Liverpool vont séjourner à Hambourg, notamment les BEATLES qui passent trois mois au Top Ten Club, en 1961, et font plusieurs séjours au Star Club en 1962. Les BEATLES jouent d’ailleurs dans ce club lorsqu’ils apprennent que leur premier single, Love Me Do, est entré dans les « charts » anglais.

À Munich, des clubs du même type voient le jour : le PN, le Blow Up, le Big Apple. Les BEATLES, les ROLLING STONES, les ANIMALS ou encore les KINKS deviennent les fers de lance de la Beat Music. Le 15 septembre 1965, les ROLLING STONES donnent un unique concert au Waldbühne de Berlin-Ouest : il s’achève 25 minutes après avoir commencé, en raison d’affrontements entre la foule et les forces de l’ordre. En Allemagne de l’Est, où le climat était encore permissif face aux « beatniks », les conséquences de cet événement ne se font pas attendre.

Pour les pouvoirs politiques est-allemands, il est hors de question de laisser se développer un mouvement aussi dangereux dans leur pays : 44 groupes amateurs sont interdits, dont les BUTLERS, l’un des groupes les plus appréciés par la jeunesse est-allemande. En signe de protestation, une manifestation spontanée a lieu une semaine plus tard. Elle est violemment dispersée par les policiers. Quelques meneurs sont arrêtés et font quatre semaines de prison. Les cheveux longs sont dès lors interdits et les « chevelus » arrêtés pour être emmenés illico chez le coiffeur le plus proche. La musique rock en RDA est désormais condamnée à la clandestinité.

En RFA, la situation est bien différente. Une multitude de groupes rock aux noms très anglais voit le jour : The RATTLES, The BOOTS, PETARDS, The LORDS, The YANKEES… Ce sont les RATTLES qui cartonnent le plus avec les singles La La La (1965), Come On And Sing (1966), Cauliflower (1967), et surtout avec The Witch, en 1970, qui offre à l’Allemagne de l’Ouest son premier tube international.

Beaucoup de musiciens allemands du futur mouvement Krautrock font ainsi leurs débuts en reprenant ou plagiant des standards du Rhythm and Blues : The ONES avec Edgar FROESE (futur TANGERINE DREAM), The TIGERS avec Lutz ULBRICH et Christoph FRANKE (futurs AGITATION FREE). C’est en quelque sorte l’équivalent du mouvement « Yé-Yé » en France, à la différence près que la plupart des groupes allemands n’adaptent pas les textes en allemand mais chantent directement en anglais… avec un fort accent local.

La scène Jazz allemande offre par ailleurs un terreau propice à l’éclosion de futurs activistes du mouvement Krautrock. Alexander VON SCHLIPPENBACH et son GLOBE UNITY ORCHESTRA, Klaus DOLDINGER, Manfred SCHOOF, Wolfgang DAUNER sont autant de musiciens auprès desquels beaucoup de « Krautrockers » vont faire leurs premières armes.

En 1965, de retour d’un séjour en Grande-Bretagne où il a découvert Top of The Pops, le jeune producteur Gerhard AUGUSTN crée l’émission de télé The Beat Club, produite par Radio Bremen et la WDR (la radio-télévision ouest-allemande). Diffusé de septembre 1965 à décembre 1972, The Beat Club programme The SMALL FACES, PROCOL HARUM, The BEE GEES, The WHO, The MOODY BLUES, une émission spéciale Frank ZAPPA en 1968, ou encore SONNY & CHER et quelques copies du cru comme les RATTLES et les YANKEES…

Les années 1966/67 marquent un tournant. En RFA, le mouvement de contestation politique, déjà amorcé à Burg Waldeck, ne fait que s’amplifier. Il entre en résonance avec la contre-culture américaine venant de la côte ouest des États-Unis : agitation politique, libération des mœurs, tiers-mondisme, ouverture sur les cultures du monde entier, consommation de drogues (marijuana, haschisch, LSD…).

À Berlin, le 2 juin 1967, l’étudiant Benno OHNESORG est abattu par un policier lors d’une manifestation de protestation contre la visite officielle du Shah d’Iran. Cet événement cristallise un mouvement de contestation politique d’extrême gauche, désigné sous le nom « d’opposition extra-parlementaire », qui s’insurge contre l’autoritarisme ambiant et le contrôle social par l’État. Comme en France, ce mouvement culmine en mai 1968.

Parallèlement à ces événements politiques et sociaux, de nouveaux modèles émergent dans le domaine de la musique. Si les BEATLES sont toujours influents, notamment grâce au virage psychédélique qu’ils prennent avec Revolver en 1966, ce sont surtout les groupes américains de la côte ouest, comme JEFFERSON AIRPLANE et le GRATEFUL DEAD, qui s’imposent.

On trouve aussi, en vrac, Jimi HENDRIX qui déchire les ondes avec ses improvisations à la guitare et l’utilisation de pédales d’effets, le folk-rock torturé des DOORS, le rock arty du VELVET UNDERGROUND, Frank ZAPPA & The MOTHERS OF INVENTIONS, ou encore PINK FLOYD avec ses albums The Piper at the Gates of Dawn (1967) et A Saucerful of Secrets (1968). PINK FLOYD, qui se produit à Essen en avril 1968, va avoir une influence considérable sur la production musicale allemande, à la fois par son orientation singulièrement « cosmique » et par son utilisation de l’électronique.

Dans un tout autre registre, le compositeur d’avant-garde allemand Karlheinz STOCKHAUSEN devient également, dans une certaine mesure, un exemple pour les jeunes musiciens. Il attire l’attention en 1966 en faisant scandale avec l’œuvre électroacoustique Hymnen, dans laquelle il ose triturer les hymnes nationaux de différents pays, notamment l’hymne national de la RFA. Irmin SCHMIDT et Holger CZUKAY de CAN ont suivi l’enseignement de Karlheinz STOCKHAUSEN, mais ils aspirent alors à une musique moins théorique et aride, tout comme Conny PLANK.

Conrad dit « Conny » PLANK travaille en tant qu’assistant dans les studios ultra-sophistiqués de la WDR, là où ont œuvré quelques pionniers des musiques électroacoustiques et électroniques (Karlheinz STOCKHAUSEN lui-même, mais aussi Mauricio KAGEL et Edgar VARÈSE). Conny PLANK quitte la WDR en 1969 pour produire, entre autres, KRAFTWERK, NEU! et KLUSTER.

Dans le domaine de l’art contemporain, le mouvement néo-dadaïste et transdisciplinaire FLUXUS trouve aussi un certain écho en Allemagne. Yoko ONO, affiliée à FLUXUS, a d’ailleurs déjà une certaine réputation en Allemagne, avant même qu’elle soit la compagne de John LENNON. Il faut aussi citer l’artiste conceptuel Joseph BEUYS qui a été un véritable mentor pour Conrad SCHNIZTLER, pendant ses années d’études à Düsseldorf. La musique minimaliste américaine (celle de LA MONTE YOUNG, Steve REICH et Philip GLASS) a sans doute eu aussi une certaine influence sur le Krautrock, mais cela reste matière à débats.

Dans ce bouillonnement politique et artistique, de très nombreux musiciens et groupes allemands dispersés sur le territoire et, au départ, sans contact direct entre eux, vont progressivement rejeter les voies académiques, sortir des sentiers balisés pour affirmer leurs singularités. FLOH DE COLOGNE, avec Vietnam (Pläne, 1968), est parmi les premiers à se faire connaître grâce à la publication d’un disque. Le collectif de musiciens et de comédiens FLOH DE COLOGNE s’est formé en 1966 pour créer des spectacles mêlant rock, textes satiriques et théâtre. Comme le titre de leur premier album l’indique, en 1968 ils s’insurgent contre la guerre au Vietnam.

À Munich en 1967, AMON DÜÜL prône le communautarisme, l’usage des drogues psychédéliques, la liberté sexuelle et la recherche de nouvelles formes musicales par l’improvisation collective. AMON DÜÜL est en fait l’émanation plus ou moins directe de la scène jazz munichoise très vivace au milieu des années 60. En 1968 le collectif entre en studio et enregistre 48 heures d’improvisations psychédéliques débridées. De cette session marathon naissent pas moins de quatre albums : Psychedelic Underground et Collapsing en 1969, Disaster en 1972 et Experimente en… 1984 !

