ELLE. Vous avez érigé la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes en grande cause de vos deux quinquennats. Pourtant, dans son dernier rapport, la Cour des comptes étrille votre politique en matière d’égalité. Pas de « stratégie globale » ni de « pilotage efficace ». Que faut-il pour que les Françaises ressentent des bénéfices ?

EMMANUEL MACRON.Nous sommes au début d’une transition, et il ne s’agit pas juste d’une politique publique. C’est pour ça aussi que je défends notre approche : une grande cause nationale n’est pas le sujet d’un ministère, mais de tous. C’est un ensemble, et un changement culturel très profond. On en voit les premiers résultats, mais il faut aller beaucoup plus loin, plus en profondeur.

ELLE. Les changements peinent à entrer concrètement dans la vie des Françaises. C’est le cas pour la PMA, dont les délais d’attente sont d’environ 16 à 24 mois…

E.M. C’est vrai pour absolument tous les dossiers. Nous avons créé des droits, en prenant le temps nécessaire pour que la société les accepte. Concernant la PMA, les délais sont trop longs. On a structurellement un problème d’offre médicale. On a encore des femmes qui se rendent à l’étranger. Sur près d’un million et demi de demandes de femmes éligibles, seules 200 000 y ont recours.

ELLE. Comment améliorer ces délais ?

Nous allons ouvrir aux centres privés l’autoconservation ovocytaire. Elle était jusqu’ici réservée aux établissements hospitaliers. Nous allons faciliter ces démarches pour réduire les listes d’attente.

ELLE. Malgré ces avancées, l’électorat féminin semble se détourner de vous. Comment l’expliquez-vous ?

E.M.  Je ne suis pas là pour commenter les sondages. Et ça ne me pose pas de problème d’entendre « vous n’allez pas assez vite ». Au contraire, c’est plutôt un aiguillon. Et comme vous le savez, je ne suis pas soumis à une élection le mois prochain ! Mon sujet, c’est donc de continuer. Et, surtout, qu’à l’issue des dix ans on ait changé les choses.

ELLE. Vous avez instauré un service public pour la pension alimentaire début 2023, qui est désormais recouvrée automatiquement. 83 % des familles monoparentales reposent sur les mères. Quelles nouvelles mesures concrètes pour les aider ?

E.M. C’était un continent caché de l’action publique. On l’a identifié au moment de la crise des Gilets jaunes, avec la présence de nombreuses femmes sur les ronds-points. Nous avons donc augmenté l’allocation de soutien familial de 50 % [fixée à 195,95 €] et corrigé des situations inadmissibles, en mettant en place le versement automatique des pensions alimentaires, qui empêche les impayés. Ils touchaient une mère seule sur trois. Mais en réfléchissant ces derniers mois, il y a une chose que je trouve insupportable, c’est que l’on accepte l’absence de rôle des pères dans ces familles. 

ELLE. C’est-à-dire ?

E.M. On a laissé des hommes s’exonérer de tous leurs devoirs de parentalité. C’est une vraie inégalité. Il est quand même fou d’avoir quasiment normalisé, légitimé que le devoir d’un père pouvait se chiffrer en euros, pour solde de tout compte ! Le reste, c’est-à-dire la charge mentale, la nécessité de s’occuper de l’enfant, de son éventuel échec scolaire, c’est trop souvent à la mère de le gérer… Je suis pour que l’on ouvre ce débat de la parentalité et notamment du rôle des pères. Il est au cœur de la crise que nous vivons. 90 % des jeunes émeutiers de juillet dernier étaient issus soit de l’aide sociale à l’enfance, soit de familles monoparentales. Je suis pour que l’on revienne à une logique de droits et devoirs, y compris pour les pères.

ELLE. Êtes-vous certain qu’un père présent malgré lui est un meilleur père qu’un père absent ? 

E.M. Il doit y avoir non plus seulement un droit mais un devoir de visite, un devoir de suivi, d’éducation, de poursuite du projet parental au-delà du couple. C’est ça, la clé : un projet parental. Il ne doit pas s’arrêter à la séparation d’un couple quand elle a lieu. L’égalité femmes-hommes, c’est aussi cela.

ELLE. Vous avez inscrit le droit à l’avortement dans la Constitution. Sous votre présidence, le délai pour pratiquer une IVG est passé de 12 à 14 semaines. Concernant les pilules abortives, l’approvisionnement s’est amélioré mais reste inégal selon les départements, alors qu’il concerne, en 2021, 76% des méthodes d’IVG : faut-il fabriquer ces médicaments en France ?

