Pascal Bonitzer : « J’ai voulu écrire un conte à la Dickens »
Interview

Pascal Bonitzer : « J’ai voulu écrire un conte à la Dickens »

INTERVIEW. Famille, peinture, psychanalyse, Shoah, cinéma… « Le Point » a recueilli les confidences de Pascal Bonitzer à la faveur de la sortie de son dernier film : « Le Tableau volé ».

Propos recueillis par

Pascal Bonitzer, 77 ans, sort son 10e film. Ici au festival du film fantastique de Gérardmer, le 27 janvier 2021.
Pascal Bonitzer, 77 ans, sort son 10e film. Ici au festival du film fantastique de Gérardmer, le 27 janvier 2021. © Domine Jerome/ABACA

Temps de lecture : 7 min

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Il a signé une cinquantaine de scénarios pour les plus grands réalisateurs de son temps, de Jacques Rivette à Raoul Ruiz en passant par Barbet Schroeder, Anne Fontaine et Raoul Peck. Pour son dixième film en tant que réalisateur, Le Tableau volé, actuellement en salle, il fait d'Alex Lutz un commissaire-priseur découvrant une toile d'Egon Schiele que l'on croyait disparue : un trésor inestimable que la guerre a bien failli engloutir. Pascal Bonitzer livre au Point la genèse de ce beau film. Ce qui l'amène à évoquer aussi ses parents, sa fille et la Seconde Guerre mondiale. Entretien.

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Le Point : Comment est née l'idée de ce film tout entier centré autour d'un tableau volé pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Pascal Bonitzer : Le point de départ de tout ça… C'est une commande de mon producteur, Saïd Ben Saïd. Il m'a demandé de faire un film se passant dans le milieu des salles de ventes. Comme à chaque fois que je me mets à écrire un scénario sur un univers que je connais mal, je me suis lancé dans une série d'entretiens. Avec Iliana Lolic, nous avons conduit une vingtaine d'interviews de personnalités travaillant dans ce milieu : des commissaires-priseurs, des experts, des galeristes, des spécialistes de grandes maisons. C'est au cours de ce travail préparatoire qu'a émergé cette anecdote : un tableau d'Egon Schiele a été retrouvé dans la banlieue de Mulhouse il y a une quinzaine d'années. Les ingrédients de cette histoire m'ont beaucoup frappé. Je me suis dit que je tenais là la ligne d'un scénario.

Vous avez préféré faire œuvre de fiction plutôt que d'enquêter réellement sur cette affaire. Pourquoi ne pas avoir voulu entrer en contact avec les acteurs du dossier ?

J'ai préféré laisser jouer mon imagination. Le point de départ était si incroyable que je ne voulais pas risquer d'être déçu en collant à l'histoire réelle. Pour moi, l'enjeu, ce n'était pas la dispute entre le locataire et le propriétaire de la maison où a été retrouvée cette œuvre mais plutôt le côté presque maudit du tableau. Quand on se trouve en possession d'un trésor, on ne sait pas ce qui peut arriver. Un magot est presque toujours entouré d'une sorte de malédiction. Le Trésor de la Sierra Madre [western de John Huston sorti en 1948, NDLR] en donne l'illustration…

Les vrais protagonistes de cette histoire ont-ils vu le film ? Si oui, quels sont leurs retours ?

J'ai rencontré à Mulhouse, au moment où j'y présentais le film, l'avocate des personnes qui ont retrouvé le tableau dans la maison qu'ils avaient acquise. Mais elle ne m'a pas dit ce que ses clients en avaient pensé.

Dans votre film, vous prenez le parti de faire d'abord rire le spectateur… avant de l'amener au bord des larmes.

Ce n'est pas une histoire sombre non plus. Il y a un happy end. Je ne voulais pas que mon film soit un drame. Je préférais rester dans le registre de la comédie. Mais il est vrai que l'arrière-fond de ce film est d'une grande noirceur. En arrière-plan, il y a la tragédie des tragédies : la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Ce tableau a été volé à une famille juive qui a été, pour partie, décimée. Pour autant, je voulais malgré tout que la tonalité de cette histoire soit celle d'un conte de Noël. C'est pourquoi je commence par une scène humoristique avec Marisa Borini et je termine de manière je l'espère surprenante, en décembre. J'ai voulu écrire un conte à la Dickens.

Vos films précédents dépeignaient surtout des milieux bourgeois, souvent universitaires. Pourquoi avoir voulu vous en éloigner cette fois-ci en décrivant le quotidien d'un ouvrier dans une usine chimique ?

J'ai voulu changer d'air ! Le monde que j'ai exploré jusque-là est aux antipodes de celui de Martin, ce jeune garçon chez la mère duquel on retrouve ce tableau. C'était l'une des choses qui me séduisait dans cette histoire : la rencontre entre deux mondes qui, d'habitude, ne sont pas faits pour se croiser.

On retrouve effectivement dans Le Tableau volé des représentants de ce petit monde d'intellectuels, amateurs d'art qui est très présent dans vos films. D'où vous vient cette obsession pour ce milieu ?

C'est l'univers dans lequel je suis né. J'appartiens à cette moyenne bourgeoisie parisienne, intellectuelle. Je suis parti de là, non pas pour me raconter mais parce que je voulais signer des œuvres réalistes et donc décrire un environnement que je connaissais.

Que faisaient vos parents ?