À Cologne, là où sévissent les cabarettistes marxistes FLOH DE COLOGNE, un autre groupe, nettement moins politisé, se forme en 1968. Il s’agit de CAN, qui est le parfait exemple du brassage stylistique de l’époque. Trois des membres fondateurs ont suivi l’enseignement de Karlheinz STOCKHAUSEN : Irmin SCHMIDT, Holger CZUKAY et David JOHNSON. Irmin SCHMIDT a même dix années d’études classiques derrière lui et dirigé quelques orchestres symphoniques. Le saxophoniste et flûtiste américain David JOHNSON, naviguant entre Jazz et classique, quittera rapidement le groupe. Le batteur Jaki LIEBZEIT vient quant à lui du Jazz. Il a accompagné Chet BAKER et participé au GLOBE UNITY ORCHESTRA, le big band Free Jazz d’Alexander VON SCHLIPPENBACH. Le guitariste Michael KAROLI, plus jeune de 10 ans, est le seul membre véritablement « rock » du groupe. Ils sont bientôt rejoints par le peintre et sculpteur américain Malcom MOONEY, au chant, qui va aussi orienter le groupe dans une direction plus rock.

Comme Jaki LIEBZEIT, Mani NEUMEIER est un ancien membre du GLOBE UNITY ORCHESTRA ; il a d’ailleurs commencé une carrière de batteur de jazz dès les années 1950. Mais lorsqu’il entend Jimi HENDRIX, Frank ZAPPA et PINK FLOYD, vers 1968, il décide de s’éloigner du Free Jazz pour aller vers des musiques plus électrifiées et fonde le groupe GURU GURU.

Du côté de Düsseldorf, à Kamp-Lintfort, en 1967, une autre communauté hippie donne naissance au groupe AMBITION OF MUSIC, qui deviendra trois ans plus tard ANNEXUS QUAM. Toujours à Düsseldorf, deux élèves du conservatoire, Florian SCHNEIDER et Ralf HÜTTER, partagent le même intérêt pour l’improvisation et l’envie de « faire de la musique électronique contemporaine », quelque chose qui soit à la fois différent de la musique classique et de la Pop. En 1968 ils fondent ORGANISATION, qui devient KRAFTWERK en 1970.

En 1967, le Berlinois Edgar FROESE, alors étudiant en art, et son groupe The ONES, participent à une soirée de happenings mélangeant littérature, arts plastiques et musique dans la villa de Salvador DALI, à Cadaques, en Espagne. Cette expérience est décisive pour Edgar FROESE : il dissout le groupe, qui n’adhère pas à ses aspirations musicales, et fonde TANGERINE DREAM en septembre 1967. Berlin est la seule véritable ville où, a posteriori, le mouvement Krautrock se développe avec une certaine cohérence. L’isolement a au moins l’avantage de faciliter les échanges « intra-muros ».

Conrad SCHNITZLER y fonde en 1968 le Zodiak Free Arts Lab (ou Zodiak Club), un espace dédié au nouveau théâtre de Happening. Le Zodiak s’installe dans les sous-sols du Schaubühne, le théâtre de Peter STEIN, qui bouscule alors les règles établies de l’art théâtral. Conrad SCHNITZLER et Hans-Joachim ROEDELIUS y sévissent alors avec GERÄUSCHE (« Bruits ») ou HUMAN BEING, deux collectifs de « non-musiciens » dont le but et de créer un « art du bruit ».

Conrad SCHNITZLER et Hans-Joachim ROEDELIUS fondent ensuite, avec DIETER MOEBIUS, le trio KLUSTER, qui devient l’un des fers de lance du Zodiak Free Arts Lab. Doté d’un matériel important (système dynacord de 400 volts, chambre d’échos, delay…), le Zodiak devient l’épicentre de la scène berlinoise où vont aussi se produire PSY FREE (l’un des tous premiers groupes de Klaus SCHULZE), AGITATION FREE (formé en 1967), TANGERINE DREAM, GURU GURU…

Dès les années 1967/68, il existe donc déjà une multitude de groupes novateurs aux quatre coins de l’Allemagne de l’Ouest, dont il est impossible ici de dresser le panorama complet. Le festival Essen va pour la première fois rassembler quelques-unes de ces formations en un même lieu. Le festival d’Essen peut ainsi être considéré, a posteriori, comme l’acte de naissance du mouvement Krautrock.

1968 : Le Festival d’Essen
1969 : la percée d’AMON DÜÜL II et CAN

En fréquentant les ateliers de Burg Waldeck, le journaliste et critique musical Rolf-Ulrich KAISER, prend conscience du rôle socio-politique de la musique, de son pouvoir à répandre de nouvelles idées et faire évoluer une société. Il décide alors de s’investir dans le développement du mouvement Pop-Folk à travers l’écriture, l’organisation de concerts et la production de disques.

Avec Martin DEGENHARDT et Thomas SCHROEBER, Rolf-Ulrich KAISER co-organise l’Internationale Essener Song Tage Festival (le Festival International de la chanson d’Essen). Dans leur esprit il s’agit de programmer les artistes qui reflètent le mieux l’agitation politique et sociale du monde contemporain. Le Festival d’Essen, qui se déroule du 25 au 29 septembre 1968 est la première occasion pour les groupes, que l’on n’appelle pas encore Krautrock, de se produire devant un large public : TANGERINE DREAM, FLOH DE COLOGNE, SOUL CARAVAN, GURU GURU, le free-jazzman allemand Peter BRÖTZMANN, ainsi que AMON DÜÜL I et AMON DÜÜL II (le collectif s’est scindé en deux la veille du festival, une partie souhaitant privilégier l’action politique, l’autre se focaliser sur la musique). Sont également au programme des « têtes d’affiche » de la scène internationale : les MOTHERS OF INVENTIONS de Frank ZAPPA, The FUGS, Julie DRISCOLL and the Brian AUGER TRINITY, Paco De LUCIA, Tim BUCKLEY…

Dans le cadre de ce festival, auquel assisteront environ 40 000 personnes, une exposition tente de convaincre de l’importance de la musique Pop-Folk et de la contre-culture. Le journal du festival, Songmagazin, défend ces mêmes idées et préfigure les nombreux livres que Rolf-Ulrich KAISER publie en 1969 : Abécédaire de la protestation, Avènement d’une nouvelle culture, Zapzapzappa, le livre des Mothers of Inventions, Le Livre de la nouvelle Pop-Music. Faisant en quelque sorte la synthèse de ses écrits, Rolf-Ulrich KAISER publie fin 1969 un livre collage au titre limpide : Underground ? Pop ? Non ! Contre-culture ! (Tous ces titres sont ici traduits de l’allemand. Les ouvrages de Rolf-Ulrich KAISER n’ont pas été publiés en français).

En 1969, deux disques éveillent la critique nationale et surtout internationale : Monster Movies de CAN et Phallus Deï d’AMON DÜÜL II, tous deux publiés par Liberty / United Artists grâce au manager Gerhard AUGUSTIN, qui a fondé l’émission The Beat Club quelques années plus tôt.

Monster Movies de CAN est en fait d’abord publié à faible tirage sur le petit label Music Factory en 1969, label qui publie la même année Canaxis de Holger CZUKAY et Rolf DAMMERS, un travail de « sampling » de chants vietnamiens. C’est lors de sa sortie sur la grande compagnie United Artists en 1970 que Monster Movies touche un large public. L’album s’ouvre sur Father Cannot Yell, du rock pré-punk souligné par les claviers aigus et bizarroïdes d’Irmin SCHMIDT. Il se poursuit avec Mary, Mary so Contrary, une ballade déchirée chantée par Malcom MOONEY et portée par la guitare stridente de Michael KAROLI ; Outside my Door, autre morceau pré-punk (ou post-jazz ?) ; et surtout Yoo Doo Right, 20 minutes de rythmiques tribales assénées par Jaki LIEBZEIT, soutenu par la basse tantôt rythmique tantôt mélodique d’Holger CZUKAY et la guitare de Michael KAROLI.

En utilisant une structure musicale relativement simple, mais qui repousse les limites du rock, CAN s’annonce abruptement comme l’un des groupes les plus inventifs des années 1970. Ils se font aussi connaître à travers diverses musiques de films et de séries TV. Plusieurs d’entre elles sont regroupées sur Soundtracks (1970), notamment le monumental Mother Sky tiré de la bande originale du film culte Deep End de Jerzy SKOLIMOWSKI.

CAN va enfoncer le clou avec le double album Tago Mago en 1971. La première partie de l’album est dans la lignée de Monster Movies. La seconde explose les barrières entre rock et musique contemporaine, grâce à deux longues pièces d’environ vingt minutes, faites de bidouillages de bandes, de psalmodies vocales et de délires instrumentaux. CAN créée ainsi son chef-d’œuvre indépassable. Après ce succès critique, CAN va connaître un véritable succès public avec le single Spoon, extrait de leur album Ege Bamyasi (1972). La promo de Spoon est indirectement assurée par son utilisation dans un épisode de la série policière allemande Tatort (l’épisode en question est réalisé par Samuel FÜLLER). CAN en écoule plus de 200 000 exemplaires !

Phallus Deï, le premier album d’AMON DÜÜL II, est un mélange sidérant de guitares jazz rock et orientalisantes, d’orgues planants et d’incantations vocales issues d’une langue imaginaire (cousine du Kobaïen de MAGMA). Le tout est soutenu par une rythmique basse / batterie tribale. AMON DÜÜL II confirme son succès critique l’année suivante avec Yeti (Liberty, 1970).