E.M. Ces recours chimiques sont moins traumatisants que les solutions gynéco-obstétriques pour les femmes qui souhaitent avorter. Cela fait partie de ce plan de sécurisation que l’on a au niveau français mais que l’on pousse aussi au niveau européen parce que c’est le plus pertinent.

ELLE. Vous avez évoqué en janvier la création d’un grand plan contre l’infertilité, féminine comme masculine. En quoi va-t-il consister ?

E.M. Ce plan va se décliner en triptyque : prévention, parcours, recherche. Sur le volet prévention, on va faire une chose simple : un bilan de santé remboursé par l’Assurance maladie, lors du rendez-vous de prévention des 18-25 ans qui sera proposé dès cette année à tous.  J’ai souhaité qu’il y en ait à plusieurs âges de la vie. Par exemple, autour de la vingtaine, un “check-up fertilité” permettra d’établir un bilan complet, spermogramme, réserve ovarienne… Nous allons organiser des campagnes en faveur de l’autoconservation d’ovocytes pour les femmes qui souhaitent avoir des enfants plus tard. Et il faut améliorer l’accès aux dispositifs. Quant au troisième volet, nous allons lancer un grand programme de recherche sur l’infertilité.

ELLE. Selon une étude de Santé Publique France, 10 à 20% des femmes souffrent d’une dépression post-partum. Des entretiens ont été mis en place pour mieux les dépister, ces dispositifs sont-ils suffisants ?

E.M. Les chiffres sont édifiants : une mère meurt en raison de causes psychiatriques toutes les trois semaines. La bonne réponse, c’est la capacité à accompagner, en particulier avec l’entretien post-natal. Nous allons le généraliser. 

ELLE. Vous candidat, en 2022, aviez promis une consultation gratuite pour les femmes de plus de 45 ans autour de la ménopause, qu’en est-il ?

E.M. On s’est aperçu que l’on connaissait très très mal ce sujet. C’est un vrai tabou de la société, avec tout ce qu’elle entraîne de conséquences, de déséquilibres hormonaux et de pathologies. J’ai tendance à penser que si les hommes y étaient confrontés, ce sujet aurait été traité bien plus rapidement ! Il faut rattraper ce retard. C’est pourquoi je souhaite qu’une mission parlementaire se saisisse de la question et dresse l’état des lieux de la prise en charge actuelle de la ménopause (traitements, accompagnement, ostéoporose, suivis cardio et psychologique) et des difficultés rencontrées par les femmes en termes d’information et de suivi. Nous confierons cette mission à la députée Stéphanie Rist et à la Professeure Florence Trémollières, responsable du centre de ménopause au CHU de Toulouse. J’ai demandé aussi que l’on saisisse la Haute Autorité de santé pour qu’elle définisse une pratique et des référentiels sur les traitements hormonaux à la ménopause. Aujourd’hui, beaucoup de femmes pensent que les traitements ne sont pas adaptés… Je souhaite obtenir des préconisations claires.

ELLE. Lors de votre dernière conférence de presse, vous avez appelé au « réarmement démographique » du pays et évoqué l’opportunité de créer un congé de naissance. Quel sera le montant de la rémunération et pour quelle durée ?

E.M. Pour réussir à relancer notre natalité, qui a été longtemps une force française, une première réponse est la lutte contre l’infertilité. Par ailleurs, culturellement, le développement de l’enfant repose sur la mère. Cela crée de l’inégalité professionnelle.

ELLE. 134 féminicides en 2023. 34 depuis le début de l'année. Malgré les dispositifs mis en place, le chiffre ne baisse pas, ou trop peu. Pourquoi ? 

E.M. Collectivement, la nation a fait beaucoup d'efforts. Le 3919 est désormais un numéro que l’on peut appeler 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. 135 000 policiers gendarmes ont eu une formation complète sur ces questions, et 100% des nouvelles recrues. Nous avons amélioré la confidentialité des échanges, élargi à d’autres lieux la possibilité de porter plainte. Nous avons raccourci les délais de mise sous protection par ordonnance judiciaire, autrefois de 40 jours, à six jours en moyenne aujourd'hui. Il faut encore continuer à réduire ce délai. Nous disposons aujourd’hui de 4500 téléphones “grave danger” et 1000 bracelets anti-rapprochement,10 000 places d'accompagnement d'hébergement sont réservées aux femmes victimes avec 60 structures dédiées. Le nouveau fichier de prévention des violences intrafamiliales est opérationnel depuis le début de cette année. Les condamnations pour violences conjugales, elles aussi, ont doublé depuis 2017 et les peines prononcées sont plus sévères. Dès les premiers signes, on doit pouvoir protéger les femmes. Nous tous, on a aussi un rôle à jouer. Il faut repérer les signaux, aider les femmes à parler, à sortir de ces situations. 

