[Oeuvres poétiques] / Robert de Montesquiou ; [1]. Les hortensias bleus / Robert de Montesquiou | Gallica

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Titre : [Oeuvres poétiques] / Robert de Montesquiou ; [1]. Les hortensias bleus / Robert de Montesquiou

Auteur : Montesquiou, Robert de (1855-1921). Auteur du texte

Éditeur : (Paris)

Date d'édition : 1906

Contributeur : Lazlo de Lombos, Philip Alexius de (1869-1937). Illustrateur

Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34310228k

Relation : Titre d'ensemble : [Oeuvres poétiques] / Robert de Montesquiou

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34941873z

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 1 vol. (IX-395 p.) : 1 portr. ; 23 cm

Format : Nombre total de vues : 422

Description : Collection numérique : Arts de la marionnette

Description : Collection numérique : France-Japon

Description : Appartient à l’ensemble documentaire : GTextes1

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k5551380z

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-14047

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 08/06/2009

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ROBERT DE MONTECQUIOU

LES

HORTENSIAS BLEUS

Toujours, sous les rameaux du laurier de Virgile, Le pâle hortensia s'unit au myrte vert.

NERVAL

ÉDITION DÉFINITIVE

AVEC

PORTRAIT DE L'AUTEUR .







LES

HORTENSIAS BLEUS


La présente Édition comprend :

I. LES HORTENSIAS BLEUS.

II. LES CHAUVES-SOURIS.

III. LE CHEF DES ODEURS SUAVES.

IV. LE PARCOURS DU RÊVE AU SOUVENIR. V. LES PAONS.

VI. LES PERLES ROUGES.

VII. LES PRIÈRES DE TOUS.




ROBERT DE MONTESQUIOU

LES

HORTENSIAS BLEUS

Toujours, sous les rameaux, du laurier de Virgile, Le pâle hortensia s'unit au myrte vert.

NERVAL

ÉDITION DÉFINITIVE

AVEC

PORTRAIT DE L'AUTEUR

D'APRÈS UNE PEINTURE DE LASZLO

1906


Il a été tiré de cet ouvrage :

500 Exemplaires numérotés,

12 Exemplaires, sur papier du Japon,

numérotés et signés par l'Auteur.

EXEMPLAIRE N° 010


LES

HORTENSIAS BLEUS

Étant de ceux qui vivent jusqu'à l'heure divine

VILLIERS DE L'ISLE-ADAM.

Il n'est vraiment pas d'heure plus grave, dans l'existence de chacun de nous, que celle qui, « au milieu du chemin de la Vie», selon l'expression de Dante, nous invite à récapituler l'emploi que nous avons pu en faire.

Ce moment est venu pour moi.

Mon temps ne me fut pas doux.

Si l'avenir doit m'accorder quelque attention, je souhaite (plus que pour d'autres, cela est important pour celui qui écrit ces lignes), qu'il l'accorde à ce que j'ai réellement dit et fait, plutôt qu'à ce que l'on me prête.

Ce que j'ai dit et fait, ce sont mes Livres. Le reste, c'est l'Existence. Elle n'a de valeur, en ce qui me concerne, que par rapport à eux.


VI LES HORTENSIAS BLEUS

Il convient donc que je leur donne l'aspect définitif sous lequel je désire qu'ils soient jugés.

Je commence par les Poèmes.

J'étais jeune quand j'ai écrit beaucoup des pièces qui les composent.

Le regard dont je les revois, gagne en clarté ce qu'il a pu perdre en gaîté.

L'erreur, en même temps que le mérite de la jeunesse, c'est la prodigalité de ses dons, qualités et défauts mélangés. Si les miens furent l'exubérance et la complication naturelle, ils se sont amplement donné carrière dans ces poésies. Il fallait y remédier, sans priver les ouvrages de leur caractère. J'espère y avoir réussi.

Le choix n'est que de l'âge mûr.

J'indiquerai, ailleurs la distinction que j'établis entre les ouvrages que nous faisons, et ceux de nos travaux qui, au contraire, paraissent avoir pour mission de travailler eux-mêmes à la rédaction de notre moi. Ces derniers, outre le présent volume, comptent encore parmi mes écrits poétiques, jusqu'à ce jour, ces quatre exemples : Les Chauves-Souris, Le Chef des Odeurs Suaves, Le Parcours du Rêve au Souvenir et Les Paons; tandis que Les Perles Rouges et les Prières se doivent ranger dans le premier groupe. Celles-ci, je n'aurai guère à y revoir;

Il ne m'appartient pas de désigner celles de ces deux sortes de productions qui peuvent offrir le plus


LES HORTENSIAS BLEUS VII

d'intérêt, parmi les miennes. C'est à moi, je le répète, de les émettre définitivement dans la forme sous laquelle je demande qu'on les juge. Le reste ne me regarde plus.

Ce qu'il m'est permis d'affirmer, c'est que je n'ai rien changé à ce que j'avais tout d'abord essayé de dire. Je l'ai seulement dit avec plus de précision, et de concision, que je ne le pouvais alors.

Bien que les suppressions soient nombreuses et les expressions grandement modifiées, l'oeuvre demeure la même, ou plutôt devient plus exactement celle que j'ai voulu faire, et que je crois avoir faite.

D'une précédente préface écrite pour ce recueil, ,je ne maintiendrai que le trait suivant : « Les Hortensias Bleus — on n'y parle guère de cette fleur — représentent la vue en bleu, à savoir un peu plus mélancolique, de cette vie que d'autres voient en rose. »

Sans oublier cette épigraphe, tirée du Sicilien ou l'Amour Peintre : « contre la coutume de France qui ne veut pas qu'un gentilhomme sache rien faire. »

ROBERT DE MONTESQUIOU.



A LA MÉMOIRE

DE

GABRIEL DE YTURRI

Mes sentiments pour Vous sont fiers d'être éternels; Ils ont assez duré pour avoir fait leur preuve : Sérieux, dans la joie, et, sereins, sous l'épreuve, Et, sans jamais mentir aux pactes fraternels.

Chacun de nous eut droit à sa verte couronne : La mienne, je l'espère, et l'attends, sans émoi : La vôtre, si, d'avance, ici, je vous la donne, Recevez-la sans trouble, en la tenant de moi.

Un honneur me viendra d'avoir aimé sans feinte, Ce qui n'inspire encore, à d'autres, que la crainte De célébrer trop tôt ce que nul n'a vanté.

Vous m'aurez assisté dans mes luttes sans nombre ; Aussi, de mon destin, quand s'éclaircira l'ombre, Que vous soit faite, ici, votre part de clarté !

ROBERT DE MONTESQUIOU.



I INTROÏT

Nous y avons remarqué à plusieurs reprises, et non sans étonnement, car c'était la première fois que nous rencontrions cette bizarrerie, des massifs d'Hortensias gigantesques qui, au lieu d'avoir cette nuance rose ou mauve qui leur est habituelle en France, offraient des teintes d'un azur charmant Ces Hortensias bleus nous ont beaucoup frappé, car le bleu est la chimère des horticulteurs, qui cherchent, sans les trouver, la tulipe bleue, la rose bleue, le dahlia bleu, le nombre des fleurs de cette couleur étant extrêmement restreint.

THÉOPHILE GAUTIER.



MONTESQUIVI

PROCESSION

I

MONTESQUIVI

Nous avions tiré le dieu Eros de cette onde ; et nous sentions maintenant qu'il avait rallumé en nous les âmes ardentes de nos ancêtres.

POE.

Les générations sont l'inverse Rabel

Qui descend du Ciel même, où sa base est plongée;

Mathusalem, d'en haut, soutient Zorobabel;

Ce cône a Dieu, pour fût, comme pour apogée.

Un peu de Salomon porte Salathiel,

Un peu de Ragaû consolide Naggée...

Zara ne doit avoir qu'un dédain partiel

Pour la voie où Thamar, par Juda, fut vengée.

Tous, du fond de leur être, exaltent le moment, Éveil mystérieux, où l'époux et l'amant, Dans l'ombre, ont apprêté leur future arrivée,

Tendrement, tristement ou somptueusement;

Car si la vie est peu vraie, elle est bien trouvée...

Et j'en bénis tout bas mon aïeul Mérovée. *

Telles sont les raisons qui donnent lieu de penser, avec tous les historiens, que Sanche Mittara, premier duc de Gascogne, était Mérovingien.

Elles établissent un lien entre la première race de nos Rois et les Maisons qui descendent de ces derniers ducs.

(Histoire de la Maison de Montesquiou.)


LES HORTENSIAS BLEUS

II

PARTI

Qui fuit Dei.

S. LUC.

Lorsque je songe à mes grand'mères : Pictavine, Claude, Auriane, Alpais, Blanchefleur, Belesgart, Miramonde, Jacquette, Aude, Longue... divine Couronne de Beautés, dont je passe le quart ;

Braide, Esclarmonde, Agnès, Gentile... qu'on devine

Le maintien composé, le superbe regard,

Front au hennin cornu gemmé de perle fine

Et petits pieds pointant sous les plis du brocart:

Je juge que, ma foi! ce furent d'heureux hommes, Arsieu, Gense, Aimery, ces Seigneurs de haut heu, Qui s'en furent là-bas dormir leurs derniers sommes

Laissant des Aimery, des Gense, des Arsieu... Mais Fleurdelys et sa soeur, Capdelesse, en somme Ne trouvèrent d'époux digne d'elles, que Dieu.


PATERNA RURA

III

PATERNA RURA

Chapel de fleurs qui petit couste, Et, de roses, à Penthecouste.

Roman de la Rose.

J'habite mon châtel de Bonnevau, réduit Tout Mérovingien, que mon souvenir cote... Mon oncle Childebert et sa femme Ultrogothe Y passèrent l'hiver de cinq cent trente-huit.

Sire Marais m'y doit, tous les ans, la surveille De Noël, deux gants blancs, découpés, de matin. Et de ronde façon, en cuir de chevrotin, Avec un chaperon fait de rose vermeille.

J'aime à me figurer, en ce noir Bonneval,

Mes bons vieux grands-parents des deux premières races.

Childebert Deux surtout y laisse maintes traces,

Chères, comme il se doit, à mon coeur filial. De mon aïeul Clovis, la mémoire y fourmille... Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?


LES HORTENSIAS BLEUS

IV

ORDINAIRE

Pointe sèche

Le singulier me touche et l'étrange me charme ; J'excuse le bizarre et me sens fort épris Du rare... — Un merle blanc est encor la seule arme Blanche, ayant eu raison de mes sombres esprits.

Uunique obtient de moi des piétés de carme ; La bleue exquisité des flammes de l'iris A, de mes yeux émus, fait sourdre cette larme Que la rose envia, qui n'eut que mon souris.

Le banal est pour eux l'hydre apocalyptique

Dont le vainqueur sera mon propre saint des saints,

A qui je ferai faire un bel et beau triptyque.

Qu'on m'y voie à genoux, dans mon froc à dessins, Quand je renonce à l'eau de toute ma rivière Pour le diamant bleu du trésor de Bavière.


FOI

V

FOI

Taille-douce

D'autres, les Tournesols, et les Roses Trémières Erigent des rayons nuancés et hautains; Mes plants mystérieux préfèrent les lumières Délicates, des soirs, aux rougeurs des matins.

Les roses floréals, les mûrs vendémiaires Ne me charment pas tant que les éclats éteints De ceux dont les gaietés ne sont pas coutumières, Et qui fardent, pour moi, leurs âmes et leurs teints.

J'aime les feux distants, les éloignés arômes Qui prouvent la vertu des clartés et des baumes ; En apportant de loin, et rayons, et senteurs.

Et j'ai la passion d'exalter, retirée,

La fleur qui périra sans qu'on l'ait respirée,

Ou la flamme qui brûle au plus secret des coeurs.


LES HORTENSIAS BLEUS

PUPITRE

VI

OUTILS

Depuis le hurlement jusqu'à la rêverie. V. H.

Un rare encrier fait d'une pieuvre Que l'Océan vaste a prise en ses plis, Semble infiniment promettre à mon oeuvre L'onde, et ses bluets; l'écume, et ses lis.

Le poulpe s'enroule au blond coquillage Dont la plainte garde un reflet des mers; Parfois d'émeraude, ainsi qu'un feuillage, Ou du triste gris de nos pleurs amers.

Le poulpe se mêle à ce bruit de lyre Que garde la conque, en venant du flot ; Parfois de tendresse, ainsi qu'un sourire ; Parfois de tristesse, ainsi qu'un sanglot.


FLEURS ET PLUMES

VII

FLEURS ET PLUMES

J'aime un plumier Persan plein d'ailes et de fleurs,

Dont le laque doré s'émaille de couleurs

Rutilantes, où sont juchés sur des noisettes

Des oiseaux bons à prendre avec que des pincettes

D'azur; des colibris, des oiseaux mouchetés,

Et mouches, au lacis des tiges perchetés,

D'églantier, de rosier, de pêcher, de narcisse,

Où l'iris, au milieu, semble être à l'exercice

Des lances de sa feuille aux glaives acérés.

Pour vingt et un oiseaux, dans les branches, serrés,

Un papillon, — pourquoi juste, ou pas davantage ?

Mystère! — le plumage au pétale s'étage,

Symbole de l'écrit qu'il faut que vous humiez

Des plumes d'oiseaux bleus qui sont sur ces plumiers.


10 LES HORTENSIAS BLEUS

VIII

CALAME

Colombe au bec d'airam,visible Saint-Esprit.

VlGNT.

De cette branche de corail Rose qui fait mon porte-plume, S'essore du rêve — un sérail: S'envole du vers — un volume.

Sur eux, ils gardent la couleur De l'arbre clair qui les distille; La fleur qu'ils portent, est la fleur Du rameau charmant de leur style.

Mais l'amour mort et l'espoir las, Le désir vain, le spleen artiste Sont les fruits pâles et lilas Du porte-plume d'améthyste.


PAGINAE 11

IX

PAGINA

Ce sont apprentissages qui ont à être faits avant la main, par longue et constante institution.

MONTAIGNE.

La copie admirable est le vers sans rature; La page où l'hexamètre a poussé d'un seul jet, Comme une frondaison toute de sa nature Que mûrit dans la tête un assidu projet.

Au jour, il faut qu'on doive, à l'heure, il faut qu'on puisse, Devant les nouveau-nés tout venus qui voudront, Faire éclore un Bacchus adulte, de sa cuisse ; Ou jaillir la Minerve, en casque, de son front.

Sublime floraison, inférieure plante; Ailés alexandrins, pentamètre aviné; Parturition brève et gestation lente, Dont l'embryon divin demeure indeviné.

Je m'explique aujourd'hui l'art triste de vos lettres Votre table oriente ainsi vos fins écrits : Sous le jour qui l'éclaire, à droite, en vos fenêtres, Le rire y fond en pleurs, le rose y devient gris.


12 LES HORTENSIAS BLEUS

L'ombre de votre main précède vos pensées : Sa délicate nue obscurcit le papier ; Et l'oiseau bleu du rêve, aux ailes nuancées, S'y fonce de ténèbre, et n'ose pépier.

Voile mystérieux dont mitige le songe, Ses essors azurés, ses élans de carmin, Projetée en avant, sur la feuille où s'allonge Son ombrage vivant, l'ombre de votre main.


REGINA 13

HORTENSIÉES

à la Marquise de CASA-FUERTE.

X

REGINA

Le paradoxe bleu d'un fol hortensia.

Pour avertir, au seuil de cette Poésie, J'y place, de mes mains, une Idole choisie, Aux clairs yeux retroussés dans l'ovale aminci, Comme on en voit au front des femmes de Vinci.

Elle porte une lyre où palpitent mes nombres; Et, pour symboliser leurs voix claires ou sombres, Ce sont deux cygnes, l'un, candide, et, l'autre, obscur, Dont le col sert de branche à l'instrument d'azur ;

Pour que la rareté de ce prélude insigne

Qui fixe dans le temps l'heure du chant du cygne,

Fasse éternellement, et sourire, et souffrir,

D'un accent dont le charme est de toujours mourir.

Pour dire sa lumière, elle n'a d'auréole Que l'orbe de la Lune où rayonne son front; Comme une abeille d'or, au coeur d'une alvéole, Une chauve-souris, autour, volète en rond.


14 LES HORTENSIAS BLEUS

En hortensias bleus elle est toute coiffée,

Que, sur le champ du rêve, en foule, elle a conquis;

Parce que du mystère elle est tout assoiffée,

Du suave, au subtil, de l'étrange à l'exquis.

Et la voilà dans l'art de la pâle couronne Où la Lune oublia de ses rayons frileux, Qui donne à s'envoler aux essors nébuleux De la chauve-souris dont l'aile l'environne,

Et donne à s'effeuiller aux Hortensias Bleus.


AVIS 15

XI

AVIS

Vous qui n'aimez que l'air des ravissantes roses, Evitez ce jardin où n'en fleurit que peu; Où l'exhortation de l'hortensia bleu, Frileuse, épanouit ses corymbes moroses.

Des hortensias bleus dont la lumière est feue Faisant honte à l'abeille et peur aux passereaux, Et n'attirant, autour du front de ses héros, Que des chauves-souris tout du long d'une lieue.

Essaims mystérieux, énigmatiques fleurs ; Boules de neige glauque et libellule atroce; Abeille de silence, aux rayons sans couleurs,

Qui compose son miel solitaire et féroce Au massif où la lune a laissé ses pâleurs Tomber, du haut des cieux, de son blême carrosse.


16 LES HORTENSIAS BLEUS

à Emile GALLE.

XII

PORTENTA

Dès qu'il voit ta lueur mystérieuse et pâle, Le vulgaire enrayé commence à blasphémer.

ALFRED DE VIGNY.

Les hortensias bleus Sont les rois fabuleux Du royaume de Flore: Quand ils sont près d'éclore Leurs colymbes frileux, Hortus est nébuleux Près de Pan qui s'éplore.

Enfin ils sont venus, Et les voilà tout nus Dans leur nudité bleue; On les voit d'une lieue, Ces pâles inconnus Que la lune a tenus Dans ses robes à queue.

Ce sont des faux semblants, Qui pourraient être blancs,


PORTENTA 17

Et devraient être roses; Ils chuchotent des choses Qui nous laissent tremblants, Sous les aveux troublants De leurs métempsychoses.

N'étant point parfumés Ils ne sont pas aimés ; Ils étonnent le merle. Le rare en eux déferle; Beaucoup sont alarmés Et quelques-uns charmés Par leur voix gris de perle.


18 LES HORTENSIAS BLEUS

XIII

A UNE COUSINE INGRATE

Les hortensias bleus qui sont des fleurs d'étoiles. Des étoiles ayant la couleur des azurs, S'ils surent vous sauver lorsque sombraient vos voiles, Ont à nos ex-voto conquis des droits plus sûrs.

Vous veniez de Jersey, joyeuse et triomphante, Et tenant à la main un brin de cette fleur, Quand l'horreur vous versa toute son épouvante Sous l'Océan qui hurle et l'ouragan siffleur.

Vous vécûtes la mort — instants qui sont des heures ! Le temps que le salut mettait pour accourir. Epreuves d'où l'on sort, les âmes bien meilleures, Et graves comme ceux qui se sont vu mourir.

Le salut vint avant qu'elle ne fût flétrie, La fleur qui porte un ciel dans ses corymbes bleus : L'autan qui vous broyait ne l'avait point meurtrie Et ses astres semblaient à peine plus frileux.


A UNE COUSINE INGRATE 19

Et j'aime que la fleur dont j'ai filé les voiles De vous avoir sauvés tienne un charme plus sûr; Que le sort assombri vous ait paru plus pur A nouveau reflété par ses douces étoiles,

Ses étoiles qui sont des couleurs de l'azur.



II CHAPELLE BLANCHE

Ici l'âme respire un parfum compliqué. BAUDELAIRE.



SIGNES 23

CHAPELLE BLANCHE

XIV

SIGNES

Sunt Aries, Tawus, Gemini, Cancer, Leo, Virgo, Libraque, Scorpius, Arcitenens, Caper, Amphora, Pisces.

L'Ange Gardien est sur le berceau;

L'Ange chante et rêve... Mais nul ne l'entend, car, dans le Verseau

L'hymne en pleurs s'achève.

Il pleure sans bruit sur les doux Gémeaux

Que déjà convie Cancer, Scorpion, Capricorne : maux

Et biens de la vie.

Il pleure sur ceux vers qui vont courir

A travers la Terre, Lion et Taureau, que vient secourir

La Mort, Sagittaire.

Il pleure l'enfant qui, vers les Poissons

Du rêve s'élance !.. Et qui ne ramène après maints frissons

Qu'une âpre Balance;


24 LES HORTENSIAS BLEUS

La balance juste où se doit plier

L'espérance folle, Victime infinie, éternel Bélier

Qui toujours s'immole.

L'Ange Gardien est sur le sommeil, Brillant comme un cierge,

Et reçoit enfin, sur son coeur vermeil, L'âme, cette Vierge.

L'Ange Gardien est sur le tombeau,

L'Ange pleure et veille; Mais nul ne l'entend, car, dans le Ciel beau,

L'âme alors s'éveille !


BERCEUSES

Et Carna, la berceuse, dont le bouquet d'aubépines écarte de l'enfant les mauvais rêves.

FLAUBERT.



BERCEUSE D'EAU 27

BERCEUSES

XV

BERCEUSE D'EAU

Dans le nid que les Ondins Ont fait de branches textiles, Dormez, dormez, les blondins, Les deux gentils volatiles.

L'orme s'y mêle au bouleau, Le tremble s'unit à l'orme; Et le murmure de l'eau Exige que l'on s'endorme.

Quand les Ondins berceront Les blondins, feuilles, feuillages, En tombant feront un rond Sur l'onde, puis des sillages.

A son tour, sur l'abreuvoir, L'aragne aussi fait des cycles : Et le hibou, pour la voir, Rajuste ses deux bésicles.


28 LES HORTENSIAS BLEUS

A travers le pavillon

Que, sur leurs fronts et leurs poses,

L'ombre tisse, un papillon

Prend leurs lèvres pour des roses.

Puis les Ondins chasseront, O blondins, de votre bouche Le vol bruyant du ciron, Avec une aile de mouche.

O mères des deux blondins Vous pouvez dormir tranquilles. En confiant aux Ondins Vos deux gentils volatiles.

Car, voici que sous les voix De la chanson mensongère Que le zéphyre parfois Au roseau menteur suggère,

Les mères se sont aussi Lentement ensommeillées : Et lorsque, le coeur transi, Elles se sont réveillées,


BERCEUSE D'EAU 29

Hors du nid que les Ondins, Ont fait de branches textiles, Avaient fui les doux blondins Les deux gentils volatiles.

O mères des doux blondins, Craignez les chansons subtiles Que chantent, pour les Ondins, Les roseaux fluviatiles.


30 LES HORTENSIAS BLEUS

XVI

BERCEUSE D'OMRRE

Des formes, des formes, des formes, Blanche, bleue, et rose, et d'or, Descendront, du haut des ormes, Sur l'enfant qui se rendort. Des formes !

Des plumes, des plumes, des plumes, Pour composer un doux nid. Midi sonne ; les enclumes Cessent; la rumeur finit... Des plumes !

Des roses, des roses, des roses, Pour embaumer son sommeil. Vos pétales sont moroses, Près du sourire vermeil, O roses !


BERCEUSE D'OMBRE 31

Des ailes, des ailes, des ailes,

Pour bourdonner à son front. Abeilles et demoiselles, Des rythmes qui berceront. Des ailes !

Des branches, des branches, des branches, Pour tresser un pavillon Par où les clartés, moins franches, Descendront sur l'oisillon, Des branches !

Des songes, des songes, des songes! Dans ses pensers entr'ouverts Glissez un peu de mensonges A voir la vie au travers Des songes.

Des fées, des fées, des fées, Pour filer leurs écheveaux De mirages, de bouffées, Dans tous ces petits cerveaux. Des fées !

Des anges, des anges, des anges, Pour emporter dans l'éther Les petits enfants étranges Qui ne veulent pas rester Nos anges !


32 LES HORTENSIAS BLEUS

XVII

BERCEUSE D'AME

De la neige, encor de la neige D'amandiers et de pommiers, Pour le linceul qui protège Le petit que vous aimiez.

Une merveille, une merveille Blanche, bleue, et rose, et d'or, Descendra — car j'avais tort, Sur l'enfant qui se réveille.

Que le pétale, le pétale, Lentement, d'arbres divers Tombe et s'étale, s'étale, Pour embaumer l'univers.

Des ondes, des ondes, des ondes, Pour pleurer le tout petit Qui devait dompter des mondes Et qui, si vite, partit!


BERCEUSE D'AME 33

Une merveille, une merveille Blanche, bleue, et rose, et d'or, Descendra — car j'avais tort, Sur l'enfant qui se réveille.

Que l'onde, que l'onde, que l'onde, Mère, noie auparavant Ton coeur de trop en ce monde Où n'est plus ton doux enfant.

Les choses, les choses, les choses N'importent plus à présent Que ses deux lèvres aux roses Ont communiqué leur sang.

Une merveille, une merveille Blanche, bleue, et rose, et d'or Descendra — car j'avais tort, Sur l'enfant qui se réveille !


34 LES HORTENSIAS BLEUS

XVIII

BERCEUSE D'AILES

Avec un éventail fait d'un tendre feuillage J'éventerai l'enfant sur son gentil visage; Avec un éventail fait de duvets mêlés J'éventerai l'enfant sur ses cheveux bouclés. Des feuilles ! des feuilles ! des feuilles ! De troënes, de chèvrefeuilles, Pour abriter l'enfant Sous le jour étouffant.

Avec un éventail de plumes de chouette, J'éventerai l'enfant pour en faire un poète; Avec un éventail de rameaux de laurier, J'éventerai l'enfant pour en faire un guerrier. Des gloires ! des gloires ! des gloires ! De conquêtes et de victoires, Pour éclairer l'enfant Sous le ciel triomphant !

Avec un éventail fait en forme de lyre J'éventerai l'enfant sur son grave sourire:


BERCEUSE D'AILES 35

Avec un éventail fait en forme de lis J'éventerai l'enfant sur ses gestes jolis. Des ailes! des ailes! des ailes! D'oiseaux, de rêves, de dentelles, Pour éventer l'enfant Qui soupire en rêvant!...


36 LES HORTENSIAS BLEUS

XIX

BERCEUSE BÊTE

Lettre

Maman est bien contente Que ses gentils pinsons Regrettent ses chansons Et pleurent son attente : Maman est bien contente.

Bientôt elle viendra Nous embrasser, et nous Prendre sur ses genoux; Puis elle apportera, Quand elle reviendra,

De beaux cocos opaques : Des rouges et des bleus Que la cloche de Pâques Lui donnera pour eux, Les beaux cocos opaques.


BERCEUSE BÊTE 37

Elle ira les chercher Dans les jardins d'en face, Où les beaux oeufs en masse Tomberont du clocher; Elle ira les chercher

Dans les jardins brodés De touffes parfumées Qui flambent comme des Chandelles allumées, Dans les jardins brodés ;

Puis, dans les prés, auprès Des violettes pâles Et des coucous dorés Dont on fera des balles, Dans les prés diaprés.

Sous les pommiers fileurs, O mes doux petits hommes, Qui d'abord ont des fleurs, Avant d'avoir des pommes, Les blancs pommiers fileurs.

Comme vous, mes chéris, Mes blancs jolis marmots, Ayez d'abord des ris Avant d'avoir des mots : Comme vous, mes chéris.


38 LES HORTENSIAS BLEUS

Maman a fait un très Cher reposoir d'azur Avec les deux portraits De Georges et d'Arthur, Et ses pleurs sont distraits.

En voyant chaque enfant Et des fleurs en arrière, Quand, tous les soirs, devant Elle fait sa prière Pour son petit enfant.


BERCEUSES VEUVES 39

XX

BERCEUSES VEUVES

« Elle est comme une porcelaine Où veille comme une lueur, Qui réchauffe comme une haleine Et qui palpite comme un coeur.

C'est la veilleuse de ma vie Triste comme une nuit sans fin, Mais encor faiblement ravie Par ce crépuscule divin.

Je suis comme une porcelaine Où s'endort comme une lueur, Qui palpite comme une haleine Et qui réchauffe comme un coeur. »

« Elle est une de ces mésanges Qui se posent sur les roseaux : Elle a le front de tous les anges Et l'aile de tous les oiseaux.


10 LES HORTENSIAS BLEUS

Et quand vibrent ses chansonnettes Parmi mes rêves défaillis : C'est un vol de bergeronnettes Dans l'obscurité d'un taillis.

Elle est une de ces mésanges Qui ne courbent pas les roseaux Elle a l'âme de tous les anges, Et la voix de tous les oiseaux. »


BERCEUSE FEROCE 41

XXI

BERCEUSE FÉROCE

L'oeil bleu des innocents veut des bêtes énormes.

V. H.

« Hélène, Elaïne, Helen,

Pour que ta tristesse émigré,

Des joujoux voici l'Eden,

Que veux-tu? » — «Je veux un tigre! »

« Un tigre, Elen, savez-vous, Ce n'est point une phalène; Ayez des désirs moins fous, Helen, Elaïne, Hélène.

« Vouloir — mais jamais on n'a Vu d'exigence pareille ! Helen, Hélène, Héléna, Prendre un tigre par l'oreille.

« Mener par le bout du nez Un mouton, Hélène, Elaine, Se peut, si vous y tenez ; Un tigre est d'une autre laine.


42 LES HORTENSIAS BLEUS

« Un mouton est si benêt Qu'on le tire par la queue; Elen, Hélène, Hélène, Un tigre a l'âme moins bleue... »

Mais le tigre de maison, Seul, séduit cette héroïne Aimable de Tennyson, Elen, Hélène, Elaïne.