C’est également à Gerhard AUGUSTIN de United Artists que l’on doit la publication du premier album de POPOL VUH, Affenstunde (1970), sans doute le premier disque allemand presque entièrement joué au synthétiseur Moog (par Florian FRICKE l’un des premiers utilisateurs du Moog en Allemagne). Gerhard AUGUSTIN souhaitait en effet s’engager dans la brèche ouverte par Switched on Bach de Walter CARLOS, la meilleure vente de disque « classique » en 1968. Reflet de ce brusque intérêt pour les groupes allemands, l’émission télé mensuelle The Beat Club programme au cours de l’année 1970 AMON DÜÜL II, KRAFTWERK et POPOL VUH.

Fin 1969, l’ingénieur du son Conny PLANK, qui vient de quitter la WDR, produit l’album Tone Float d’ORGANISATION. Il s’agit du premier disque de Ralf HÜTTER et Florian SCHNEIDER, qui ébauchent là des improvisations rythmiques déjà très originales. Publié en Angleterre, sur RCA, le disque passe cependant inaperçu. Ce n’est qu’un faux départ. HÜTTER et SCHNEIDER dissolvent ORGANISATION et sortent, sur Philips cette fois, Kraftwerk (1970), qui développent des cycles rythmiques qu’ils ralentissent ou accélèrent à leur gré. Cette musique hypnotique est constituée de percussions et d’instruments électrifiés (flûte traversière, violon, guitare…) aux sons étranges, ponctuées de grappes de notes écrasées sur un orgue qu’on imagine éventré.

Après avoir usé plusieurs batteurs, dont Klaus DINGER, HÜTTER et SCHNEIDER enregistrent en duo Kraftwerk 2 (1971) en exploitant au maximum les percussions électroniques bricolées par Florian SCHNEIDER lui-même. Ce concept totalement inédit de musique mécanique, « inhumaine », qui fascine ou effraie, les place d’emblée parmi les groupes allemands les plus originaux. Les ventes sont maintenant plus qu’honorables, au-delà de 50 000 exemplaires pour chaque album, alors que KRAFTWERK, comme beaucoup de groupes à l’époque, tourne essentiellement dans les universités et les galeries d’art.

À peu près au même moment Conny PLANK permet à KLUSTER d’enregistrer Klopfzeichen (Schwann, 1970) et Zwei-Osterei (Schwann, 1971). Ces deux œuvres sonores radicales, qui anticipent d’une bonne décennie la musique industrielle, ne sont cependant tirées qu’à seulement 300 exemplaires.

Ohr Musik : enfin du neuf pour les oreilles !

En 1969, conscient du potentiel de la scène allemande et du manque de structures pour la promouvoir, Rolf-Ulrich KAISER met sur pied, avec l’aide financière du directeur d’Hansa Musik Peter MEISEL, le label Ohr Musik, dont la distribution est assurée par la grande compagnie Metronome. Le slogan du label est tout simplement « Macht das Ohr auf » (« Ouvre l’oreille »). En 1970, le premier disque à paraître sur Ohr Musik, Fließbandbaby’s Beat Show du groupe FLOH DE COLOGNE, est un album « folk expérimental » agrémenté de textes marxistes chantés ou simplement déclamés en langue allemande.

La même année paraît l’album instrumental Electronic Meditation de TANGERINE DREAM, enregistré par Edgar FROESE, Klaus SCHULZE et Conrad SCHNITZLER. Après les départs de SCHULZE et SCHNITZLER, Edgar FROESE recrute Christopher FRANKE (ex-batteur d’AGITATION FREE) et Steve SCHROYDER, lui-même rapidement remplacé par Peter BAUMANN. Ohr Musik publie les trois grands classiques de TANGERINE DREAM : Alpha Centauri (1971), Zeit (1972) et Atem (1973). Orgues, synthétiseurs, roulements de batterie cérémonials, guitares et flûtes constituent les éléments fondamentaux de paysages sonores envoûtants et mystérieux, à l’image des pochettes des disques.

Au cours de l’été 1970, Klaus SCHULZE quitte TANGERINE DREAM pour former ASH RA TEMPLE avec Hartmut ENKE et Manuel GOTTSHING. Ils enregistrent ensemble le premier album du groupe : Ash Ra Temple (1971). Suivra l’année suivante Schwingungen (1972), un superbe album composé de trois longs « blues cosmiques », où les guitares planantes accompagnent la voix tantôt rock, tantôt enivrantes de John L.. Le style « ambient » est quasiment inventé.

Klaus SCHULZE ne participe pas à Schwingungen. Il débute en effet sa carrière solo avec Irrlicht (1972), un album qu’il définit comme « une symphonie quadriphonique pour orchestre et instruments électroniques en trois mouvements » (dont deux de plus de vingt minutes). Irrlicht offre une plongée dans un univers totalement irréel dominé par l’orgue, les sons électroniques tirés d’oscillateurs et la manipulation de bandes enregistrées d’un orchestre symphonique. Paradoxalement sans percussions (Klaus SCHULZE est pourtant batteur à l’origine), Irrlicht se révèle particulièrement dense et fascinant.

Le label de Rolf-Ulrich KAISER publie également les deux premiers albums de GURU GURU, UFO (1970) et Hinten (1971). La face A de UFO assène trois plages d’improvisations « free rock », dominées par la batterie de Mani NEUMEIER et la guitare d’Ax GENRICH aux tendances « hendrixiennes ». La face B est composée de deux longs morceaux plus apaisés, Ufo et Der LSD-Marsch flirtant avec une musique improvisée « atonale ». L’année suivante Ohr Musik assure la sortie de leur deuxième album Hinten (1971). Bien qu’enregistré en studio, par Conny PLANK, Hinten sonne comme un album live où passages free rock et séquences « cosmiques » sont cette fois intercalés à l’intérieur même des quatre morceaux de dix à douze minutes.

Parmi les sorties marquantes de Ohr Musik figurent aussi les deux albums d’ANNEXUS QUAM, Osmose (1970) et Beziehungen (1972). Sur Osmose ANNEXUS QUAM réussit un excellent un mélange d’improvisations jazz-rock et de passages planants assez « pink-floydiens ». Beziehungen est assez différent et nettement plus tourné vers le Free Jazz.

Le label Ohr Musik est aussi responsable de la publication de Mandalas de LIMBUS 4 et Opal d’EMBRYO, soit deux jalons importants du Jazz-Rock allemand. Mandalas développe une musique totalement libre et improvisée, à la limite de l’atonalisme, tandis qu’Opal d’EMBRYO assène un jazz-rock brut teinté de psychédélisme hautement électrifié. EMBRYO contribue ainsi à définir une fusion allemande originale également explorée par EXMAGMA et XHOL.

Le premier album d’EXMAGMA, Exmagma (Neusi, 1973), livre de larges tranches d’improvisations expérimentales jazz-rock assez étranges. Leur deuxième album, Goldball (sorti en 1975 sur Disjuncta, le label de Richard PINHAS !), s’inscrit dans une veine un peu plus groovy et structurée.

Les deux albums de XHOL CARAVAN (anciennement SOUL CARAVAN) sont sortis sur Ohr Musik. Hau-Ruk (1971) est particulièrement recommandable aux amateurs de SOFT MACHINE période Third. L’autre album, Motherfuckers GmbH & Co KG (1972), est très hétéroclite. Il regroupe en effet des morceaux enregistrés à différentes périodes du groupe. On peut donc y entendre aussi bien du rock psychédélique que du Rhythm and Blues et des expérimentations électroacoustiques.

Avec sa trentaine d’albums, publiés de 1970 à 1974, le label Ohr Musik s’impose comme LA référence de ce que l’on appellera bientôt le « Krautrock ».

Cueillette de champignons pour BASF

La compagnie BASF s’est fait la main en 1970 en publiant l’album Revelations du groupe VIRUS, un très bon album de rock progressif, bien que peu original par rapport à la production étrangère (leur reprise de douze minutes de Paint it Black des ROLLING STONES vaut tout de même le détour !). BASF a aussi publié le premier album de GILA, Free Electric Sound, en 1971, un concept-album instrumental fortement conseillé, où les influences « pink-floydiennes » côtoient des improvisations rock « hendrixiennes » et des ballades pop-folk étirées…

BASF décide cette année là de lancer le label Pilz (champignon en allemand), spécialisé dans le rock psychédélique et progressif. D’abord dirigé par Jürgen SCHMEISSER, Pilz, est ensuite pris en main par Rolf-Ulrich KAISER (toujours lui !). Pilz se distingue par une production folk-rock progressive d’excellente qualité, notamment les albums Bröselmaschine (1971) de BRÖSELMASCHINE et Hölderlin’s Traum (1972) d’HÖLDERLIN.

