Quand l’Afrobeats enflamme la planète !

Quand l’afrobeats enflamme la planète !

L’AFROBEATS À LA CONQUÊTE DU MONDE (1/5). En 15 ans, ce genre musical a dépassé les frontières du Nigeria pour devenir le fer de lance d’un véritable soft power africain.

Par Jean-Pierre Seck

Les stars de l'afrobeats, comme Burna Boy ou Wizkid, ici sur scène, remplissent les plus grandes salles de concert à travers le monde.
Les stars de l'afrobeats, comme Burna Boy ou Wizkid, ici sur scène, remplissent les plus grandes salles de concert à travers le monde. © Karyn Louise/REX/SIPA

Temps de lecture : 9 min

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Le 21 octobre dernier, le BK Arena de Kigali a vibré au rythme de la première édition des Trace Awards, un événement majeur qui a rassemblé 150 artistes de divers horizons musicaux. Au menu, de l'afrobeats, de l'amapiano et du gospel. Le choix du Rwanda, pays qui a opéré un passage rapide du français à l'anglais, pour accueillir cette première édition n'est pas anodin. Explication : le Rwanda est très engagé à promouvoir « l'excellence afro » et à valoriser les industries culturelles et créatives rwandaises et africaines au sens large est réel.

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Les Trace Awards comme tribune

Ainsi, les Trace Awards ont été une occasion exceptionnelle et unique de réunir sur une même scène les figures emblématiques de la musique urbaine, tant anglophone que francophone, offrant ainsi une fenêtre privilégiée sur ce qui les différencie et les unit.

La performance remarquée de Yemi Alade dans son costume doré, interprétant « Lipeka » en l'absence d'Innos B (empêché par des tensions politiques entre leurs pays, comme il l'expliquait à Claudy Siar), a été un moment phare de la soirée. Cette collaboration, malgré les obstacles, a connu un succès retentissant sur YouTube, avec près de 4 millions de vues.

Parmi les moments marquants, notons également l'efficace prestation de Davido et Musa Keys pour « Unavailable » illustrant le haut niveau de professionnalisme qui prévaut dans ces grands événements.

Enfin, l'acmé est atteinte avec Diamond Platinumz, l'étoile montante de la Tanzanie, sur son tube « WHY », en featuring avec l'artiste rwandais The Ben qui a été un autre temps fort de la soirée. Une performance caractérisée par un ballet de danseurs urbains vêtus de couleurs vives et des chorégraphies précises, rappelant les grands shows à l'américaine, témoignant du dynamisme et de l'innovation de la scène musicale africaine actuelle dominée par l'afrobeats. De quoi s'agit-il ?

Un sillon de l'afrobeats à l'amapiano

L'afrobeats, qui trouve ses racines dans l'afrobeat (sans s) du phénoménal Fela Kuti, est un genre installé depuis les années 2000, personne n'en disconvient. Mais mesure-t-on réellement à quel point nous ne sommes qu'au début de cette aventure ?

Car oui, le phénomène grossit de façon exponentielle au départ avec le groupe P Square qui a imposé le genre, puis le triptyque Davido, Wizkid et Burna Boy qui a fini d'en faire un standard mondial. Une tendance qui ne faiblit pas quand on voit à quel point cela va très vite pour la relève avec les nouvelles stars mondiales Ayra Starr ou encore Rema, premier artiste africain à avoir atteint le milliard de streams.

L'Afrique du Sud n'est pas en reste dans ce nouvel univers musical ultra-concurrentiel en imposant l'amapiano à la face du monde (repris par les Nigérians pour se renouveler comme le très efficace Asake feat Olamide) et en faisant éclore une nouvelle star mondiale Tyla avec le titre « Water ».

Dans ce paysage musical urbain africain foisonnant, les artistes anglophones et francophones incarnent deux univers distincts, dans lequel l'avance des anglophones semble impossible à rattraper pour les francophones.