BERCEUSE D'EMAIL 43

XXII

BERCEUSE D'ÉMAIL

Quatre poupées entrèrent, un jour, à la fois, rue des Pyramides. Cela fit quelque sensation chez les voisins de l'heureuse maison où se précipitaient ces charmantes étrangères, car elles étaient pleines d'éclat, de décence et de fraîcheur dans leurs parures.

M. D. VALMORE.

« Dors, ô ma poupée, Clos tes yeux d'émail, Cils en éventail, Bouche de corail D'un rire coupée ; Sans épouvantail Sous ton bleu camail, Dors, ô ma poupée.

Geneviève, Marthe, Que le carton de ton rêve Parte Pour la grève, Où la carte De ton beau château s'élève, Marthe, Geneviève.


LES HORTENSIAS BLEUS

Antoinette, Rose, Rêve, en ta barcelonnette Close, De dînette Que compose A soi seule une nonette Rose, Antoinette.

Madeleine, Blanche, Que ton âme en porcelaine Penche Vers la plaine Où s'épanche Le mouton au dos de laine Blanche, Madeleine.

Marguerite, Berthe, Songe encore à la guérite Verte, Où s'abrite Et concerte Leur bergère favorite, Berthe, Marguerite.


BERCEUSE D'ÉMAIL 45

Dors, ô ma poupée, Clos tes yeux d'émail, Cils en éventail, Bouche de corail D'un rire coupée, Sans épouvantail, Sous ton bleu camail, Dors, ô ma poupée. »


46 LES HORTENSIAS BLEUS

XXIII

RECOLLECTION

La reine d'Angleterre a plus de cent poupées Historiques: Elizabeth, Mary Stuart, Reines de droit divin, et des mieux étoupées, Où les ressorts ont mis le meilleur de leur art.

On y voit les plus authentiques des babies, Des illustres pantins et de royaux poupons ;. Des poupards merveilleux tout bourrés de charpies, Tout bourrelés de fleurs et cernés de pompons.

Et la vieille Victoire, aux Indes souveraine, Jouant à la poupée au seuil du long repos, Apprend à mesurer la grandeur d'une Reine, Et tout ce que le trône abandonne aux tombeaux !


RELIQUIAE 47

à M. HARAUCOURT.

XXIV

RELIQUIAE.

Henri Quatre exhumé fut bel à reconnaître; On l'exposa dans son suaire. Or, un chacun Vint pour le contempler, et le voir reparaître. Sous les poils de sa barbe au gris mêlé de brun.

Louis Treize avait la moustache conservée. Comme l'encre, Louis Quatorze apparut noir. Et, près d'Anne d'Autriche, une autre ample couvée De cadavres, qu'en pourriture l'on put voir.

Maria Leczinska vint ensuite; des Princes Et Princesses; des brus de Rois, et des Dauphins; Puis Loque, Coche, Graille et leurs dépouilles minces Et maints autres seigneurs de rangs presque divins.

Ces dieux étaient pourris et leur puanteur telle Qu'à peine le vinaigre et le sel la chassaient; Et que les ouvriers, fouillant sous leur dentelle, Y gagnèrent des maux dont plusieurs périssaient.


48 LES HORTENSIAS BLEUS

Près d'Henriette d'Angleterre, la Princesse Palatine, aux écrits brutalement fameux; Vingt-trois corps de Bourbons dont le cercueil ne cesse D'étaler des os nus et des restes brumeux.

Quand ce fut Louis Quinze, on vit la bandelette Et les linges, d'un torse, en apparence entier, Qui, tout à coup s'ouvrit, laissant voir le squelette Et l'infect grouillement qui remplit le chantier.

Charles Cinq fut rendu, comme vivant, aux fouilles; Le diadème au front, le sceptre dans la main. Jeanne, sa femme, avait des débris de quenouilles, Des souliers brodés d'or, et son anneau d'hymen.

Des osselets errants gisaient parmi des planches, Hors du cercueil de plomb, effrités et poudreux; De petits anges morts dont les reliques blanches Disaient qu'à ne pas vivre ils furent plus heureux.

Un squelette sans tête était Jeanne de France; Une poussière informe était un Charles Huit. Des couronnes de cuivre, un manteau de garance. Sans épaules ni front pour leur triste déduit.

Des oints de quatre jours, des souveraines vieilles; Des membres dénommés et des coeurs inconnus: Vendanges de la mort aux funéraires treilles. Les plus anciens tombés et les derniers venus.


RELIQULE 49

Charles Neuf, Henri Trois, Catherine, Marie ! Une main de justice, un vieux sceptre rouillé; Un corps mieux conservé devant qui se récrie Le secret du trépas profondément fouillé.

François Premier frôlant Louise de Savoie; Et Philippe le Long, et Philippe le Bel; Grandeur, près de Beauté, que le cercueil renvoie Sous l'art des ornements, les gemmes du chapel.

Une eau noire dégoutte aux fentes de ces bières; Et fétide est l'odeur, que la poudre à fusil A peine peut chasser, au lever de ces pierres, Et que ces revenants rapportent de l'exil.

Du Guesclin et Suger, et des crosses de cuivre; Des habits du Carmel, des orfrois en lambeaux, Qu'à la fosse commune, en vain, ont voulu suivre, D'autres, dont on ne put retrouver les tombeaux.


50 LES HORTENSIAS BLEUS

à M. Jean RlCHEPIN.

XXV

POTINS

Soudain sa tiare

Prend feu comme un phare

Sa main qui l'arrache A son front s'attache Et brûle avec lui.

Les Orientales.

Faut-il, hélas! que tout périsse? Où vont les rubans de nourrice Quand c'est fini des nourrissons? Ces rubans au vol long et large Qui semblent d'un navire au large Les voiles pleines de frissons.

Ces rubans qui font irisées Les terres des Champs-Elysées Dont le banc aime à s'en fleurir; Et qu'on voit en folles couronnes, Autour du front des Beauceronnes, Et des Bourguignotes courir.

Ces rubans dont les exégèses Sont, par les loueuses de chaises,


POTINS 51

Refaites de coques en plis; Et que les vendeuses d'oublies. De réminiscences remplies, Sauront préserver de l'oubli.

Ces rubans formant des coiffures Qui semblent pleines de levures Et paraissent un chapiteau; Ruchés pots-pourris éclectiques Dont les compromis esthétiques Errent du hennin au gâteau.

Ces rubans arrangés en tourte, Dont la comète semble courte Quand elle s'éteint sur le sol; Et qui déterminent les castes Par ombelles plus ou moins vastes Du champignon au parasol.

Ces rubans, par flots, par orgie Sans nom, sans étymologie, Sans précédent et sans raison. Que la payse s'évertue A porter, comme une tortue Porte sur son dos sa maison.

Ces rubans dont la résultante Sans doute est d'étendre une tente


52 LES HORTENSIAS BLEUS

Portative, un toit vermillon Sur. le nez du bébé qui tette, A l'abri du kiosque-tête De sa nourrice-pavillon.

Ces rubans, couleur confiture, Par qui l'accident de voiture Est quelquefois déterminé, Mais que l'on voit sur un refuge Surnager, ainsi qu'un déluge Est par une arche dominé.

Ce ruban qui prend à l'élytre,

Au fez, au turban, à la mitre,

A la tiare, au pschent doré,

Pour en faire ce bonnet vôtre,

Le bonnet rond, rond comme l'autre,

Le bonnet carré fut carré.

Ces rubans, qu'à cela ne tienne, Qui font travailler Saint-Etienne Et des légions de canuts Dont le coeur, rempli d'anathème Pour tes patronnes, au moins t'aimeO troupeau de reines Canuts.

Car, hélas ! un jour, si, traîtresses, A l'exemple de vos maîtresses


POTINAE 53

Qui désertent par million, Pour une mode qui nous lèse Et donne des faux airs d'Anglaise Aux dames même de Lyon !

Comme ces mamans rien-qui-vaille,

Si vous reniez soie et faille,

Nous, métiers, que deviendrons-nous

Quand vous trouverez surannées

Vos caboches enrubannées,

Qui nous nourrissent, ô nounous?

Mais quand elles vont vers leurs chaumes

Redemander à d'autres mômes

De quoi retourner à Paris,

Que font dans l'ennui de l'armoire

Ces rubans de soie et de moire

Qui ressemblaient à des paris?

Car elles remportent par aunes, Par empans, par pans et par zones, De ces rubans désorbités, Par stades, milles, verstes, lieues Roses, lilas, jaunes et bleues, Spectres solaires débités.

Mais, pour une autre nourriture, Quand elles vont donner pâture


54 LES HORTENSIAS BLEUS

 de petits Lutéciens, Jamais leur chef ne rapatrie Au cher Palais de l'Industrie Les diadèmes anciens.

Et, définitivement sèches,

Quand au foyer, revêches, rèches,

Ramenant de nouveaux rubans

Bons à faire mourir d'envie,

Elles viennent finir leur vie

Au pas des portes, sur leurs bancs;

Lorsque, porteuses de cagnottes. Beauceronnes et Bourguignotes S'en retournent vers leur pays, Quel est le sort des bandeaux amples Qui s'élevaient comme des temples Devant nos regards ébahis?

Bandeaux qui sur les pèlerines Epanchaient leurs fleurs purpurines; De tous les feux, de tous les tons, Et dont aimaient l'ardeur qui bouge Les débitants de ballon rouge De cerceaux et de mirlitons.

Jamais plus, pour aucuns dimanches, Rien n'en palpite sur leurs manches


POTINAE 55

Ni sur celles de leur marmot; C'est affaire entre elle et leur coffre, Et Dieu lui-même, à qui je l'offre, N'est pas du secret de ce mot.

A moins que, gardant pour la pierre Et la nuit du fond de leur bière La bandelette aux tours soyeux, Le Seigneur bon n'ait fait des limbes Pour l'éternité de ces nimbes Dérisoires, fous et joyeux!


56 LES HORTENSIAS BLEUS

XXVI

CHANDE

Le visaige historié comme un bât du mulet;

RABELAIS.

Elle était la Mère aux Zouaves. C'est ainsi qu'elle se nommait Elle-même. Elle aimait les braves, Les cocardes et le plumet.

L'Esplanade des Invalides Lui fournissait des contingents De clients zélés et solides, Et de toutes sortes de gens.

Elle était marchande d'oranges, De pain d'épices, de croquet, Et de pipes en sucre étranges, D'orge et de pomme, — mastroquet

Du coco, que hait la cocotte, Mais qu'aime le promeneur lent ; Et qu'un flâneur en redingote Parfois sirote, vieux chaland.


CHANDE

Cocos de fin bois de réglisse Sévèrement édulcorés, Et dont parfois font leur délice, Même des messieurs décorés!

Mais, les heureux jours d'exercices, Il faut voir zouave et turco Venir là, faire les narcisses, Et se mirer dans ce coco.

La petite baraque verte,

Deux fois grande comme un tonneau,

Bien établie et bien couverte

— Je ne boirai plus de ton eau !

Sans rien du velours d'Isabelle, Bouquetière du Jockey-Club, Captait pourtant la ribambelle. En ce temps-là — du petit Bob.

On eût dit, sous le vert qui beugle, Aux quatre vents, de son auvent, Comme un grand abat-jour d'aveugle, Sur le museau d'un chien savant.


58 LES HORTENSIAS BLEUS

Je revois l'épaisse carafe, Au goulot bouché d'un citron ; Et le jouet au dur paraphe, Le carton et le quarteron.

On n'y vendait que des oublies Oubliés, des seaux dévernis, Ballons crevés, choses remplies De mille prestiges ternis.

Mais la marchande, mais la Chande De ce poussiéreux patatras, Seule allèche, seule achalandé Sous les cornes de son madras.

Ce vieux Diogène femelle. Qui, dans sa barbe d'acajou, Perpétuellement grommelle, A tout l'attrait d'un vieux joujou

Angélique et diabolique, Plus pain d'épice que ses pains D'épices même, où l'angélique, Et l'amande furent copains.

C'est une babouine, une sphynge, Un je ne sais quoi d'oublié Entre la sorcière et le singe, Dans un coin de Paris, plié.


CHANDE 59

Elle n'a plus nul idiome, Elle est idiote à moitié; Elle représente un vieux gnome, Qui fait peur et qui fait pitié.

Mais les dames poudrerizées, Qui vendent des bonbons sucés, Dans les champs des Champs-Elysées, N'ont pas le quart de son succès.

Adossée à son terrain vague Dont on la chasse en bâtissant, Ainsi que l'arche sur la vague Sa coque va reparaissant.

Sa coquille de vieux mollusque; Sa coque où règne le coco Et qu'égaie une tache brusque De turban ou bien de shako.

Un jour la boutique-guérite, Pourtant se ferme à nos deux sous, Guérie aussi la marguerite, Bonne nuit, la mère aux zouzous!


60 LES HORTENSIAS BLEUS

Paix à ton nom, vieille lanterne! Nulle part on ne vendra plus De pain d'épices aussi terne, De bonbons aussi révolus.

Te voilà rendue à l'espace Avec tes lots contemporains De gâteau qui jamais ne passe, Et tes anis, perfides grains;

Toutes ces poudreuses retapes, Poire tapée et pruneaux gris Qui te suivaient dans tes étapes, Amis fidèles, mais aigris;

Ton antique fond de boutique Et tes massepains endurcis, Et dont peut-être la pratique, De par un éternel sursis,

Doit te retrouver, après trêve, Au mur des cieux où sont les siens, Vendeuse de joujoux de rêve, Et de cocos ambrosiens !


PUÉRILITÉS

ET

ENFANTILLAGES



SQUARE 63

PUÉRILITÉS ET ENFANTILLAGES

XXVII

SQUARE

J'aime à voir pulluler la blonde puellule Dans la modernité du jardin de Monceaux, Quand, aux bébés épars, sous le chant des oiseaux, Le soleil vient dorer, des jours, l'acre pilule.

La menaçante vie, au loin, féroce, ulule; Mais, le long des massifs bigarrés de rinceaux, A l'enfance, promise aux douloureux versos, Il suffit pour l'instant d'être une libellule.

Agora puéril au brillant cailloutis, Où je vais, avec mes littéraires outils, Buriner la nourrice aux tempes rubannées ;

Et j'y fais, cette eau-forte, où mord l'épouvantai! De l'existence — ô la traîtrise des années ! Sous un bleu paysage atone d'éventail.

* J'ai transposé du latin ce mot qui me paraît offrir un gracieux synonyme de fillette.


64 LES HORTENSIAS BLEUS

XXVIII

L'enfant au sucre d'orge vert Le suce avec un air de sainte: Son rouge sourire est ouvert, Sur ce luisant bâton d'absinthe.

Qu'on renonce à le lui ravir, Même si le poison y rôde: Elle croque son émeraude, Comme elle ferait d'un saphir.

Et, sous le soleil qui ruisselle, Le bonbon met une étincelle Aux lèvres du bébé joli Qu'aurait aimé Monticelli.


CYCLE 65

XXIX

CYCLE

Sous un ciel rose et vert que reflète une flaque, Dans l'or du sable éteint, désert comme une lande. Les fillettes aux fins cheveux que le vent plaque, Dansent leur ronde gaie aux fraîcheurs de guirlande.

Le rythme du reflux lointain les environne; Leur silhouette frêle et gracile dessine — Tandis que leur reflet en l'eau les enracine, Un cercle aux grains légers qui semble une couronne.

Un bracelet d'enfants, un chapelet de roses :

— Des roses rousses, des roses brunes ou blondes,

Sur l'or du sable éteint organisant des rondes

Que chantent les flots bleus, sous les cieux verts et roses.

Le crépuscule doux prend des pâleurs de limbe; Et, sous les cieux mourants dans les flaques pâlies, S'enroule et se dénoue, en ses poses jolies, La ronde que la lune argente comme un nimbe.


66 LES HORTENSIAS BLEUS

à la Comtesse Jean de MONTEBELLO.

XXX

Ut flos in septis secretus nascitur hortis Qnem mulcent aurae, firmat sol, educat imber.

CATULLE.

O petite Adrienne, ô frêle fleur, ô flamme Tremblante, aube de vie, et germe de beauté, Que des souffles formeurs nul ne te soit ôté, O prélude d'amour, ô promesse de femme.

Secrète éclosion que caressent les airs,

Que le soleil affirme et que la pluie éduque,

Que le soin rajeuni de la terre caduque

Te rendent tes parfums en maternels baisers.

Car ta fraîche toilette éclôt sur la pelouse Des renouveaux sans fin; car ton rire et tes pleurs, Sa pluie et son beau temps, ne rendent pas jalouse De tes avrils humains la vanité des leurs.

Que le choral charmé de la brise marine, Vers ton rire argentin dont elle se croit soeur, A ton oreille amène, apporte à ta narine L'odeur vivifiante et le rythme berceur.


O PETITE ADRIENNE... 67

Que le rauque Océan dont la plainte déferle A tes pieds enfantins son hommage siffleur, Ajoute à ton esprit l'orient de sa perle Et le printemps secret de ses coraux en fleur.

Pour qu'en toi, comme en elle, intérieur dictame, Un floréal élu grandisse loin des yeux, Que sa grande âme infuse à ton aurore d'âme L'azur que pour ton rêve elle dérobe aux cieux.

Garant de tes vertus, et tuteur de ton charme, Que le soleil infuse à ton front qu'il dora Le rire, or de gaîté; la pitié, fleur de larme, La rosée en ton coeur l'arrose — elle éclora.

Que l'azur traversant tes yeux qui s'en souviennent Flue au fond de ton être en onde de douceur, Cette source prodigue où d'autres âmes viennent Implorer pour leurs maux le Léthé guérisseur.

Vers un corps, vers une âme, ainsi toujours levées, Des grandeurs, des beautés leur imprimant le sceau, Les voix de la nature aiment, comme des fées, Doter un front d'enfant dans un royal berceau.

Ainsi par la langueur de l'aube, par la joie De l'éther lumineux, la bonté de l'azur Une création tout entière s'emploie A composer un lis éblouissant et pur.


68 LES HORTENSIAS BLEUS

Par ta mémoire intacte et docile aux empreintes, Par ton souvenir vierge, ô miroir infini, Conserve en ton cristal la trace des étreintes, De ce présent limpide à l'avenir béni.

Afin que, tout à l'heure, entre moins de lumière Si tu marches tes pas sous un jour moins rieur, Tu revives ainsi ton image première Dans le passé divin d'un ciel antérieur.


PASSER 69

XXXI

PASSER

Elle le laisse voleter un peu hors de sa main, pauvre prisonnier embarrassé de liens; — et vite elle le caresse en tirant le fil de soie; lant elle est tendrement jalouse de sa liberté.

SHAKESPEARE.

Un chasseur à l'affût de tout ce qui te plaît, Un jour te rapporta, gentille damoyselle, Ce pauvre oiseau perclus, rossignol incomplet, Musicien sans voix, volatile sans aile.

Sitôt qu'il t'aperçut, blanche avec des yeux bleus, A tes rouges rubans luisant comme une flamme, Certe, il crut réchauffer son plumage frileux Au soleil imploré que tout frisson réclame.

En effet, tu l'aimas de cet ardent amour

Qu'ont aux enfants mal nés toujours voué les mères;

L'ailé Quasimodo fut heureux jusqu'au jour

Où, lui-même, il t'apprit des prouesses amères.

Sur ton minime poing, ce faucon indigent Un peu trop agité, risque une fuite folle, Et te révèle ainsi l'attrait sans fin changeant D'un ailé cerf-volant et d'un volant qui vole;


70 LES HORTENSIAS BLEUS

Dès lors, plus de répit pour cet oiseau martyr ; Un ruban ironique appesantit sa patte; Sans cesse il faut marcher, sans but il faut partir, Et retomber debout comme un rare acrobate.

O despote enfantin, qui sait si ton oisel,

Comme un coeur bien épris que l'amertume attache,

Ne le préfère point, ce doux azur sans tache

De ton regard, au grand azur universel?

Qui sait si l'exilé de la fraîche ramée, Plutôt que l'essor libre, et les jeunes élans, Ne la choisirait point, sur son vol refermée La prison de tes bras, geôliers roses et blancs ?

Tels, un jour, attachés à ton doux esclavage, De plus tendres captifs, qui seront tes élus, Apprendront à goûter l'honneur de ton servage Dont leur docilité ne se souviendra plus!


FLOS ALIGER 71

XXXII

FLOS ALIGER

La petite Adrienne, amoureuse des ailes Que réveille l'aurore, et porte le zéphir, S'en va faire la chasse aux vertes demoiselles, Aux papillons de flamme, aux mouches de saphir.

A l'épingle d'acier qui pique et qui mutile Leur brillante agonie en un tombeau vitré, C'est vous qu'elle promet, floraison volatile, Qui semble par les airs éparpiller le pré.

Mais en vain le filet abat, pose et relève Sa délicate geôle éprise de couleurs, L'insecte qu'elle vise, aussi léger qu'un rêve, S'échappe, et la prison n'a rien pris, que des fleurs.

Enfant, écoute-moi, renonce à ce vain piège; Assieds-toi, toute belle, au milieu du chemin: Le papillon viendra se poser sur la neige De ta jupe, et goûter aux roses de ta main.


72 LES HORTENSIAS BLEUS

Fais, de ta chevelure, un filet plus perfide; Il est de filigrane et d'or: feins de dormir; La libellule bleue, et de reflets avide, S'y prendra toute seule, et n'en voudra plus fuir.

Et tous ces vols craintifs qui narguaient ta poursuite, Se laisseront séduire à ton appât coquet; Tu croiras être fleur, sous l'essaim qui palpite, Et tu te sentiras, pour une heure, un bouquet.


O PETITE BEAUTE... 73

XXXIII

O petite Beauté, petite grande Dame, Petite Fleur, petit Oiseau, petit Rayon, Ton chapitre infini renouvelle la trame De mes rêves, et fait s'activer mon crayon.

J'aime le chapeau vaste, en lequel se détache Ton visage enfantin, comme sur un halo D'auréole apparaît l'Enfant Jésus sans tache, Ou comme un clair de lune en la glace de l'eau,

J'aime que ton regard qu'illumine la joie, Ou qu'assombrit la peine, en son reflet pensif. Permette que celui qui s'y mire, prévoie La sûreté d'un havre ou l'écueil d'un récif.


74 LES HORTENSIAS BLEUS

XXXIV

Elle est toute petite, elle est toute pensive,

Au clair de lune, de Verlaine, triste et beau,

Sa main semble aux poissons divins, Sivan et Sive,

Eloul, Tammouz, Tishri, Shebar, de Salammbô,

Offrir quelque pépin mystique de pastèques ; Le bel arc purpurin des bouches de houris, Sur ses lèvres, s'allie aux radieux souris Qu'ont les anges rêveurs dans les Pinacothèques.

Il semble qu'on ait mis ses gestes enfantins Au service du songe; et qu'une âme rieuse, En elle, lentement, se fasse sérieuse;

Et, des regards profonds de ses yeux levantins, Un mystère s'enfuit, un prestige s'envole, Qui n'habiteront pas en sa tête frivole.


L'ENFANT DONT LA TRISTESSE... 75

XXXV

L'enfant dont la tristesse habite les châteaux

Où la grande Pallas revécut dans l'ivoire,

Dans les gemmes, dans les marbres, dans les métaux,

Semble porter en elle une longue mémoire.

On dirait que l'idole exsangue dont les yeux Sont faits de deux saphirs, sur cette petite âme, En laquelle l'espoir se dérobe et s'entame, Verse de la froideur et du mystérieux.

Mais l'âme n'est pas seule à subir cet échange, Car la fillette pâle et rebelle aux plaisirs, Voit, chaque jour, s'accroître en son visage étrange Une blancheur d'ivoire et des yeux de saphirs.


76 LES HORTENSIAS BLEUS

XXXVI

DIVA

Maladive, divine, Cette câline enfant, Si chétive, si fine, A qui tout on défend.

Divine, maladive, Cette plaintive enfant, Si fine, si chétive A qui vivre on défend.

Maladive,

Divine, Si chétive,

Si fine,

Plaintive,

Câline

Enfant, Sur qui mon coeur se fend.


INFANTILLAGE 77

XXXVII

INFANTILLAGE

Je vous revois encore, avec votre air d'idole, Sous des colliers de jade et de coraux divers... — L'avant-dinée en juin mêlait sa farandole D'arômes nébuleux au-dessus des prés verts.

Le sourd bourdonnement des heures finissantes De la chaude journée, en l'air, faisait stagner, Sur l'herbe vaporeuse et tout autour des plantes, Comme un rinforzando de choses bruissantes Ainsi qu'en un lointain orchestre de Wagner.

Fillette descendue avec sa gouvernante

Pour le dîner d'été qui, sous le jour, a lieu,

Vous en attendiez l'heure, heureuse, et promenante

De vos blancs organdis, qui se teintaient de bleu.

Le sable crépitait sous la peau purpurine De vos gentils souliers d'un rouge de glaïeuls; Et le bouillonnement de votre pèlerine Etoilait d'un faux air lointain de ballerine, Le creux diminuant du couvert de tilleuls.


78 LES HORTENSIAS BLEUS

Sous l'allée allongée en tuyau de lorgnette, Sur la rayure d'or des sables ratisses, Vos petits pieds mettaient un bruit de castagnette Qui s'éloigne... — et des pas toujours rapetisses.

Craignant d'ébouriffer un brin de votre natte, Avec votre teint fin comme un papier de riz, Vous étiez bien ainsi la petite magnate Qui doit après dîner jouer une sonate, Dans les campagnes des environs de Paris.

Vous étiez bien ainsi la déesse vermeille De ce jardin correct et propret comme vous, Dont les bois en charmille et les fleurs en corbeille, Pas plus que vos cheveux en tresse n'étaient fous.

L'enfantine Cybèle et la puérile Flore

Dont les jardins anglais, tristes, avec bonheur,

Font, parmi la nature épouvantée, éclore,

En feuillages soumis, souples, multicolores,

D'énormes fleurs de lys, d'immenses croix d'honneur.

Dans l'atmosphère heureuse où la plainte s'étouffe D'insectes et d'oiseaux de rayons pénétrés, Sous l'empois maintenu de la jupe qui bouffe Et l'art inviolé des cheveux, vous rentrez


INFANTILLAGE 79

Oter votre chapeau de paille de Manille;

Cependant qu'aux rameaux que point vous n'atteigniez,

Pour vous faire un collier à l'odeur de vanille,

Nous avions récolté cette fleur en chenille

Qui met sa grappe blonde aux bras des châtaigniers.


80 LES HORTENSIAS BLEUS

XXXVIII

D'où vient qu'aux enfantins souvenirs tu tressailles, Mémoire indifférente aux passages d'hier?... — C'était une campagne, aux portes de Versailles, Que d'éclatants massifs semblaient incendier.

Écoliers libérés dans l'essor du dimanche, Ignorants de l'ennui qui s'attache aux plaisirs Amoncelés au bout d'une route trop blanche, Nous arrivions joyeux, et tout pleins de désirs.

La cloche du portail, dont j'ai le son dans l'âme, Résonnait avec grâce et sans bruit de tam-tam; Et c'était un accueil fait d'odeurs et de flamme, Fleuri d'aristoloche, et de jasmin de Siam.

Une touffeur sortait des pelouses brûlées, Près de la plate-bande au dur géranium; Et des bourdonnements de poursuites ailées Susurraient sur des lis d'un rouge de minium.


D'OU VIENT QU'AUX ENFANTINS SOUVENIRS... 81

Les mères s'éventaient dans la demeure sombre, Parmi l'obscurité de l'appartement clos Où les yeux aveuglés se caressent à l'ombre Qui s'éclaire, par place, aux cadres des tableaux.

Voici les mots légers, les paroles charmantes, L'appel du frais goûter de gâteaux et de fruits, Et l'intérieur plein d'apparences dormantes Non loin des pâmoisons du jardin qui bruit.

La persienne s'entr'ouvre ; un rayon mort se glisse

Parmi l'argenterie, effleure l'acajou,

Et fait se révéler le décor calme et fisse

Du beau parc vernissé plus pimpant qu'un joujou.

Le soleil est tombé, le salon se disperse

Sur le sable rayé que dérangent les pas ;

La langueur de l'azur fait prévoir une averse,

Les enfants chantent. Ceux qui suivent parlent bas.


82 LES HORTENSIAS BLEUS

XXXIX

INDULGENCE PLÉNIÈRE

Car l'enfance tient lieu de foi. V. H.

Sur le seuil de l'église, humble catéchumène, S'agenouille l'aïeule au front parcheminé. Or, ses enfants étant au travail, elle amène Leur fillette qu'émeut le choeur illuminé.

C'est le mois de Marie ; en pieuses volutes, Aux spirales d'encens, des chants mêlent leurs traits; De séraphiques voix, douces comme des flûtes, Font croire aux exilés que le Ciel est plus près.

Autour du grave accent grimpe l'accent gracile ; Comme un lierre, s'enroule aux basses, le dessus ; On dirait un assaut de bergers de Virgile Lorsque son vers se hausse et présage Jésus.

Tel un vol de ramiers près d'un nid de mésanges ; Le roucoulement tendre et le céleste essaim ; Un peu de Cupidon se mêle au choeur des anges, Et l'accent des Eros au vol de l'Esprit-Saint.


INDULGENCE PLENIERE 83

L'aïeule, par la vie, à l'ombre accoutumée, Doigts rompus à se joindre et genoux à plier, En une marmottante extase est abîmée, Sous la propice nuit que projette un pilier.

Firmament ponctué de l'étoile du cierge, Elle admire l'autel qui veut bien dans son pleur Se refléter, avec la splendeur de sa Vierge Qu'enguirlande à l'envi l'astragale ou la fleur.

Sa gentille compagne, auprès d'elle, copie D'abord très gauchement l'allure du Saint Lieu, Peu à peu se regimbe, erre, bruit, pépie, Et se croit, comme oiseau, chez soi, chez le Bon Dieu.