POPOL VUH est un cas à part sur Pilz. Après Affenstunde (1970), dont on a parlé plus haut, le groupe de Florian FRICKE s’oriente avec In der Garten Pharaos (1971) et Hosianna Mantra (1973), vers une musique toujours planante, mais plus acoustique, et fortement marquée par la musique médiévale européenne et les musiques du monde.

Polydor s’offre un « coup marketing » avec FAUST

En 1969, attisé par les succès de CAN et AMON DÜÜL II, avec respectivement Monster Movie et Phallus Deï, la division allemande de Polydor flaire les bonnes affaires et décide de lancer son « groupe maison ». Elle charge le journaliste et producteur Uwe NETTELBECK de recruter un groupe « qui ne ressemble à aucun autre ». Uwe NETTELBECK signe le groupe FAUST à qui Polydor donne carte blanche et fournit même un studio d’enregistrement à Wümme (entre Hambourg et Brême).

Effectivement, les trois plages du premier album (sans titre) produit par FAUST en 1971, ne ressemble à rien de connu, si ce n’est un extrait de quelques secondes de All You Need is Love des BEATLES en introduction, et pour le reste des expérimentations à tout va aux synthétiseurs, piano, chambres d’écho, guitares saturées, fanfare… Un immense collage surréaliste où se côtoient joyeusement musique concrète et rock aux accents tantôt « zappaiens », tantôt « kraftwerkiens ». L’album est particulièrement remarqué en Angleterre et en France, notamment grâce à sa pochette et au disque vinyle lui-même : translucides, ils laissent apparaître la radiographie d’une main. Paradoxalement, la grande compagnie Polydor s’offre ainsi un « coup marketing » avec un album très expérimental.

Face à ce succès, le deuxième album de FAUST, So Far (1972), est directement publié en Angleterre, avant même l’Allemagne. Les membres du groupe adoptent sur So Far un format Pop presque conventionnel (au regard de leur premier opus !) agrémenté de paroles ineptes du genre « It’s a rainy day, Sunshine Girl ». En jouant à fond la carte de l’autodérision, le groupe prouve qu’il a une parfaitement maîtrise technique. Il transcende même le « genre » Pop en l’attirant sur un terrain plus expérimental. Même si So Far se vend relativement bien, cela ne comble pas l’appétit de leur maison de disque qui ne renouvelle pas leur contrat.

Polydor a produit, à peu près au même moment, d’autres albums particulièrement expérimentaux, ceux d’A.R.& MACHINES, Die Grüne Reise (1970) et le double Echo (1972). Derrière le nom A.R.& MACHINES se cache l’ancien guitariste des RATTLES, Achim REICHEL, qui expérimente le nouveau matériel élargissant la palette sonore de la guitare électrique (pédales d’effets, échos, delay…). Il donne ainsi naissance à une musique répétitive et hypnotique, relativement proche de celle de Manuel GÖTTSCHING mais sous un angle plus « indus ».

La majorité des autres références publiées par Polydor n’ont rien de « Krautrock ». Polydor accueille ainsi sur son catalogue les albums d’EPITAPH, un groupe connu pour ses albums Heavy Rock. Polydor a également été actif dans le développement du Krautrock en assurant la distribution de Kuckuck, un label assez novateur. Kuckuck fonctionne de 1970 à 1973 et publie notamment DEUTER (le groupe de Georg DEUTER développant une fusion rock psychédélique / musique ethnique), OUT OF FOCUS (d’orientation plutôt Jazz-Rock) et IHRE KINDER (responsable d’une Pop assez conventionnelle).

Brain Records : de l’expérimental au Hard Rock

Deux ans après la fondation de Ohr Musik, deux de ses employés, Günter KOERBER et Bruno WENDEL, semble-t-il excédés par l’omniprésence de Rolf-Ulrich KAISER, partent en 1972 mettre sur pied leur propre label, Brain Records, en faisant appel à Conny PLANK pour les enregistrements en studio. Brain Records est assez représentatif de la production allemande de l’époque. Il est essentiellement orienté vers le rock progressif et le hard-rock, avec notamment SCORPIONS et JANE (il ne faut pas oublier que l’Allemagne de l’Ouest est l’un des berceaux du Hard Rock !). Mais Brain Records est aussi le refuge de quelques grands groupes et musiciens du mouvement Krautrock, tout particulièrement de NEU!, CLUSTER et GURU GURU.

NEU! se forme en 1971 lorsque Klaus DINGER et Michael ROTHER quittent KRAFTWERK. Ils enregistrent en quatre nuits l’album éponyme Neu! (1972) avec le producteur Conny PLANK, troisième membre « caché » du groupe. Leurs rythmiques proto-industrielles et leurs sonorités électroniques définissent les contours de la « motorik musik », le versant électronique répétitif du Krautrock.

L’album Neu! est comparable aux premiers albums de KRAFTWERK pour ses bases rythmiques répétitives entêtantes, tantôt accélérées tantôt ralenties, mais avec une différence de taille : la guitare électrique de Michael ROTHER qui, sur certains morceaux, arrache on ne sait quelles micro-particules du béton, telle une scie circulaire sortie de son axe. Sur d’autres morceaux cette même guitare laisse couler un son doux et caressant dans une veine plus cosmique.

L’autre groupe Krautrock majeur signé par Brain Records, également un duo, a pour nom CLUSTER. Dieter MOEBIUS et Hans-Joachim ROEDELIUS faisaient auparavant partie de KLUSTER avec Conrad SCHNITZLER. Mais lorsque ce dernier les quitte pour une carrière solo, en 1971, ils se rebaptisent CLUSTER et enregistrent dans la foulée l’album ’71. Conny PLANK obtient sa publication par la grande compagnie Philips. Elle n’en publiera pas d’autre, considérant leur musique comme trop expérimentale pour toucher le grand public.

Après une période d’incertitude et de nomadisme (MOEBIUS et ROEDELIUS vivent pendant plusieurs mois dans un van !), CLUSTER enregistre son deuxième album, Cluster II, dans le Star Studio de Conny PLANK en janvier 1972 et obtient sa publication par Brain Records. On parle souvent de la région industrialisée de la Ruhr comme d’une source d’inspiration pour une musique aux sonorités industrielles répétitives, notamment pour KRAFTWERK.

S’il fallait cautionner ce type d’idée, cela semblerait encore plus flagrant pour Cluster II. Sur cet album, électronique et guitares électriques étirent des sonorités mécaniques et rugueuses d’une puissance ahurissante. CLUSTER va ensuite former avec Michael ROTHER (ex-KRAFTWERK et membre de NEU!) le groupe HARMONIA, dont le premier album, Musik von Harmonia (1974) est particulièrement recommandable aux fans d’Autobahn. Dans la foulée, c’est Michael ROTHER lui-même qui va produire l’album suivant de CLUSTER, Zuckerzeit (1974).

Même si certains passages expérimentaux n’ont rien à envier à la musique concrète, Zuckerzeit les éloigne définitivement du son rêche de Cluster ’71 et Cluster II. Percussions électroniques et synthétiseurs esquissent une pop électronique sautillante où les mélodies sont maintenant clairement mises en avant. Malgré ses faibles ventes, Zuckerzeit semble avoir influencé un nombre important de musiciens, notamment NEW ORDER et Lloyd COLE. APHEX TWIN et PLAID classent également cet album parmi leurs favoris !

GURU GURU se réfugie aussi sur Brain Records sur lequel le groupe publie la majorité de ses albums jusqu’à sa dissolution en 1979, notamment Känguru (1972) et Guru Guru (1973).

Il faudrait encore parler de deux autres groupes qui ont navigué sur différents labels : AGITATION FREE et BRAINTICKET.

AGITATION FREE s’est formé à Berlin en 1967 et a vu défiler beaucoup de musiciens dans ses rangs avant de sortir Malesh en 1972, à son retour d’un périple au Moyen-Orient. Malesh, qui mélange improvisation, musiques traditionnelles et psychédélisme, est à classer parmi les meilleurs albums de rock planant allemand des années 1970.

BRAINTICKET est un groupe à part. Formé en Suisse en 1971, son personnel très cosmopolite change sans cesse, son style aussi. Cottonwoodhill (1971) est, selon les auteurs de l’encyclopédie du Krautrock, The Crack in the Cosmic Egg, « l’album le plus psychédélique jamais réalisé et BRAINTICKET l’ultime groupe freak-out ». Leur album suivant, Psychonaut (1972), distille tantôt une fusion rock planant / musique indienne, tantôt un rock folk progressif à la AMON DÜÜL II époque Wolf City. BRAINTICKET a aussi commis Celestial Ocean (1974), quelque chose entre les COSMIC JOKERS et GONG, un délire psychédélique qui fait cohabiter « spoken words », flûte traversière, roulements de batterie, sitars, claviers et bruitages électroniques. On croirait même entendre la voix de Robert WYATT sur un titre !