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©CHLOE SHARROCK

ELLE. Lors du premier quinquennat, vous avez allongé le congé paternité à 25 jours calendaires. Ce sont surtout des salariés du public qui les posent…

E.M. 71 % des hommes le prennent désormais. C’est un début de changement culturel. Ce que l’on veut faire, c’est réformer le congé parental, qui va devenir un congé de naissance, plus court et mieux rémunéré : trois mois pour les mères, trois mois pour les pères, cumulables durant la première année de l’enfant, et indemnisés à hauteur de 50 % du salaire jusqu’au plafond de la Sécurité sociale [1900 €]. Ce nouveau dispositif, qui s’ajoute aux congés de paternité et de maternité, va entrer en vigueur fin 2025. Les employeurs pourront abonder cette indemnité, et avoir des pratiques mieux-disantes. Cela va responsabiliser les pères et permettre plus d’égalité entre les parents dès la naissance. 

ELLE. Cette expression de «  réarmement démographique » revient à assimiler le corps des femmes à une arme, et va à l’encontre de leur liberté, y compris celle de ne pas faire d’enfants. Quelle est la genèse de cette formulation ?

E.M. Je l’ai utilisée en filant la métaphore dans d’autres -secteurs. C’est pour dire que la force d’une nation réside aussi dans sa capacité à générer une natalité dynamique. Mais la clé, c’est que l’on doit articuler l’objectif d’une nation avec les libertés individuelles et les choix de chacun. Toute femme doit disposer librement de son corps. Mais aujourd’hui, un chiffre m’interpelle : le taux de fécondité est de 1,8 et le taux de désir d’enfant s’établit à 2,3. Il y a donc de nombreux couples qui souhaitent devenir parents et ne réalisent pas ce souhait. Il ne faut pas culpabiliser celles qui ne veulent pas avoir d’enfants, mais il ne faut pas que la mauvaise organisation de notre société empêche des femmes, des familles d’en avoir si elles le souhaitent. 

ELLE. Lors de la naissance des deux enfants du styliste Jacquemus et de son mari, Marion Maréchal a rouvert la polémique sur la GPA. À rebours de l’opinion publique – 66 % des Français y seraient favorables –, vous ne comptez toujours pas légaliser cette pratique ? 

E.M. J’ai été choqué par la manière dont cette polémique est née, et par ce qu’elle dit de l’homophobie de certains partis politiques français. Dire qu’il n’y a pas d’amour parce que pas de maman, c’est refuser le droit à des couples de même sexe d’avoir une famille. Quant à la GPA, je le redis, je n’y suis pas favorable. Elle n’est pas compatible avec la dignité des femmes, c’est une forme de marchandisation de leur corps. Pour moi, porter un enfant n’est pas quelque chose d’innocent, c’est déjà un lien affectif. Ceci dit, je pense évidemment que les parents d’enfants nés par GPA à l’étranger doivent être respectés et accompagnés. Ce sont des familles aimantes. 

ELLE. Vous vouliez aller au bout de ce que vous avez appelé une « transformation culturelle ». Et pourtant, il y a des signaux que l’on peine à saisir. Comment justifier le choix de décorer Thierry Ardisson, qui s’est illustré des décennies durant en tenant des propos sexistes à la télévision ?

E.M. Je ne veux pas que l’on mette tout dans le même sac. Il faut faire la différence entre ceux qui ont des comportements de domination et d’emprise, et ceux qui ont pu avoir des paroles provocantes ou choquantes et qui ne vous ont pas plu. Je ne confonds pas Thierry Ardisson avec ceux qui ont commis des actes tombant sous le coup de la loi. À ce compte, il y aurait beaucoup d’acteurs, de présentateurs, de chanteurs, d’humoristes qu’il faudrait mettre au ban.

ELLE. Même s’ils ne sont pas pénalement répréhensibles, ne pensez-vous pas qu’il y a des comportements qu’on n’a plus envie de voir ?

E.M. Bien sûr, je le comprends très bien. Mais même si je peux désapprouver des propos, ce n’est pas à moi, Président, de définir ce qui peut se dire ou non, en termes de civilité ou de morale. En revanche, c’est à moi de dire qu’il faut être intraitable dans la lutte contre les violences. C’est à moi d’agir, surtout.  