Elle escalade un banc, se mire en l'eau bénite, Rit de voir s'y creuser les voûtes à l'envers; N'écoute pas du tout la parole d'élite Que le prédicateur fait sonner comme un vers.

Et voici qu'elle va de chapelle en chapelle, Levant son pur front blanc de clairs cheveux nimbé, Vers tous les bienheureux dont sa voix haute épèle Les noms, sur le cartouche, ou le vitrail plombé.

La vieille, vainement, en son hymne attardée, Rejoint les petits doigts, tord les petits genoux; La posture pieuse est à peine gardée Par eux, le temps de dire : « Ayez pitié de nous ! »


84 LES HORTENSIAS BLEUS

Calme-toi, bonne aïeule, et reprends ta prière. Car ta petite-fille, en somme, n'a fâché Ni l'archange Michel à l'allure guerrière, Ni l'altière Judith au courroux relâché.

Même les très vieux Saints, d'âme rébarbative, A l'auréole éteinte, aux halos d'ors ternis, Pardonnent; et de cette innocence fautive Sourit, entre ses mains, le chef de Saint-Denis.

Et les anges joufflus, les séraphins gothiques L'approuvent de leur niche et lui donnent raison; Elle n'a, pour chanter, nul besoin de cantiques. Tout son blond petit être étant une oraison.


MISSA EST 85

XL

MISSA EST

Avant d'officier le chapelain s'affuble

De l'aube et de l'amict, d'étole et de chasuble

Et, comme c'est afin d'agir en choses saintes, Il est brodé dessus, en masse, des jacinthes.

Un petit galopin des entours du château

Sert la messe, en jupon rouge, et rouge manteau.

La fillette vouée au blanc, qui ne comprend Rien à ce Sacrifice, ouvre son oeil très grand.

Elle a tout à fait l'air d'une boule de neige, Sous sa candide investiture; son manège,

D'abord très convenable, un peu se déconcerte, Chuchote, crie : elle a sa voix pour crier, certe!


86 LES HORTENSIAS BLEUS

On fait chut ! on lui montre une bague, un lorgnon; Mais elle se relâche à la communion

La clochette l'amuse... excusez-là, Seigneur, Car elle pense à son lapin tambourineur.

A ton frère l'enfant de choeur tire la langue : Gela fera rougir cette assemblée exsangue.

Chantez, mademoiselle, à voix basses ou fortes ; Troublez! vivifiez! toutes ces choses mortes.


CONFESSE 87

XLI

CONFESSE

Notre candide enfant parfois va confesser

A Dieu son âme blanche; Et du petit Jésus, la soif, sans se lasser, De tous ces purs péchés qui s'épanchent, s'étanche.

Les Saints, désaltérés, se courbent sur ce coeur

Naissant qui se déverse; Et, du murmure ailé, plus d'un fier Confesseur,

En l'écoutant, se berce.

Et, si le Ciel permet ces miracles d'amour, Renversements étranges,

Par où ce qui planait vient s'accuser, c'est pour Edifier les anges.


LES HORTENSIAS BLEUS

XLII

HUMUS COLLÉGIAL

Cette caresse des choses Qui s'infiltre au coeur par l'oeil, Nuls violets et nuls roses, Il en faut faire son deuil.

Les Pères ont la peau sale, Les frères lais sont bien laids, Et, par le blanc gris des salles, Nuls roses, nuls violets.

Habitués aux tentures,

Les regards de ces bambins,

Par le nu. des salles dures,

N'ont plus pour leurs yeux nuls bains.

Avec les jupes des mères. Et les salons du chez soi, De ces charmantes chimères S'est évanoui l'émoi.


HUMUS COLLEGIAL 89

Qui sait l'alluvion terne Que, dans ces jeunes esprits, Dépose un gris de citerne Substituée aux pourpris?

Qui sait l'illusion douce Que noie, en ces frais cerveaux, La couleur noirâtre et rousse De ces sinistres cuveaux?

Qui sait l'aimable influence Que, sur ces éclosions, Exerçaient, d'une nuance Les subtiles lotions?

Eclosions avilies Dans le fond de ce puisard, Qui fleurissaient, si jolies, Et pourrissent au hasard.

Vainement elles se guindent Pour boire un trait de soleil; Partout les murailles scindent Le ciel bleu, qui fait vermeil.

Quelquefois, à la chapelle, Le voile de Maria, Le feston de Dieu rappelle Au cher blondin paria


90 LES HORTENSIAS BLEUS

Toutes ces couleurs charmantes Qui rassuraient ses pensers, Et qui sont en lui dormantes Par godets non dépensés;

Ces gradations exquises Dont son rêve s'éduquait Et dont, entre ces banquises, La tiède chaleur manquait.

Il admire la chasuble De l'officiant poupin, Le taffetas dont s'affuble Le tabernacle du pain;

Coquette petite armoire Changeant vingt fois de jupon, - Velours, taffetas ou moire, Satin, brocart ou crépon.

Cet air moins triste des choses Unit l'enfant au Saint Lieu, Et lui fait, par bleus, plus roses, Supposer qu'il aime Dieu.


THUS TURRIS 91

XLIII

THUS TURRIS

Un enfant de lin. V. H.

Quand vous étiez thuriféraire, Chez ces prêtres où tout est noir, Vous passiez comme un gentil frère Que l'on se plaisait à revoir.

Par votre ceinture azurée

Et vos robes de linons blancs,

Notre détresse rassurée

Nous faisait un peu moins tremblants;

Et, parmi le décours maussade De ces jours où rien ne charmait, On se sentait le camarade D'un petit ange, qu'on aimait.


92 LES HORTENSIAS BLEUS

XLIV

BLANC MINEUR

La première communiante Dont défile la queue-leu-leu Entortille mon farniente Dans son nuage d'un blanc bleu.

Toutes les blancheurs amoureuses, Camélia, gardénia, Magnolias et tubéreuses, Cette blancheur les renia;

Car, pour fêter l'Eucharistie, Un seul blanc est essentiel ; La transparence de l'hostie Tamisant la couleur du ciel.

Bottines blanches, robes blanches, Souliers blancs, gants blancs, voiles blancs Promènent, à travers les plans Parisiens, leurs avalanches.


BLANC MINEUR 93

Nos boulevards sont, tout un jour, Amnistiés par les passages De ces petits temples d'amour Divin, ô tourterelles sages!

Sous leurs tulles, promus ballons, Où le zéphyre s'exaspêre. Et, dans leurs vêtements trop longs, Qui serviront aux soeurs, le père,

Ouvrier d'un faubourg lointain Qui les dirige, les protège ; Et c'est comme un gros ours Martin Promenant des boules de neige.


94 LES HORTENSIAS BLEUS

à M. CARAN D'ACHE.

XLV

EUCHARIS

Mille petites filles, Mille petits garçons; Beaucoup de mousseline, Beaucoup de drap d'Elbeuf.

Des glands d'argent qui pendent Sous les sacs à mouchoirs; Et des franges dorées, Aux brassards des gamins.

Et les cierges de cire Historiée, avec

Le manche en velours rouge, Bordé d'effilé d'or.

Des figures pâlottes De se trouver à jeun ; Des anges qui n'éprouvent Qu'un grand mal d'estomac.


EUCHARIS 95

Monsieur le Curé même Qui, pour les honorer, Dit la messe en chasuble De Poussielgue ou Biais,

A l'autel faux-gothique, Dont le faux byzantin Reluit de fausses pierres, En toute vérité.

Les dames en toilette, Et le vieux général Dont la poitrine flambe De décorations.

Tout le monde l'admire ; Lui, modestement fier, Pense un peu tout de même Honorer Jéhovah.

« Seigneur, qui donc est digne,

De vous avoir en soi?

Dites une parole,

Les coeurs seront guéris. »

Les lèvres sont ouvertes, Les regards sont levés; Mais les enfants s'étonnent De n'avoir rien senti.


96 LES HORTENSIAS BLEUS

Puis c'est le tour des mères, En chapeaux violets, Relevant leurs voilettes Et qui comprennent mieux.

La cérémonie faite, Chacun s'en fut luncher; Les unes en calèche, D'autres en omnibus.

Les riches qui retrouvent, Au salon de maman, Une table couverte De cent cadeaux bénits :

Trente fois la Journée Et l'Imitation; Et toujours une montre ; Les pauvrettes n'ont rien.

Mais elles sont contentes De promener leur blanc Sur les impériales Et sur les boulevards.

Et ce clair qui circule, Tout le jour, sur Paris, A l'âme de la rue Rend un peu de candeur.


TABLES VIVES 97

à Madame Alphonse DAUDET.

XLVI

TABLES VIVES

Apprenez à l'enfant à prier le printemps, Les bois et les oiseaux, les fleurs et le parterre ; Peut-être ils lui diront l'énigme de la terre Qui balbutie en eux ses verbes chuchotants.

Apprenez à l'enfant à prier les flots bleus, Car c'est le ciel d'en bas dont la nue est l'écume; Le reflet du soleil qui sur la mer s'allume Est plus doux à fixer pour nos yeux nébuleux.

Apprenez à l'enfant à prier le ciel pur ; C'est l'océan d'en haut dont la vague est nuage ; L'ombre d'une tempête, abondante en naufrage, Pour nos coeurs est moins triste à suivre dans l'azur.

Apprenez à l'enfant à prier toutes choses; L'abeille de l'esprit compose un miel de jour Sur les vivants ave du rosaire des roses, Chapelet de parfums aux dizaines d'amour.


98 LES HORTENSIAS BLEUS

Faites ainsi de l'âme, en sa ferveur première, La ruche de beauté, de vertu, de vigueur, Dont les rayons seront des rayons de lumière, Emplissant de clarté l'alvéole du coeur !


VERITES ESSENTIELLES 99

XLVII

VÉRITÉS ESSENTIELLES

Si l'on surprend une des bonnes, ou femmes de chambre, à conter à ces petites filles, des histoires extravagantes ou effrayantes, ce qui arrive souvent aux gouvernantes, en Angleterre, on la fait fouetter dans les rues ; puis, après un au de prison, elle est exilée pour le reste de ses jours dans l'endroit le plus désert du pays.

SWIFT.

Il ne faut charger la jeune cervelle De trop, à la fois, de religions ; Que trop de bon Dieu, là, ne s'échevèle ; Quelques mythes doux, sans contagions.

Un peu — mais pas trop — de Vierge Marie ; De Peau d'Ane aussi ; puis du Chat Botté. L'Ange Gardien qui surveille et prie ; Et Serpentin Vert, qui ronfle à côté.

De l'Ali-Baba, du Noé dans l'Arche ;

Du Petit Jésus, du Petit Poucet ;

Tout ça bien gentil, bien d'accord, qui marche

Pair et compagnon, mais — sans dire où c'est!


100 LES HORTENSIAS BLEUS

à M. Raoul PONCHON.

XLVIII

RHAPSODIES

Et je sais une foule d'histoires à raconter, toutes plus divertissantes les unes que les autres.

FLAUBERT. La Reine de Saba.

Oh! écouter raconter

Des histoires! des histoires!

Cela suffit à dompter

Les tyrans les plus notoires.

Sharriar en écoutait

Conter à Shéhérazade ;

Et cela le dégoûtait

Du vieux sang, bu par rasade.

C'est un prestige si fort, C'est une attente si douce, Qu'ils trompent même la mort Qui pleure, suffoque et tousse.

Quand la Reine de Saba S'acharne sur Saint-Antoine, Et cherche dans son caba De quoi mieux tenter le moine :


RHAPSODIES 101

Ce sur quoi l'on peut compter Pour ce viol d'oratoires, C'est... écouter raconter Des histoires! des histoires!

Les graves yeux ingénus

Des enfants, ouverts tout vastes,

Sur les petits inconnus

Des historiettes chastes,

Reflètent le bleu palais Et la sinistre chaumine, Les sorcières, les balais Et la noce qui termine.

Dans ces miroirs ciliés Dont rien ne nous désabonne, Je relis, mieux reliés, Les histoires de la bonne,

Les racontars de l'abbé, Les récits de la grand'mère, Où tout le mythe tombé Se dépose et s'agglomère.


102 LES HORTENSIAS BLEUS

Madame d'Aulnoy, hérault Du conte d'or et de soie: Et tout le père Perrault Et toute la Mère l'Oie.

Puis les Mlle et une Nuits, Galland; madame Leprince De Beaumont, doux chasse-ennuis Où toujours reluit un Prince

Qu'une fille voit passer; Bonnes et méchantes fées, Qui seront, sans se lasser, L'une par l'autre étouffées.

Celles-ci pleines de miel, Et celles-là d'anathèmes; Carabosse dont le fiel Empoisonne les baptêmes ;

La princesse Carpiilon, Le Petit Chaperon Rouge, Barbe-Bleue et Frétillon, Le Petit Chien vert qui bouge;

Bobinette, Mère-Grand, Galettes et pots de beurre; La voix du loup qui surprend La fillette qui s'épeure ;


RHAPSODIES 103

« Descends où je monte! » — Oyez Soeur Anne, à sa tour, perchée. Champs, poudroyez, verdoyez! La clef de sang est tachée.

La Belle aux cheveux dorés, Les Belles aux bois qui dorment; Tous les tomes adorés Où des seigneurs se transforment;

La fille parlant crapauds, Et la fille parlant perles; Peau d'Ane et ses oripeaux Et l'Oiseau Bleu, roi des merles ;

La robe couleur du temps, La vierge qui perd ses bagues Dans les gâteaux; — des étangs Où parlent des poissons vagues;

Et Cendron, ou Cendrillon, Qu'au seuil du bal on verrouille; Les deux soeurs en vermillon, Et le carrosse en citrouille ;

Puis, les minuits dépassés, Et le châtiment sévère; Et tous les pieds décrassés Pour la pantouffle de verre ;


104 LES HORTENSIAS BLEUS

Le Petit Poucet perdu,

Les frères et leurs peurs bleues;

L'Ogre à l'appétit ardu

Et les bottes de sept lieues:

Badroulboudour, Aladin Et les lampes qu'on échange; Et les aunes de boudin Sautant au nez qu'il dérange ;

Chatte Blanche, Chat Botté, Que j'aime encore et je r'aime ; Au conte qui m'est conté Je prends un plaisir extrême.


LOULOUPS 105

XLIX

LOULOUPS

Les enfants ont peur des loups : Les loups, c'est toutes les choses Qui vont à pas de veloux Sur le seuil des nuits mal closes.

Toutes les choses qui vont

Et viennent dans les pénombres...

n pleut des loups, il en fond

Sans bruit, sans bornes, sans nombres.

Quand la veilleuse s'éteint, L'enfant, du lit de dentelle, Voit que l'ombre qui l'atteint Des yeux des loups se constelle.

Ce sont tous les loups dispos D'un bestiaire de bonne, Qui les tire, à tous propos, Pour que l'enfance soit bonne.


106 LES HORTENSIAS BLEUS

Si l'on n'est pas sage, un loup! Deux loups, si l'on manque un tilde; Les loups du bois de Saint-Cloud Et ceux de Sainte-Clotilde.

Mais des loups bien plus bistors Que les loups des Tuileries, Sont les loups des corridors, Des chambres, des galeries!

Les loups du fond des placards, De la commode et du coffre, Que, pour les moindres écarts, A l'enfant soudain l'on offre.

Les loups du bord des tiroirs, Les loups du fond des armoires, Les loups du tain des miroirs, Les loups du sein des mémoires.

Tous ces loups mystérieux Que l'enfance aime et redoute; Dont l'effroi mi-sérieux Sans fin laisse dans le doute.

Tous ces loups de peu, de prou Et sur lesquels plane et bouge L'ombre du Grand Loup-Garou Du Petit Chaperon Rouge.


BON AMI 107

L

BON AMI

Complainte

Tous ces petits enfants Kink, Tropmann, vous sautaient aux jambes.

— Il en tua quatre ou cinq

Des plus doux, des plus ingambes.

Or, il les avait soignés, Durant mainte maladie, Et tenus bien éloignés De la mort, qu'il leur dédie.

Ils l'appelaient « bon ami » ; Sous le ciel qui les surveille, Bon ami reste endormi : C'est le loup qui se réveille.

Quel feu dans son oeil bougeait? Bon ami n'est plus le même.

— Petit Chaperon rouget, C'est que par trop il vous aime.


108 LES HORTENSIAS BLEUS

« Vous avez de grandes dents, Bon ami des jours de joie ! » — « Mes baisers seront ardents, Petits Chaperons, ma proie! »

Ils marchent par les sillons Béants comme des mâchoires ; Chaperonnets vermillons, Vous voici dans leurs mangeoires ;

Mais le Ciel a son dessein; Un bout de foulard qui bouge A révélé l'assassin Du petit Chaperon Rouge.


POURQUOI CES MEURTRIERS... 109

LI

— C'était, a dit la brave femme, la malle de gens comme il faut. Je n'aurais jamais cru que ce monsieur et cette dame étaient des assassins.

Presse.

Pourquoi ces meurtriers qui, tous, devaient se taire,

Ont-ils parlé, toujours, Et se sont-ils trahis eux-mêmes? Quel mystère

Leur dicte ces discours?

Ils avaient résolu de garder le silence,

Ils croyaient le pouvoir; Et cependant un cri de leur bouche s'élance ;

Ils parlent, par devoir.

Ils se livrent sans peine, ils confessent leurs crimes.

Sans craindre la rigueur; Et c'est comme la voix de leurs douces victimes

Qui leur monte du coeur.


110 LES HORTENSIAS BLEUS

à M. Octave MIRBEAU

LII

CAPUT

Ces aveugles épars, pleins d'horreur pour la mort, En la fuyant partout la donnent sans remords.

M. D. V.

Or donc la tête vit, la tête du coupable, De ce guillotiné qu'on ne comprend pas bien; L'oeil n'est plus dans la tombe, y regardant Caïn, Non, il est dans la tête, et s'y voit ; c'est probable.

On dit que son passé, comme en un cadre clair Se découpe soudain, pour le marin qui sombre; Son crime, pour celui qui n'est déjà qu'une ombre, Se renouvelle ainsi dans un saignant éclair.

L'ombre que vous voilà, devant le flot qui brame De ceux dont vous comblez l'ardeur de voir pleurer, Lorsque votre regard désespérément rame Sur la foule houleuse, et qui vient effleurer

Le pied de l'échafaud qu'ont honoré des Saintes, Des Rois mystérieux, maint illustre Martyr; Comme afin d'ennoblir ces terribles enceintes Pour ceux dont l'âme noire a l'effroi d'en partir;


CAPUT 111

Cette âme qu'a déjà blanchie, avec leurs tempes, L'horreur de la machine au couperet goulu, Qui fait se clore aux cieux l'oeil des divines lampes, Pour voiler ce forfait que Dieu n'a pas voulu!


112 LES HORTENSIAS BLEUS

LIII

MESSIEURS DE PARIS

Samson fut révoqué pour avoir mis en gage Le couteau de la guillotine; son menton Reluisait de cold-cream dont il avait la rage, Et dont il se frottait, six fois par jour, dit-on.

Hendereich opérait sous la cravate blanche ; (Et la cravate rouge était pour l'autre.) — Au bain Il se rendait, sitôt qu'eût basculé la planche, Non sans ouïr la messe au profit du copain.

Roch avait coupé cent soixante-treize têtes;

Il était débonnaire en famille ; d'ailleurs

Fils de bourreau, neveu de bourreau, que les fêtes

D'Ardèche et de Lozère attestent des meilleurs.

Deibler a déblayé mainte forte besogne ; Sa femme était l'enfant du bourreau, dans Alger. — Ces unions se font entre soi, sans vergogne... O fiançailles! nuit de noces! coeur léger.


III CHAMBRE CLAIRE

INTUS ET FORAS

Une oeuvre d'art faite à un point de vue exclusif — quelque grands que soient ses défauts — a toujours un grand charme pour les tempéraments analogues à celui de l'artiste.

BAUDELAIRE.



INTUS

NOTATIONS ET MILIEUX

Je comprends mieux que personne au monde ces sortes d'attachement que l'on a pour les choses insensibles.

SÉVIGNÉ.



FAIRE 117

INTUS

LIV

FAIRE

Qu'importe qu'un sujet soit tel, en somme, ou tel; Pourvu qu'en s'écrasant au papier, le pastel, De son poudroiement tendre, et durable, prolonge Toute la vérité qui nous vient du mensonge?



ZOTHECAE

AC

MUSICAE

Produit étrange, bizarre, contourné dans sa forme, intense par sa couleur et quelquefois délicat jusqu'à l'évanouissement.

BAUDELAIRE.

Boudoirs.



LOUIS-QUINZERIE 121

ZOTHECJE AC MUSICAE

LV

LOUIS-QUINZERIE

La Pompadourité du clair boudoir rocaille Rosit, bleuit, blêmit, avec le charme frais De l'antithèse d'un salon plus sombre, auprès; Tel l'ivoire laiteux près de la blonde écaille.

Dans la pièce opaline et pâlissante, où qu'aille L'oeil, une autre harmonie organise des rets De tons agonisants, qui semblent être prêts A déguiser leur chant de cygne, en passacaille.

Contre les blancs panneaux, et sur le marbre blanc, De blancs muguets, dans un blanc vase, font semblant De n'être pas du tout là par afféterie;

Chambres où les vivants prennent des airs d'aïeux : Je sais peu d'aîtres où l'hospitalité rie Sous un voile plus flou de frêles camaïeux.


122 LES HORTENSIAS BLEUS

LVI

VESTER VESPER

Dans le jardin,de fleurs, fleuri sur des étoffes, Où vous réunissez de rares philosophes ; Où, sur chaque étagère, adorable Babel Du bibelot, le Saxe avec le Chine, bel Auditoire poli, cosmopolite, tendre Pâte, jamais ne bouge, ou dédaigne d'entendre; Où, dans le bleu nuage oriental ourdi Par la cigarette acre, un propos engourdi Meurt, puis renaît, phénix intellectuel, chère Troupe de dits légers dont vous êtes bergère... Vous m'aviez appelé ; ce fut être un élu. Mais, tout le soir, convive évocateur, j'ai bu, Enivré du parfum de la nappe au loin mise, La grappe, grain à grain, de la Terre Promise. J'ai, Renaud à la chaîne, à distance subi L'élégant charme dont Armide enchante, urbi Et orbi, tout le soir; et dédié mes strophes A son jardin de fleurs, fleuri sur des étoffes.


SCRUPULE 123

LVII

SCRUPULE

Dans votre beau salon exotique, où s'étale En moissons de nuance, aux bleuets de lapis. Aux nielles de corail, aux topazes d'épis, La chaude éclosion de l'âme orientale;

Les couleurs semblent faire un accompagnement

Au fin Zâl polonais, au doux lied allemand

Que vont versant vos mains, de rythmes toutes pleines.

Autour de votre front qui s'auréole un peu, On n'entend murmurer que nos âmes, phalènes Prises au flamboiement de sa langue de feu.

Et tant serait contraire, et profane, et fatale Toute diversion, autre que des tapis Et des étoffes les chatoiements assoupis, La pivoine interrompt sa chute de pétale.


124 LES HORTENSIAS BLEUS

LVIII

PIÈGES

Dès les premières mesures, les nerfs vibrent à l'unisson de la mélodie ; toute chair qui se souvient se met à trembler. BAUDELAIRE.

Vous m'êtes chère, ô grave ivresse des musiques Où me plongent les doigts réclamant au clavier, Sous l'incantation, faible et puissant levier, Le paradis perdu des extases physiques.

C'est Schumann, c'est Chopin, moins austères que Bach, Mais plus insidieux, dont l'amoureuse phrase Sur un miroir d'accords, fuit, ainsi qu'un vol rase La transparence bleue et mystique d'un lac.

Sous la surface pure, et que l'arpège moire, Insensible, s'émeut, tel qu'aux plis d'un rideau, Le sommeil oublié d'une ancienne mémoire, Plus triste que le chant pleuré par les jets d'eau.

Mais, en ce flot dormant, comme une inquiétude Circule, d'où va poindre un géant fiat lux; Et le remous lointain des bonheurs en reflux Monte aux grèves du coeur, des vagues de l'Étude.


PIECES 125

Innommée, afin que l'espoir des lendemains

Ou l'antique regret s'y greffe et l'intitule ;

Brume d'où vers nos fronts montent connue d'un tulle

Des accords caressants et doux comme des mains.

Sous l'imposition adorable et bizarre, Aussi douce que l'huile et forte que le vin, Le souvenir se dresse, avec l'accord divin Qui lève le suaire et dit : « Debout ! Lazare. »

Souvent, parmi les chants que vous me prodiguiez, J'ai senti se mêler aux voix musiciennes, L'accent restitué de nos heures anciennes, Et Courtenvaux, avec l'odeur des grands figuiers.


126 LES HORTENSIAS BLEUS

LIX

MORCEAU

De Grieg ou de Henselt, de Bramhs ou de Tausig ?

De qui la ravissante et bizarre mazoure

Dont mon ressouvenir pour jamais s'énamoure,

Et dont l'art singulier, au travers d'un chemin,

Me vint saisir, un soir, par l'âme et par la main;

Comme un filon de voix, lointain, ensemble et proche;

Musique, dans les airs, éparpillée et floche;

Des accords caressants, des chants contrariés,

Variés, mariés et désappariés,

Avec un lied suave, éloigné, qui s'obstine,

Dont, en la mélodie, erre l'aile intestine,

Pour toujours revenir heurter au clair mica

De la touche vibrante aux pleurs d'harmonica.

Tel, mon ressouvenir pour jamais s'énamoure

De cette ravissante et bizarre mazoure

De Tauzig ou de Brahms, de Henselt ou de Grieg?


VA LONTANO 127

LX

VA LONTANO

Monstruin immane, ingens, cui lumen ademptum.

VIRGILE.

Le piano, les jours de boue, Comme un chien mouillé se secoue, Éclabousse de ses sanglots Les murailles du salon clos.

Le piano, les jours de pluie, Comme un chien mouillé qui s'essuie, Darde mille gouttes de son, Du Haëndel et du Mendelsohn.

Du Schumann, du Schubert, du Webre, Du Chopin — surtout du Chopin ! Roulent au long de la vertèbre De l'instrument mis au grappin.

Des valses épileptiformes, Des scherzos abracadabrants ; Du Liszt écrit pour doigts énormes, Et du Rubinstein, et du Brahms;


128 LES HORTENSIAS BLEUS

Des listes de Liszt; des chopines De Chopin dont rien n'est resté Dans le cahier ! — et des bobines De « jeux d'eau de villa d'Esté. »

Et, sur les dents noires et blanches Du râtelier des clavecins, Croulent des lieds, par avalanches, S'abat le scherzo, par essaims.

Puis la Romance sans parole. Qu'on avait un peu mise au vert, Ruisselle à flots de la corolle Du piano qui s'est ouvert.

La Chanson du Printemps dégante Tous les doigts; et, de son rouet, La Fileuse, si fatigante ! Tombe à son tour dans le brouet.

Comme un mancenillier terrible Le palissandre convoité En s'épanouissant nous crible De traits, de trilles, de doigté.

Sur les notes blanches et noires De l'épinette sur les dents Glissent toutes les bassinoires Des nocturnes les plus ardents;


VA LONTANO 129

Des berceuses et des études, Les marches et la mazurka, Bonnes à faire des Latudes Des gens que leur fureur marqua.

Par la blanche et noire quenotte Qui lui donne maint démenti, La fillette met la menotte D'un guide-main à Clémenti.

On entend le petit prodige Ecarteler un impromptu; Et la mère aussitôt exige L'ivoire, quand l'enfant s'est tu.

On ouït Berthe, puis Octave; Et, parmi l'ébène claqué, L'arpège succède à l'octave, Et le tapotage au plaqué.

Des hôtes saisissent leurs hôtes Pour les martyriser sans droit, Et font toujours les mêmes fautes, Dans le même air, au même endroit.

Tous ces pianistes-tarasques Se déchaînent sur l'instrument Comme, dehors, font les bourrasques Aux vitres de l'appartement.


130 LES HORTENSIAS BLEUS

Et ces rages pianistiques Sur le Pleyel qui n'en peut mais, Se vengent par bonds élastiques De l'air maussade des sommets.

On fait queue autour de la boîte; Il faut déserter la maison, Ou bien introduire l'ouate, Dans ses oreilles, à foison.

En vain l'on monte quatre étages; Par la cheminée, ô bonheur! Le plaqué suit les tapotages Ainsi qu'un simple ramoneur.

Si l'on se jette dans la cave. Le fortissimo sur vous fond; Si dans le grenier on le brave. Il troue encore le plafond.

Alors il faut quitter la place Devant le siège du Wagner, Et s'enfuir par un temps de glace A ne pas mettre un chien à l'air ;

Errer à travers la campagne, Sous le sifflet de tous les nords, Pendant que l'hôtesse accompagne A d'élémentaires ténors,


VA LONTANO 131

Par vingtaines, les mélodies De Gounod et de Massenet, Dont les grâces sont enlaidies Et dont le contour est moins net.

Que le châtel entier sévisse Sur les notes, cela se doit; Puis, quand il a fini, l'office Joue, à son tour, avec un doigt !

Et ces gamines qu'il faut qu'on fuie, Les après-midi sans beau temps, Ont fait dire depuis longtemps : Ennuyeux autant que la pluie.

Mais Iris ouvre son anneau On peut réintégrer sa chambre Pour réchauffer sa pâleur d'ambre... — Et bonsoir, Monsieur Piano !


132 LES HORTENSIAS BLEUS

LXI

FOEDERIS ARCA

La raison du plus fort est toujours la meilleure..

LA FONTAINE.

La foudre ne fait pas taire le piano !

Le tonnerre avec lui vainement se mesure ;

L'ouragan ne lui sait que battre la mesure,

Et n'est qu'un métronome un peu plus étourneau.

