Le "Musée imaginaire" de l'historien Paul Veyne

Le "Musée imaginaire" de l'historien Paul Veyne

Propos recueillis par

À g. : Paul Veyne nous invite à un vagabondage dans la peinture italienne de Giotto à Tiepolo. À droite :
À g. : Paul Veyne nous invite à un vagabondage dans la peinture italienne de Giotto à Tiepolo. À droite : "Jeune femme au miroir" (1515, 62 x 79 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne) de Giovanni Bellini (vers 1430-1516). © DR

Temps de lecture : 4 min

Paul Veyne est, sans conteste, l'un de nos plus brillants historiens. Professeur honoraire au Collège de France, il a ébloui une génération de Français par des livres à l'érudition impeccable, dans lesquels l'Antiquité gréco-romaine apparaissait sous un jour nouveau. Cette fois, il a abandonné son terrain d'élection pour vagabonder en Toscane, en Ombrie, en Vénétie, à Rome et ailleurs, dans le sillage des peintres. Paul Veyne nous fait visiter son "Musée imaginaire", volumineux ouvrage, abondamment illustré, dans lequel le familier de Sénèque commente la peinture italienne de Giotto à Tiepolo.

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Le Point : Pourquoi un livre sur la peinture ?

Paul Veyne : Sorti d'un milieu complètement inculte, j'ai, enfant, été frappé, non pas par les images en général, mais par les tableaux, parce qu'ils étaient beaux. Qu'ils sautaient aux yeux ! C'est un objet très particulier, un tableau, quand il est beau, bien sûr. J'en ai regardé toute ma vie, je me suis éduqué. Je me souviens pour ainsi dire un à un des moments où j'ai vu pour la première fois telle ou telle toile. J'ai donc voulu faire un livre consensuel et éducatif, pour les gens incultes ou les adolescents, histoire de leur apprendre la peinture.

Les artistes italiens ont-ils été favorisés par la présence, à leurs côtés, de vestiges antiques ?

Certes, au XVe siècle, ils ont pris modèle, pour le naturalisme, sur les nombreux sarcophages qu'on trouvait un peu partout, à commencer par le Campo Santo de Pise. Mais c'est tout. Il n'y a pas lieu de parler de reprise de l'Antiquité. Je ne sais pas ce qui a pris à Chastel d'écrire qu'il y avait à la Renaissance une influence de la peinture antique. Les peintres du quattrocento ne la connaissaient pas. Elle ne sera, grotesques mis à part, redécouverte qu'à partir des années 1750, au travers des fouilles d'Herculanum et de Pompéi.

Qu'éprouvez-vous devant un tableau ?

Ce qui me frappe, c'est qu'une fois qu'on a acquis l'éducation de base, que cela concerne l'art italien ou la peinture abstraite, dont, jeune, j'ai vécu intensément l'épopée, la belle oeuvre saute instantanément aux yeux. La qualité picturale s'impose illico ! On la distingue dans l'instant. À Montpellier, il y a un étage Soulages dans le musée Fabre : on s'emm... à cent sous de l'heure. Il y a quelques jours, à la Biennale des antiquaires, je découvre un Soulages des années 1950 : ce tableau saute aux yeux. Soulages est un grand peintre, même si, par la suite, il a trop peint...

Alors que, d'habitude, vous avez une relation ambiguë au christianisme, votre ouvrage tourne parfois au catéchisme...

Si je reste sceptique en face du phénomène religieux, certains sujets religieux, eux, me bouleversent comme cette rencontre - "La Visitation" - entre la Vierge et sainte Elisabeth, sujet cher aux grands artistes du cinquecento comme Pontormo. La première est enceinte du Christ, et la seconde l'est du précurseur du Sauveur, à savoir saint Jean-Baptiste.

Le progrès dans la peinture, ça existe ?

Il y a les grands et les moins grands. Et parmi les grands on est obligé de faire un choix arbitraire entre ceux qu'on aime et ceux qu'on n'aime pas. Je vous donne un exemple scandaleux : il y a deux peintres dont je ne nie pas une seconde la grandeur, mais qui me laissent de glace. Je n'ai pas de sentiment d'amour pour eux. Tenez-vous bien : il s'agit de Monet et de Matisse. J'en perçois les qualités comme tout le monde. Mais les bonnes femmes assises de Matisse, débitées en série, me laissent froid. Monet ? Je vois bien ce qu'il veut faire, la virtuosité que cela représente, l'harmonie générale du tout, notion capitale. Mais je n'aime pas. C'est tout. C'est l'arbitraire de l'amour. Après tout, Longhi détestait Tiepolo et Tintoret...

Votre réaction à la suppression du latin-grec dans le secondaire ?

Je vais vous dire les choses carrément. Je suis contre, évidemment. Quand j'ai vu ce qui se passait, j'ai été effondré, ravagé, attristé. Ça me fait de la peine. La disparition d'une baleine, c'est triste. La disparition du latin et du grec, ça va plus loin que la disparition d'une baleine. Ça me serre le coeur. J'éprouve une tristesse identique devant la situation de l'Église catholique, pour laquelle je n'ai pourtant aucune sympathie. Quand je vois que les deux tiers des églises de Rome sont fermées, qu'il n'y a plus de prêtres, je suis consterné. Dans mon village de deux mille habitants, cinquante personnes vont encore à l'église. Les ordres monastiques sont ratatinés, les couvents obligés de se regrouper. Il y a quelques années, les carmélites avaient dû sonner le tocsin parce qu'elles n'avaient plus rien à manger. J'ai écrit à Lang pour qu'il leur accorde une subvention. C'est sainte Thérèse d'Avila, une femme de génie, qu'on assassine...

"Mon musée imaginaire ou les chefs-d'oeuvre de la peinture italienne", de Paul Veyne (Albin Michel, 496 p., 38 euros).

Commentaires (2)

  • marieanne

    Il m'a rassurée, ce monsieur. Je n'ai jamais aimé les impressionnistes, j'en avais honte, j'ai lu une interview de P. Veyne disant qu'il n'était pas impressionné par les impressionnistes, ouf ! De la part d'un aussi grand monsieur, c'est super rassurant. Je vais enfin pouvoir avouer que je ne raffole pas de cette peinture adulée par tous !

  • l'Atalante

    On peut comparer le musée imaginaire de l'historien Paul Veyne à celui de l'humoriste Alphonse Allais.
    Les trésors du musée de ce dernier : l'aquarium opaque pour poisson timides, un vrai morceau de la fausse croix, une tasse à café avec anse gauche pour les gauchers et le crâne de Voltaire enfant.
    Alphonse Allais

    Au niveau artistique, ma préférence va à Paul Veyne mais au niveau humoristique Allais reste un maitre.