Mon père était ingénieur des Ponts et Chaussées. [Jacques Bonitzer (1910-2016) était polytechnicien, NDLR]. Mais il aurait, je crois, préféré se consacrer à la philosophie. Il a d'ailleurs écrit des livres sur ce sujet à la fin de sa vie. Ma mère [Solange Ullmann (1920-2017), NDLR] était peintre. Moi-même, quand j'étais adolescent, j'ai pris des leçons de peinture auprès de Robert Lapoujade (1921-1993), un artiste qui, à l'époque, avait une petite cote et dont l'atelier était installé rue du Petit-Musc (Paris 4e).

Votre père et votre mère, Juifs tous deux, ont vécu la guerre comme la famille du collectionneur spolié dont parle votre film. Comment ont-ils traversé ces années sombres ?

Mon père était dans un réseau de résistance. Il a pu faire faire de fausses cartes d'identité qui leur ont permis de vivre, sous une identité d'emprunt, la plus grande partie de la guerre à Lyon sans être embêtés. Du côté de ma mère, on a eu moins de chance. Les parents de ses cousins qui vivaient du côté de Nancy ont été en grande partie arrêtés et déportés dans les camps où ils sont morts.

Vous avez peu exploré cet aspect de votre histoire personnelle. Pourquoi ?

Je n'ai pas été élevé dans la tradition juive. J'ai beau avoir pour aïeul un ancien grand rabbin de Nancy et d'Alger, on ne m'a pas beaucoup transmis cet héritage.

Vous n'aviez pas envie de creuser ?

J'ai abordé la question à demi-mot dans Je pense à vous (sorti en 2006) où il est question de la judéité d'un personnage. Mais je n'ai pas poussé plus loin les choses. Pour revenir à mon père, des éléments romanesques de sa vie m'ont été transmis récemment. J'ai découvert qu'il avait failli être arrêté pendant la guerre. On m'a indiqué qu'il avait été membre de l'ancêtre de DGSI, le BCR. C'est en tant que polytechnicien qu'il avait été recruté. Je l'ai su parce que j'ai un petit-cousin qui y travaillait et qui a trouvé un dossier dans les archives. Il était sous les ordres du colonel Rémy. Inutile de préciser qu'il ne m'en avait jamais parlé. J'ai découvert cela après sa mort.

Glissez-vous beaucoup d'éléments biographiques dans les personnages que vous inventez ?

Cela m'arrive, mais jusqu'à un certain point seulement.

La relation que vous avez avec votre fille Agathe n'a pas inspiré celle qu'Aurore (Louise Chevillotte) entretient avec son père ?

Pas du tout. Ma fille est d'une grande rectitude. Là où le personnage d'Aurore est taraudé par une mythomanie pathologique.

De la même manière qu'il y avait un peu de vous dans les personnages que vous aviez écrits pour Jean-Pierre Bacri, je m'attendais à ce qu'il y ait quelque chose de Pascal Bonitzer dans le rôle incarné par Alain Chamfort.

C'est amusant que vous ayez fait ce parallèle. Je le dirai à Alain, ça l'amusera que vous nous compariez. J'ai écrit ce rôle spécialement pour lui. La seule allusion un peu autobiographique qu'on retrouve dans le scénario, c'est le moment où l'un des personnages fait référence à un test de paternité. Il se trouve que mon père avait un peu perdu la boule à la fin de sa vie et qu'il a prétendu, à un moment, que je n'étais pas son fils. J'ai été tenté, un bref instant, de faire un test de paternité… avant de renoncer. Il ne fait aucun doute que je suis bien son fils.

Vos films sont-ils des psychanalyses ?

Ils en bénéficient en tout cas. La psychanalyse occupe une place importante dans ma vie. J'en ai fait une pendant longtemps. J'ai arrêté, puis je m'y suis remis récemment et c'est une aide pour l'écriture. C'est indéniable.

Pourquoi était-il important, pour vous, de tourner dans les locaux de l'hôtel Drouot ?

Parce que c'est la place de vente la plus importante de France. J'ai eu la chance qu'on m'autorise à y poser ma caméra. J'attache une grande importance aux décors. J'avais beaucoup tenu à tourner au Conseil d'État, certaines scènes de Cherchez Hortense (sorti en 2012) car le personnage que jouait Claude Rich y travaillait. L'hôtel Drouot dégage une ambiance particulière. Les salles où se déroulent les enchères, la faune qui y traîne… tout cela crée un climat singulier. J'ai veillé d'ailleurs à ne prendre comme figurants que des figures familières des lieux. Ils ont un look inimitable. J'aurais aimé qu'on tourne les passages qui se déroulent dans la société imaginaire Scottie's dans les locaux de la maison Sotheby's mais les instances new-yorkaises de ce groupe ont refusé.

Vous êtes fils de peintre. Le personnage principal de votre film est l'homonyme d'un grand artiste : André Masson (1896-1987). Le tableau volé dont il est question est de Schiele. Quels artistes peintres aimez-vous ?

J'aime bien Masson et Schiele, mais je ne peux pas dire qu'ils font partie de mes peintres favoris. J'ai plutôt un faible pour l'expressionnisme allemand. Notamment Max Beckmann, qui est peut-être moins connu. J'ai d'ailleurs donné, par le passé, le nom de Beckmann à plusieurs de mes personnages.

Quel sera le sujet de votre prochain film ?

Je viens de terminer l'adaptation d'un Maigret. C'est un roman de Simenon peu connu qui s'intitule : Maigret et les vieillards. Ça se passe dans le 7e arrondissement. C'est une histoire policière. J'en débuterai le tournage en février prochain.
 

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Commentaire (1)

  • rosemad

    A voir. Scénario, dialogues, jeu d’acteurs, tout est bien. Une comédie distrayante et touchante, sans prétention et sans les poncifs de notre temps, en dehors de la doxa et des dogmes à la mode…. Et on en a bien besoin !