Alors, piquée au vif, la tempête s'enrage, Veut sur la boîte infâme emporter le dernier ; Et redouble d'éclats, averse, grêle, orage, Pour étouffer ce bruit qui l'ose renier.

Mais connue l'Arche sainte au-dessus du Déluge L'Erard vainqueur surnage, avec, en ses girons, Tous les rugissements qui l'ont pris pour refuge, Et rugissent sans fin : « sans fin nous rugirons! »

Il semble que le lied et l'étude copulent En lui, pour procréer maint affreux petit lied, Marmaille de morceaux qui grouillent et pullulent, Et s'en vont de Paris jusqu'à Valladolid.


FOEDERIS ARCA 133

La ruisselante pluie à la vitre rougie Ajoute à la sonate un arpège jumeau; Et l'éclair effrayant seconde la bougie Dont la bobèche tremble à tout fortissimo...


134 LES HORTENSIAS BLEUS

LXII

LE BLANC ET LE NOIR

Aux claviers ivoirins où s'enchâsse l'ébène

De votre doigté-fée accourt vers notre peine

Un rythme caressant fait d'accords singuliers

Par lesquels nos soucis se sentent dépliés.

Sur notre souvenir plein de pleurs et de pièges,

Vous effeuillez ainsi vos guirlandes d'arpèges

Et, sous un mélodique et vibrant floréal,

Rendez 'illusion du Printemps Idéal

A l'Automne entêté, que, pour une heure, chasse

L'ivoire des claviers où l'ébène s'enchâsse.

Si nous avions vécu dans le temps des Louis

Devant une assemblée aux regards éblouis,

Sous tes vastes paniers, ton teint fait pour la poudre,

Cydalise, j'aurais aimé t'entendre moudre,

Gavotte de Lulli, musette de Rameau,

Un petit air très sec, d'un geste de trumeau;

Et, mêlant le sourire aux manières hautaines,

Toiser la compagnie en ôtant tes mitaines,

Pour faire au clavecin courir un jeu tremblant

Tout le long du clavier, alors, plus noir que blanc.


DEUX REFRAINS 135

LXIII

DEUX REFRAINS

Tourterelle, J'entends en votre gosier

Comme une querelle De ramiers dans un rosier, Sous un ciel d'aquarelle ; Tant le son à la couleur,

Au parfum se mêle En votre chant, oiseau, fleur, Voix, rayon, arome, aile, Philomèle.

Voilà le plaisir, madame, Et le déplaisir, messire ; Voilà ce que l'on déchire, Voilà ce qui nous entame Plaisirs et déplaisirs, Regrets, désirs, Roses folies, Savoirs pâlis, Oublies ! Oublis !



à M. Edmond de GONCOURT.

CÉANS

Dans un appartement propre, orné de meubles ingénieux et revêtu de couleurs caressantes, il sent son esprit s'illuminer, et ses fibres s'apprêter aux choses du bonheur.

BAUDELAIRE.



MANIERES « 139

CÉANS

LXIV

MANIÈRES *

Je voudrais que ce vers fut un bibelot d'art, Spécial, curieux, particulier, étrange; Avec, sur son pourtour, quelquefois, un regard De couleur, bigarré, bizarre et qui dérange;

L'objet rare qu'on palpe et retourne en sa main, Du toucher jouisseur des caresses aimées ; Que l'on dirait vivant, que l'on croirait humain, Et qu'on revoit quand les paupières sont fermées.

Vase où tout un printemps semble s'être ébruité Sur blanc coquille d'oeuf ou céladon truité; Blonds étuis ajourés dans l'ivoire fossile;

Le flambé flamboyant, et, critérium sûr, Le laque sur lequel jamais ne se dessille Le regard sérieux de l'imbécile pur.

* Cette pièce et les neuf suivantes ont été écrites en 1883.


140 LES HORTENSIAS BLEUS

LXV

FACTURE

C'est un vers très moderne, aile dégingandée; Faussement maladroit, réellement roué, Sans sa désinvolture, élégamment scandée. Tenant son procédé très fugace écroué.

C'est ainsi qu'il s'avance, avec sa grâce gauche De femme qui trébuche en montant l'escalier, Empêtrée en sa traîne encombrante, où s'ébauche Un pied chaussé de soie et qui perd son soulier.

C'est le vers qui m'amuse, et qui tinte matines Dans ma tête parfois de ténèbres couverte, Lorsque je suis témoin des luttes intestines De la famille rose et la famille verte.


TRANSFUSION 141

LXVI TRANSFUSION

La riche folie figée des objets presque vivants.

GUALDO.

Je voudrais faire un vers que n'a tenté personne;

Un vers mystérieux et bizarre, et qui sonne

Un timbre déroutant, au trébuchet des purs

Esprits initiés, des critériums sûrs.

On y verra, sous une atmosphère endormie,

Et comme une rousseur stagnante, une accalmie

De nuances, de tons et de sons assoupis

Dans la mousse laineuse et sourde des tapis,

Où chatoie et poudroie, où rougeoie et miroite

Le sable d'or du laque ; ou l'élégance droite

De la buire persane aux parterres d'émaux;

— Où des objets vivants semblent sortir des mots,

Tant se pénètre, se communique et s'annelle

La prolongation d'une âme personnelle

En leur contour, en leur silhouette, en leur jeu,

Composant l'ambiance exquise du milieu.

C'est un appartement où j'exige que dorme

La solidarité du ton et de la forme;

Avec, — et ça et là, seulement — comme un clair

Qui bouge, et, tout à coup, accroche son éclair,


142 LES HORTENSIAS BLEUS

Tel qu'un point lumineux dans un oeil, aux dorures Des coussins écroulés dans les blanches fourrures D'ours, où glisse un traîneau rocaille qui se croit Sur la neige, et permet, en été, d'avoir froid. Du satin clapotant et du crêpe liquide, Une incantation évocatrice guide Vers un champ japonais que lilasse l'iris ; Sous un ciel où la grue et la chauve-souris Plissent leurs éventails d'ailes blanches ou grises.

— D'anémiques tissus ont l'air d'avoir des crises; La brocatelle rose a les pâles couleurs;

De factices printemps on voit fleurir les fleurs En papier, et rosir les roses en batiste.

— Dans un plat niellé, le chef de Jean-Baptiste Saigne brutalement son glouglou d'incarnat,

Et dont il semblerait que le flux transfusât Une latente vie à la mourante chambre, Où flotte, avec l'odeur chaste et fine de l'ambre, Comme un ressouvenir catholique d'encens, Que les atomes gais, dans le rayon dansants, Empruntent à l'étole, au voile, à la chasuble Dont cet ameublement liturgique s'affuble.

Le lapis ocellé de la plume des paons A l'air de surveiller d'étranges guets-apens De kriss, d'yatagans, de tomawawks, d'épées Qui semblent en vouloir aux nuques des poupées Japonaises. — La harpe en vernis de Martin, Le biniou de soie au reflet incertain, La guitare en ivoire et la flûte en faïence Dont le sous-entendu d'un orchestre s'agence,


TRANSFUSION 143

Dans leurs ventres bombés, dans leurs étroits larynx

Gardent des lieds secrets, des sérénades-sphynx,

Et tout un arriéré de chansons virtuelles,

Que, — le temps révolu des Lias rituelles,

Ta venue et ta voix déliante, ô Rachel!

Feront rossignoler tout à coup, comme, au gel,

Succède le baiser frôleur des brises tièdes.

En lutte contre un singe et des grenouilles laides,

Ou faisant le coquet avec un éventail,

Le squelette d'ivoire, exquis épouvantail

Japonais, fait saillir sa vertèbre textile;

Et le fin transparent des rideaux blonds distille

Une lueur si rousse et chaude, qu'on croirait

Que le sang du Baptiste enveloppe en un ret

Plus sanglant, l'atmosphère, à mesure, plus teinte,

Où l'iris simulé bleuit dans une eau feinte.


144 LES HORTENSIAS BLEUS

LXVII

HIC LOCUS

Une chambre assoupie où la guipure émousse

Aux fenêtres l'éclat d'un jour trop dur ; où mousse

A terre le rinceau bouclé des sourds tapis;

Où le sang des rubis à l'azur des lapis,

A l'eau de l'émeraude en flots se communique

Dans une infusion profuse, enharmonique;

Où quelque arête d'or, quelque angle de cristal

Eclatent seulement dans l'air oriental ;

Où l'ardeur d'un bouquet de pivoines étale

Son bruit mystérieux de chutes de pétale...


ANGLE DOCTE 145

LXVIII

ANGLE DOCTE

L'endroit où je fais bien du vers très ouvragé C'est un coin de la pièce obscurcie, ombragé Par un grand parasol japonais, où circule, Sous une éblouissante et chaude canicule, Une procession de personnages bleus Et roses, diaprés, naturels, fabuleux.

— De l'ensorcellement de la chambre ambiante S'essore peu à peu l'influence, qui hante,

Des fourrures où traîne un coussin d'ors pâlis.

Des volubilités de fins volubilis

Courent sur des satins aux couleurs amorties,

Dans la rousse atmosphère où les fleurs sont serties,

Des gemmes, des émaux, des ivoires laiteux,

Que les rideaux épais couvent d'un jour douteux.

Les porcelaines et les bronzes, aux flancs lisses,

Les verres ont leur part en ces discrètes lices

De silhouette, de nuance, de milieu,

Où je viens, chaque fois qu'il me faut être dieu;

— Car, je me sens toujours me faire plus artiste, A regarder fleurir mes roses de batiste,

10


146 LES HORTENSIAS BLEUS

LXIX

PUPITRE

Quand le soleil couchant à travers les guipures Rouges, de mes rideaux, fait affluer de pures Vagues de flamme au coeur de l'appartement mort; De mon divan que la gueule d'un ours blanc mord, Je regarde jouer les lumineuses taches, Sur ma buire aux aristocratiques attaches; — Et, de mon style d'or aux antiques dessins, Sur un vélin volant que j'appuie aux coussins, J'aime, — battant mon vers sur ces molles enclumes, Sentir en lui filtrer la souplesse des plumes.


ALLUVIONS 147

LXX

ALLUVIONS

Adeo animae hominis quoesita maxime placent.

PLINE.

Mon doux appartement aux ors des broderies

Bossues et fleuris, n'a pas de bouderies;

Et, quand je rentre, atone et triste, sur mon spleen

Met son effleurement de caresses si plein,

Où, suspendue, hésite, et, comme par bouffées

De musique lointaine aux gammes étouffées,

L'âme de l'univers aux durs aveux contraints,

Des gemmes de ses flancs, des métaux de ses reins,

Des nacres et des bois rares, des poils textiles,

Que, l'évolution des époques, des styles

Force aux expressions, oblige aux avatars

Des meubles, des objets, timides, ou regards

De couleurs, comme ces japonaises ombrelles

Qui ruissellent en feux d'artifice de presles,

De pivoines, d'iris, entre des queue-leu-leus

De rouges mikados, de samouraïs bleus.

Et des chauves-souris s'y mêlent à des crabes.

Russe pelleterie et tissages arabes,

Emaux, cuivres persans, laque aux faibles lueurs

M'apportent les travaux, les luttes, les sueurs


148 LES HORTENSIAS BLEUS

Des artisans lointains, évanouis ; — poussières Lumineuses des goûts, des écoles, des ères Que la mode disperse et choisit en son van, Mer qui s'en vient mourir au pied de mon divan. Et, sur le brocart d'or, sable de cette grève, Tous ces efforts lointains aboutis en mon rêve; Ayant pour but, unique et suprême, mon vers A bien arc-en-cieler de tons roses et verts, Et l'ensommeillement de mes heures maussades, Avec les concetti de couleurs, les glissades De lumière, sur des arêtes accrochant Leur paillette de jour comme un trille de chant, Me charment, et me font savourer la torture Vengeresse de l'avaricieuse nature, Incomplète dans ses rudimentaires ruts D'embryonnaires faits et d'ébauchages bruts; Et qui n'inventa pas — ô critique narquoise ! Ma tortue au dos d'or caillouté de turquoise !


THERAPEUTIQUE 149

LXXI

THÉRAPEUTIQUE

Des impositions comme de mains bizarres

Me viennent des objets aux provenances rares;

Et le laque, sur moi, peut des conversions

Qu'exigeraient en vain les plus saintes Sions.

Un pourtour poudroyant de boîte à médecine

Où la précision japonaise dessine

Un paon aux plûmes d'or ocellé de burgau,

A pour moi la vertu du plus savant Ergo;

Et je déclare, à me guérir, bien mieux idoines

Que les prescriptions de cent Diafoirus,

Ses petits casiers d'or étoilés de pivoines

D'où les remèdes sont dès longtemps disparus.


150 LES HORTENSIAS BLEUS

LXXII

OBJETS

Je ne sais rien qui rende amène et philosophe, Et fasse voir la vie étrange d'un bon oeil, OEil amusé, distrait de la plainte et du deuil, Par quelque chatoiement harmonieux d'étoffe,

Comme une après-dînée indulgente et frugale Parmi les objets bons et ne trahissant pas; Et que tout simplement agrémente et régale Le bibelot discret, qui parle, — mais si bas !

Car, — entre parenthèse, en somme, qu'il est doux Et simple, l'oeil humain qui se laisse distraire De la malignité du fait, toujours contraire, Par les moindres travaux persans, ou bien indous;

Qui, de l'anneau des jours serpentants que tronçonne Toujours quelque rupture importune d'amours, Livre sa part de chair, pourvu qu'on la rançonne D'un mince rinceau d'or courant sur un velours.


OBJETS 151

Du clavier faux des goûts seul registre certain, Chère fidélité ponctuelle des choses, Qui notera combien vous effeuillez de roses Devant nos vains espoirs, ternes glaces sans tain?


152 LES HORTENSIAS BLEUS

LXXIII

INTUS

Chambre, dors! — Les rideaux, tes paupières, sont clos.

En ton lambris pensant, les mirages éclos

Des féeriques objets, te composent des rêves

Pleins d'aperçus furtifs et de visions brèves.

Et moi, parmi le flot houleux des coussins mous,

Je me sens peu à peu me mêler au remous

De la prestigieuse et muette marée

Qu'endort en tes parois ton âme chamarrée.

C'est une illusion — entre ces quatre murs

Où les brocarts roussis ont des tons de fruits mûrs,

Qui me hante parfois, de me croire en un crâne.

Les treillis argentés du grêle filigrane,

Et tous les bibelots rares et curieux,

Me semblent des pensers légers ou sérieux

Attendant, en l'oubli des cases cérébrales,

L'heure d'être appelés pour des chants ou des râles ;

— Bizarres, bigarrés, bilingues, biscornus,

Et tels que sous nos fronts, ou nimbés ou chenus,

J'imagine l'idée, ambre, ébène ou carrare.

Car l'idée est réelle; et, telle est de cristal

Ou de gemme; de bois, de marbre, de métal*

Et je me sens, parmi, quelque rêve très rare...


ROSEUM MARE 153

LXXIV

ROSEUM MARE

Je me couche sur le tapis Du Khoraçan, et me régale De sa bordure de lapis, Près du fond, rose de Bengale.

Le beau tapis du Khoraçan, Aux laines séparément teintes, Est rose d'un rose de sang D'oiseaux morts, de roses éteintes;

Rose, de ce rose mignard Des roses, l'automne, attardées; Et du menteur coup de poignard Des tourterelles poignardées;

Rose de ce rose persan Qui paraît un corail fluide; Le beau tapis du Khoraçan Etale sa splendeur humide.


154 LES HORTENSIAS BLEUS

Il moutonne comme une mer Où quelque astre rose se mire; En des vagues couleur de chair Que parfume une odeur de myrrhe.

Les bleuets d'azur de son tour Lui jardinent comme une grève, Où dans un océan d'amour Baignent des floraisons de rêve.

Çà et là les meubles épars

Sur son remous couleur d'aurore

Parsèment comme de départs

De vaisseaux, un laineux Bosphore.

Et, de mes pas endoloris,

Aux douleurs de mon front morose,

A flots floconneux et fleuris,

Je sens affluer la mer rose.


JE VEUX FAIRE... 155

LXXV

Je veux faire de l'art japonais : une chose Exquise; sans aucun rapport avec la rose Redoutable de feu Redouté redouté ! Une création où tout le velouté

Des fleurs naît d'un seul coup de pinceau qu'on écrase; Une eau qu'un vol de grue, au-dessus, moire et rase, Pendant que des poissons se battent au-dessous, Dans un effacement que l'on dirait dissous, Pour deux fleurs de prunier voguant à la surface. Tout cet enchantement éclos sur une face, Pendant qu'un rien fera l'honneur de l'autre pan, Une aiguille de pin, une plume de paon.


156 LES HORTENSIAS BLEUS

LXXVI

PIERROT

Passereau paresseux qui, dans la japonaise

Porcelaine, et dans ceux Des foukousas que j'aime et j'admire, à mon aise,

Passereau paresseux,

Tu courtises les lis, les oeillets, les glycines,

Les cryptomérias, Les iris, près des eaux, les pivoines voisines,

Et les hortensias.

Paresseux passereau qui pares de ta pose

Les netzkés et l'inrô, Où tes pattes, parfois, se font de corail rose,

Paresseux passereau.


EMPIRISME 157

à M. BOLDINI.

LXXVII

EMPIRISME

J'aime le meuble Empire,

Le pire Fait mes yeux éblouis, Mieux que le Louis Treize,

Ou Seize, Ou quelconque Louis.

Mieux que le Louis Onze,

Son bronze D'une Egypte bijou; Et sa mythologie

Rougie D'un reflet d'acajou,

Me plaisent, et sa gauche,

Ebauche D'une Grèce de toc; J'aime ses incommodes

Commodes, Ses consoles mastoc,


158 LES HORTENSIAS BLEUS

Que supportent des gaines

Rengaines Aux symboles cachés; Ses guéridons d'emphases,

Ses vases, Ses X et ses psychés;

Ses bras de fauteuils drôles,

Ses rôles Appris tout de travers, Ses canapés-immeubles,

Ses meubles Ressemblant à des vers,

Ses retours de campagnes,

Ses pagnes Prétentieux et droits, Ses vagues Cléopâtres,

Ses pâtres Et ses sphynx maladroits;

Ses jardinières bêtes,

Ses têtes De lions pleins d'anneaux, Son rigide vieux Sèvres

Sans fièvres, Aux décors étourneaux!


EMPIRISME 159

Sa fatigante pompe.

Que trompe Un idéal trop gros; Sa pédante peinture

Nature Grosse du baron Gros!

J'adore sa pendule,

J'adule Ses niais attributs; Son Olympe ineffable

Sa fable, Ses rêves, ses rébus ;

Tout son fol déballage

De l'âge D'Homère, et de Jacob, Dont la fausse tempête

Embête L'âge du petit Bob !

Ses Apollons, ses lyres,

Délyres D'attitude à toupet; Sa méduse, sa muse

Camuse Qui sous Thomire paît;


16G LES HORTENSIAS BLEUS

Ses tristes Aristées,

Protées De métal fulgurant; Ses Phoebus, ses Pégases,

Leurs gazes, Où flotte maint cadran!

Ses Saphos, ses Electres,

Ses spectres De dieux embourgeoisés, Ses flasques théories,

Scories De Pindes dégoisés;

Ses Héro, ses Léandre

Du tendre De Madame de Staël, Dont encore endoctrine

Corinne De son socle en cristal.

Pâmasses et Permesses,

Kermesses D'accessoires pompiers Et poncifs : torches, flammes

Réclames Qui meurent à des pieds.


EMPIRISME 161

Permesses et Parnasses,

Des nasses De doux bétail falot Dont le seigneur le Cygne

Désigne Ce style et cet îlot.

Le Cygne que déferle — La perle

Au cou — le flot doré

De ce quasi Sublime Que lime

Un Bébète adoré !

11


162. LES HORTENSIAS BLEUS

LXXVIII

Les éventails anciens sont des papillons vastes Qui viennent palpiter sur des femmes en fleur; Et leurs doux battements voluptueux, ou chastes Font miroiter leur aile où s'endort la couleur.

Or, ils se sont posés sur Marie-Antoinette,

Sur Pompadour qui danse et sur la du Barry;

Et leurs plis ont gardé la mémoire très nette

De ce qui, sous leur flamme, ou leur ombre, a souri.

Mais ce papillon peint tient encor de l'abeille ; Et, du coeur de la femme, il extrait en tremblant Un miel mystérieux, lorsque sur la corbeille Des beautés dans le bal, il rythme son vol lent.


BABEL 163

LXXIX

BABEL

Bibelots et babioles. Brimborions et riens. Que de fleurs dans vos fioles... Que vous nous valez de biens!

Que vous êtes donc follettes, Que vous êtes donc follets! Bibelots, babiolettes, Verts, bleus, roses, violets.

Que de fruits dans vos corsages! Que d'odeurs dans vos corsets! Que de masques, de visages, Folles Talliens, mois Dorsays.

Bergères et Nymphes : Sèvres Et Nymphenburg — quel essaim De tasses ayant des lèvres; De coupes qui sont un sein!


164 LES HORTENSIAS BLEUS

Que de couverts, de couvertes De verres églomisés, De familles roses, vertes, Et que d'enfants baptisés !

Vous nous contez des histoires, Et n'êtes pas trop menteurs; Voici des lacrymatoires Et des boules de senteurs.

Les céladons et les laques, Kaolins et cloisonnés ; Blancs transparents, noirs opaques, Roses pimpants, bleus fanés.

Altesses fragilissimes Où tout l'art vient concourir, Et qui commettez ces crimes De voir vos maîtres mourir !


PRODIGUE 165

à M. DE PORTO-RICHE.

LXXX

PRODIGUE

Voilà nos gens rejoints. L. F.

O mes chers objets que j'ai tant aimés, Pourquoi, loin de vous, courir aux fenêtres? Mes yeux sur vos grains se sont refermés Pour considérer les gens et les êtres.

Mais, je vous reviens, pour ne plus vous fuir, Car vous contempler est la chose sage ; Car vous seuls savez lune sans trahir ; Ce qu'à tout jamais ignore un visage.

Sans être animés vous êtes vivants, Et vous nous parlez sans une parole ; Vous nous instruisez, sans airs de savants, Et nous parfumez comme une corolle.

Vous êtes l'amour du coeur qui vit seul; Vous êtes la foi de qui ne croit guère ; Et, parce que vous fâchez le vulgaire, Votre passion m'est un cher linceul.


166 LES HORTENSIAS BLEUS

Un linceul de mort très délicieuse, — Car la solitude est comme un trépas. Votre compagnie est silencieuse; Et quand elle parle, elle parle bas.

Les seuls verres nets et bien nettoyés Sont les verres purs qui font vos vitrines Où nous contemplons vos fleurs purpurines Sans imaginer que vous nous voyez.

Car vos mandarins et vos bergeries

Sont plus clairvoyants que nous ne pensons;

Louis-Quinzerie et chinoiseries

Se moquent de nous sans gloses ni sons.

Car les Japonais pansus des couvercles, Eventails, écrans, inrôs et netzkés, Sur leurs kirimons se mettent en cercles Pour apprécier nos gestes risqués.

Paravents peuplés causant feuille à feuille, Emaux cloisonnés rompant leurs cloisons, Pour se demander s'il est temps qu'on veuille Laisser leurs oiseaux guider nos oisons.

Dans leurs norimons, les impératrices Et les mandarins et les mikados; Les tsibouïtsis où sont les actrices, Les samouraïs sur les shakudos.


PRODIGUE 167

Grès, jades, burgaus, ivoires, écailles, Craquelés, flambés et coquilles d'oeuf, Aux tarabiscots ainsi qu'aux rocailles De table à tablette ont dit : « quoi de neuf? »

Et la porcelaine à côté du laque,

Près du foukousa, le kakémono,

Nous laisse blâmer par plus d'un macaque,

Et nous fait juger par un étourneau!

Donc, plus que jamais par vos chères bêtes, Et vos douces fleurs nos yeux sont charmés ; Elles ont pour soi de n'avoir les têtes Ni d'X, ni de Z, ni de mieux nommés.

O chauves-souris dans le crépuscule,

Près des poissons bleus dans les lacs d'azur;

Vive ce qui vit, poudroie ou pullule

Aux créations du Nippon impur :

Faucon, moineau, grue, orfraie et corneille, Rats, crabes, tortue, homards et crapauds; Pivoine, hydrangée, iris, prunier, treille; Humanité laide et babouins beaux!

Péchés à longs bras par d'étranges singes, Ce que, de tout temps, l'homme réclama, Des. reflets de lune, ainsi que des linges, Dans l'onde où se mire un Fushi-Yama.


168 LES HORTENSIAS BLEUS

Japonaiserie et Chinoiserie,

Je rappelle donc ton geste et ta voix.

Car la rareté de ta griserie

Capte mon esprit sage par sept fois.

Sage par Benten et déesse et muse; Par Foukourokou dont le crâne haut Que le rêve accroît, sans cesse, m'amuse; Et par Yebisu, pêcheur sans défaut;

Par Daïkokou, le dieu des richesses,

Son maillet en main, sur son sac de riz,

Sage par Juro, père des sagesses

Qui font les coeurs purs, et sains les esprits :

Et par Bishamon, le dieu de la guerre, Par les sept Kâmis, dieux drôles et bons, Maîtres du bonheur que n'entraîne guère Le doux Hoteï, le dieu des bonbons !


QUIA PULVIS 169

LXXXI

QUIA PULVIS

CODICILLE

Surtout point d'inhumation ! Si je meurs, quelque jour, j'exige Une ardente crémation Sans résidus et sans vestige.

Plutôt qu'un squelette frileux Qui cliquette au vent et qui claque, Je veux être quelques grains bleus, Dans l'or d'une boîte de laque.

La fine poudre que sera Faite mon âme purpurine, Voluptueuse glissera Sur des plages d'aventurine,

Afin que, projets à projets,

Poudre à poudre, et gouttes à gouttes,

Se mêle à l'âme des objets

Mon âme qui l'aime entre toutes.


170 LES HORTENSIAS BLEUS

Or, un après-midi d'avril Où l'atmosphère est molle et moite, Où la feuille est couleur béryl, Vous prendrez avec vous la boîte

En laquelle ce que je fus De réalités et de rêves, Se mêle aux horizons confus De quelques fantaisistes grèves.

Puis il faudra que vous suiviez Le sentier blanc où nulle brise Ne taquine des oliviers La verdure hachée et grise.

Vous monterez sous le soleil Jusqu'au sommet de la montagne, Qui, chaque jour, jamais pareil, Se montre aux yeux de la campagne.

Là, vous ouvrirez le coffret Où, de ma chair et de mon âme, Ce qui demeure est encor prêt A se pâmer sur un dictame.


QUIA PULVIS 171

Et vous lancerez dans l'air bleu Tout ce qui reste de ma cendre Que vous laisserez peu à peu Sur les fleurettes redescendre.

Et le passant qui, ce jour-là, Viendra cueillir, pour son amie, Le bouquet sur lequel vola Mon inquiétude endormie,

Se dira que les chemins blonds Ont laissé, dans l'heure dernière, S'élever du creux des vallons Un peu plus de triste poussière !



ALTIOR

TRANSPOSITIONS D'ART

Mais il faut, pour qu'il soit compris, que le critique, le spectateur opère en lui-même une transformation qui tient du mystère, et que, par un phénomène de la volonté agissant sur l'imagination, il apprenne de lui-même à participer au milieu qui a donné naissance à cette floraison insolite.

BAUDELAIRE.



FLANDRES 175

LXXXII

FLANDRES

Les beaux salons Flamands, près de la consciente Interprétation des Christs aux flancs polis, Appliquent longuement leur fine et patiente Notation gothique, en maints plis et replis.

Parmi des cieux brouillés, des torses qu'on érige ; Sous un dais régulier, des plis d'un calme indou; La folle draperie aux anneaux que dirige Un vent tumultueux qui souffle on ne sait d'où.

Van Dyck, et, sur le point d'expirer à la tâche, Dès madones, les bras ouverts les yeux saignants ; Pendant que Madeleine, aux pieds du Christ, détache Les noeuds auréolés de ses cheveux baignants.

Teniers, et la taverne où, dans leurs poses peintes, Des compères rougeauds pleins d'amoureux projets, Courtisent à la fois la commère et ses pintes, La gorge de l'hôtesse et le flanc des pichets.


176 LES HORTENSIAS BLEUS

Quentin Metsys, azur naïf et que treillage L'ogive, où des enfants aux gestes primitifs Offrent dévotement un fruit, un coquillage, Une gemme, un oeillet à des Jésus chétifs.

De raides Salomés dans des robes étroites, A leurs Hérodes d'or aux superbes manteaux, Tendent, en ébauchant des poses maladroites, Le chef qu'Hérodias peigne avec son couteau.

Mais, surtout, en la chambre humble, austère et paisible,

Mystérieux réduit par l'ange visité,

La Vierge de Memling, et près d'elle, visible,

Le parallèle lys de sa virginité.


MUSIQUE DE JARDIN 177

à M. Anatole FRANCE

LXXXIII

MUSIQUE DE JARDIN

Comme c'était un soir d'été propice aux charmes, Bon à l'enchantement comme à l'envoûtement, De son âme amoureuse et morose d'amant, Il voulut essorer de plus exquises larmes ;

Comme c'était un soir d'été plein de langueur Torpide, où l'âme étouffe, où les odeurs. stagnantes, Dans l'air ont suspendu leurs veines dominantes, De parfums épaissis qui pèsent sur le coeur.

Dans l'atmosphère lourde, ainsi que, dans un marbre,

Circulent des courants, des taches, des filons,

Se solidifiaient des baumes forts et longs,

Montés de chaque fleur, descendus de chaque arbre.

Sur lui chaque calice avait cette vapeur; Chaque branche était prise en ce brouillard d'étuve, Qui l'enveloppait toute, et d'un troublant effluve Lui tissait un manteau d'extase et de stupeur.