Ohr Musik, Pilz et Brain Records constituent le « noyau dur » du Krautrock de référence. Mais à l’époque nous avons véritablement affaire à une multitude de labels : Kuckuck dont nous avons parlé, mais aussi Spiegelei, Zebra, Harvest Made in Germany, Bellaphon… Les maisons de disques, petites ou grandes, désirent toutes signer leur lot de groupes allemands dans l’espoir que l’un d’entre eux leur fera toucher le jackpot ! Au début des années 1970 l’activité du secteur discographique d’Allemagne de l’Ouest semble donc absolument frénétique. Rien que pour l’année 1972, plus de 150 groupes allemands aurait signé un contrat et au moins 250 albums de groupes allemands sont publiés. C’est ça, cette fameuse vague Krautrock.

1972/1973 : les grandes heures du Krautrock dans la presse musicale internationale

Si quelques groupes ou albums se sont déjà faits remarquer en dehors de la RFA, c’est véritablement à partir des années 1972/1973 que la presse musicale internationale aborde la scène allemande dans son ensemble et insiste sur l’éclosion d’un mouvement rock novateur en Allemagne de l’Ouest.

En avril 1972, le critique musical anglais Michael WATTS, publie dans le fameux journal hebdomadaire anglais Melody Maker, l’article Deutsch Rock, soit une page complète dans ce journal de grand format. Il s’agit là certainement du tout premier article à aborder la scène allemande dans son ensemble.

En 1972 et 1973, le magazine hebdomadaire anglais New Musical Express publie une série d’articles intitulée Germany Calling, écrit par Ian MAcDONALD, dont le premier volet, en janvier 1973, se présente même comme la première analyse en profondeur de « la scène rock la plus étrange au monde » ! Ian MAcDONALD est en fait le nom de plume de Ian MAcCORMICK, le frère de Bill MAcCORMICK de MATCHING MOLE. L’article aborde les principaux groupes allemands : KRAFTWERK, CAN, CLUSTER, NEU!, AMON DÜÜL, TANGERINE DREAM, GURU GURU, et même EMBRYO, XHOL, ANNEXUS QUAM…

En France, le magazine Actuel, véritable catalyseur de la contre-culture, publie en janvier 1973 un article très développé intitulé Le rock allemand enfin ! (reproduit dans Underground, l’histoire de Jean-François Bizot en 2001). Cet article, extrêmement vivant, grâce à de nombreux commentaires de concerts et d’extraits d’interviews, parlent de TANGERINE DREAM, AMON DÜÜL II, GURU GURU, CAN, TON STEINE SCHERBEN (groupe très politisé au « rock ultra simpliste »), ASH RA TEMPLE, KLAUS SCHULZE, CONRAD SCHNITZLER, KLUSTER, DEUTER, POPOL VUH, KRAFTWERK, NEU!. L’équipe d’Actuel organise d’ailleurs, les 14 et 15 février 1973, un festival « rock allemand » en région parisienne, avec à l’affiche GURU GURU, KRAFTWERK, TANGERINE DREAM, ASH RA TEMPLE et KLAUS SCHULZE. La plupart jouent pour la première fois en France.

À cette occasion, Rock & Folk met le paquet pour être à la hauteur de l’événement en publiant un dossier d’une dizaine de pages dans son numéro de février 1973. Le dossier reprend les grandes lignes de Germany Calling, publié en Angleterre deux mois plus tôt (il s’agit certainement de leur principale source). À Paris, Carrefour de l’Odéon, le magasin de disque Music-Action, tenu par des passionnés de la première heure, importe et diffuse en spécialiste les pépites d’Outre-Rhin. La FNAC s’y met également.

L’étiquette « Krautrock » prend véritablement corps à ce moment là, lorsque le rock allemand fait irruption dans le paysage musical international. Mais cette entrée dans le music-business ne va pas se faire sans quelques déboires. Et Rolf-Ulrich KAISER se retrouve évidemment en première ligne.

La Chute de l’empereur de la Kosmische Musik

C’est l’un des épisodes les plus épiques du Krautrock, narré avec brio par Julian COPE dans Krautrocksampler. En 1973, Rolf-Ulrich KAISER rencontre le prophète du LSD Timothy LEARY, réfugié en Suisse pour échapper à la justice américaine. KAISER est totalement converti aux idées de LEARY, qui prône la consommation et la distribution de drogues pour développer la conscience mondiale.

KAISER abandonne Ohr Musik et se dévoue corps et âme à un nouveau label qu’il nomme tout bonnement « Die Kosmische Kurriere », reprenant le nom de « messagers cosmiques » inventé par Timothy LEARY. Il organise plusieurs sessions d’enregistrement auxquelles participent le duo folk-progressif WITTHUSER & WESTRUPP, des musiciens de WALLENSTEIN (Jürgen DOLLASE, Harald GROSSKOPF et Jerry BERKERS), des musiciens d’ASH RA TEMPLE (Manuel GÖTTSCHING et Harmut ENKE) et Klaus SCHULZE. Ils entourent Timothy LEARY en personne, pour l’album Seven Up (1972) d’ASH RA TEMPLE, le spécialiste d’ésotérisme Sergius GOLOWIN, pour Lord Krishna von Goloka (1973), et le peintre et cartomancien Walter WEGMÜLLER pour Tarot (1973)…

Après ces rencontres Manuel GÖTTSCHING et sa compagne Rosi MÜLLER, Jürgen DOLLASE, Harald GROSSKOPF, Gille LETTMANN (la femme de Rolf-Ulrich KAISER) et Klaus SCHULZE, répètent au cours de jam sessions dans le studio de Dieter DIERKS à Stommeln, de février à mai 1973. Les différents participants n’accordent que peu d’intérêt au matériel enregistré, mis à part Rolf-Ulrich KAISER et Gille LETTMANN. Ils retravaillent les bandes pour donner naissance à pas moins de cinq albums publiés sous le nom de THE COSMIC JOKERS, sans rétribuer les musiciens. Ces disques semblent être à l’origine de la chute irrémédiable des entreprises du KAISER.

En 1973, plusieurs groupes, dont WALLENSTEIN, TANGERINE DREAM et HÖLDERLIN, assignent le label Ohr Musik en justice pour divers problèmes de contrat ou de non-paiement de royalties. HÖLDERLIN, paralysé par ses problèmes de contrat, ne sort aucun album entre 1972 et 1975, et ne sortira finalement jamais d’album sur Ohr Musik !

Cette série de procès devient « l’affaire KAISER ». Elle est relayée par la presse allemande qui attaque également Rolf-Ulrich KAISER pour ses relations avec le sulfureux Timothy LEARY. Sa réputation et sa crédibilité sont définitivement entamées. Selon Krautrocksampler, les contrats signés par Rolf-Ulrich KAISER sont tous annulés par la justice allemande. KAISER met alors brutalement fin à ses activités au sein de Ohr Musik, Pilz et Kosmischen Kuriere et disparaît totalement du music business. Cette chute de « l’empire » KAISER oblige tous les groupes des labels Ohr Musik, Pilz et Kosmische Kuriere à se trouver vers d’autres maisons de disques.

Le triomphe des musiques synthétiques et cosmiques allemandes

Beaucoup de groupes allemands, parmi les plus importants, vont signer sur le nouveau label indépendant anglais Virgin et s’assurer une large diffusion. Fondé en mai 1973 par Richard BRANSON, Virgin se constitue (à la vitesse grand V !) l’un des catalogues de rock progressif et expérimental les plus alléchants : CAN, TANGERINE DREAM, Robert WYATT, GONG, FAUST, HENRY COW, Edgar FROESE, HATFIELD AND THE NORTH, Mike OLFIELD…

C’est sur Virgin que paraissent les albums de FAUST Faust Tapes (1973) et IV (1973). Sur IV, un morceau est d’ailleurs titré Krautrock et présente, sous une forme quasi parodique l’archétype du genre : des rythmiques répétitives, lancinantes, comme une interminable mélopée pouvant mener à la transe. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. Virgin l’indépendant et le producteur Uwe NETTELBECK lâchent FAUST en 1975. Virgin refuse de sortir un cinquième album après l’échec (commercial) de IV. FAUST décide alors de se dissoudre.

À cette époque CAN et AMON DÜÜL II, les deux groupes allemands qui ont défriché, dès 1969, le chemin menant aux portes de la gloire, entrent quant à eux dans une phase artistiquement moins intéressante.

Après Tago Mago (1971), son chef-d’oeuvre indépassable, CAN va sortir encore deux grands classiques, quoique déjà un peu édulcorés, Ege Bamyasi (1972) et Future Days (1973), avant de s’orienter de plus en plus résolument vers un son plus Pop teinté de Dub. Ils vont même faire un carton en 1976 avec le très disco I Want More, qui leur vaut un passage dans la fameuse émission anglaise Top of The Pops. Le succès est là, mais l’intérêt musical est moindre… Jusqu’à la fin des années 1970, ils continuent de produire de bons titres, deux à trois morceaux par disque, mais ne réussissent pas à produire d’albums de la trempe de Monster Movie et Tago Mago.