Comment l'afrobeats s'est imposé…

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cet état de fait.

Dans l'univers musical contemporain, l'afrobeats connaît une ascension remarquable, tirant profit de l'essoufflement du rap, autrefois maître incontesté des genres musicaux populaires. Cette tendance s'explique par plusieurs facteurs clés.

D'abord, le rap, un genre longtemps apprécié pour sa capacité à refléter la réalité sociale et à aborder des thèmes bruts, est aujourd'hui une musique très formatée. De nombreux critiques et auditeurs reprochent au rap actuel son manque de renouvellement artistique, souvent confiné dans des thématiques répétitives centrées sur la violence, l'argent facile et une représentation parfois dégradante de la femme.

Ces éléments, autrefois perçus comme une forme d'expression authentique des réalités urbaines, sont désormais vus par certains comme un frein à l'évolution du genre.

Face à cette stagnation, l'afrobeats se distingue par son dynamisme et sa diversité. Mélangeant des rythmes traditionnels africains avec des influences contemporaines, l'afrobeats offre une palette sonore riche et variée. Les paroles, souvent empreintes d'optimisme et célébrant la culture et les identités africaines, tranchent nettement avec le cynisme et la noirceur parfois associés au rap. Des artistes tels que Burna Boy et Wizkid, avec leur approche musicale inclusive, ont su conquérir un public international, séduit par l'énergie positive et l'authenticité de leur musique.

En outre, la montée en puissance de l'afrobeats est soutenue par une présence accrue sur les plateformes de streaming et dans les médias. Cette visibilité offre aux artistes de l'afrobeats des opportunités sans précédent pour toucher un public mondial, dépassant ainsi les frontières traditionnelles de la musique africaine. L'intégration régulière de titres d'afrobeats dans des playlists populaires et leur diffusion sur des chaînes de télévision et des stations de radio internationales contribuent à cette tendance.

En revanche, le rap, malgré sa popularité et son influence historique, doit faire face à des défis de renouvellement et d'adaptation. Pour maintenir son statut et son attrait, il doit évoluer, en intégrant peut-être de nouvelles sonorités et en abordant des thèmes plus variés et actuels.

La singularité de l'afrobeats réside dans sa capacité à fusionner divers éléments musicaux africains et occidentaux. Le style de chant typiquement nigérian, avec ses intonations distinctes et son phrasé unique, confère à l'afrobeat une identité sonore reconnaissable. Cette manière de chanter, alliée à des arrangements musicaux modernes et des textes parfois politisés, fait de l'afrobeat un genre à part entière, distinct et apprécié mondialement.

Le Nigeria a également démontré une aptitude remarquable à intégrer des influences extérieures, comme l'amapiano, un style originaire d'Afrique du Sud. Cette capacité d'absorption et de réinventions témoigne de la flexibilité et de l'innovation constantes de la scène musicale nigériane. En intégrant l'amapiano, les artistes nigérians ne se contentent pas de suivre une tendance, mais y apportent leur propre touche.

… contrairement aux autres genres musicaux trop locaux

En comparaison, la scène francophone africaine se concentre davantage sur le développement de genres très locaux, tels que le Rap Ivoire en Côte d'Ivoire et le Rap Galsen au Sénégal. Ces genres reflètent les spécificités culturelles et sociales de leurs pays d'origine. Bien que riches en termes d'expression culturelle et de pertinence locale, ces styles peinent à atteindre la notoriété internationale de l'afrobeat nigérian. Leur portée reste souvent confinée aux frontières nationales ou à l'espace francophone, limitant ainsi leur influence sur la scène musicale mondiale.

L'afrobeat nigérian, grâce à son caractère distinctif et sa capacité à évoluer en intégrant de nouvelles influences, s'est imposé comme une force majeure de la musique urbaine africaine. Cette réussite contraste avec les approches plus localisées de la musique francophone africaine, soulignant l'importance de l'innovation et de l'ouverture aux influences extérieures pour atteindre une résonance globale.