12


178 LES HORTENSIAS BLEUS

Nul souffle ne venait mélanger ces traînées; L'âme de l'oranger évitait le jasmin; Et, sans les disperser, on fendait en chemin Ces couches de divers aromates veinées.

Des lambeaux en étaient aux halliers accrochés Et pendaient en brouillards de moites effiloches; Des encens déchirés et des aromes floches, Qui donnaient des aspects de femmes aux rochers.

Comme c'était un soir d'été que nulle haleine N'émeut d'un trouble, — et très propice au souvenir, Dans la grande avenue il pria de venir La superbe beauté plus suave qu'Hélène.

Comme c'était un soir, d'une étrange saveur, Dans la noire avenue il fit porter un orgue; Et les pâles bouleaux adnairèrent la morgue Des tuyaux argentés, comme eux, dans la touffeur.

Quand la femme fut là, dans la sombre avenue, Dont les arbres portaient un dais de velours bleu, Par les astres garnis d'astragales de feu, Il lui dit simplement : « Mettez-vous toute nue. »


MUSIQUE DE JARDIN 179

Comme elle était docile à son maître et seigneur. Sans mot dire elle fit s'évaporer ses voiles, Tandis que dans les cieux s'effaçaient les étoiles Pour voiler le dépit de leur éclat mineur.

Car elle était vraiment la matière figée Dans le vivant éclat d'un marbre radieux; Celle que, pour donner une leçon aux dieux, Pygmalion créa, revue et corrigée.

Sur le tapis soyeux de l'épars vêtement, Il la fit se coucher dans une pose exacte, Et regarda longtemps se développer l'acte, Et multiple, et muet, de ce beau mouvement.

Alors il entr'ouvrit l'orgue dont l'édicule Au buffet reluisant comme un tronc de bouleau. Elance dans le ciel et prolonge dans l'eau Ses tubes dont le flanc retient le crépuscule.

Ses doigts harmonieux errent sur le clavier, Dont l'insolite son interrompt la nuitée Des nids, et dont la voix, sous l'onde, ébruitée, Réveille la murène en l'ombre du vivier.


180 LES HORTENSIAS BLEUS

Ses doigts mélodieux inquiètent les touches Qui, de son coeur glacé, reçoivent les frissons Transmis et transformés en mélodiques sons Par le chant des tuyaux aux métalliques bouches.

Vers le vivant modèle où son thème est écrit, Automatiquement il retourne la tête; Pièce à pièce le lit des pieds jusques au faîte, Et le transcrit d'un rare et mystérieux rit.

Comme sur un papier de musique, il déchiffre

Sa chevelure d'or aux trilles tourmentés,

Et traduit l'infini de ses trente beautés

Des douceurs de la flûte, et des aigreurs du fifre.

Pour le conter aux champs, pour le livrer aux bois, Il assoupit les jeux et tire les registres; H. dit ses reins charnus du son puissant des sistres, Et ses seins acérés du son fin des hautbois.

Il dit ses yeux pareils aux yeux des tourterelles, Et ses cheveux qui sont comme des chevreaux noirs ; Ses dents, blanches brebis qui viennent des lavoirs, Et qui n'en comptent point de stériles entre elles.


MUSIQUE DE JARDIN 181

Il dit ses mains, qui sont un couple de ramiers, Et son cou fort et blanc comme une tour d'ivoire ; Ses tempes que le pâle azur des veines moire, Sa taille souple et droite ainsi que les palmiers.

Il dit ses bras qui sont des colombes sans tache

Qu'on lave dans du lait, Et son geste qui prend les coeurs et les attache

Comme d'un bracelet.

Il dit son teint pareil aux pommes de grenades, Ses mamelles, chevreaux entre les lys paissants; Coteaux où, sur le soir, on fait des promenades, O collines de myrrhe et montagnes d'encens.

Il dit ses yeux profonds ainsi qu'une piscine

Qu'éviterait le jour, Et qui ne rend jamais au front qu'elle fascine

Son mirage d'amour.

Il dit ses flancs qui sont un parterre d'arôme Où croissent, pour griser le souvenir souffrant, L'aloès et le nard, le myrthe et le safran, L'amome, le cinname et l'isocinnamome.

Ses cuisses, deux agneaux dont pas un n'est taché, Son ventre pur et blanc comme un mont de farine; De son nombril profond la vasque purpurine, Et même ce qui doit être tenu caché.


182 LES HORTENSIAS BLEUS

Telle en accords plaqués, telle en gamme pluitée, En nappes d'ondoiements sonores et pourprés, La belle créature est, au-dessus des prés, Egrenée, endettée, éparse, ébruitée.

Il emplit la campagne, il peuple maintes lieues, Du port de la superbe et neigeuse houri; Il dit, d'un ton qu'à peine entendra le cricri, Ses prunelles d'azur qui sont deux notes bleues.

Car elle a les regards qu'il lui convient d'avoir; Ses yeux ont la couleur qu'il leur a fallu prendre, Comme un lac qui choisit les astres qu'il doit rendre, Et laisse sans reflets ceux qu'il ne veut point voir.

Car, dans le chaton rose et mol de sa paupière Qui s'élève ou s'abat comme un vélarium, Sur le bassin changeant du fond de l'atrium, Se sertit de son oeil la versatile pierre.

Donc, il chante ses yeux alors qu'il sont iris, Anémone, soucis, glycines ou pervenche; Alors qu'étant Glycère elle prend sa revanche D'avoir été, la veille, Amymone ou Chloris.


MUSIQUE DE JARDIN 183

Car, étant plus multiple et complexe que l'ombre, Elle seule compose un harem attirant Qui garde quatre-vingts femmes du second rang, Soixante du premier, et des vierges sans nombre î

Quand l'artiste a, sans fin, du magnifique corps Exaspéré le thème et fatigué la phrase, De ses doigts voletants dont l'essaim plane et rase D'arpèges empennés, le miroir des accords;

Il en traduit l'esprit, il en transpose l'âme, Et ce sont des bruits faux et des cris discordants, Et des pleurs syncopés de grincements de dents Que l'orgue dissémine à présent et proclame ;

Des sanglots suraigus et d'acres âpretés, Des fugues où des voix se font des scènes aigres; Des thèmes rabâchés dont les agréments maigres Dissimulent en vain les longues pauvretés.

Comme un air variant : Souvent femme varie; Quelque chose de laid, de grêle et de petiot Où le majestueux se mêle à l'idiot, Avec des cruautés d'orgue de barbarie.


184 LES HORTENSIAS BLEUS

Maintenant, de l'éclat déchirant des grands jeux, Du modèle il transcrit la bêtise superbe Qui ruisselle et s'égoutte, et dérange dans l'herbe Les fauves effrayés qui dilatent les yeux.

Il dit le tuf profond de son orgueil que brode Le méandre fleuri de sa stupidité, D'un rhythme dégageant le charme ensanglanté Du pas de Salomé dansant devant Hérode.

C'est une rhapsodie où le même motif Se presse et s'alentit, sautillant ou morose; Parfois heureusement joyeux comme une rose, Parfois sinistrement lugubre comme un if.

Il dit l'arbre géant de sa sottise énorme

D'un geste d'Amphion créant le mur Thébain,

Et qui, du premier jet, file plus haut qu'un pin,

Et qui, du premier bond, sort plus touffu qu'un orme.

Sans fin il joue, il joue; — et sans parler de lui, Bien que parfois dans l'air qui triomphant éclate, Ainsi qu'un rinceau gris sur un fond écarlate, Se lamentent des traits pleins de spleen et d'ennui.


MUSIQUE DE JARDIN 185

Le texte inconscient que son jeu s'approprie, La Femme indifférente, au contour Argien, S'entend dire parfois en taquinant son chien : « Madame, seriez-vous point lasse, je vous prie? »

Car il est plein de tact, de ponctualité, De goût, de courtoisie et d'aisance parfaite; On dirait un dandy qui serait un prophète; Quelque chose comme un Amos de qualité.

Si parfois un pétale offense de sa ride La délicate peau de la divinité, D'un geste, des claviers, une seconde ôté, Il en sauve aussitôt la femelle Smindride *.

De l'office inouï que célèbre l'Amant, D'ailleurs elle ne semble aucunement surprise; Et de l'aube déjà la pellicule grise S'appâlit sur l'azur vidé du firmament

Et cependant il joue, il joue, il joue encor; — Nuit blanche des pinsons, des geais et des linottes ; Très calme, et sans jamais faire de fausses notes; Très correct et très strict en l'étrange décor.

Et sous le son moqueur, ou qui la divinise, La Belle est toujours là sur ses habits royaux, Muette et nue, aux sons des orgues, aux tuyaux Qu'un rang d'arbres au loin multiplie, infinise...

* Nom du Sybarite qu'offensait le pli d'un pétale de rose.


186 LES HORTENSIAS BLEUS

LXXXIV

JUCUNDA JOCONDA

Après quatre ans d'efforts que secondaient les farces Des bouffons, la gaîté des musiques éparses Dans l'atelier, pour faire éclore constamment Au-devant des pinceaux du Vinci, peintre-amant, Cette expression-sphinx, aussi mystérieuse Qu'énigmatique, mi-rieuse et sérieuse; Enfin Leonardo vous immobilisa O versatilité de la Monna Lisa.


ORACLE 187

LXXXV

ORACLE

Dans le pré nébuleux des anémones pâles, La Vierge pompéienne aux sens à peine éclos Glisse, et sent à ses pieds en des frissons d'opales La moisson violette onder comme des flots.

Sur ce firmament vert l'étoile lilassée

Pullule, cependant qu'un soleil un peu mol

Luit aux cieux de turquoise, et, troupe un peu lassée,

Fait s'assembler là-bas, sous le bleu parasol

Des pins, la théorie aux sveltesses d'amphores Qui peuple le vallon de blanches canéphores, Au front illuminé de paniers éclatants.

Et la Vierge que tant d'azur émotionne, L'anémone à la main, pensive, questionne Une petite fleur sur tout ce grand printemps.


188 LES HORTENSIAS BLEUS

LXXXVI

BALNEA

Sur le rare décor pompéien de l'étuve Aux murs de mosaïque, un mois de Sextilis Lourd, écoeuré, torride, engourdissant, Vésuve De touffeurs, a groupé dans ses marbres polis

Deux femmes. Pédisèque en proie au tendre effluve

Soporifique de maints calices pâlis,

A la surface, au ras de terre, d'une cuve

Où sa compagne meut ses gestes amollis,

L'une sommeille. L'autre, éclaboussant le cuivre

Du sol ou son profil est reflété, s'enivre

Du flocon parfumé que, de ses cheveux roux,

La rose pleut sur l'onde où luit, parmi des trous, Entre les fleurs, l'éclat de la chair où s'étale L'eau caressante, avec des baisers de pétale.


PLAFOND 189

LXXXVII

PLAFOND

Sur un fond de ciel d'un bleu pâle, Eros découpe Sa silhouette blonde. Un char, comme une coupe De cristal, où l'on voit la chair rose au travers, Le porte aux coeurs d'avance à ses traits entr'ouverts ; Avec, pour roucoulant quadrige de coursières, Et, dans le poudroiement du soleil, pour poussières, Des colombes, ayant ceci, dans leur réseau, De bizarre, qu'on les contemple à vol d'oiseau.


190 LES HORTENSIAS BLEUS

LXXXVIII

LONGUS

Sous un ciel d'un bleu rose, à travers l'interstice Du pêcher corallin qui met aux carreaux l'air, Diaphanéité matutineuse, clair De l'aube, enveloppée atmosphère et factice ;

A travers l'ambiance aurorale que tisse Un crêpe vaporeux, que paillette un éclair De source, enrubannant l'herbe qui vient boucler Sur l'onde où le paysage se rapetisse ;

Chastes, l'âme et le corps imbus d'un reflet pur, Avec, aux cieux, et dans le coeur, ce double azur Le jour qui point, l'espoir qui naît, orient double;

Parmi le crépuscule à mesure vermeil,

Chloé, Daphnis, muets, adorent, pleins de trouble,

Le lever de l'amour et celui du soleil!


LE CIEL EST TREILLAGE... 191

LXXXIX

Le ciel est treillage dû carrelage fin

D'un pommier tout en fleurs; et le jardin divin

S'éveille aux premiers rais bleus de l'aube rosée,

Du paysage vert, tout trempé de rosée,

Monte comme un embu de crêpe matineux

Qui tisse une tunique au couple lumineux,

Nu, chaste, pénétré de reflet et de rêve

De Daphnis, l'autre Adam, et de Chloé, l'autre Eve,

Sous le ciel qui se lève en l'étrange lueur

D'un crépuscule rose où flotte une bleueur.


192 , LES HORTENSIAS BLEUS

XC

SUCCUBE

Squammeus in spiram tractu se colligit anguis.

VIRGILE.

Sur l'éblouissement pourpre d'un lit persan Ondule une androgyne apparence de Stryge; L'étoffe qui s'enroule au corps qu'elle rédige Mêle un ruisseau de lait à ce fleuve de sang.

Insondable, ébloui, l'Être sur le passant Fixe un regard qui garde et verse du vertige; OEil de voyant, qui monte, oeil de sphinx, qui descend, Fermé sur une énigme, ouvert sur un prodige.

Pythie, évoques-tu le dieu qui te sacrait? Sphynx, l'OEdipe qui tue en trouvant le secret? Ou vampire, la nuit qui va te sonner l'heure

De mener se répandre au seuil des tombeaux lourds Cette robe d'ivoire, et dont tout ce qui pleurE Semble avoir imprégné les superbes velours.


RÉPIT 193

XCI

REPIT

Au fond du parc bleui par les ombres dont joue, Derrière le rideau des grands arbres, quelque or Du soleil couchant... rose, et rose, et rose encor, De par les gants, la jupe, et les bas, et la joue;

Hors du coupé discret qui la prit au décor Banal, du défilé coutumier, où n'échoue Aucune oeillade, et qui, pourtant, laisse une moue Sur ce joli visage, et comme un désaccord ;

Nonchalante, affadie, adorable, morose, Et lasse d'être belle, et lasse d'être rose, Elle goûte la paix d'exister, un moment,

Pour soi seule, à l'abri de l'encens indigeste, Aux pieds marmoréens d'un impassible amant, Flûteur décapité perpétuant son geste.

13


194 LES HORTENSIAS BLEUS

XCII

PINACOTHÈQUE

Un Gustave Moreau de restreinte envergure, Mais de vaste portée, et dont chaque figure Concentre un infini de rêve résorbé: Quelque chose de las, d'étrange et d'absorbé, D'auguste, de troublant, de mystique, d'arcane, Et du faire ouvragé d'un nid de salangane. BuRNe-Jones auprès; le moderne Sandro, L'Anglais Botticelli, le puîné de Moreau : Des nymphes se mirant dans une eau qu'environne La fleur qui tresse, à leur reflet, une couronne.

— Un Wats mystérieux, un délicat Whistler : Des feux dans une brume, une ombre sur la mer; Quelque chose qui semble éternel et fugace, Dont infailliblement l'oeil du bourgeois s'agace.

— Un Degas qui vieillit avec modernité, Un Forain incisif; et leur paternité :

Des danseuses, des ronds de jambes qui s'arc-boutent. Des habits noirs qui s'en amusent, ou s'en foutent,

— Un La Berge rêveur où le ciel abricot Se meurt sous un lacis de branchages, tricot D'un noir vert et ténu maillé de foliole.


PINACOTHEQUE 195

— Un Corot, vaporeuse et mystique fiole Où tournoie une ronde au voile violet.

— Un Ingres linéaire et magnifique, laid Et superbe, vainqueur de la forme cernée. Une dame à sa pose artiste discernée,

Sous son kashmir à palme et dans son acajou. Avec son éventail d'écaillé et son bijou, Son coussin, son boa, ses frisons, ses mitaines Aux contours assurés, aux nuances certaines.

— De Gérard, un portrait de femme à l'oeil bovin, A la taille infléchie ainsi qu'un lys divin,

Au blond mat de la peau sous le fin noir du crêpe,

A l'écharpe striée ainsi qu'un corps de guêpe,

Et tout entortillée ainsi jusques au bout;

Le bracelet orné de la plaque en wedgwood

Et la bague à l'index. — De Prud'hon, Joséphine

Qui dans la Malmaison se musquait et s'affine.

— Tulipes de Monet. — Pivoines de Manet.

— Un Benoir d'où la fleur de l'enfance émanait,

— Une ombre de Nittis auprès d'un reflet d'Uhde. Des roses de Fantin. De Stevens, une étude

Où l'odeur de la femme a toute pénétré Par un bout de satin dans cette toile entré.

— Un Millet recueilli — pas l'Angélus ! un autre : Une plaine où croissaient les épis, ou l'épeautre ; Où du squelette noir d'une herse au repos S'éparpille et croasse un remous de corbeaux Enrouant l'horizon de rauques caravanes...

— Une sainte Pitié de Puvis de Chavannes

Au pied' ferme, au bras fort, et qui croise ses mains Sur celles du mourant qu'elle arrache aux chemins.

— Un Pointelin qui fige un bout de crépuscule.


196 LES HORTENSIAS BLEUS

— Un dessin de Willette où Gavroche circule. Un capricant portrait du Maître Boldini

Par places, fulgurant, et, par d'autres, fini. Un enfant de Breslau, des roses de Lemaire, Un Besnard qui s'exerce à fixer la chimère. Un Lobre, en qui l'esprit des beaux appartements Semble revivre avec des mystères charmants, Et qui retrace encor, des nobles cathédrales, Les vitraux fulgurants comme des murs d'opales. Un Gandara, nom cher aux belleé Dames pâles...

— Enfin, et pour finir, un hortensia bleu Jardiné, pour ce livre, aux pelouses d'Helleu.


TEMPE 197

à PUVIS DE CHAVANNES.

XCIII

TEMPE

Je voudrais dire l'art de Puvis de Chavannes, Actuel Orcagna, moderne Gozzoli, Qui nous peint des ciels purs et des jours diaphanes Et sait d'une chlamyde harmoniser les plis.

Artiste qui transcrit l'éternel des idées En omettant leur mode et leur côté changeant, Et par qui nos laideurs un instant déridées Abdiquent le fini, sortent du contingent.

Lumières de bonheur, vertueuses vallées Qu'éclaire un astre pur chauffant sans assoiffer; Vieillesses sans hideur, vierges échevelées D'un rayon de soleil qu'elles osent coiffer.

Jeunes hommes puissants et détournés des vices Par de salubres airs et de nobles efforts ; Une nature humaine exempte de sévices, De dégradations, de tristesses, de morts.


198 LES HORTENSIAS BLEUS

Saintes dans leur azur, et nymphes dans leur gloire; Apothéose heureuse et d'où le mal s'exclut; Le mal dont la peinture exige l'ombre noire Qui toujours à ce peintre impeccable déplut.

Les hivers y sont froids et neigeux, mais sans boue; Les arbres y sont nus avec tranquillité; La loi de nature amplement s'y dénoue; Les aïeux y sont Aieux avec sérénité.

Fière panathénée, auguste théorie Dont chaque jour accroît le nombre et la beauté; OEuvre d'art sans déchet et creuset sans scorie, A qui rien par le temps ne peut qu'être ajouté.

Je salue, en ton nom, le Maître qui te crée, Et que, du fond de l'ombre où s'endorment les maux, Les lumineuses mains d'une élite sacrée Descendent couronner de visibles rameaux.


UNE MUSICIENNE 199

A Alfred STEVENS.

XCIV

UNE MUSICIENNE

Admirable tableau de Stevens : une femme,

Et puissante, et pensive, assise, s'écoutant,

Pour entendre, en son coeur, l'accent qui vibre et clame

De l'air interrompu, qu'elle achève à l'instant.

Appuyée à sa harpe, un objet Louis Seize,

Tout plein de tons mignards, de décors fignolés,

La harpe du regret, qui jamais ne s'apaise,

Lui dit des chants plus beaux, s'ils sont plus désolés.

Stevens, vous avez peint notre mélancolie

Dans cette femme énorme aux détails délicats ;

C'est sa force d'aimer sous laquelle elle plie,

Ce qu'elle a de meilleur dont on fait moins de cas.

Le soleil a doré l'écaillé de son peigne; Ses bijoux sont si lourds qu'ils l'épuisent encor ; Elle a tout ce par quoi la noble beauté règne : La splendeur de la forme en l'opulent décor.


200 LES HORTENSIAS BLEUS

De ses maternels flancs des races sont sorties; Elle eut la jouissance et la fécondité; Et, de ses souvenirs, les ardeurs amorties Ne lui lèguent que lie et qu'infélicité.

Tel l'accord qui me vient de ta page morose, Et gaie, ô panneau plein de fêtes et de pleurs, Où des larmes de sang décolorent la rose, Et dans lequel un givre a passé sur les fleurs.

Je l'écris pour ton Maître, amoureux de mes odes Qui s'en couronnent ; pour ton Maître qui le sait, Ce que son oeuvre apprête au songe des rapsodes Qui tous différemment diront ce qu'il disait.

Et le peintre, à son tour, écoute le poète;

Mais garde son secret, et son sourire aussi,

En songeant que son oeuvre est bonne et qu'il l'a faite

Pour, à tous ces chanteurs, donner tout ce souci.

Car c'est la mission de l'art, quand il est juste, D'offrir au commentaire un spectacle divers; Car, sans cesse, la strophe accompagne le buste Et Joconde sourit au murmure des vers.


MINET 201

A Stéphane MALLARME

XCV MINET

Aimable pestilence. BAUDELAIRE.

La belle Olympia de Manet dans son cadre Est un objet d'art rare, et je dirai comment ; Bizarre, étrange, avec je ne sais quoi de ladre Qui ne compose pas son moins acre piment.

Laide pour le passant, et belle pour soi-même, Ses amis, ses amants,. et ses admirateurs ; Et n'aimant se sentir aimer que par qui l'aime Et se fait un devoir de haïr les fadeurs.

Elle repousse, puis attire, puis fascine, Captive ensuite, enfin séduit; quelle noirceur, (De la noirceur du noir d'une mouche assassine) Sort de ces bruns mêlés à cette aigre blancheur?

Morceau plein de santé dans la facture libre, Et sur un thème grêle exécuté gaîment; Antithèse troublante, où l'on entend qui vibre La plainte de la vie au coeur de l'instrument.


202 LES HORTENSIAS BLEUS

La plainte du chétif, du gris, du périssable S'exprimant par le fort, le juste et le puissant; Et dont l'allégorie est dans ce grain de sable Qu'il faut au violon pour qu'il soit gémissant.

Vivez Olympia sur vos crêpes de Chine Qu'un plumetis contourne, avec, décapité, Votre chef détesté, séparé de l'échiné Par un fin velours noir maigrement débité.

Merci pour vos parfums de vinaigre maussade, Votre mule immodeste et cet ageratum Qu'une négresse, là, par le marquis de Sade Placée à vos côtés, vous offre en post-scriptum.

Avec, par ce chat noir qui se bombe et miaule, Symbolisé, l'effroi que vous inspirerez A ceux, dont, pour jamais, le mandat et le rôle Sont de ne rien entendre aux versets inspirés.


MAC-NEILLIANA 203

A James M. N. WHISTLER.

XCVI

MAC-NEILLIANA

La vision douce, et parée au mieux, Charme le regard et caresse l'âme ; C'est comme une femme, et comme une flamme, Qu'on a sous les yeux.

Elle me sourit avec l'air vainqueur

Sous son péplum flou que le pastel lame;

C'est comme une flamme, et comme une femme

Qu'on a dans le coeur.

Le joli trois, quatre et cinq, six crayons ! C'est blanc et c'est bleu, c'est lilas et rose;

Et le noir morose N'y mord que pour mieux sertir les rayons !



FORAS

SUGGESTIONS ET SUJETS



TRANSPORT 207

FORAS

XCVII

TRANSPORT

Sous le ciel d'un bleu pâle, aux nuages d'ouate Le train qui part, soufflant sa houle immédiate De flocons ténébreux, ainsi qu'un grand feuillet D'album, le paysage, en rêvant, s'effeuillait.

C'est un parc suburbain qui, d'abord, intercale

Ses verdures où vont, foule dominicale,

Des nomades bien mis, grisettes, calicots,

Que tirent de leurs trous les appâts musicaux

Quelconques, de tréteaux forains et de régates;

Ou des sonneurs de trompe, allant, bruyants Achates,

Chercher, hors des remparts, quelques recoins perdus

Pour faire retentir leurs accents défendus.

Employés casaniers qu'au bout de la semaine

Leur libération éparpille et promène,

Poussiéreux, éblouis, bêtes, béats et las,

Parmi l'écoeurement printanier des lilas ;

Coeurs plus épanouis, parce que c'est dimanche ;

Bras joyeux de sentir se poser sur leur manche

Une main aux doigts gris des absences du dé.

Et l'on part pour Chatou, Vincennes, Saint-Mandé.


208 LES HORTENSIAS BLEUS

Juifs-errants du congé, victimes de l'asphalte

Avides de reprendre à des marches sans halte

Tout ce que, de l'air pur, a volé l'établi

Que, jusqu'au lendemain, on peut mettre en oubli.

Le paysage fuit. On dirait que la pierre

Lutte avec l'arbre, On voit s'entr'ouvrir la paupière

Des enclos, des jardins, puis des champs et du parc;

Ils succèdent aux quais, aux colonnes, à l'arc,

A la rue, aux pavés, aux murs, à l'édifice;

Et la nature, enfin, rompt avec l'artifice.

Et la page, qui court plus vite, à chaque instant, Alterne, tour à tour, dans son rythme inconstant, Le rose du sainfoin et le bleu de la sauge, La mare où l'iris luit, où le canard patauge; Et gradue, à nos yeux, par ces noviciats Des faux ébéniers, des vrais acacias, Par le passage lent des toits à la verdure, Des contours estompés, après la ligne dure, Par la chaîne des bois, des prés et des étangs, Suite diatonique où chante le printemps, Et qu'un panache gris, de fumée, accompagne, L'initiation de la grande campagne.


PORTEES 209

XCVIII

PORTÉES

Dans le chemin de fer aux rouages stridents,

Qui fait un bruit de pleurs, de grincements de dents,

Mon esprit affranchi des entraves physiques

Oppose savamment aux sinistres musiques

Qu'une plainte funèbre arrache à nos wagons,

La plaine musicale aux silences féconds.

Par la portière étroite, un fil de télégraphe Règle les cieux, papier de musique; un paraphe De branches qui, naguère, offrit son parasol A présent dégarni, trace des clefs de sol Et de fa, que le site, où vibre une harmonie, Fait suivre de son lied ou de sa symphonie.

Gavotte de Lulli, Musette de Bameau,

Où l'herbe a sa partie à côté du rameau ;

La Romance du Saule auprès du Roi des Aulnes;

L'automne joue un peu de son prélude en jaunes,

Les Feuilles Mortes, valse apprise avec brio ;

Et le cyprès y mêle un oratorio.

14


210 LES HORTENSIAS BLEUS

Entre les fils de fer espacés, la mesure Se rythme, triste ou gaie, édifice ou masure. Note noire, hirondelle, ou bien blanche, ramier; Le trémolo du tremble, et l'orme et le cormier, L'étang, le pré, le mont, la forêt et la roche: Double, triple, quadruple et septantuple croche!

Puis l'onde entre ces traits aux courbes de hamac, Vient à son tour chanter la romance du Lac; Cependant qu'à la nuit, murmures et corolles, Entonnent de doux lieds, romances sans paroles Où, graduellement, on entend s'assoupir Le flot et la forêt, et silence, et soupir...


KO-TA-KY 211

A M. François COPPÉE.

XCIX

KO-TA-KY

Ko-Ta-Ky! — redis-toi les trois syllabes fées !

— Sens-tu du coeur des bois de Saint-Cloud, des bouffées

De friture, évoquer le petit Japonais

Qui, tant de fois, pour nous, tourna ses moulinets?

Le revois-tu, debout, sautelant sur ses pattes.

Ses palettes en main, comme Arlequin ses battes;

Comme lui, carrelé, pimpant, bariolé,

Dans ses robes, par où l'on est affriolé.

Et qui font qu'alentour, toute baraque chôme?

Le petit Japonais sous ses crêpes de chrome,

D'indigo, d'incarnat, de vert, de vermillon,

Palpitant sous l'auvent comme un émérillon

Par la légèreté des japonaiseries...

Je le verrai toujours au fond des songeries.

Magot évaporé de l'élégant décor

D'une potiche, en lui, moulant sa forme encor;

Oisillon échappé d'un fol plateau de laque

Dont l'or aventurine en sa jupe se plaque;

Fleur reprise au revers d'un fuyant éventail

Dont, sur lui, le printemps, entr'ouvre son vantail.

C'est tout et ce n'est rien ; une gentille chose


212 LES HORTENSIAS BLEUS

Vivante, rutilante, et sautillante, et rose;

Qui bougeait, qui marchait, qui courait, qui volait

Sur le décor élu de son joli volet.

On jouait, on gagnait sa babiole : un cadre,

Un brinborion, un rien, mais un rien jamais ladre,

Ruisselant de clartés pour ses quatre ou cinq sous,

Soleil devant, derrière, et dessus, et dessous!

— Et d'ailleurs, qu'importait?— Kotaky, dieu du jaune.

Du violet, du bleu, du rouge, dans sa zone

Arcencielée, allait et venait sous nos yeux

Comme un beau papillon pris entre terre et cieux.

Au-dessous, dans la nuit de l'ombre inférieure,

Une femme robuste aux rondeurs de prieure,

Ainsi qu'une chouette auprès d'un roitelet,

Sur notre clientèle, alerte, s'attelait.

Allemande... qui sait? — Sa femme?... bonne femme.

Madame Kotaky; rien en elle d'infâme ;

Du sérieux faisant effort pour rigoler.

Repoussoir qu'on s'étonne à voir, de près, frôler

L'insecte bigarré, vivant pantin bizarre

Grâce auquel une foule, et, là jamais bagarre,

Garantit la recette, assure le succès.

Et c'est ainsi sur le territoire français

Partout où se déroule une foire notable,

Non foire du commun, mais foire respectable :

A Saint-Cloud, à Versaille, où le bourgeois-Soleil

Visite assidûment l'éventaire vermeil.


KO-TA-KY 213

Madame Kotaky reconnaît la pratique ;

On prise sa tenue, et sa bure authentique,

Près des atours versicolores du mari

Dont le satin jamais n'implique un ton marri;

Flambant porte-manteau, décrochez-moi-ça d'ailes,

Garde-robe d'amour où les iris fidèles,

Les tulipes de feu, les pivoines de sang

Déroulent à jamais leur cycle éblouissant;

Gnome-feu-d'artifice, homme-fioriture,

Vivante mosaïque et dansante peinture

De gerbes et de nids, de plantes, d'animaux,

Kaolin, par l'épaule ; et, par le ventre, émaux !

« Ne cherchez pas, Messieurs, c'est trouvé !» — l'étonnante Intonation haute, et pimpante et tonnante Dont nous réjouissait Madame Kotaky Ne sonnait pas hier, au chant de foire qui Me semblait obscurci, désemparé, farouche. Mais l'éventaire éclot soudain, comme une bouche Rieuse, plein de fruits peints sur des parasols, Kakémonos d'un sou sur foukousas d'un sol. Epanouissements comme de cent colombes Dont le duvet rosé ne pleut pas sur des tombes. — « Madame Kotaky ! » — mais j'admire son jais, Son noir... son crêpe... hélas! — Ayez donc des sujets Peints sur vos robes d'or, d'ambre, de cornaline! Cela n'empêche pas une fièvre maligne De tordre votre cou fleuronné de bouquets! Cela ne fait qu'un mort plus gentiment coquet,


214 LES HORTENSIAS BLEUS

Comme un oiseau défunt, dont d'autres oiseaux suivent Le convoi diapré sur des écrans qui vivent. Eh! oui... c'était ainsi : veuve de ce moineau! La grosse femme est là, convenable, l'anneau A l'annulaire, l'ombre en toute sa toilette.

— Et je songe tout bas à ce menu squelette, Enseveli sans doute en un fol falbala

Dans la boîte à joujoux de son ancien gala.

— « C'est dur... est-il possible... une fièvre maligne,

En trois jours... le pauvre homme...il faut qu'on se résigne...

Les affaires ?... » — « Hélas! ce n'est plus comme avant. »

(Ce papillon qui papillotait sous l'auvent

Alléchait les regards, les âmes et les bourses...)

— «Beaucoup moins de profits, et beaucoup plus de courses. »

Un silence, un malaise; un : « peut-être on pourrait,

Pour l'Exposition, trouver un homme prêt

— Bien que ce ne soit pas, certes ! la même chose ! A remplir, et ce rôle et cette robe rose,

Dont à nouveau l'allure achalande le seuil... »

« — Oui, monsieur... mais je suis encore trop en deuil! »

Il faudrait finir là. Se peut-il qu'on explique Un pareil mot, désopilant, mélancolique, Tel que fut celui-là posé sur le milieu De ce volant feuillet d'Empire du Milieu, Plein de magots lippus s'esclaffant sur la tasse Du rire impérieux qui s'impose et s'entasse, Sous le pétale en flamme et les jets de couleurs Irrémissiblement hostiles aux douleurs :


KO-TA-KY 215

La patronne-matrone, exagérément noble Allongeant le fermage, étirant le vignoble, En ce noir marital, aux charbonneux agrès Qui tracent sur son sein souvenirs et regrets ? Non. — A bon entendeur, salut! — et cette note Qui part après la glose, est-elle une linotte Echappée au rebord d'un kirimon exquis Pour chanter en pleurant le sort des Ko-Ta-Kys?

Perroquets en carton qui dans leurs anneaux pendent. Fléchettes de bambou qui sur leurs arcs se bandent, Prorogation vaine à ce décor rêvé... — Ne cherchez pas, Messieurs, Mesdames, c'est trouvé.


216 LES HORTENSIAS BLEUS

A M. Pierre LOTI.

C

RUINEE

Ce n'était pas loin d'ici.

Dans Issy, Une adorable ruine Où se réjouissait Juin

D'être loin De Novembre qui bruine.

Juin par lequel fut rempli

Ce repli De la bonbonnière morte, De ciguë et de chardon,

En pur don, A plein cintre et pleine porte

Tout alentour, des sureaux

Aux carreaux Absents heurtaient de leurs branches : Et l'on eût dit, des chemins,

Que des mains Y montraient leurs paumes blanches.


RUINEE 217

Nous admirions, du dehors.

D'anciens ors Demeurés sur les corniches ; Des frises, des chapiteaux,

Des linteaux, Des culs-de-lampes, des niches.

Et tout cela si joli,

Si poli, Si plein de l'air de Versailles, Que l'on eût dit un gala

Où balla Une pavane en broussailles.

Ici la salle de bain ;

Saint-Gobain Naguère y polit sa glace; On y glisse dans un trou.

Du Rotrou Se lisait à cette place.

Des bas-reliefs dépouillés,

Et fouillés, Au-dessus des cheminées Pleines des feux embrumés,

Embaumés De cent mille graminées.


218 LES HORTENSIAS BLEUS

Bibliothèque, salons

Faits vallons Par l'invasion des plantes ; Péristyles et parvis,

Plus gravis Que par les mousses dolentes.

Balustrades et balcons

Aux flacons Des roses folles en proie, Qui prodiguent leurs parfums

Aux défunts Edifices que l'air broie.

Les marches des escaliers

Aux souliers Des reines habituées; Perrons qui ne seront plus

Descendus Que par l'ombre des nuées.

O charmeuse vétusté !

Attesté Soit ici ton rare baume Plus longtemps que les sureaux

Aux barreaux N'ont heurté leur blanche paume !


CHAMBRE D'AMIS 219

CI

CHAMBRE D'AMIS

Dans la chambre, où des fronts pâlissent au pourtour, Un lit grand comme une île et haut comme une tour, Dont, complaisante nuit, d'intraitables courtines Imposent au jour dur de soyeuses sourdines. Une profusion de rubis, de lapis, Diapré de bleuet et de rose un tapis Où court le désarroi des fauteuils bleu de Sèvres. Des portraits, le mépris ou le sourire aux lèvres, Regardent au dehors les arbres, un par un, Gravir la côte, ainsi que des moines en brun. Ce prêtre tonsuré que son capuce enfielle Considère un Rousseau, peint en joueur de vielle; Berthold Schwartz n'a pas plus l'air d'avoir inventé La poudre, que Pétrarque, auprès, d'avoir chanté; Et l'oeil de ce Benoit Quatorze n'émeut guère Victoire Colonna, marouise de Pescaire.


220 LES HORTENSIAS BLEUS

Au Marquis de BIENCOURT.

en

Un portrait, au château d'Azay, dans son costume Du Quinzième, nous montre un homme, jeune encor, Sous de riches habits, et seul, dans un décor Quelconque; monument étrange d'amertume.

Sa bouche se contracte en un excessif pli De souffrance que l'âge a faite habituelle ; De douleur résolue, et presque rituelle, De résignation, sous un sort accompli.

Le cristallin des yeux est vernissé de larmes, Prêtes à se répandre et qui tardent toujours; Cet homme a consumé la moitié de ses jours Pleurant l'autre moitié qui, seule, avait des charmes.

Sa droite réunit maint symbolique brin De fleurettes ; pensée, anémone, ancolie ; Mystérieux bouquet de sa mélancolie, Rue ou myosotis, aster et romarin.


UN PORTRAIT, AU CHATEAU D'AZAY... 221

De l'autre il tient levé comme une creuse hostie L'anneau du veuf, alliance dont il ne peut Désenchaîner son coeur. Et la haute partie Du tableau porte sa devise : Souffrir veut!


222 LES HORTENSIAS BLEUS

CIII

Les tours du beau Castel sont noblement coiffées

De panaches de fer découpé, dentelé;

Maint chevalier armé, cuirassé, constellé

Des rayons du soleil, y joue en des fleurs fées.

Or un oiseau de proie, et qui fond sur un nid, Se mêlant à leurs jeux, couronne un de ces faîtes ; Mais la main de l'artiste élu qui le finit Etait celle d'un maître ignorant des défaites.

Car, un jour qu'un orage avait endommagé Ce faîtage, on grimpa pour réparer la chose; Et l'ouvrier sourit de voir, comme une rose, Sommeillant dans ce nid, un enfant ouvragé

A miracle, et distant de l'humaine prunelle; Objet d'art que l'auteur se plut à ciseler Pour l'oeil seul des oiseaux et des anges dont l'aile Frôle ce doux Moïse altier, sauvé de l'air !


MONOCEROS 223

Aux Châtelains de Verteuil.

CIV

MONOCEROS

Aristote, Oppien, Elien, Philostorge, Onésicrite, Pline, Hérodote, Strabon Nous ont, de la Licorne, appris, mauvais ou bon, Ce que l'Antiquité sur sa blancheur se forge.

La candeur, de ses moeurs, la splendeur de sa gorge,

Sa corne où l'on boit pur le vin de Chalibon,

Et la Vierge qui, seule, en pudique jupon.

La eapte en lui tendant du laitage ou de l'orge.

La légende sur elle est prodigue à foison;

Et, les eaux d'une source, en sûr contre-poison,

La Licorne les change en y trempant sa corne.

Mieux que, même Cluny, son séjour est Verteuil!

Je lui menais guérir mon plaisir et mon deuil.

Des deux, celui qu'on croit, n'es-il pas le moins morne?


224 LES HORTENSIAS BLEUS

A un Chasseur.

CV

VENATIO

Vous nous avez fait voir les miracles du tir, Le prestige des bois, l'ardeur de la battue; L'air obscurci d'oiseaux qu'avec grâce l'on tue, Et qui mettent en croix leurs ailes pour partir.

J'ai vu le faisan roux, admirable martyr Qui, si docilement, à mourir s'habitue; Et tout ce dont la chasse experte s'évertue Pour varier, charmer, enseigner, divertir.

Un feuillage à la main, bruns sous leurs blanches blouses, J'ai vu cent rabatteurs, dont tremblent les épouses; La forêt de Birnam en eux marchait encor.

Et, moi qui n'ai jamais rien chassé que les rimes, Je me suis réjoui de ces merveilleux crimes Qui font saigner l'azur, avec des plumes d'or!


COURRE 225

CVI

COURRE*

Or, ils sont endormis en rond sur le tapis; Et, parmi les rinceaux de rubis, de lapis, Sursautent à des bruits qui sous leur front s'achèvent...

— Quand ils ne chassent plus, les vieux lévriers rêvent.

Ce sont des horizons parcourus, des vitesses Vertigineuses; — des pays, sous leurs sveltesses, Tout entiers écoulés en l'effort de trois bonds ; Une mémoire — ainsi que des bulles qui crèvent. Des jours de la jeunesse élastiques et bons...

— Quand ils ne chassent plus, les vieux lévriers rêvent.

De la rapidité toujours, et de l'espace

Dévoré; — la campagne invisible qui passe

Sous la souplesse fine et leste des jarrets:

Des astres languissants et des feux qui se lèvent,

Aux deux bouts d'une course ardente et sans arrêts...

— Quand ils ne chassent plus, les vieux lévriers rêvent.

* Cette pièce est variée sur un texte du Prince de Ligne modifié sous celte forme par Barbey d'Aurévilly le citant de mémoire : « Quand ils ne chassent plus, les vieux lévriers rêvent. »

15


226 LES HORTENSIAS BLEUS

Du soleil qui se lève au soleil qui se couche, Des ivresses de vivre et de fendre une couche D'air qu'embaument tantôt les menthes et le thym; Une vélocité qu'aucuns soucis ne grèvent, Des pervenches du soir aux roses du matin...

— Quand ils ne chassent plus, les vieux lévriers rêvent.

Le printemps et sa fleur-étoile blanche et rose; L'été que la moisson de messidor arrose; L'automne aux feuilles d'or, qui deviennent de sang, Et que des tourbillons de vent tiède soulèvent ; L'hiver, et son linceul de neige qui descend...

— Quand ils ne chassent plus, les vieux lévriers rêvent.

Les amours, — les départs à deux sous le nocturne Que la lune aux flots bleus épanche de son urne; Les ébats prolongés jusqu'aux chants matineux, Et les retours, et les chutes qui se relèvent, Parmi les clairs abois des cous libres de noeuds...

— Quand ils ne chassent plus, les vieux lévriers rêvent.

Et tout cela renaît sous les fleurs du tapis

Où parmi les rinceaux de rubis, de lapis,

Ils sursautent aux bruits qui sous leur front s'achèvent...

— Quand ils ne chassent plus, les vieux lévriers rêvent.


TAMA 227

CVII

TAMA

Tama, le job chien Japonais et soyeux, Est rayé noir et blanc tel qu'un chien d'essuie-plume ; Son poil est si brillant qu'on dirait de la plume ; C'est un Grand-Seigneur-Chien dont on sait les aïeux.

Tout l'Extrême-Orient reluit dans ses gros yeux De Chimère, au parvis d'un temple ou d'un volume ; Sa gaieté tour à tour s'endort ou se rallume En allongements doux après les bonds joyeux.

Il s'appelle Tama : ville de magots pleine; Sa race y luit, portraiturée en porcelaine; Ou, dans l'or des coussins, s'y brode sur fond bleu.

Mais, lui, pour que jamais sa mémoire ne cesse, Dans vos yeux qu'il aimait, et qu'il pleure, Princesse, A l'eau forte il s'est fait buriner par Helleu.



STÈLES ET CIPPES

OFFRANDES



NIX ET NOX 231

STÈLES ET CIPPES Trois Sonnets pour une Dame.

CVIII

NIX ET NOX

Vos cheveux sont la Nuit, la Neige est votre front; Toujours ce blanc névé pâlit sous ce nocturne; Toujours ce noir nuage alimente cette urne D'ivoire, dont le flot de jais ne s'interrompt.

Au troëne, au muguet votre chair fait affront; L'étoile du jasmin près d'elle est taciturne ; Toute l'obscurité du signe de Saturne Coiffe cette candeur que les lys envieront.

La Foi tordrait sa croix, l'Espérance son ancre, La Charité son coeur, bien avant que cette encre Ne se mêle à ce lait qui nous charme et nous nuit.

Et nous, spectateurs fous ou sages que nous sommes, Nous quittons le manger, et le boire, et les sommes Pour voir ce beau combat de la Neige et la Nuit!


232 LES HORTENSIAS BLEUS

CIX

EXSULES

Un des contemplatifs de votre élu mystère Reprochait à mes vers d'avoir omis vos yeux; Vos regards éloquents, bien que silencieux Et qui font au rêveur s'écrier : terre ! terre !

Terre promise, où croît le fruit délicieux. Du bien vivifiant et du mal délétère ; Fruit défendu dont le suc brûle et désaltère, Terre promise qui n'est autre que les cieux.

Je dirai donc : deux puits d'abîme et de désastres, Où tentent vainement de se mirer les astres, L'onde étant trop profonde et trop touffus les cils ;

Mais où glissent parfois, en des flammes étranges. Les merveilleux reflets de sombres mauvais anges, A qui ces yeux si beaux servent de noirs exils !


LES DEUX ANGES 233

GX

LES DEUX ANGES

Deux Anges sont en vous, l'un noir, et l'autre blanc. Le second, tout douceur, toute grâce, tout charme ; Toujours prêt à répandre, ou sécher une larme; Du moindre de nos maux s'attristant, et tremblant.

L'autre, terrible et dur, brandit sans cesse une arme, Combatif et superbe, injuste et violent ; Se complaît au supplice épouvantable, ou lent ; Se réjouit du deuil, du meurtre et de l'alarme.

Ces Anges en votre Être ont élu leur séjour ;

Vous êtes le théâtre ailé de leur amour

Et de leur haine; en vous, alterne leur allure.

Chacun d'eux est visible ensemble, et tour à tour : Le blanc, pour domicile, a la pâle encolure; Et le noir se déroule avec la chevelure!


234 LES HORTENSIAS BLEUS

A une Parente, oubliée.

CXI

Ce serait un penser plein de mélancolie D'avoir, parmi les siens, pu compter la Vénus, Que des événements contraires survenus Placèrent, sur son socle, au Louvre, qui la lie.

Telle mésaventure ou pareille folie N'ont point, de ma famille, écarté vos bras nus O vous qui possédez les attraits inconnus Même à cette beauté devant laquelle on plie.

Vous êtes ma parente, et fille de Milo, O vous dont une grâce ajoute son halo A la fierté des traits, à la splendeur des formes.

Et vos purs mouvements, amples sans être énormes, Montrent sous des aspects nobles, calmes, élus, Ces magnifiques bras que votre soeur n'a plus!


PALPEBRAE 235

A une autre Dame.

CXII

PALPEBRAE

Vous êtes un printemps de Botticelli, neuf; Vous êtes sa Vénus, jeune et modernisée. La jupe en fleurs de l'une est un peu bien usée ; L'autre, doit, aujourd'hui, savoir jouer l'éteuf.

La perle vous siérait, au toquet Charles-Neuf,

Sur les lacs d'un velours grenat, infinisée;

Ou la robe à paniers de nuance anisée

Pour voir passer un Roi quelconque, à l'OEil-de-boeuf.

Votre parler est doux et votre voix est grave ;

Vos cheveux sont ornés, quand vous vous faites brave

Comme on disait jadis, dans le temps des Baïfs.

Et vos yeux, frissonnants comme sous une gaze, Grisés d'un fin sourire ou noyés d'une extase Semblent deux papillons palpitants et captifs.


236 LES HORTENSIAS BLEUS

A Sarah BERNRARDT.

CXIII

MELPOMÈNE

Je voudrais, pour vous dire, un luth qui fut buccin, Car il y faut douceur, et force, mélangées ; Car vos colères sont de caresses frangées, Rugissement d'hyène ou murmure d'essaim.

Tour à tour DoSa Sol tressaillant au tocsin, Cléopâtre sous ses turquoises par rangées ; Gismonda, la superbe, au bandeau d'hydrangées ; Izeyl, la charmeuse, au collier de succin.

Toutes, lady Macbeth, Froufrou, Fédora, Phèdre, La Reine sous son dais, l'Indienne sous son cèdre, Toujours Celle qui fut, et demeure et sera

Tous ces mythes, Tosca, Marguerite, Ophélie, Andromaque, Adrienne, Alcmène, Cordélie, C'est Elle, l'innombrable, et l'unique Sara!


DIADEMES ET DRAPERIES 237

A une Comédienne.

CXIV

DIADÈMES ET DRAPERIES

Que vous soyez hier, Denise, Bérénice, Antigone, demain; aujourd'hui Francillon; Toujours nous Arous suivons au magique sillon Que, dans l'art lumineux, saint Apollo bénisse.

Sous la laine aux plis droits, comme la Stratonice, Ou sous la gaze bleue, aile de papillon, L'ardeur de votre flamme au reflet vermillon S'unit au charme fin d'une rose de Nice. .

Et, j'y songe, en voyant les plis souples et blancs. Comme un fleuve de lait coudre au long de vos, flancs, Un manteau de douceur à vos poses chéries.

Et, j'y rêve, en Aboyant les plumes de l'oiseau

De Junon azurer leur superbe réseau,

Sur votre front, qui fait la roue en pierreries.


238 LES HORTENSIAS BLEUS

A une autre Comédienne.

CXV

THALIE

Suzanne, l'Ami Fritz vous transforme en Suzel, Et le Bonjour Suzon! de Musset vous appelle. Vous dire adieu, c'est bien plus triste, en la chapelle Funéraire de Perdican, fol damoisel.

Dans Molière on vous voit Agnès; mais dans Axel Vous auriez de Sara l'éloquence rebelle; Car, sachant tour à tour être jolie ou belle Vous pouvez dispenser l'absinthe, après le sel.

Banville qui sait bien vos pouvoirs vous veut celle Qui soit la Fée — et que, sur vous, sans fin ruisselle, Avec vos cheveux d'or, son rythme fraternel.

Mais, moi, qui vous connais aussi, je vous vois telle Que dans le souvenir luit la grâce éternelle De la divine Mars au sourire immortel!


MADRIGAL 239

A la Duchesse GRAZIOLI.

CXVI

MADRIGAL

Nous vous avons parlé de la beauté, Madame, De son ressort suprême, âcre ou délicieux; Des cités qu'elle érige et des murs qu'elle entame, De son pouvoir d'ouvrir ou l'enfer, ou les cieux.

Vous direz, s'il vous plaît, aux bords de l'Ausonie, Que mes vers ont un charme aux autres interdit; Ces bords vous répondront avec cette harmonie : « Je dirai qu'ils sont beaux, quand tes yeux l'auront dit. » *

Nous vous avons parlé du suave dictame

Que dispersent les traits, que distillent les yeux;

Nous vous avons parlé de la beauté, Madame...

— Mais sans répondre rien, vous l'avez dite mieux !

Vigny.


240 LES HORTENSIAS BLEUS

CXVII

OFFRANDE A EDMOND DE GONCOURT*

Goncourt, le Benvenuto Cellini de la littérature contemporaine, qui cisèle ses phrases comme l'autre cisèle les coupes et les glaives,

CLADEL.

Les paons blancs réveillés par la Faustin qui rêve Glissent en notre esprit avec moins de douceurs, Que la grâce de vos héroïnes, sans trêve, Maître : Marthe, Renée et Manette, et leurs soeurs.

Les paons blancs évoqués par la Faustin qui songe, N'est-ce pas, doux oiseaux sous leur plume en linon, Henriette qui meurt de son chaste mensonge, Blanche qui meurt plus blanche encore que son noni?

Les sons d'orgue filtrant à travers la muraille

Dans une nuit d'amour que narre la Faustin,

Sont leurs chants doux ou forts dont notre coeur tressaille,

Et que ne fera taire aucun cri du matin.

Vers récités par Sarah Bernhardt chez Madame Charpentier, à l'occasion du banquet offert à M. de Goncourt en 1895.


OFFRANDE A EDMOND DE GONCOURT 241

Les heures qui tintaient sous son voile en dentelle Jeté sur la pendule, un'autre soir d'amour, Sont celles dont pour vous le futur se constelle, Plus sonores et plus suaves, jour à jour.

Car vous êtes Celui qui n'a pris de la gloire Que le plus pur laurier; et qui n'a rien voulu Que le triomphe d'une incessante victoire D'être toujours plus cher, plus écouté, mieux lu.

Dans le loisir choisi d'une docte retraite, Parmi vos objets d'art, vos laques précieux, Vous goûtez Arotre vie admirable et discrète Entre la fleur du rêve et les astres des cieux.

Sage auquel nous devons la Maison d'un Artiste, Qui nous dit le Japon mieux que nul voyageur, Sans l'avoir jamais vu! —' Qui, de nous, venu triste, N'a quitté votre seuil, moins âpre et plus songeur?

La maison de Socrate est, pour vous, bien étroite S'il y faut loger ceux à qui vous fûtes doux; Qui d'un exemple élu de conscience droite Ont conçu l'ardent voeu de vivre ainsi que vous,

Dans un chemin d'honneur, de beauté probe et pure, Et d'amour, répandus en des livres exquis Et profonds, dont le sens reluit sous la guipure De maints termes, par vous, sur l'avenir, conquis.

16


242 LES HORTENSIAS BLEUS

Michelet délicat, résurrectionniste De l'histoire aux mots fins, au gracieux détail, Et qui faites parler chaque objet qui persiste : Un meuble, un dé de Saxe, un vase, un éventail.

Témoins d'un passé mort qui vous disent leurs charmes Défunts, et leurs secrets, d'un ton de sphinx léger, Dont notre piété va recueillant les larmes D'où- la vérité haute a su se dégager.

Car c'est moins le fait froid et lourd qui vous occupe, Mille fois ressassé, jugé sans nul appel, Que cet enseignement qui sort d'un pli de jupe. Déduit d'un trait plus net que le trait d'un scalpel.

Le fichu de fin lin de Marie-Antoinette, Le bouquet Pompadour, le rose du Barry, Vous aident à tirer la conclusion nette D'un enseignement Arain, nébuleux ou flétri.

Romancier merveilleux, votre tâche est plus grande Encore ; des premiers, conquérants du réel, Il faut que le Adeux champ des semailles Arous rende Un suc plus saArourèux et plus artériel.

Plus subtile est, en vous, la comédie humaine;

Et, sur votre théâtre aux décors suggestifs,

Votre observation aiguisée en promène

Les acteurs plus neveux, plus souples, moins fictifs.


OFFRANDE A EDMOND DE GONCOURT 243

Soeur Philomène, sous sa guimpe en modestie ; Madame Gervais la folle du Saint-Lieu, Râlante sur le pas de cette sacristie Vaste : le Vatican, aux pieds du Pape-Dieu!

Et la pauvre Elisa, la morte de silence; Et la rare Chérie, au beau destin mort-né; Elle, qui du faisceau de vos filles s'élance Comme un lys amoureux, délectable et fané.

Et ce Gianni penché sur ce Nello qui pleure...

O le plus émouvant et douloureux anneau

Du scintillant collier de votre oeuvre, est-ce un leurre

D'y lire un autre nom des frères Zemganno?

De voir en ce Nello, Celui qui, du ciel même, Aujourd'hui nous assiste, et qui daigne cueillir, Son brin de notre gerbe ; et qui sait bien qu'on l'aime En vous aimant d'un coeur qui ne sait point faillir,

Nous lui tendons sa part de roses et de palmes ; Mais gardons-en assez, Maître auguste et chéri, Pour enchaîner longtemps vos ans soyeux et calmes, D'un lien parfumé, sensitif et fleuri!

22 Février 1895.


244 LES HORTENSIAS BLEUS

CXVIII

DE VERLANA

Verlaine, paysage obnubilé de roses, Cythère avec Watteau, Paris avec Cypris: Des quantités d'amants incompris et surpris, En des falbalas bleus, semés d'affiquets roses.

Des éventails, des nez retroussés et des poses; Des jeux d'escarpolette, et des pleurs, et des ris, De Damis pour Eglé, de Damon pour Chloris, Qui se disent, se font, de mirifiques choses.

Et puis les anges bleus, blonds, roses, à leur tour ; Tous les saints de Sagesse, éclos des vers d'Amour, Comme un pur papillon, d'une autre chrysalide.

Toute la mascarade exquise qui s'élide En la procession des bienheureux exquis Gardant un peu de musc â leur vol reconquis.


BUFFA-SERIA 245

CXIX

BUFFA-SERIA

Mezzetin, qu'avez-vous pensé De la mort de votre doux chantre ? Arlequin, avez-vous dansé Depuis ? Non. Colombine rentre

Son sourire. Isabelle est là Pensive et pantoise. Beltrame, Scaramouche et Pulcinella Se savent atteints dans leur trame.

Pantalon près de Trivelin Sent son coeur de marionnette Se gonfler d'ennui, sous le lin, Et répand une larme honnête.

Et les anges évaporés Du recueil tout bleu de Sagesse, Par les espaces azurés, Fêtent la gentille largesse


246 LES HORTENSIAS BLEUS

De Celui qui les a mêlés.

Si tendrement, aux Cydalises,

Et les Gabriels aux Eglés,

Dans les choeurs de ses deux églises ;

Et par le doux, et double effet, D'une nef de baladins pleine, Portent au Seigneur satisfait L'âme Watteau de saint Verlaine.


IV

CHAMBRE OBSCURE

Hommes et femmes affligés chantants et dansants.

MOLIERE.



ALMA PARENS

Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.

VIGNY.



DONNANT, DONNANT 251

ALMAPARENS

CXX DONNANT, DONNANT

La Nature, Mère Aime aux mamelles géantes, Et toujours en gésine, et toujours en ferment, Par tout pays du monde, a cent bouchés béantes Pour déA'orer son fruit, perpétuellement.

La meilleure cité ne saurait être entière,

Si, dans le réseau gris qu'ourdit son monument,

L'architecte omettait le pâle cimetière

Dont la rente se paie à la chère maman.

Caveaux marmoréens, trous noirs et fosses vertes Où le regret append l'ex-voto décevant, Le croquemort pourvoit vos mâchoires ouvertes Du mort quotidien qu'exige le vivant.

Ainsi la bonne mère, insatiable ogresse,

Et toujours en gésine, et toujours en ferment,

Par un infanticide organisé, s'engraisse

Pour le labeur sans fin d'un autre enfantement.


252 LES HORTENSIAS BLEUS

Ainsi la bonne mère aux mamelles gonflées, Coquette que vieillit un fils de soixante ans, Peut, en ses cheveux verts, au feu des giroflées Mêler l'écume blanche et rose des printemps ;

Ainsi, cet éternel aliment de sa joie, Elle le veut droit, fort, intelligent et beau, Elle l'enfante, le nourrit, l'aime et le choie Pour que sa pourriture emplisse le tombeau.

Mais que l'homme penché sur le creuset morose Trouve enfin l'absolu, l'élixir tout-puissant,. La nature en courroux lui reprendra la Rose, Qu'elle n'offre à ses fils que teinte de leur sang !


MONSTRA TE ESSE MATREM 253

CXXI

MONSTRA TE ESSE MATREM

O Nature ! Nature, on devrait te haïr ! Toi qui maudis Jésus de t'ôter une proie, Et qui guettes sans fin la Fille de Jaïr Pour en faire une fleur en ton règne qui broie.

Insensible, les yeux fermés sur l'Idéal Dont nous édifions toutes nos erreurs saintes, Tu n'as que deux pensers en tête : Floréal Et Putréfaction : la Rose et les Helminthes.

Au point que l'on ne sache — à travers notre pleur Ainsi nous tâtonnons par les choses sacrées, Si, dans la pâte auguste, où tu perds et tu crées. Tu veux la fleur pour l'homme, ou l'homme pour la fleur.

La Pourriture et la Floraison : cause, effets; Ton cruel parti pris ne voit pas autre chose. Il faudrait, au printemps, trembler devant la rose En songeant aux moyens affreux dont tu la fais !


254 LES HORTENSIAS BLEUS

Et ton manège sourd, aveugle, monotone, Sous les rouages durs de l'été, de l'hiver; Dans l'engrenage fin du printemps, de l'automne. Assimile la fleur à la A"ermine : Ver!


RATELIER 255

CXXII

RATELIER

Les cimetières accrus,

En dalles de buis frangées,

Me font l'effet de rangées

De dents, pour nous manger crus.

Ces colossales mâchoires Qui fonctionnent toujours,, Me paraissent les mangeoires Où s'ingurgilent nos jours,

Notre désir, notre rêve Et tout ce qui nous est cher, Dont il n'est fait qu'une brère Bouchée, avec notre chair.

Ainsi, dans chaque sourire De la Nature aux airs gais, Nous Aboyons sans fin s'écrire Notre tour d'être mangés.


256 LES HORTENSIAS BLEUS

On tire à la courte paille Ainsi que dans le Petit Navire — et chaque fois bâille Le formidable appétit.

Aussi je les hais, Nature, Tes ris, me sentant dedans, Manducation future Des trente-deux mille dents!

Comme dame Barbe-Bleue Se trahit par une clé, Ton secret, de lieue en lieue, Se découvre, dans ton blé.

Car dans la moisson où bouge L'or des épis inégaux Goutte rouge et goutte rouge, Saignent les coquelicots.

Tel, en ta toison, fourmille, Réquisitoire vivant, Tout le sang de ta famille, De l'homme, ton cher enfant!


VIVRES 257

CXXIII

VIVRES

Je hais plus, et j'aîme à la fois Plus, la Nature maternelle, Et marâtre, depuis qu'en elle Il me semble entendre ta Aroix.

C'est peut-être que son dictame, Afin de me paraître cher, S'est élaboré de ton âme, Comme son rameau, de ta chair !

Oh! les bourgeons, les fleurs, l'écume coralline Que la sève au printemps, verse sur les pommiers, C'est la chair et le sang des morts que vous aimiez ; Le cimetière est là, debout, sur la colline.

17


258 LES HORTENSIAS BLEUS

Ils sont dans les lilas et dans les marronniers Aux bouquets flamboyants comme des girandoles; Ils sont dans les jasmins, dont les odeurs sont folles, C'est la chair, et le sang, des morts que vous aimiez !

Le vent prend le parfum sur son aile, et dans l'âme L'entre profondément, jusqu'à noyer le coeur, Puis murmure à l'oreille en un frisson vainqueur : « Oh! les amours d'hier, que ton regret réclame!..,

Elles sont dans les lis et dans les citronniers Aux calices fermés comme des cassolettes; Elles sont dans l'oeillet et dans les violettes, C'est la chair et le sang des morts que vous aimiez!


INDEMNITÉS 259

CXXIV

INDEMNITES

Les saules ont des odeurs pures Qui se répandent dans les âmes Comme de mystiques baisâmes A fermer toutes les blessures.

Le nuage a des formes grises

Qui se mélangent à nos rêves

Et qui nous font sembler plus brèves

Nos heures en proie aux traîtrises.

Les nuits ont des clartés bénies Qui se creusent devant les êtres Gomme d'harmoniques fenêtres A voir les choses infinies.

Les cieux ont des mansuétudes Qui s'infiltrent dans les idées Comme de suaves ondées A rafraîchir les solitudes.


260 LES HORTENSIAS BLEUS

Les ondes d'azur ont des moires Qui se reflètent dans les âmes Gomme de mystiques Sésames A rouvrir toutes les mémoires.

Compensations, ô Nature, Que tu dois bien à ton fils, l'Homme, Puisque lu te nourris, en somme. Mère, de ta progéniture !


CONDOLEANCES 261

CXXV

CONDOLEANCES

La frondaison est si verte Qu'on croit voir à perte, à perte De vue, un espoir vivant Qui se courbe sous le vent.

La roseraie est si rouge Qu'au loin on croît voir qui bouge, Sous la lumière du jour, L'ardeur d'un vibrant arnour.

L'eau du bleu lac est si bleue Qu'il semble voir une lieue D'éclatante pureté Ruisseler sous la clarté.

La clématite est si blanche Qu'on croirait voir qui se penche Pour répandre son odeur Sur nous, toute la candeur.



VIVES SAISONS

Le beau temps vite est passé, Les beaux jours tôt sont partis L'automne brode au passé, Le printemps au plumetis.



PANNEAUX 265

VIVES SAISONS

CXXVI

PANNEAUX

Fuyez

Dans l'air,

Oiseaux

Joyeux, Le Printemps

Flamboie...

Voyez

Doubler, Par les eaux,

Les cieux Eclatants

De joie!

Lancez Dans l'air Des chants Plus hauts, O Saisons Dorées... Laissez Rouler,


266 LES HORTENSIAS BLEUS

Dans les champs,

Les flots Des moissons

Moirées.

Dansez

Dans l'air

Des tours

Jaunis, Feuilles d'or

D'automne...

Valsez

Sur l'air Des amours

Finis Que le cor

Entonne.

Tournez

Dans l'air,

Frimas

Pâlis Que l'Hiver

Envoie...

Venez

Voiler D'un amas

De Lys Et laver

La voie.


VERNAL 267

CXXVII

VERNAL

Je vous dirai des proses Roses Et des Vrers Verts,

Où l'on flaire des pousses Douces D'embaumé . Mai ;

Où l'on puise aux calices Lisses D'un divin Vin;

Où l'on sent, sur les mousses Rousses, Arriver Ver.


268 LES HORTENSIAS BLEUS

CXXVIII

VERT-VERT

Arlequin bleu, rose, vert, Jaune, rouge, lilas, beige, A coups de boules-de-neige, Le Printemps chasse l'Hiver.

Des yeux couleur de béryl S'éveillent au bout des branches, Et les mousselines blanches Des pommiers disent Avril.

Arlequin bleu, rose, vert, Jaune, rose, lilas, beige, A coups de boules-de-neige, Le Printemps chasse l'Hiver.

Ceux qui n'ont jamais aimé Se disposent à se rendre, Et le frémissement tendre Des âmes, annonce Mai.


VERT-VERT 269

Arlequin bleu, rose, vert. Jaune, rouge, lilas, beige, A coups de boules-de-neige, Le Printemps chasse l'Hiver.


270 LES HORTENSIAS BLEUS

CXXIX

PRIMEVERE

Voici Avenir le temps des fenêtres ouvertes ; Les chênes, ces Samsons, de par ces Dalilas, Les froidures, tondus, sous leurs perruques vertes, Sentent monter la rose écume des lilas.

Voici venir cette saison que vous aimâtes ; Quand vous n'y songiez plus (les absents ont des torts), Elle force la porte aux chaudes casemates Il fait enfin un temps à mettre Avril dehors.

La brise aux amoureux prépare ses embûches ; Gomme un baiser parcourt tout le clavier de l'air, Roucoulement de fuie et murmure de ruches, C'est le Printemps, coureur de prétentaines, Ver !


ALLEGORIE 271

CXXX

ALLEGORIE

Le Printemps aux verts yeux ciliés des violettes,

Né-coiffé de coucous, Laisse s'éparpiller sur les escarpolettes

L'âge des casse-cous.

L'oeil jaune de l'Eté, Roi de gerbe et de Garbe,

Regarde avec dépits Moissonner les poils blonds de sa première barbe

Flavescente d'épis.

L'Automne qui de Juin fait jaunir la redite

Est de sexe indécis ; Et des quatre saisons semble l'Hermaphrodite

Aimé de Samalcis.

L'Hiver aux regards blancs tout sourcilleux de neige

Enchifrené de gel, Marmoréen, murmure en se mourant : que sçay-je?

Comme le vieux Michel.


272 LES HORTENSIAS BLEUS

A Madame Madeleine LEMAIRE.

CXXXI

PHYSIQUE DE L'AVENIR

L'enclos est, ce matin, paré comme une Dame; Le rose du pêcher fait penser au Japon, Et, d'un corail léger, passemente la trame De ta jupe, ô Nature, en Mars, encor jupon.

La brise, dans les parcs, fait frémir jusqu'aux bustes; Des bourgeons, plus légers qu'un flot de marabouts. Cernent le Arert naissant du chapeau des arbustes Que l'on croirait coiffés par Madame Reboux.

Tous les ajustements évoqués, de Peau d'Ane, Se préparent pour toi dans l'atelier d'Avril, Au-dessus duquel l'ombre encourageante plane De Doucet,, le suave, ou de Worth, le subtil :

Les ruches des lilas, les Allants des glycines, Garnitures mêlant les parfums aux couleurs, Et le déroulement des blanches aubépines Qui sont comme le point à l'aiguille des fleurs ;


PHYSIQUE DE L'AVENIR 273

Tout ce que l'on pourrait décrire en ces volumes Où, des grands couturiers, s'exercent les ciseaux; Et tout ce que contient l'art des fleurs et des plumes Avec ceci de plus, qu'y chantent les oiseaux.

Peut-être il te paraît que les nuances Alertes S'exagèrent un peu, dans ces réseaux, Gaïa ; C'est l'Espérance, et ces parures sont offertes A ceux que, sous l'ennui de vivre, elle égaya.

Quand aux bijoux, le lis en diamants, la rose, La perle du muguet, l'étoile du jasmin S'enroule en bracelet, comme en bague, se pose, Sur le vert de la feuille aux cinq doigts de ta main.

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MORTE SAISON

De l'arrière saison, le rayon jaune et doux. BAUDELAIRE.



PENULTIEMES 277

MORTE SAISON

CXXXII

PÉNULTIÈMES

Aux adieux, nous échauffons outre l'ordinaire l'affection envers les choses que nous abandonnons.

MONTAIGNE.

Celui qui va partir est toujours le plus triste : Le voyageur qui sait que l'absence est l'oubli ; Un Automne ignorant si la terre persiste; Un mourant incertain que le ciel soit rempli.

Puisque la Mort, hélas ! est l'Automne de l'être, Ainsi que le départ est l'Automne d'amour; Tous les trois sont au bord de la triple fenêtre Où l'espérance craint d'émigrer sans retour.

Ils ont vu s'échapper et corneille, et colombe, Au seuil du rêve, au seuil du râle et des hivers ; Et les voilà tous trois, dans la nuit de leur tombe, Attendant le retour Arague des rameaux verts.

Ils ont ATi s'envoler et colombe, et corneille, Sans savoir si l'amour quitté rouvre les yeux; Si le mort enterré dans l'ombre se réveille, Et si d'autres saisons préludent sous les cieux.


278 LES HORTENSIAS BLEUS

Car tous trois sont au bord de ce triple mystère : La foi du mot, la foi du temps, la foi du lieu; Mot du coeur, lieu du ciel et force de la terre... Quand on ne croit à rien, pourquoi se dire adieu?


MPARES 279

CXXXIII

IMPARES

La lutte est inégale entre l'homme et le chêne; L'autan, sur l'un, le jour, sur l'autre, se déchaîne: Mais, où l'un perd sa feuille, il perd, l'autre, son tronc.

La seule irrémissible est la saison charnelle : L'hiver de l'arbre est un été qui s'interrompt; L'exfoliation de l'être est éternelle.

Or la forêt n'est point Rachel ou Niobé; Et, quand un floréal autour d'elle est tombé, Elle ne pleure point sur sa fille, la feuille.

Or l'enfance n'est point l'antique Antigonè ;

Et lorsque du vieillard l'agonie a sonné,

La jeunesse s'en va vers les fleurs, et les cueille.


280 LES HORTENSIAS BLEUS

CXXXIV

DAMAE

Féerie

La feuille morte est morte... au point d'en être rose,

Violette, lilas ; Et le bois mort est mort... au point d'être morose,

Fatigué, lassé, las.

Les daims blancs sont exquis jusqu'à sembler des princes,

Qui, métamorphosés, Au même instant ont vu se changer leurs provinces,

En ces bois morts rosés.

Les daims blancs sont altiers au point d'être farouches, Et de prendre un peu peur,

Sitôt que du clavier des bois sonnent les touches, Sous le vent, ce harpeur.

Cette animalité très aristocratique,

Nabuchodonosor Aimable, à petits pas marche sous le portique

Du feuillage rose-or.


DAMAE 281

Mais son enchantement va bientôt se résoudre;

Et demain l'on pourra Voir les candides peaux tout à coup se découdre

Tout comme un vitchoura.

Ce seront des messieurs et des dames très riches,

Au sein d'un messidor, Que ces daims des bois morts rosés, et que ces biches

D'Automne, sur fond d'or,


282 LES HORTENSIAS BLEUS

CXXXV

FILLE-FEUILLE

C'est un sous-bois feuillu, comme les peint Hébert, Où, dans une atmosphère humide, d'un ton vert, S'éloigne un dos de femme, en noir, aux tresses rousses. Et dont les pas ne font aucun bruit sur les mousses.

Elle va lentement, lentement, lentement;

Elle est en deuil; elle chemine sous les arbres

Et les rigides plis de son noir vêtement

Sont sinistres et droits comme le pan des marbres

Qui vêtent le tombeau d'un souvenir aimant.

Elle est en deuil, elle s'éloigne sous les arbres.

Et la seule clarté qui vibre en ce tableau Dont la lumière est froide et triste comme l'eau, C'est l'ardeur des cheveux de la femme morose, Et le feu du sol plein de feuille morte rose.


ETOILES MORTES 283

CXXXVI

ETOILES MORTES

Le firmament a des saisons : Un Printemps d'étoile trémière, L'Eté plein d'astres par moissons, L'Hiver aux flocons de lumière.

Mais la plus belle dans les cieux Dont elle lacère les toiles, C'est l'Automne prodigieux Où se défeuillent les étoiles.

Alors le ciel semble un bois bleu Comme le bois fut un ciel vert; A la voûte s'éteint le feu Qui s'allume au chemin couvert.

Et l'astre tombe, monotone, Les branches se dépouillent, lentes; Ce sont les étoiles d'Automne, Et ce sont les feuilles filantes.


284 LES HORTENSIAS BLEUS

Elles filent de-ci, de-là

Sur l'obscurité de Décembre

Comme en nos forêts s'effeuilla

L'ombreux plafond des feuilles d'ambre.

Alors les passants de l'azur, Comme ceux des jaunes allées, Font dans les sentiers du ciel dur Des promenades désolées.


L'INSEXUELLE 285

A Georges RODENBACH.

CXXXVII

L'INSEXUELLE

L'Automne est jumeau,

L'Automne est double ;

Cuivre et chalumeau,

Il charme et trouble.

Topaze et béryl, Il se gémine;

Tout d'abord viril, Il s'effémine.

L'Automne est sanglant, L'Automne est rousse ;

L'Automne est troublant, L'Automne est douce.

L'un a la rougeur,

L'autre est neigeuse;

L'un étant vengeur,

L'autre est songeuse.


Y

286 LES HORTENSIAS BLEUS

Il cesse, odieux;

Elle, s'achève; Il est plein d'adieux,

Elle, de rêve.

Il est tout accent,

Elle est tout charmes; Il pleure du sang,

Elle, des larmes.

Les jours révolus

Vont-ils renaître?

Il dit : « jamais plus ! » Elle : « peut-être ! »

Des rêves ailés,

Et de l'étoile, S'ils sont envolés,

Qu'elle se voile,

Que restera-t-il

Dans l'âme grave, Quoi de bien subtil,

De bien suave ?


L'INSEXUELLE 287

Des amours finis,

Qu'est-ce qui tombe?,.. — Elle court aux nids;

Lui, sur la tombe.

Elle, dans les fleurs,

Lui, dans les brumes, Trouvent, l'un des pleurs ;

L'autre, des plumes,

Je vous aime et crains,

Trouble, accalmie, Automnes chagrins

Automne amie.


288 LES HORTENSIAS BLEUS

CXXXVIII

MACULE

La tache.

SHAKSPEARE.

Or ce sang qui reparaît Aux rameaux de la forêt;

Ce sang qui roule par tonne Sur la Nature, à l'Automne;

Et qui tombe, et qui tombait Sur cette lady Macbeth;

C'est le sang des pauvres hommes Qu'elle prend parmi leurs sommes,

Parmi leurs rêves, parmi Leurs prudences de fourmi,

Et leur confiance étrange ; Qu'elle emporte et qu'elle mange,


MACULE 289

Sans forme autre de procès Qu'enregistrer le décès.

Ce sang, dont le flot l'abreuve, Lui verse une beauté neuve,

Et la rajeunit encor,

En retrempant son décor

De violette et de rose, Qui nous semblerait morose

Si nous songions, en passant, Que c'est, demain, notre sang

Qui va curer l'anémie De cette antique ennemie,

Et lui couler, au hasard,

Son bain roux de vieux César!

19


290 LES HORTENSIAS BLEUS

CXXXIX

GLOSE

O Nature, c'est bien ta méchanceté grande! Ce qu'hier tu donnas, il faut qu'on te le rende Demain, et l'existence est un court usufruit. Vite il faut épuiser la lumière et le bruit; Et, comme un voyageur que la crainte harcèle De partir sans avoir tout vu, toujours en selle, Ou toujours à la barre, en son âme, enfermer Tout le vert de la terre et le bleu de la mer !

Craignez qu'on vous appelle avant la fin du livre!

Hâtez-vous d'écouter, de regarder, de vivre;

Vite au bas de la page, au détour du chemin!

Feuilletez-le, tandis qu'il est sous votre main,

Ce missel infini qui, pour enluminures,

Fait poindre et se coucher, dans l'or de ses rainures

La lumière; et, dessous, déroule, odeurs et sons,

Le poème des jours, des mois et dès saisons.

Absorbez dans vos yeux, aspirez par vos âmes,

Les contours, les rayons, les rythmes, les dictâmes,

Infinis éléments, combinés mille fois,


GLOSE 291

Qui, des couleurs, et des effluves, et des A'oix,

Ressuscitent sans fin de nouveaux paysages

Comme des traits divers font d nouveaux visages.

— Tout cela consigné, manuscrit sans pareil,

Entre des couchers et des levés de soleil!

il Ainsi que des enfants, quand la nuit est venue,

Rien que leur oeil implore, et leur main continue

A tendre vers le livre admirable et vermeil,

Trouvant dur de dormir quand on n'a pas sommeil,

Et que le tome encore enclôt entre ses marges,

Beaucoup de monts ardus et bien des fleuves larges,

Que les Princesses vont, prodigieusement,

Pour rencontrer enfin le Prince, leur amant,

Gravir ou traverser, grâce aux marraines fées

Dont le vol éparpille un parfum, par bouffées.

Craignez qu'avant le soir se fermant, le missel

Ne garde la moitié du texte universel

Dans le vierge vélin qu'entoure l'or des tranches

Dont la feuille parfois recèle, entre ses branches,

La chimère écaillée, et qui, double fermail,

A le soir de saphir, et l'aurore d'émail.

Absorbez les clartés, les chansons, les aromes

Dont la nature encadre, en son psautier, ses psaumes,

Et qui, les pénétrant, donnent au mot divin

La douceur de l'huile et la force du vin.

Car des entours ainsi le texte s'élabore;

Car des feuilles l'odeur vient qui s'en évapore;

Et, dans l'obscurité profonde des rinceaux,

Le verbe fait parfois la clarté par sursauts.


292 LES HORTENSIAS BLEUS

Ainsi l'ornemaniste et l'écrivain s'appuient; Les oiseaux quelquefois entre les lettres fuient, Et les lignes souvent s'en vont par les rameaux Dans la fraternité des formes et des mots.

Retenez, en votre âme ainsi toujours accrue,

Les plaintes des forêts, les rumeurs de la rue,

Car cette âme, au rebours des vaisseaux coutumiers,

Se mesure aux grandeurs que Arous y renfermiez.

Il sort de grands parfums des fleurs les plus petites ;'

Les étoiles des cieux, celles des clématites,

Sont des astres d'arome, et, d'autres, de clarté;

Et l'Aster s'irradie ainsi qu'une Astarté.


ECCE HOMO

Ecce Filias.

S. L.



LIBER 295

ECCE HOMO

CXL

LIBER

Vivre réside-t-il en l'acte, ou la pensée ? Lesquels — puisqu'il le faut—meurent les plus comblés : Ceux qui tout Arirent?—Ceux qui tout lurent?—Des blés, Ou des bleuets, quelle âme est le mieux dépensée?

Doit-on lier la gerbe, ou cueillir le bouquet? L'un est-il plus fécond ou, l'autre, plus fertile? Quelle récolte, dans nos mémoires, distille Un souvenir plus net du fugitif banquet?

Laquelle est l'incessante et triste Danaïde : L'âme évoquant de l'oeil? la chair touchant du doigt? Est-ce un bon nourricier que le regard qui voit? Est-ce un sûr élixir que le rêve fluide?

Esprit, l'on t'amplifie, ou l'on te rétrécit

Par la réclusion, ou bien par le voyage?

Qui profite le mieux du rapide passage,

Ceux qui firent des A-ers? — ceux qui font un récit?


296 LES HORTENSIAS BLEUS

En inventant le livre, ou pur, ou bien infâme, Ozymandias fou, sage Ozymandias, Est-il vrai qu'à nos maux, seul, tu remédias, Et l'as-tu bien nommé : le Remède de l'âme?


REX 297

An Général MANSILLA.

GXLI

REX

Sentir, au fond de soi, trembler comme une aurore Qui veut s'irradier, et ne luit qu'à demi ; Comme un jardin de fleurs de feux tout près d'éclore, Mais dont le printemps reste à jamais endormi.

Etre l'arche sans fin de son propre mystère; Attendre, comme si l'on était éternel ! Comme si l'on avait d'autre espoir que la terre ; Et vouloir s'envoler malgré le lest charnel.

Rire... comme s'il est de quoi, dans ce bas monde; Ne point pleurer des jours qui ne reviendront pas, Ses chairs qui vont mourir, sa chevelure blonde Et tout ce qui nous fuit, bien avant le trépas.

C'est l'Homme, involontaire apanage de l'hydre ; Assez distrait et vain pour savoir oublier Qu'il entend, sans retour, s'égoutter sa clepsydre, Et s'écouler le grain de son seul sablier.


298 LES HORTENSIAS BLEUS

C'est l'Homme, que pour fou l'existence démontre Puisqu'il suit avec calme, en ses frêles défis, L'heure, sur le cadran de la fragile montre Qui tient sa dernière heure, et celle de ses fils.

C'est l'Homme, que de l'Etre un seul instant déloge Qui, d'une aiguille exacte imprudent tenancier, Voit au long de ce fil tendu sur une horloge Son destin près de choir, avec son balancier.

C'est l'Homme, le jouet de la dextre divine;

Toujours mystifié, comme toujours surpris ;

Qui de sotte espérance éternelle s'avine;

Et meurt sans se connaître, et sans avoir compris!


CHAIR FRAICHE 299

CXLII

CHAIR FRAICHE

Fi du mourant usé! Fi du défunt avare Ne donnant à la Mort que l'ombre de leur moi! Ce n'est pas pour ceux-là que le flambeau s'effare Et que la tombe exulte en un sinistre émoi.

Ceux qui passent, rongés à mesure par l'heure, Froids, chauves, édentés, et morts avant la Mort, Ont volé le sépulcre; et ne sont plus qu'un leurre Que la fosse maudit, quand son rictus les mord.

Ceux qu'elle tue ainsi, la Parque les délivee, Et, sous le sol, reçoit leurs êtres sans couleurs, Comme une rose sèche aux pages d'un vieux livre Que la Terre, au Printemps, relie avec des fleurs.

Vivent les trépassés entrant au sarcophage Comme un été détruit dans son plein messidor; La Camuse dévore avec un cri sauvage Leurs corps entiers, aux dents de perle, aux cheveux d'or !


300 LES HORTENSIAS BLEUS

CXLIII

ROIS DES AULNES

Avez-vous admiré combien deux morts se suivent? Ceux que, sous leurs cercueils, les lourds couvercles rivent, Quand leur bouche et leurs yeux sont clos, et se sont tus, Ne se tiennent, hélas ! pour morts ni pour battus ; Mais, dans le groupe, encor vivant, de la famille, Elisent un enfant, gai garçon, douce fille Qu'ils appellent près d'eux, adolescents et beaux, Pour compagnon du lit glacial des tombeaux.

Alors, ainsi qu'un fruit qu'un ver détériore, Etiole, flétrit, on voit la fraîche flore Se pencher et sécher, se faner et jaunir, Sous un mal incertain et sûr : il faut venir Dans l'ombre retrouver l'Ancêtre ; il faut descendre ! Et tout ce que l'on mange a comme un goût de cendre ; Et chaque pas qu'on fait, soutiré par des mains, Semble prendre racine aux fentes des chemins.


FERMEZ CETTE CAGE... 301

CXLIV

Fermez cette cage ; leur chambre, Rien que les jours soient étouffants ; Car, au dehors, une odeur d'ambre Grise ces oiseaux, les enfants.

Comme dans les contes de fées, Ivres d'arômes et de sons, Ils suivent d'étranges bouffées Qui font oublier les maisons.

A chaque détour de la route, Ils veulent voir l'autre détour ; C'est derrière lui que, sans doute, Dort la mystérieuse tour

Qui cache on ne sait quels mensonges. — Eblouis, éperdus, ravis, Ils tendent, comme dans les songes, Vers le mythe de ce parvis.


302 LES HORTENSIAS BLEUS

Et les détours se multiplient, Et les murs n'apparaissent pas ; Et les mousses souples oublient Les faibles empreintes des pas.

Sous des conseils malins, qui leurrent, Ivres d'arômes et de sons, Ils marchent... et les mères pleurent Dans le silence des maisons.


ELLE RACONTAIT UNE HISTOIRE... 303

CXLV

Elle racontait une histoire En mourant ; elle racontait, La fillette, qu'en l'ombre noire La Princesse montait, montait...

Les mêmes mots mouraient sans cesse Sur ses lè avec, avec l'espoir. « Alors, alors... » — et la Princesse Toujours s'enfonçait dans le soir.

« Et puis, et puis... » et les ténèbres Sans fin croissaient; — « Alors,... alors... » Et des frissonnements funèbres Couraient le long du petit corps.

« Alors... alors... » — la tête blonde Penchait, penchait; — « Et puis... et puis... » Et l'obscurité plus profonde Sortait comme du fond d'un puits.


304 LES HORTENSIAS BLEUS

« Enfin! Enfin!... » — de fleurs coiffée, Triomphant des dangers courus, La Princesse entrait chez la Fée... « Alors !... alors !... » — Et tu mourus !

C'était d'une de ses compagnes Qu'elle tenait ces contes bleus. Et voici que, par les montagnes, La Princesse entrait dans les Cieux.


BERCEUSE GRISE 305

CXLVI

BERCEUSE GRISE

Ils disent qu'il est mort; mais ce sont de méchantes

Ames : Dieu n'éteint pas ainsi de nos flambeaux les flammes

Lentes ; L'enfant est assez ange encor pour qu'il se sente

L'aile ; Mais il ne va pas loin de sa mère, pour qu'elle

Chante.

Ils disent qu'il est mort, parce qu'il n'est plus rose ;

Mais, Je ne croirai jamais que l'enfant que j'aimais

Ose Déserter son berceau, si plein de douces choses,

Dais, Nid, où sans fin pour lui mes mains effeuillent des

Roses î

Ils disent qu'il est mort; mais ce n'est que mensonge;

Rêve,


306 LES HORTENSIAS BLEUS

O mon enfant chéri, prolonge cette trêve.

Songe : Le sommeil, cette bulle où notre âme se mire,

Crève ; Enfant, embaume-toi d'oubli, cette trop brève

Myrrhe !

Ils me disent qu'on n'est ainsi, que dans la mort,

Pâle : Parfois le feu tremblant qui flambe dans l'opale,

Dort; L'enfant au ciel, un peu, loin de la vie amère,

Fuit; Mais, bien vite, il retourne où ton oeil plus bleu luit,

Mère!

Ils disent qu'il est mort, mais ce sont de méchantes

Ames : Dieu n'éteint pas ainsi de nos flambeaux leurs flammes

Lentes ; L'enfant est assez ange encor pour qu'il se sente

L'aile ; Mais il ne va pas loin de sa mère, puisqu'elle

Chante !


CET ENFANT QU'ON GARDAIT... 307

A M. Léon DIERX.

CXLVII

Cet enfant qu'on gardait comme une brebis sainte, Que l'on n'eût pas laissé faire quatre pas seul, Le voilà franchissant la redoutable enceinte, Sous le palladium pallide du linceul.

Son père se révolte et sa mère s'indigne ; Leur enfant qu'on gardait à vue! Or, le voilà N'ayant pour s'abriter que cette aile de cygne Que la mort lui fit naître, et dont il s'envola.

Où sont ses précepteurs, que font ses gouvernantes, Tous ceux qui sur sa nuit Areillaient, et sur son jour, Le sauvant du toucher des choses étonnantes Et lui dosant la A'ie à mesure d'amour?

Ceux qui s'interposaient entre l'âme et les choses, Entre la chair trop frêle et le savoir trop fort, Et ne lui démontraient que le parfum des roses De peur qu'il ne conclût, de l'épine, à la Mort.


308 LES HORTENSIAS BLEUS

Il est donc une porte où Dieu, qui recommande De tenir ses enfants sous un oeil scrupuleux, Capricieusement, soudain, les redemande Pour les plonger, sans guide, au coeur des gouffres bleus.

Et quelle porte, hélas ! — de marbre ! Et quelle passe ! La terre humide où sont déjà les morts anciens Qui semblent, de leur nuit, demander à voix basse Au nouveau-né venu des nouvelles des siens.

Que dut-il éprouver, dans la rupture intime, Petit être choyé, petit oiseau couvé, Lorsque, sous sa parure auguste de victime, Au fond de l'Infini, seul il s'est retrouvé,

Proche, de l'examen qui permet de prétendre Aux présentations du Dieu qui nous voit nu? Et le grand Ange blanc qui l'attend pour le prendre N'est-il qu'un sérieux et sévère inconnu?

Le grand mort est hardi, vieux vivant responsable, Auquel il appartient de s'entendre avec Dieu ; Et c'est son châtiment, ce frisson haïssable D'anéantissement sous la grandeur du lieu.

Mais, lui qu'on épiait, de l'allée aux pelouses, Sous les yeux trop voyants, ou le jour trop vermeil: Et que l'on défendait, plein de terreurs jalouses, Des regards des humains, des baisers du soleil.


CET ENFANT QU'ON GARDAIT... 309

Lui qui ne savait rien du limon de la terre, Le voilà, seul, en proie à la Ajoute des cieux ; Et, sans transition, hors des bras du mystère, Jeté dans l'inouï coeur du prodigieux!

Dans l'éparpillement échevelé des astres, Lancé, presque au sortir des lins de son berceau; Et, pour chant de nourrice, en l'air plein de désastres, Écoutant s'écouler les urnes du Verseau,

Aboyer le Cancer, grincer le Capricorne, Daniel tout petit du ciel tumultueux Exposé sur l'anneau de la cage sans borne, Dans la fosse aux lions des Signes monstrueux !

Lui qu'on n'eût pas laissé traverser la cour même, Descendre ces perrons, monter ces escaliers, Le voilà dans la nuit se demandant : « Qui m'aime, Parmi tous ces points d'or qui brillent par milliers?

« Oui, les anges sont beaux, les bienheureux superbes; J'admire le faisceau des étoiles en pleurs; Mais j'aime mieux l'enclos où des roses en gerbes Pour leur rosée ont pris à ma mère ses pleurs. »


310 LES HORTENSIAS BLEUS

Son père s'inquiète et sa mère s'effare;

Car, de l'autre côté, qu'a-t-il vii ce petit?

Ce grand Dieu qui rayonne ainsi qu'un géant phare

N'est-il point pour troubler le bébé qui partit ?

Mais non, tout s'adoucit et se proportionne; O père, apaise-toi; mère, rassurez-vous : De peur que son éclat trop ne l'émotionne La comète assagit ses rayonnements fous;

Le Sabaoth fâché n'est plus que notre Père, Le Bon Dieu reparaît sous le grand Jéhova; Et l'affreux Zodiaque est remis au repaire Dont le rugissement, sous la voûte, s'en va.

Les Anges ont voilé leurs graves apparences; Les Saints ne veulent plus qu'être doux et charmants, Quand les petits défunts leur font les révérences Qu'on leur apprit jadis au bal de leurs mamans.

Pourtant, vers les clartés de ces apothéoses Monte un sanglot d'en bas ; et les Cieux triomphants, Au penser de la mère, ont des pitiés moroses Pour les petits défunts faits de petits enfants.


LE GENTIL PETIT TRÉPASSÉ... 311

CXLVIII

Le gentil petit trépassé N'est ni déplacé, ni timide, Dans le grand Ciel où l'a passé La porte du sépulcre humide.

Tous ces charmants petits défunts, Dont la tombe est l'ombre première, Cueillent des soleils de parfums Et sentent des fleurs de lumière.

Tous ces aimables petits morts Dont Dieu rajeunit ses phalanges, N'ayant point connu les remords, Font connaissance avec les Anges.

Au fond des Cieux épanouis

On leur montre, au bord des balustres,

Les feux d'artifice inouïs

Des constellations, ces lustres.


312 LES HORTENSIAS BLEUS

Ils regardent, sans s'étonner, Des archivoltes aux pilastres, Gracieusement festonner Les mille astragales des astres.

Ce sont des roses de rubis, Des pâquerettes d'escarboucles. Que le ciel, en robe lapis, Met dans les comètes, ses boucles.

Le firmament échevelé Plein de miracles et de myrrhes, Dans sa splendeur s'est révélé, Petit mort, pour que tu l'admires.

Il est soucieux de ton choix Et regarde, dans tes yeux pâles, Se refléter le vol grégeois De ses étincelles d'opales.

Et ce n'est que voûtes de feu, Incandescentes galeries S'irradiant dans l'éther bleu, Petit mort, pour que tu souries.

Car, dans un écrit immortel, Swedenborg le rapporte au Monde : « Les enfants, dit-il, troupe blonde, Sont une grande part du Ciel. »


MATER ALMA

Ecce Mater tua.

S. L.



CHAQUE SOIR... 315

MATER ALMA

CXLIX

Chaque soir, en des lits, nos fatigues s'allongent; Le drap, et le sommeil, font leur rigide pli Sur l'âme et sur le corps; et les rêves replongent Dans rinfini, l'idée, et, les maux, dans l'oubli.

Comme un appartement enfermé qu'on ventile, Le somme ouvre la porte et la vitre du lieu; Et l'esprit, que le songe en l'espace distille, En élevant son vol ose effleurer son Dieu.

De là ce duel rude où le matin convie Nos dégoûts empirés et nos muscles meilleurs; Les membres retrempés, amoureux de la vie, Tirent sur l'âme, encor nostalgique d'ailleurs.

Elle, en permission, en congé de vacance, Discute le réveil, allonge son permis, Tire sur son lien, et, quand moins on y pense, Prépare des trépas qui meurent endormis.


316 LES HORTENSIAS BLEUS

La veille, brisement immense, hallali sombre Des membres harassés, l'espoir sonne du cor, Sous l'âpre lassitude où le courage sombre; Les nerfs disent : assez ! et le coeur crie : encor !

Mais, l'âme fait là-haut l'école buissonnière, En des buissons ardents faits d'astres chevelus ; L'effort renouvelé la rappelle en l'ornière ; Le corps veut bien revivre; elle, ne le veut plus.

Tel, sous le drap qui semble un linceul de passage, L'Humanité s'exerce à souffler son flambeau; Notre décès futur fait son apprentissage ; Et l'homme, chaque nuit, se mesure au tombeau.


GABELLE 317

Au Professeur Albert ROBIN.

CL

GABELLE

Nous célébrons tous quelque enterrement. BAUDELAIRE.

Or, les Canadiens ne font pas une lieue Sans que leur caravane, à l'appel du signal, N'emporte, de ses morts, la cendre fine et bleue, En des cercueils taillés d'une peau d'orignal.

Les Tchinkitanéens — comme, sur d'autres plages, On embaume les coeurs à qui le pleur se doit, Conservent, en un coffre orné de coquillages, La tête des parents : d'autres gardent un doigt.

Démocrite voyant sa soeur — il est au pire! Redouter que sa mort ne la prive des jeux De Cérès, fait venir un pain chaud qu'il respire, Pour prolonger ses jours, et n'être point fâcheux.

Hérodote, ou Strabon, cite une terre aride Où l'on égorge et mange un podagre plaintif. D'autres brûlent les corps — ceux-là sont de Floride, Des médecins : leur cendre est un préservatif.


318 LES HORTENSIAS BLEUS

Pharmacopoles et collèges d'ambubage Sont dans le deuil et la tristesse; et le choral Des mimes, besaciers, bateleurs fait tapage : Tigellius est mort, il était libéral!

Au-devant du cercueil orné de pierreries

On porte en simulacre une grande cité,

Dans l'Inde ; et près des pleurs le rire est excité

Par plusieurs baladins qui font des jongleries.

Philémon et Raucis sont deux tilleuls; Pyrame Est mûrier; Hyacinthe est fleur comme Adonis; Cyparisse est cyprès; Leucothoé, votre âme, Héliotrope, tourne à des rayons bénis.

Les Platéens joignaient aux convois un bagage De branches de lauriers, de myrtes, de cyprès, Ailleurs, c'est un banquet : on s'arrête, on engage Le mort; — on recommence à le pleurer, après.

Les effrénés Chéfrens se font des pyramides Que six cent mille bras sont vingt ans à bâtir; Mais, à la dernière heure, ils préfèrent, timides, Un lieu secret d'où l'on ne puisse les sortir.

Aux Mariannes la mère dans la détresse

Met les cheveux du fils qui vient de s'endormir,

En collier à son col, et fait à cette tresse

Un noeud par chaque nuit qu'elle passe à gémir.


GABELLE 319

Notre rite assombrit ses habits à rencontre

Des Othaïtiens qui noircissent leur peau;

L'un met sa chair en deuil, l'autre, la chair qu'on montre :

L'habit; un, c'est le front; un autre, le chapeau.

Le Perse tient un mort, pour noble, ou pour infâme, Suivant qu'un chien le happe ou semble atermoyer. Le Galate, durant dix jours, s'habille en femme Pour montrer que ce sexe est bon à larmoyer.

A Créma, dans Crémasque, il est une chapelle D'ossements, où l'on voit deux squelettes poupins. Dans Evora, sur un autre, ces mots sont peints : « Nous qui sommes des os, attendons qu'on vous pèle ! »

Tu mets dans la mosquée un cercueil, et tu brûles Auprès, ô Musulman, les plus rares parfums, Sur les plus beaux tapis. — Les femmes des Erules Se pendent aux tombeaux de leurs époux défunts.

Par nos chemins de fer, un fourgon d'un vert terne Voiture, de nos jours, le cadavre prévu Où, de son bout de craie implacable et moderne Imperturbablement la douane écrit : Vu!


320 LES HORTENSIAS BLEUS

« Vous n'avez rien à déclarer avant, les portes? » — « Pardon! j'ai mes désirs évanouis au seuil Du bonheur, mon amour défunt, mon coeur en deuil, Mes rêves refoulés, mes espérances mortes! »


P. P. C. 321

CLI

P. P. C.

Puisque je vous dis que je suis mort! Le cas de M. Waldemar.

Lors de ces retours attardés Nous guettent, au seuil de nos portes, Des billets blancs,* de noirs bordés, De la part des morts et des mortes.

Typographique frondaison

En laquelle un peuple fourmille,

Entre mainte combinaison

De parentés et de famille.

Sinistres « pour prendre congé » Chuchotes entre ciel et terre, Murmurant : « A toi j'ai songé Avant d'entrer dans le mystère. »

Pâles lettres de faire-part, Carte de visite posthume Qui dit : « j'étais à ton départ, Et pour ton retour je m'exhume.

21


322 LES HORTENSIAS BLEUS

« Car nous aA^ons dit : Au revoir! Il fallait dire à Dieu, sans doute; J'en suis encore à le savoir, Je ne fais que me mettre en route.

« Priez pour Elle ou bien pour Lui! Pour les pires et les meilleures ; Tous ceux qui maintenant ont fui Nos ténèbres intérieures.

« Jouissez, vivants, hâtez vous! Durant ces rapides passages; Et soyez bien vite bien fous : Vous ne serez que trop tôt sages!

« A demain! dans l'Eternité,

La recherche irrémédiable

De la double paternité

De notre Père ou du bon Diable.

« A demain! dans l'autre Sion. Toutes ces figures connues, Au conseil de révision Où les âmes sont toutes nues ;

« Sur les plateaux universels De la balance Vertu-Vice Où seront dits bien des Tecels, Et peu de bon pour le service ;


P. P. C. 323

« Dans l'Eternité qui n'a rien Pour soi, que d'accomplir le rêve Qui fut le vôtre, et fut le mien, D'être enfin ce qui ne s'achève!

« Veuillent les cieux, veuillent les ciels Que nous n'allions pas, faits durables, Autant souffrir d'être éternels Que nous soupirions d'être instables ! »


324 LES HORTENSIAS BLEUS

GLU

La Mort n'est point un Être, elle n'est que l'absence De la Vie... et pourtant le Poète la fait Et marcher, et parler, et lui donne une essence, Et d'une entité nette ou vague la revêt.

L'Apocalypse en feu lui prête un cheval pâle ; Et la voilà, par monts et par vaux, chevauchant Et désarticulant sous la lune d'opale Son squelette de jais, et d'ivoire, et d'argent.

Et pourtant, si la Mort existe, je l'ai vue!.. Une étrange Princesse, en un hôtel garni ; Décharnée au delà de la maigreur prévue... Caricaturale, au delà de Gavarni.


LA MORT N'EST POINT UN ETRE... 325

Mais cependant, pas ridicule : trop terrible Pour cela, dépassant le risible de tout Le sérieux qui sied au partner qui nous crible Et dont le jeu toujours tient le dernier atout.

Ses enfants, avant elle, à notre table d'hôte, Entrèrent en un lent groupe de Maeterlinck ; Défilé dont le noir étrangle, dont l'air ôte La voix, dont le silence effare : quatre ou cinq,

Rangés, en bout de table, autour d'un siège vide... Tout à coup une porte s'ouvre, un bras géant Apparaît, une dislocation livide Echappe à des porteurs, dans l'huis semi-béant.

Et Voici pénétrer dans la salle où nous sommes, L'Être dégingandé par-dessus le permis, Tout ce que l'abandon de la faim et des sommes, Dans une silhouette, infiniment a mis.

Surtout, la volonté de n'être point malade ; L'horreur d'un bras donné qui rappelle son cas ; Et l'art de chipoter un mets, une salade, D'un ton léger, qui croit effacer ses dégâts.

Un éventail fermé qu'elle appuie où se trouve, Cache un pas qui titube ivre d'un vin de mort; Un regard de brebis sortant d'un oeil de louve, Implore en fulminant, comme en caressant mord.


326 LES HORTENSIAS BLEUS

Plus de têtes en sa hauteur que n'en osèrent Les plus hardis sculpteurs du trépas animé; Des zigzags d'ossements où des draps se posèrent, Et des lins laissant voir des gestes tels qu'en Mai.

Des badinages printaniers, des élégances Maniant l'éventail comme au temps des chaleurs ; Ta respiration courte, en ses éloquences, Disant mieux d'où te vient l'été de tes douleurs.

Un bras indéfini, que les cordes des veines Ficellent de leurs noeuds, guide l'éventail fol, De doigts eux-mêmes faits pareils aux branches vaines D'un éventail dont les plumes ont pris leur vol.

Les anneaux, ces liens des anciennes tendresses, Trop grands, trop lourds, aux doigts effilés, affilés, S'affolent sur la nappe où ses maigres caresses Les ont vite — affreux jeu de bagues — renfilés !

Tout l'air de ne rien voir des stupeurs qu'elle cause, Aux hôtes ; de se croire en tout pareille à nous, Entre ses râlements phtisiques, elle cause... — Sous sa jupe, on entend se choquer ses genoux.

Ses filles et ses fils qu'entre eux je vis, la veille, Pétrifiés d'horreur, font aujourd'hui les gais, Se gardant de paraître accorder une oreille Affectueuse, au glas des toux et de,s hoquets.


LA MORT N'EST POINT UN ETRE... 327

Tout à l'amusement feint des niaiseries

D'un bouchon qui s'échappe ou d'un couvert heurté.

Hs conduisent ainsi du rôt aux sucreries

L'argus qui les épie en son âpre aparté;

Qui veut tenir d'un mot d'inadvertance nulle, L'aveu de son état, de ce qu'on pense et tait, Que peut-être elle sait au juste, — et dissimule, De la Alonté d'être encor ce qu'elle était...

Qui la porte au delà des confins de la vie

Par la seule vertu de son entêtement,

Et, quand de moins vaillants seraient morts, te défie,

Libitine, en te dévisageant fixement.

Du même surprenant regard qu'elle promène, Au travers de son face-à-main, autour de soi, Disant encor des riens, pour mieux sembler humaine, Et critiquant d'un rire où sèche notre émoi!


328 LES HORTENSIAS BLEUS

CLIII

IN EXTREMIS

Allez-vous-en, gens de la noce, Allez-vous-en chacun chez vous.

Dans un parc du Midi, superbe et solitaire, Ils s'étaient rencontrés pour la première fois, Et, des branchages nus, le transparent mystère, N'abritait qu'à demi leurs défaillantes voix.

Il était triste et pâle, elle était pâle et triste ; Ils avaient tous les deux à vivre peu de jours ; Mais (telle l'espérance éperdûment persiste) Près de se séparer, ils se disaient : toujours !

Or, elle, chaque fois, le retrouvant plus pâle, Tout bas s'inquiétait, cependant que, tout seul, Lui se troublait de voir la nuance d'opale Du teint de son amie, approcher du linceul.

Entre les talus bruns de vieilles feuilles mortes Que tacheté la baie incarnate des houx, Côte à côte ils marchaient; et des paroles fortes Ne résultaient jamais de leurs sourires doux.


IN EXTREMIS 329

A travers les réseaux de toile d'araignée Dont les rameaux chenus treillissent l'horizon, Ils regardaient les monts et la plaine baignée D'ombre, comme à travers des barreaux de prison.

Côte à côte ils marchaient comme une ombre jumelle. Et leurs pas sur le sol ne faisaient aucun bruit ; Sous l'interdiction invisible et formelle, Fleurissait leur amour qui n'aurait point de fruit.

Fleur de leur passion, dolente passiflore

Au calice rempli d'épines et de clous,

Et dont l'éclosion ne saura leur éclore

Que les instruments vains de leurs supplices flous.

Côte à côte ils allaient ainsi qu'une ombre double; Des tertres effleurés nul brin ne remuait; Et les promeneurs gais se dérobaient au trouble Du spectral rendez-Arous de ce couple muet.

Au bruit des gaves fous des blanches Pyrénées Dont les rideaux lointains s'éteignent, nuancés, Dans leurs coeurs, des ardeurs mystiques étaient nées ; Et, sans s'être dit mot, ils étaient fiancés.

Mais ils avaient compté sans la Mort, leur hôtesse. Marieuse inflexible aux lugubres recueils ; Et, le jour de la noce, ô l'étrange tristesse ! On ne vit, à l'église, entrer que deux cercueils.


330 LES HORTENSIAS BLEUS

CLIV

SUNT LACRYMAE HOMINUM

Je possède un lacrymatoire plein de larmes Antiques, dans un jour de tristesse rempli. Il fait se prolonger, parmi nous, les alarmes D'un chagrin, de durer encore, enorgueilli.

Oh ! pourquoi nous avoir privés de ce mensonge Qui, sous un ciel lointain, créa l'enchantement De croire que le deuil à jamais se prolonge, Et que le pleur en lui coule éternellement ?

N'était-ce pas une magnifique chimère ; Et fut-il un plus bel éloge des sanglots : Prétendre que, sans fin, la douleur agglomère Dans un flacon léger, ses minuscules flots ?

Les voilà, sous l'iris de leurs lacrymatoires,

Des yeux qui les versaient, depuis mille ans, sortis,

Ces riens inconsolés, incroyables Aictoires,

De l'amour, sur le temps, infiniment petits,


SUNT LACRYMIE HOMINUM 331

Vastes infiniment, plus grands que tout au monde, Et contenant un peu de l'espoir éternel, Parce que la douleur qui sait être profonde Console jusqu'aux morts qui ne sont pas au ciel. !


332 LES HORTENSIAS BLEUS

A la Comtesse de WOLKENSTEIN.

CLV

MORTUIS IGNOTIS

Le jour des morts chacun apporte une couronne A des parents partis, à des amis défunts ; La grille du tombeau, de roses s'environne; Et c'est comme un assaut de tons et de parfums.

Vers des seuils reconnus tous les pas se dirigent; Des prénoms sont tracés dans les bandeaux fleuris ; Et les stèles qui dans les frais enclos s'érigent, Pour celui-ci, pour celle-là, s'ornent d'iris.

Mais il est des douleurs aux peines plus affreuses ; Car se sentir pleurer, devant les restes froids De ceux qu'on a chéris, fait sembler presque heureuses Les larmes qu'on prodigue à leurs cercueils étroits.

Les vrais désespérés sont ceux qui s'acheminent Sans but, et sans savoir où poser leurs cyprès; Ceux dont les morts perdus, en l'ombre, récriminent Sous l'hésitation des pleurs et des regrets.


MORTUIS IGNOTIS 333

Pour ceux-là le champ noir a réservé le cippe Qui se dresse à son centre, énigmatique et beau ; Le plus mystérieux de tout ce municipe, La tombe de tous ceux qui n'ont pas de tombeau !

Le lieu de ralliement des malheurs sans boussole; Le phare des chagrins où le deuil atterrit De ceux dont le veuvage au hasard se désole Et qui n'ont point de dalle où célébrer leur rit.

J'y vois se rassembler de modernes Electres Dont les libations s'adressent aux lointains; Et j'y sens affluer des réserves de spectres Dont, en des pays morts, les yeux se sont éteints.

Et rien ne me saisit à l'égal de ces vagues De fleurs qu'on jette là, sans trêve, aux morts sans noms; De ces rubans unis où s'attachent des bagues, Chagrins disséminés, inhabiles chaînons

Reliant, à travers les mers, et par l'espace. Le survivant fidèle, aux restes exilés Des absents, dont l'amour se rapatrie et passe, Ce jour-là, dans les coeurs qui les ont rappelés.

Et tout me semble étroit des concessions vaines. Des perpétuités orgueilleuses, des mots Et des titres, gravés dans les marbres, aux veines S'entrecroisant avec des ors et des émaux,


334 LES HORTENSIAS BLEUS

Lorsque je songe à ceux dont les géantes tombes Sont les glaciers, les océans, les infinis Où viennent sangloter les désespoirs des trombes Sous la rose des vents pour rosaires bénits !


TÉNÈBRES



DYSPNEE 337

TÉNÈBRES

A Georges VICTOR-HUGO.

CLVI

DYSPNÉE

Que c'est triste mourir! Oh! que mourir est triste!

Pourquoi toujours mourir? — Se peut-il que n'existe

Aucune âme assez noble, aucun coeur assez pur

Pour tenir en échec cet archer à l'oeil dur?

Un être remontant, un être invulnérable

Qui s'obstine à rester délicat et durable;

Et qui, trouvant le mot de l'éternel secret

Puisse enfin croire en Dieu parce qu'il le serait? .

Car la création semble lasse d'attendre

Quelqu'un qui sache, un jour, l'aimer et la comprendre ;

Quelqu'un qui la devine, et consente, à la fin

A devenir céleste, immortel et divin;

Et par qui soit vaincue, enfin, la seule forte,

Cette seule invincible, ô la Mort enfin morte !

22


338 LES HORTENSIAS BLEUS

Le mot que dans le bois qui murmure, le vent

Chuchote, et que, la nuit, quelquefois, en rêvant,

L'âme, peut-être alors éclairée, articule!

Mot qui toujours s'annonce et qui toujours recule,

Du flux balbutiant au bégayant reflux,

Et qui toujours paraît s'approcher un peu plus.

La voix des voix, le mot des mots, verbe du verbe,

Qu'annonce une hirondelle et que salue une herbe,

Espérant, chaque avril, que l'homme, dans les fleurs,

Va trouver le remède à ses longues douleurs,

Et l'Abracadabra compliqué de Sésames

Qui soude aux corps sans fin leurs éternelles âmes.

Car ceux qui ne sont pas, sont bien dans le néant; Préventif nirvâna quiet et fainéant. Car, être, ou n'être pas, est pareil et facile ; Mais changer est inepte, inutile, imbécile, Et la plus longue vie a tôt fait de courir, Avant d'avoir compris qu'il lui fallait mourir. Car, pour mener à bien ce qu'on détient d'atomes, Il faudrait n'être pas des spectres de fantômes.

Car pourquoi remuer, pourquoi changer d'ennuis? Ressusciter tout feux; s'anéantir tout nuits,


DYSPNEE 339

Pour céder notre place à des êtres semblables,

Ni moins ni plus divins ; ni plus ni moins coupables.

Là, des Aroluptueux, des mystiques, ici.

Encor si l'on gardait l'exemplaire choisi :

Homère, pour exemple, à côté de Shakspeare;

Si la juste raison qui faisait qu'on expire

Venait de ce qu'on a trahi sa mission.

Si, lentement, ainsi, l'élimination

Composait un essaim de spécimens insignes,

Prolongeant ici-bas d'éternels chants de cygnes,

Pendant que l'homme vain, inutile, imparfait,

Dans le moule de l'Être irait se voir refait,

Pour sa perfection toujours moins éloignée,

Et de clarté qui croît, de jour en jour, baignée.

Mieux vaut rendre à la fonte, et jeter au creuset,

D'informes éléments dont l'effort se brisait ;

Et, de la fusion d'un lourd pommeau de dague,

Composer une coupe, une buire, une bague.

— Mais non, le four amène, et remporte, sans lois,

Le baroque et le beau, le déchet et le choix.

Alors pourquoi brûler, pourquoi tant de genèse?

Pourquoi sur Titien regreffer Véronèse,

Et ne pas s'en tenir à l'un d'eux prolongé?

Pourquoi Vinci vaincu ; pourquoi Durer changé

Pour produire un Holbein qui, comme eux, laisse un songe

Plus ou moins achevé, puis dans l'ombre replonge?

Pourquoi garder l'étoffe, et briser le métier,

Qui jamais n'a donné son oeuvre en son entier,

Et qui toujours s'éduque et se perfectionne?

Pourquoi ceux dont la mort surtout émotionne,

Qui, dans leurs doigts enfants, brise un maître ébauchoir ;

Comme si, sur le fruit, l'arbre toujours dût choir


340 LES HORTENSIAS BLEUS

Après avoir fourni sa part de nourriture Pour quelque dieu prochain ou déesse future.

Nous t'avions ; nous étions confiants dans ton jour, Suave dans nos fronts, superbe sur nos têtes, O toi le Roi des Rois, Poète des Poètes, Qui semblais nous durer comme à force d'amour ! — Mais, dans la tour d'ivoire, un glas de crépuscule Prélude, se rapproche et recule, et circule... Pan se meurt! il emporte en son suprême lieu Tout cet espoir qu'en lui nous avions mis d'un dieu!

Dieu de la flamme, et de la plante et de la bête ! Sèche, épi, devant qui l'épi courbe la tête ; Meurs, rayon de la ruche, et rayon des rayons ! Nous, flammes, cires, blés, nous nous en effrayons ; Car il était le roi des cultures vermeilles, Roi des moissons, roi des clartés, roi des abeilles !

Orphée est mort, le dieu des formes et des sons; Phoebus est mort, le dieu du ciel et de la terre; Et les reflets se sont éteints dans le mystère ; Et les épis se sont Averses sur les moissons.


DYSPNEE 341

Mort, Aristée, ami de la douce alvéole ;

Et son essaim autour de son front s'auréole.

Et dans les champs, et par les blés, et dans le ciel,

L'or des clartés, et For des grains, et l'or du miel ;

Blonde gerbe, lueur blonde et blonde ambroisie,

Sont des rayons du miel divin de poésie

Qui de mellifier, de croître et flamboyer,

S'étonnent, dans la mort de leur triple foyer.

IL se meurt l'Amphion ! il se meurt le Tityre Que la forêt aimait mêler à son satyre. Il se meurt le Tityre ! il se meurt l'Amphion Que la mer caressait de son alluvion.

Il se meurt l'Amphion ! Il se meurt le Tityre Et le bruit de son chant qui des coeurs se retire Est comme une saignée au front de l'univers. Lui dont le souffle uni faisait voler les vers Comme un papillon d'art sur un éventail frêle ; Ou dans un cuivre énorme embouchait la querelle Des hommes et des dieux, des peuples et des rois!... — A cette heure, il étouffe ! — Et, plein de saints effrois, Le monde entier devient sa chambre d'agonie ; Et la glace des mers tout entière est ternie, Et le miroir des cieux tout entier est troublé,


342 LES HORTENSIAS BLEUS

Lorsque le grand soupir, de tant d'amours peuplé, Une dernière fois s'exhale encor et rôde Azur, sur ton saphir ; flot, sur ton émeraude.

Et le grand défilé commence — défilé

Sans terme, sans arrêt; le défilé voilé,

Incessant, dans lequel toute la terre abonde

Comme en un fleuve humain où se jette le monde.

Des chariots, des chars qui balancent des flots

De fleurs pleines des pleurs des anges, des sanglots

Des muses, où ces fleurs mêlent leurs propres larmes.

Et des femmes en A'oile et des hommes en armes ;

Et des enfants portant des guirlandes, toujours !

Car le fleuve entraînait à mesure en son cours,

Tous les édens, tous les jardins, toute la flore

Qui pour le jardinier du songe Areut éclore;

Celui qui sous son front faisait s'épanouir

L'été que nul autan ne fait s'évanouir ;

Les massifs de l'esprit et les pensifs bocages

Qui sont les perchoirs verts et les Avivantes cages

D'où vont, dans tous les coeurs, sans pièges ni réseaux,

Pulluler les chansons et nicher les oiseaux.

Et des couronnes ; des couronnes d'immortelles ; De palmes, de lauriers, de métal, de dentelles, Comme si, par les airs, maint céleste passant Laissait tomber d'en haut en ce flux qui descend,


DYSPNEE 343

Son limbe lumineux, odorant, et qui moire

Le cortège qui semble un rang de perle noire.

Des lyres, des festons, des gerbes, des bouquets;

O forêt de Birnam en marche de bosquets !

Et le fleuve toujours roule, toujours le même

Toujours divers, et dont la houle se parsème

De pétales toujours autres, toujours pareils.

Lys aux regards dorés, oeillets aux coeurs vermeils ;

Muguets, hortensias, tulipes, aubépines

Inodores arums, jasmins d'odeurs divines :

L'un offrant son parfum, et l'autre ses décors,

Comme le rossignol, caché, rempli d'accords

Près du paon qui se taît en éployant sa queue.

Et violette blanche, et violette bleue.

Le fleuve continue entraînant des honneurs Comme à nuls dieux jamais, et comme à nuls seigneurs, Comme à nuls conquérants les peuples n'en rendirent. Des bannières flottaient; des drapeaux s'étendirent; Des oriflammes, des chevaux et des canons, