Florent Menegaux, président de Michelin au JDD : « Le capitalisme est allé un peu trop loin »
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Florent Menegaux, président de Michelin au JDD : « Le capitalisme est allé un peu trop loin »

ENTRETIEN. En plein débat sur la smicardisation de la France, Michelin redéfinit la relation employeur-salariés.

Propos recueillis par Anne de Prima , Mis à jour le
Florent Menegaux, président du groupe Michelin depuis mai 2019.
Florent Menegaux, président du groupe Michelin depuis mai 2019. ABACA / © Jean-Bernard Vernier

Le JDD. Vous avez annoncé la garantie d’un salaire « décent » pour les salariés du groupe dans le monde. N’est-ce pas le retour du paternalisme à la Michelin du début du XXe siècle ?

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Florent Menegaux. Chez Michelin, on ne veut pas fabriquer de la valeur sur le dos des gens, mais à leur bénéfice. Nous souhaitons distribuer un salaire « décent » permettant à une famille composée de deux adultes et deux enfants de pouvoir se nourrir, se loger, mais aussi de constituer une épargne de précaution et pouvoir se projeter.

Nous prenons également une deuxième mesure forte à travers le socle universel de protection sociale pour faire en sorte que, lorsqu’il y a des accidents de la vie, les familles aient un minimum de protection.

Comment se définit un salaire décent ?

Il est calculé par l’ONG Fair Wage Network, que nous avons mandatée, et qui prend en compte les critères définis par l’Onu, à commencer par le pouvoir d’achat. Il est évidemment différent selon les pays et les villes. À Paris, c’est deux fois le salaire minimum en France.

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À Greenville, aux États-Unis, le salaire d’un agent de production est trois fois supérieur (42 235 dollars) au salaire minimum (14 790 dollars). À Pékin, Michelin propose 69 312 yuans, soit plus de deux fois et demie plus que le salaire minimum chinois.

La rémunération de Carlos Tavares, président de Stellantis, vous paraît-elle, à l’opposé, « indécente » ?

Chaque entreprise a son propre contexte et je ne peux vous parler que de ce que je connais. En revanche, je suis favorable à un plafonnement des salaires les plus élevés. Tout est une question de proportion, il faut que les écarts restent acceptables pour préserver la cohésion sociale. Je ne crois pas non plus à l’égalitarisme ni à l’uniformisation. Ma rémunération est très élevée, j’ai demandé qu’elle soit plafonnée, y compris dans ses dimensions variables. Je pense que la variabilité pure et dure emmène vers des écarts excessifs.

Quelle définition avez-vous du progrès ?

Depuis le plus jeune âge, l’être humain est appelé à progresser. Personne ne force un enfant à marcher. Tout seul, il va aller essayer de se mettre debout parce qu’il sait qu’en marchant, il va acquérir de l’indépendance, découvrir de nouvelles choses. Dans nos sociétés, nous avons ramené le progrès à une seule dimension, celui du progrès matériel instantané. Nous avons oublié que la société doit fabriquer du progrès en permanence, dans plusieurs dimensions.

Avec le progrès matériel, la question de la répartition des richesses créées se pose. Le capitalisme est allé un peu trop loin. Il y a aujourd’hui un déséquilibre au profit de la rémunération du capital et au détriment de la rémunération du travail… C’est un problème pour nos démocraties occidentales développées, mais surtout pour la moitié de la population mondiale qui vit avec moins de cinq dollars par jour.

L’IA, c’est le progrès. Est-ce qu’une usine sans ouvrier vous paraît possible ?

Le progrès, quand il n’est pas au service de l’Homme, ne sert à rien. L’intelligence artificielle, c’est comme un marteau : un outil formidable qui a permis à l’humanité de se développer, mais aussi une arme potentiellement dangereuse, si les individus n’ont pas été accompagnés et formés pour interpréter et utiliser la production de ces nouvelles technologies. Nous sommes fondamentalement optimistes face à l’IA et, en même temps, nous ne sommes pas naïfs.

Michelin a quatorze usines en France. Quel est leur avenir ?

Les conditions de compétitivité de la France pour nos activités sont difficiles, notamment pour exporter nos produits. Je ne prends aucun engagement sur la pérennité d’un site, où qu’il soit dans le monde. En revanche, nous prenons deux engagements permanents et non négociables lorsque nous décidons de restructurer une activité : accompagner individuellement chaque salarié concerné et revitaliser les territoires.

Un pneu propre, est-ce possible ?

Oui. Déjà aujourd’hui, si tous les véhicules dans le monde étaient équipés en pneus Michelin, ils consommeraient moins de carburant pour faire le même kilométrage. Cela représenterait une économie de 250 millions de pneus en moins par an, sur un marché mondial de 1,5 milliard. Par ailleurs, 30 % des matériaux sont biosourcés ou recyclés.

Il faut donc trouver des solutions technologiques pour les 70 % restants. C’est un défi énorme, mais nous sommes sur la bonne voie. D’ici 2030, 40 % des matériaux seront biosourcés ou recyclés, et 100 % d’ici 2050.

Que peut-on reprocher aux pneus chinois ?

Les pneumatiques chinois entrent dans l’UE avec des règles du jeu qui ne sont pas les mêmes que celles que nous appliquons à nous-mêmes, tant au niveau social, fiscal qu’environnemental. Il est urgent de refonder les règles de la concurrence en Europe et au-delà si nous voulons garder et développer une industrie sur le continent.

Vous avez été présélectionné par la NASA pour équiper le futur véhicule d’exploration lunaire en 2028. Comment conçoit-on un pneu qui s’adapte au sol lunaire ?

C’est la magie des matériaux. Nous avons développé des renforts qui résistent à des contraintes thermiques et des contraintes d’usage phénoménales. Les pneus seront capables, sur un même véhicule, d’être exposés au soleil, à plus 200 degrés, et la nuit, à moins 120 degrés. Ces pneus doivent s’adapter à un sol accidenté et boire l’obstacle, c’est-à-dire se déformer pour absorber à chaque instant l’impact, sans endommager les structures. C’est là qu’on va retrouver tous le savoir-faire Michelin.

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