Le Nigeria, première économie d'Afrique avec une population dépassant les 200 millions d'habitants, représente un marché colossal pour sa propre production musicale. Cependant, l'impact de la musique nigériane ne se limite pas à ses frontières nationales.

L'anglais et le pidgin : vecteurs d'influence

La langue s'avère être un vecteur crucial dans l'évolution et la popularité de la musique urbaine africaine. L'anglais et le pidgin, en tant que langues de communication et d'expression artistique, offrent aux artistes anglophones africains un avantage stratégique pour atteindre un public global, un avantage que la scène musicale francophone cherche encore à égaler.

L'intégration de l'anglais, combinée à l'utilisation d'accents locaux et de dialectes comme le pidgin nigérian, enrichit la musique d'une authenticité et d'une originalité qui lui sont propres.

L'anglais populaire utilisé au Nigeria est un « broken english », (un anglais simplifié mélangé à des expressions locales et des pidgins) est un élément clé de l'afrobeats. Cette forme de langage, tout en étant distinctement africaine, reste compréhensible pour un auditoire international. Le broken English ajoute une dimension d'authenticité, reste accessible à un public anglophone plus large. Cette combinaison donne aux chansons une saveur locale tout en les rendant compréhensibles et appréciables au-delà des frontières africaines. Cette musique crée une sonorité particulière qui, même si elle n'est pas entièrement accessible à tous les auditeurs, possède une musicalité et un rythme familiers. Cette familiarité linguistique facilite l'adoption de la musique africaine dans des marchés non africains, contribuant ainsi à son succès international.

L'accent local dans l'utilisation de l'anglais, loin de constituer un obstacle, devient une signature, une marque d'identité qui parle à l'ensemble du continent africain et à sa diaspora. Cet accent, caractéristique de l'Afrique, permet aux artistes de maintenir un cordon ombilical avec leurs racines tout en s'adressant à un public mondial.

En revanche, le français, bien qu'étant une langue internationale, n'offre pas le même degré d'accessibilité sur le marché mondial de la musique. Les pays francophones africains, malgré une riche tradition musicale et des artistes talentueux, rencontrent des obstacles dans la diffusion de leur musique au-delà de l'espace francophone. Cette différence d'accès au marché international entre les scènes anglophones et francophones africaines souligne l'importance de la langue et de la communication dans la réussite et le rayonnement de la musique sur la scène mondiale.

Le succès de l'afrobeats au-delà des frontières du Nigeria

L'afrobeats, en s'imprégnant et en réinterprétant les codes esthétiques de la pop internationale, a brillamment su se hisser au niveau des genres musicaux les plus en vogue sur la scène mondiale. Cette intégration ne se limite pas à la production de clips vidéo de haute qualité ou à l'adoption de tendances de mode internationales, mais englobe également l'utilisation judicieuse de technologies musicales de pointe.

Un phénomène ayant permis à l'afrobeats de transcender ses origines régionales pour se métamorphoser en un véritable phénomène culturel global. Son accessibilité, couplée à une capacité à résonner avec les tendances mondiales, a consolidé sa position en tant que force dominante dans le monde de la pop culture. Cette évolution est d'autant plus manifeste dans ses collaborations avec des artistes internationaux de premier plan, sa présence remarquée dans des festivals de renommée mondiale et ses nombreuses récompenses sur la scène internationale.

L'exemple de l'afrobeats nigérian illustre parfaitement comment un genre musical peut rester fidèle à ses racines culturelles tout en intégrant avec succès des éléments de la pop culture internationale. Cette hybridation a non seulement enrichi l'identité propre de l'afrobeats, mais a également contribué à redéfinir et à élargir la portée de la musique populaire africaine sur le marché international. En adoptant et en adaptant les codes esthétiques mondiaux, l'afrobeats a su créer un pont entre les cultures, offrant ainsi une nouvelle perspective à la musique africaine contemporaine.

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