ELLE. Cette bataille culturelle, ce sont aussi les mots et les images… Certains avancent, s’appuyant sur vos termes « chasse à l’homme », « grammaire d’inquisition », que ce registre vise à séduire l’électorat d’extrême droite, volontiers masculiniste et largement en tête dans les sondages. Que leur répondez-vous ?

 E.M. Que si c’était le cas, eh bien, cela n’a pas marché du tout [rires] ! Je suis universaliste dans mon approche du féminisme. Cette transformation, je veux qu’elle soit comprise par tous. Je suis pour ne rien céder à ceux qui justifient cette culture de la domination. Donc, non, il n’y a jamais eu chez moi d’arrière-pensées. J’assume le combat de la nuance, mais cela ne retranche rien au soutien que j’apporte en tant qu’homme, en tant que citoyen aux femmes qui subissent ces comportements. 

ELLE. Le Haut Conseil à l’égalité a publié son rapport annuel sur le sexisme, qui s’inquiète de la progression du masculinisme, en particulier chez les moins de 35 ans : 45 % des jeunes garçons pensent que les relations sexuelles doivent s’accompagner de violences et 52 % pensent « qu’on s’acharne sur les hommes ». Comment lutter contre ce « sexisme d’atmosphère » ?

E.M. Tout d’abord, de nombreux jeunes, hommes ou femmes, accèdent à la sexualité via la pornographie. Grâce à la loi qui vient d’entrer en vigueur, nous allons pouvoir bloquer beaucoup plus efficacement les sites pornographiques qui ne contrôlent pas l’âge de leurs utilisateurs. L’autre aspect, tout aussi capital, ce sont les cours d’éducation à la vie affective et sexuelle au sein des établissements scolaires. L’apprentissage est une clé. Il faut que ces cours aient véritablement lieu. L’ancien ministre de l’Éducation nationale, devenu Premier ministre, s’y est engagé.

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Emmanuel Macron face à la caméra de ELLE ©CHLOE SHARROCK

ELLE. Quel est votre rapport au mouvement #MeToo ?

E.M. L’accompagner du mieux possible. Le premier temps, c’est celui de la libération de la parole, après toutes ces années de souffrances et de non-dits. Avec cette écoute, accorder liberté, confiance et bienveillance aux victimes. Ensuite, il faut que la justice puisse faire son travail de manière apaisée et, donc, lui donner les moyens de le faire. C’est parfois ça qui est compliqué. Après ces paroles si longtemps tues, on voudrait tout de suite que la peine soit prononcée. Mais il faut aussi respecter le temps de la justice, et que l’on aille au bout de ces procès.

ELLE. Le philosophe Paul Ricœur, dont vous connaissez bien l’œuvre, définissait « la politique comme l’art de dépasser le conflit par la délibération publique ». On a parfois eu l’impression que vous sembliez refuser cette dernière…

E.M. Non, jamais ! À quel moment avez-vous eu cette impression ? 

ELLE. Lors de votre prise de position sur Gérard Depardieu, par exemple…

E.M. Je vais être clair. D’abord, si cela a été compris ainsi, ce n’est pas l’expression de ce que je pense. Je me suis exprimé sur Gérard Depardieu parce qu’il y avait toute une polémique sur des propos tenus dans un documentaire, et sur la question de sa Légion d’honneur. Or, je suis pour que l’on écoute. Vous citiez Paul Ricœur et la nécessité de la délibération, celle-ci vient une fois que la parole est libérée. Il faut accepter que la société, les instances compétentes, la justice puissent être le réceptacle de ces mots. Mais je n’ai jamais défendu un agresseur face à des victimes.

ELLE. Gérard Depardieu a été mis en examen et sera jugé en octobre pour des faits d’agression sexuelle. Diriez-vous encore qu’il « rend fière la France » ?

E.M. Il n’y a chez moi aucune complaisance. Juste une volonté de respecter nos principes, tels que la présomption d’innocence. Ces mêmes principes qui vont permettre à la justice de statuer en octobre prochain et c’est une bonne chose. J’ai un profond respect, une bienveillance et une grande confiance pour et dans la parole des femmes. Je suis intraitable sur la question des viols, de la domination, de cette culture de la brutalité. Ma priorité est et a toujours été la protection des victimes, et c’est aussi le cas pour l’affaire Depardieu.

ELLE. Vous avez à plusieurs reprises utilisé l’expression « chasse à l’homme », au sujet de personnalités pouvant être mises en cause par des révélations…

E.M. J’ai utilisé cette expression de manière non sexuée, si je puis m’exprimer ainsi. Je n’aime pas les procès médiatiques, la justice par tweets, et ce de manière générale. Nous sommes dans une société qui cherche à abattre les gens en quelques jours, puis qui les oublie. Moi, je suis plutôt dans le combat, dans le maquis.

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Ava Djamshidi et Véronique Philipponnat (ELLE) face à Emmanuel Macron ©CHLOE SHARROCK

ELLE. Mais faites-vous la distinction entre la vindicte des réseaux sociaux et le travail d’enquête journalistique ? 

E.M. Je n’ai jamais remis en cause, ou désapprouvé, ni un travail journalistique ni l’expression libre d’une femme victime. En revanche, je pense que mon rôle est d’alerter sur le mésusage qui en est fait. Vous, quand vous faites un travail de plusieurs semaines ou de plusieurs mois pour révéler qu’une personnalité a eu une pratique de domination ou commis des crimes, et ensuite permettre que ses victimes soient reconnues dans leur droit et que la justice fasse son travail, vous êtes au cœur de votre mission. Vous avez également accompagné, à l’instar d’autres médias, des femmes comme Judith Godrèche, Juliette Binoche ou Isild Le Besco. Je salue leur courage. Mais quand les gens s’emballent et se mettent à vouloir abattre quelqu’un de manière expéditive et sans délibération précisément, on sort des principes qui sont ceux de la République. La mise en lumière de la vérité se fait par la parole libre, par le travail des journalistes, par le travail des enquêteurs. La justice ensuite, seule, établit les culpabilités.

ELLE. Sur l’ensemble des plaintes déposées, 80 % sont classées sans suite, et seulement 1 % aboutit à une condamnation. La justice peine à traiter ces faits de violences sexuelles et sexistes. Comment faire en sorte que la singularité de ces crimes soit mieux reconnue ?

E.M. On punit et on sanctionne beaucoup plus les viols : les condamnations ont augmenté de 30 % depuis 2017. #MeToo a fait voler en éclats cette culture de l’omerta. Hier, le viol ne se disait pas, la culpabilité était portée par la victime, qui avait tout à perdre, socialement et professionnellement. C’est en train de changer. 

ELLE. Faut-il mieux définir la notion de consentement dans la loi ? 

E.M. Il faut arriver à la définir dans notre loi pour qu’elle soit claire, pleinement objectivable et respectueuse de nos principes. C’est le travail que j’ai demandé aux parlementaires. Ils sont en train de plancher sur ce sujet avec le garde des Sceaux pour qu’une proposition de texte puisse voir le jour d’ici à la fin de l’année. 

ELLE. La commission sur l’inceste, la Ciivise a rendu en novembre dernier un certain nombre de préconisations, dont l’imprescriptibilité des viols sur mineurs. Qu’en pensez-vous ?

E.M. : La clé, c’est d’avoir un système de protection des enfants, qui réagit vite, qui change culturellement. Mais je crois qu’au-delà de 30 ans, c’est un combat qui n’est que symbolique. C’est pour ça que la prescription existe, sauf pour les crimes contre l’humanité.

ELLE. Est-ce que vous avez l’impression, depuis le début de #MeToo, d’avoir davantage pris conscience de la réalité du sexisme, voire de vous être un peu « déconstruit » ?

E.M. Ah, ce terme « déconstruit »…  Quand j’avais parlé de déconstruction de l’Histoire, on m’avait dit que j’étais devenu woke ! Le débat public est tellement irréel sur ce sujet que je préfère mettre les bons mots. Ce mouvement m’a conforté, m’a fait douter, m’a révélé des choses. Je place au-dessus de tout l’individu raisonnable, homme ou femme, et sa dignité. Et donc, quand des systèmes – qu’ils soient professionnels, religieux, structurels – s’organisent comme des systèmes d’humiliation, de domination, ils trahissent nos valeurs et nous salissent tous. 

ELLE. Quels sont les gestes féministes que vous faites au quotidien ?

E.M. Mon quotidien, je ne vais pas vous mentir, est quand même très peu similaire à celui de beaucoup de nos compatriotes. Donc j’espère pouvoir avoir un quotidien… plus quotidien dans quelque temps [rires]. Pour moi, il est naturel de ne pas faire de distinction entre les sexes. Mais il y a néanmoins un geste important que j’ai mis en place depuis 2017. Quand j’étais ministre, j’organisais plein de réunions très tard le soir… Maintenant que je suis à l’Élysée, après une certaine heure, je fais attention. Je pense que si ce n’est pas le chef qui donne l’exemple, ça devient un système d’indiscipline absolue. Mais ce n’est pas seulement pour les femmes qui travaillent dans cette maison, c’est à l’égard des parents. Quant à moi, j’ai suffisamment de notes pour m’occuper le soir…