Le constat est plus sévère pour AMON DÜÜL II. Après Phallus Deï (1969), Yeti (1970) et Dance of the Lemmings (1971) leur production prend une mauvaise tournure. Leur Carnival in Babylon (1972) très flower power reste plutôt plaisant, même s’il a (très) mal vieilli. Wolf City (1973) relève un peu la barre, mais par la suite AMON DÜÜL II produit une musique de moins en moins originale et se laisse gangrener par la « Pop Internationale ».

Ce sont surtout les pionniers allemands de la musique dite « synthétique » qui vont tenir le haut du pavé à partir de 1973/1974, tout particulièrement KRAFTWERK avec sa musique robotique, TANGERINE DREAM et Klaus SCHULZE avec leurs mélopées cosmiques.

Sortant des expérimentations de ses deux premiers albums en publiant un excellent disque de transition, Ralf & Florian en 1973, KRAFTWERK trouve sa voie (ou plutôt son autoroute !) grâce au synthétiseur Moog et à une musique résolument mécanique et novatrice. Avec Autobahn (1974), l’improvisation et le « bidouillage aléatoire » font maintenant place à un son synthétique très maîtrisé et à des mélodies imparables. KRAFTWERK fait danser les machines et décroche un véritable tube avec une version écourtée du titre Autobahn. Diffusé sur les radios du monde entier, Autobahn devient n° 1 aux États-Unis.

Les trois albums suivants de KRAFTWERK, Radio-Aktivität (1975), Trans-Europe Express (1977) et The Man Machine (1978), creusent le même sillon rétro-futuriste et se placent en tête des incontournables du rock allemand.

Le succès de TANGERINE DREAM et de Klaus SCHULZE en Allemagne et au niveau international donne naissance à un courant très spécifique au sein du Krautrock, celui de la « Kosmische Musik ». TANGERINE DREAM signe chez Virgin en 1973 et aligne une série d’albums devenus des classiques : Phaedra (1974), Rubycon (1975), Ricochet (1975) et Stratosfear (1976) (cf. l’article Gloire et Destin d’une usine à rêves pour plus de détails sur ces disques).

TANGERINE DREAM revient en France en 1974, le 13 décembre exactement pour l’un de ses concerts les plus légendaires, celui de la cathédrale de Reims, avec NICO en première partie. La cathédrale, conçue pour accueillir 2 000 âmes pieuses reçoit subitement 5 000 adeptes de messes électroniques pas catholiques du tout.

À cette époque TANGERINE DREAM enchaîne les tournées et les dates de concert. En 1975, son premier album live, Ricochet devient n° 1 des ventes en Grande-Bretagne. Il s’agit là d’un véritable exploit pour un album qui est composé de deux longs morceaux (17 et 21 minutes) plutôt expérimentaux au regard de la création Pop-Rock contemporaine. Ce sont les grandes années du groupe. Il fait couler beaucoup d’encre et alimente les rumeurs les plus folles.

TANGERINE DREAM est alors réputé pour donner les concerts « rock » au volume sonore le plus élevé. TANGERINE DREAM joue d’ailleurs joue à fond cette carte. Lors de sa première tournée aux États-Unis, en 1975, la partie visuelle est assurée par des laserium et light show. Les affiches annoncent les concerts « les plus dangereux que vous n’ayez vus ». Une importante campagne de promotion est orchestrée sur les radios, une énorme publicité est même insérée dans le New York Times. Le merchandising va bon train, on trouve même des miroirs gravés reprenant la pochette de l’album Stratosfear ! Pendant un bref moment, TANGERINE DREAM a la cote aux États-Unis.

Klaus SCHULZE connaît le même succès et publie ces années là, sur Brain Records, ses albums les plus réputés : Black Dance (1974), Timewind (1975) et Moondawn (1976). En 1977 il rejoint le label Island, qui, à l’occasion de la publication de l’album Mirage, en 1977, sort la grosse artillerie promotionnelle. Island organise le Mirage Tour, la plus importante tournée que Klaus SCHULZE n’ait jamais faite : 35 concerts dans les plus grandes salles d’Europe. À Paris, il remplit l’hippodrome de Pantin ! Mais après cela, Klaus SCHULZE souhaite calmer le jeu. Il ne veut plus de « ces concerts anonymes où les gens sont trop loin parce que trop nombreux » (cf. Klaus Schulze : Un saut dans l’inconnu de Dominique ROUX). Pour sa tournée suivante il limite la promotion et préfère des salles plus intimistes.

Le numéro de Rock & Folk de juin 1975 consacre 10 pages au rock allemand dans un dossier intitulé Opéra Cosmique. L’heure du bilan semble déjà avoir sonné. Selon Jean-Marc BAILLEUX, auteur de l’article, « le Rock allemand ou Cosmic Music est devenu un phénomène musical mûr et profondément original qui a pulvérisé le carcan qui étouffait le rock ». Mais « d’une part, à côté de musiciens aussi inventifs et originaux qu’éloignés du rock, on trouve la quintessence de ce qu’on peut produire de plus mauvais en Hard Rock (…). D’autre part la Kosmische Musik apparaît de plus en plus comme un argument publicitaire ».

Les groupes et musiciens que Jean-Marc BAILLEUX retient de ce mouvement sont au nombre de huit : AMON DÜÜL II, TANGERINE DREAM, ASH RA TEMPLE, KLAUS SCHULZE, KRAFTWERK, CAN, POPOL VUH et FAUST. 1975 est une année charnière pour le Krautrock. Le mouvement a atteint son apogée et semble victime de son propre succès, très relatif pour certains, phénoménal pour d’autres. Le déclin paraît maintenant irrémédiable.

Sky Records : la dernière vague avant la traversée du désert

Lorsque Polydor absorbe Brain Records en 1975, Günter KOERBER quitte le navire pour garder son indépendance et fonde Sky Records. Ce label incarne les dernières heures du mouvement Krautrock. Sky Records publie en effet les derniers albums de CLUSTER et une série d’albums solo signés Michael ROTHER.

CLUSTER s’oriente inexorablement vers une musique de plus en plus « ambient » et vaporeuse. Et pour cause, à cette époque ROEDELIUS et MOEBIUS collaborent étroitement avec Brian ENO et contribuent ainsi largement à la naissance de l’ambient Music. Sowiesoso (1976), leur premier album sur Sky Records (ils en feront cinq) est sans doute le meilleur de cette période. La musique de CLUSTER n’y a jamais été aussi fluide et légère. Le duo livre quelques moments de pure beauté grâce à un subtil mélange de boîtes à rythmes et de synthétiseurs.

De leur collaboration avec Brian ENO résulte Cluster & Eno (1977). L’assemblage de l’ambient music d’ENO et de l’électronique de CLUSTER aboutit à une musique particulièrement subtile et maîtrisée. C’est la suite logique de leur glissement progressif du bruitisme des débuts à une ambient music finement élaborée, aux frontières du silence. En risquant maintenant de s’y dissoudre… On retrouve quelques instants magiques de la collaboration de Brian ENO avec CLUSTER sur Harmonia 76. Cet album publié en 1997 regroupe des morceaux, inédits jusque là, enregistrés lors du séjour de Brian ENO dans la ferme-studio de Forst, le QG de CLUSTER. ROEDELIUS, MOEBIUS participe également aux albums de Brian ENO, After the Heat (1978) et Before and After Science (1978).

Sky Records publie aussi les trois premiers albums solos de Michael ROTHER, Flammende Herzen (1976), Sterntaler (1977) et Katzenmusik (1979), enregistrés avec le soutien (discret) du batteur de CAN Jaki LIEBEZEIT et de l’incontournable ingénieur du son Conny PLANK. Ces albums obtiennent un certain succès à la fois critique et commercial. Flammende Herzen se vend même à plus de 100 000 exemplaires.

En 1979 Michael ROTHER est élu « Meilleur musicien et instrumentiste de l’année » par les lecteurs du magazine musical allemand Sounds. En décembre 1979, son album Katzenmusik figure dans le Top 30 des meilleurs disques de l’année du très réputé magazine anglais New Musical Express. Cet accueil paraît aujourd’hui pour le moins surprenant. Sur ces albums, le style de Michael ROTHER s’affirme comme une version édulcorée de la motorik musik de NEU! et HARMONIA, flirtant même parfois avec une certaine mièvrerie New Age.

Dans un registre plus sombre et rythmé, Sky Records publie en 1981 l’excellent Biotop, le deuxième album d’Asmus TIETCHENS, qui s’était déjà fait connaître pour sa participation à Cluster & Eno (1977) et avec son premier album Nachtstücke (1980). Biotop est la transition parfaite entre le Krautrock, dans sa tendance électronique, et la Neue Deutsche Welle, la New Wave allemande.

Le Krautrock reste cependant minoritaire au sein de Sky Records, qui fait une large place au Hard Rock dont l’Allemagne devient l’un des bastions. JANE, BIRTH CONTROL, ELOY, FRUMPY, KARTHAGO, THIRSTY MOON, NOVALIS, d’orientation Hard Rock, Heavy Metal ou proposant un rock progressif plus « conventionnel », obtiennent les faveurs du public allemand.

Dès 1975, l’un des producteurs les plus illustres de la vague Krautrock, Dieter DIERKS (qui a notamment produit plusieurs albums d’ASH RA TEMPLE, de TANGERINE DREAM et tous les COSMIC JOKERS), flaire cette nouvelle tendance et devient le producteur d’un petit groupe allemand nommé THE SCORPIONS (dont le premier album, Lonesome Crow, publié sur Brain Records, date de 1972).

Le Krautrock est moribond… Il n’a pourtant jamais eu une telle notoriété. David BOWIE lui-même veut s’y mettre et fait appel à Brian ENO avec qui il concocte Low (1976) et Heroes (1977). N’en déplaise à leurs détracteurs, ces deux albums figurent parmi les meilleurs de David BOWIE, principalement pour leurs plages expérimentales largement inspirées par CLUSTER, NEU!, et LA DÜSSELDORF, auxquels BOWIE fait directement référence lors de ses interviews à l’époque.

LA DÜSSELDORF est en fait le groupe fondé par Klaus DINGER (ex-KRAFTWERK et ex-NEU!). La Düsseldorf (1976) peut être considéré comme l’un des derniers avatars intéressants de la vague Krautrock. Cet album très étrange s’inscrit dans la tendance « Motorik » initiée par KRAFTWERK et NEU!, mais tranche par son éclectisme « Pop baroque » où synthés Kitsch, Punk et chœurs dignes d’une fête de la bière se bousculent. Le titre instrumental/ambient Silver Cloud (celui dont BOWIE s’est le plus inspiré) est régulièrement joué à la radio et atteint même la quatorzième place du Top 50 allemand. Les deux albums suivants de LA DÜSSELDORF, Viva (1978) et Individuellos (1980), valent aussi largement le détour.

Il est de coutume de dire que le Krautrock reçoit le coup de grâce en 1977, achevé par la déferlante Punk venue d’Angleterre, qui rejette avec la même violence la technicité du rock progressif et l’utilisation des synthétiseurs.

AMON DÜÜL II se sépare en 1978. CAN sort un album tout simplement intitulé Can, en 1979, qui, tout en étant très éloigné des expérimentations des débuts, renoue avec une certaine magie. Puis le groupe garde le silence pendant dix années. Un silence seulement interrompu par la sortie d’une compilation d’inédits, Delay 68 (1981). CAN se reforme le temps d’un disque, Rite Time, en 1989, un album Pop nonchalant et sans prétention.

GURU GURU est dissout en 1979 après la publication de l’album studio Heydu. KRAFTWERK attend trois ans avant de sortir Computer World (1981) puis cinq ans pour sortir Electric Café (1986). Plusieurs groupes continuent leur activité à travers la composition de musiques de films. TANGERINE DREAM en signe une bonne trentaine.

POPOL VUH continue sa collaboration avec le réalisateur Werner HERZOG et compose la musique de ses films Cœur De Verre (1977), Nosferatu : le Fantôme de la Nuit (1978), Fitzcarraldo (1982) et Cobra Verde (1987).

Irmin SCHMIDT de CAN, qui avait commencé sa carrière par des musiques pour le cinéma et la télévision, reprend du service en faisant régulièrement appel à Jaki LIEBZEIT et Michael KAROLI. Le coffret 3 CD Anthology – Soundtracks 1978-1993 témoigne d’une copieuse production. De son côté Holger CZUKAY multiplie les collaborations, souvent en compagnie de Jaki LIEBZEIT. Il joue notamment avec Jah WOBBLE, Conny PLANK et Dieter MOEBIUS, David SYLVIAN…

D’autres continuent, également dans l’ombre. Hans-Joachim ROEDELIUS a tout de même publié environ une quarantaine d’albums solo de la fin des années 1970 à aujourd’hui ! Son ancien acolyte au sein de KLUSTER, Conrad SCHNITZLER, resté délibérément underground, a une production tout aussi prolifique avec aujourd’hui plus d’une soixantaine d’albums à son actif !

Manuel GÖTTSCHING d’ASH RA TEMPLE refait discrètement surface en 1984 avec E2-E4 (enregistré en 1981), une pièce de près d’une heure sur laquelle il assure seul toutes les parties d’électroniques (percussions, synthétiseurs, nappes sonores…) et de guitare électrique. Ce monument est proche du courant minimaliste répétitif américain, notamment les oeuvres pour orgues de Terry RILEY. E2-E4 est remixé par SUENO LATINO en 1989 et devient un véritable hymne pour la communauté Techno d’Ibiza, ouvrant la voie à l’Ambient-Techno et à la Techno Trance, notamment celle de THE ORB…

Les années 1980 et le début des années 1990 ne sont donc pas des années d’inactivité pour les principaux représentants du mouvement Krautrock. C’est principalement le désintérêt des médias qui le fait croire. Le phénomène le plus marquant de ces années reste cependant, a posteriori, la constitution d’un réseau d’initiés, de musiciens éclairés, qui de façon très souterraine vont faire fructifier l’héritage Krautrock.

Les héritiers du Krautrock : une filiation souterraine et foisonnante

Si l’on reprend la succession des mouvements musicaux à partir de la fin des années 1970, soit à partir du mouvement Punk, le meurtrier présumé du Krautrock, on s’aperçoit vite qu’aucun n’échappe à la pieuvre allemande, y compris les Punks ! Johnny ROTTEN, leader des SEX PISTOLS, affirmait avoir été fortement influencé par NEU! (le versant rock rugueux développé par Klaus DINGER, on s’en doute un peu). La New Wave et la Cold Wave reprennent l’Electro-Pop là où KRAFTWERK l’avait laissé et s’inspirent d’ailleurs fortement de ses codes vestimentaires. L’Indus lorgne fortement du côté de FAUST et NEU!. CABARET VOLTAIRE, ZOVIET FRANCE, THIS HEAT ne cachent pas leur admiration pour FAUST.

Les membres de CURRENT 93, NURSE WITH WOUND et H.N.A.S. sont quant à eux de véritables encyclopédistes en matière de Krautrock. NURSE WITH WOUND a même édité ou réédité sur son propre label, United Dairies, des albums de XHOL, d’Asmus TIETCHENS, de GURU GURU et de son ancien bassiste Uli TREPTE.

On doit aussi à H.N.A.S. l’un des canulars les plus réussis de toute l’histoire de la musique : Impressionen ’71 de DAMENBART. Présenté par H.N.A.S. comme un joyau du Krautrock sauvé de l’oubli, il s’agit en fait d’un disque qu’ils ont eux-mêmes enregistrés. Cet excellent album est confondant jusqu’à un certain point, il sonne tout de même plus « Indus des années 1980 » que « Krautrock ».

Quant aux pionniers de la Techno, de Juan ATKINS à Carl CRAIG en passant par AFRIKA BAMBAATAA, ils vénèrent KRAFTWERK. AFRIKA BAMBAATAA a d’ailleurs donné une seconde vie à Trans-Europe Express en 1982, en le samplant allègrement sur le single Planet Rock. AFRIKA BAMBAATAA déclara d’ailleurs, à propos de Trans-Europe Express : « Quand le disque est sorti, je me suis dit : Putain ! Quelle dope incroyable ! ».

Le groupe KRAFTWERK, centré autour de Ralf HÜTTER et Florian SCHNEIDER, ne s’est jamais séparé, et bénéficie aujourd’hui d’une aura exceptionnelle, que la sortie d’un album à moitié raté, Tour de France en 2004, entame à peine. On a aussi parlé plus haut de l’importance de E2-E4 de Manuel GÖTTSCHING pour les mouvements Ambient et Trance.

Le mouvement Post-Rock va être tout aussi explicite dans l’affirmation de ses influences allemandes. Dès 1988, sur leur album sorti sous le nom de CICCONE YOUTH, Thurston MOORE et Lee RANALDO de SONIC YOUTH affirment dans le titre d’un des morceaux « Two cool rock chicks listening to Neu! ». TORTOISE, TRANSAM, PRAM, MOONSHAKE, LAÏKA, STEREOLAB, LABRADFORD, SPACEMEN 3, MOUSE ON MARS, et bien d’autres encore, affirment leur dette vis-à-vis de groupes comme CAN, FAUST et NEU!. MOONSHAKE tient d’ailleurs son nom d’un titre publié par CAN sur l’album Future Days (1973). Le très prolifique collectif japonais ACID MOTHERS TEMPLE s’inspire avec évidence des improvisations psychédéliques d’AMON DÜÜL.

Au milieu des années 1990, l’explosion des musiques électroniques et l’émergence du Post-Rock provoquent ainsi, par un jeu d’influences musicales, une véritable redécouverte du rock allemand des années 1970. Les livres Cosmic Dreams at Play de Dag ASBJøRNSEN, Krautrocksampler de Julian COPE (enfin publié en français en 2005), et l’encyclopédie The Crack in the Cosmic Egg de Steven et Alan FREEMAN, viennent judicieusement remettre les pendules à l’heure.

Le rock planant et expérimental allemand des années 1970 est enfin reconnu comme le précurseur de nombreux styles musicaux ayant émergé dans les années 1980 et 1990. Un nombre incalculable de rééditions en CD voit le jour sur des labels allemands (Ohrwaschl, Garden of Delights, Second Battle, Repertoire), français (Spalax, Mantra), japonais (Captain Trip, Polydor Japan)… Beaucoup de ces rééditions se vendent d’ailleurs plus que les éditions de l’époque.

Ce retour en grâce du Krautrock (notamment au Japon) permet à plusieurs groupes de revenir. C’est l’époque des reformations pour GURU GURU, AMON DUÜL II et quelques autres.

FAUST s’était déjà reformé en 1993 pour un concert avec Tony CONRAD aux États-Unis. Mais ils reviennent véritablement en 1996 avec Untitled (publié sur ReR et regroupant des inédits remixés datant des années 1972/74), et surtout avec un nouvel album, Rien, produit par Jim O’ROURKE sur son label Table of Elements. L’album vaut surtout pour son morceau central, sans titre, une longue digression hypnotique digne des grandeurs heures du Krautrock. Deux autres albums vont suivre sur Table of Elements : You Know Faust en 1997 et Ravvivendo en 1999. Ils nous ont à nouveau surpris en 2004 avec Derbe Respect, Alder (Staubgold, 2004), un album en collaboration avec l’expérimentateur Hip-Hop / Noise américain DALËK.

En 1996, ROEDELIUS et MOEBIUS, qui bénéficient aussi pleinement de l’engouement pour les légendes oubliées du Krautrock, relancent CLUSTER en effectuant une tournée au Japon et aux États-Unis. À noter au passage que leur album Cluster Live Japan 1996 vaut largement le détour. On y (re)découvre un CLUSTER toujours en quête d’expérimentations sonores.

Les membres de CAN se retrouvent en 1997 à l’occasion de la sortie de Sacrilege, sur le label Mute, un double album de remixes de quelques-uns de leurs morceaux par, entre autres, Brian ENO, SONIC YOUTH, A GUY CALLED GERALD, U.N.K.L.E., THE ORB, Carl CRAIG, SYSTEM 7 (le projet techno de Steve HILLAGE, ancien membre de GONG)… En 1999, CAN publie sur son label Spoon The Can Box qui propose un livre, un CD et une vidéo (leur fameux concert gratuit donné à Cologne en 1972).

Suite à la sortie de ce coffret, les anciens membres du groupe ont effectué une tournée commune, « Can Solo Projects », avec leurs différents projets solo, préférant cette formule à une reformation du groupe. Hommage ultime, début 2004, leur fameux Inner Space Studio, a été démonté pièce par pièce pour être remonté dans le nouveau musée allemand Rock’n’Pop à Gronau. Un « rayon Krautrock » a également vu le jour dans le musée de cire au sommet de la Tokyo Tower au Japon ! Mais arrêtons là la liste des hommages, ici à la limite du mauvais goût.

Du mouvement Krautrock des années 1970, il reste un héritage tentaculaire. Il reste aussi, et surtout, une incroyable quantité de disques originaux, pionniers, novateurs… Beaucoup sont à nouveau réédités (les intégrales de KRAFTWERK, CAN, POPOL VUH et Klaus SCHULZE notamment), mais ils restent relativement mal distribués. C’est le grand paradoxe du Krautrock. Ce courant musical est parmi les plus influents de ses quarante dernières années, mais il reste finalement parmi les plus « underground ».

Réalisé par : Eric Deshayes

Discographie sélective :

* ACHIM REICHEL : Die Grüne Reise (1970), A.R. & MACHINES Echoes (1998 – compilation 1971/75).
* AGITATION FREE : Malesh (1972), Second (1973), Last (1976).
* AMON DÜÜL : Psychedelic Underground (1969).
* AMON DÜÜL II : Phallus Dei (1969), Yeti (1970), Dance of the Lemmings (1971), Wolf City (1973).
* ANNEXUS QUAM : Osmose (1970), Beziehungen (1972).
* ASH RA TEMPLE : Ash Ra Temple (1971), Schwingungen (1972), Seven Up (1972), Inventions For Electric Guitar (1973).
* BRAINTICKET : Cottonwoodhill (1971), Psychonaut (1972), Celestial Ocean (1974).
* CAN : Monster Movie (1969), Soundtracks (1970), Tago Mago (1971), Ege Bamyasi (1972), Future Days (1973), Unlimited Edition (1976), Delay (1981).
* CLUSTER : Cluster’71 (1971), Cluster II (1972), Zuckerzeit (1974), Sowiesoso (1976), Cluster & Eno (1977), Grosses Wasser (1979), Curiosum (1981), Live Japan 1996 (1997).
* THE COSMIC JOKERS : The Cosmic Jokers (1974), Galactic Supermarket (1974).
* EMBRYO : Opal (1970) , Steig aus (1973).
* EXMAGMA : Exmagma (1973), Goldball (1975)
* FAUST : Faust (1971), So far (1972), Faust Tapes (1973), Faust IV (1974), 71 minutes of (ReR, 1989).
* GILA : Free Electric Sound (1971).
* Manuel GÖTTSCHING : E2-E4 (1984).
* GURU GURU : UFO (1970), Hinten (1971).
* HARMONIA : Musik von Harmonia (1974), De Luxe (1975), Harmonia 76 – Tracks & Traces (1997).
* KLUSTER : Klopfzeichen (1970), Zwei Osterei (1971), Eruption (1971).
* KRAFTWERK : Kraftwerk (1970), Kraftwerk 2 (1971), Ralf & Florian (1973), Autobahn (1974), Radio-Aktivität (1975), Trans-Europe Express (1977), The Man Machine (1978).
* LA DÜSSELDORF : La Düsseldorf (1976), Viva (1978), Individuellos (1980).
* NEU! : Neu! (1972), Neu! 2 (1973), Neu! ‘75 (1975).
* POPOL VUH : Affenstunde (1970), Hosianna Mantra (1973), Seligpreisung (1974).
* Klaus SCHULZE : Irrlicht (1972), Cyborg (1973), Black Dance (1974), Timewind (1975), Moondawn (1976), Mirage (1977), X (1978).
* CONRAD SCHNITZLER : Rot (1973), Con (1978), Con’72 (2002).
* TANGERINE DREAM : Electronic Meditation (1970), Alpha Centauri (1971), Zeit (1972), Atem (1973), Phaedra (1974), Rubycon (1975), Ricochet (1975), Stratosfear (1976).
* Asmus TIETCHENS : Nachtstücke (1980), Biotop (1981).
* Walter WEGMÜLLER : Tarot (1973).
* XHOL : Hau-Ruk (1971), Motherfuckers GmbH & Co KG (1972).

Bibliographie :

* Julian COPE, Krautrocksampler (1996 – en France : Editions Kargo & l’Eclat, 2005).
* Steven et Allan FREEMAN, The Crack in the Cosmic Egg (Publications Audion, 1996).
* Rock & Folk n°73 (février 1973) pages 72-77.
* Rock & Folk n°101 (juin 1975) pages 73-85.
* Dominique ROUX, Klaus Schulze : un saut dans l’inconnu (Association Internationale Cosmique, 2002).
* Stephen ILIFFE, Painting with Sound : the Life and Music of Hans-Joachim Roedelius (Meridian Music Guides, 2003).
* Éric DESHAYES, Au-delà du rock, la vague planante, électronique et espérimentale allemande des années soixante-dix (2007, Le Mot et le Reste)
* Éric DESHAYES, Can, Pop-Musik (2013, Le Mot et le Reste)
* TRAVERSES n°17 (avril 2005) : Tangerine Dream : gloire et destin d’une usine à rêves, pp. 12-20
* TRAVERSES n°20 (juillet 2006) : La Saga Kraftwerk
* Actuel n°27 (janvier 1973) : Jean-Pierre LENTIN, Le rock allemand enfin !, reproduit dans : Jean-François BIZOT Underground, l’histoire (Actuel / Denoël, 2001) pages 268-271.

Sites Internet :

Néosphères : http://neospheres.free.fr

(Article original publié dans
TRAVERSES n°19 – mars 2006)

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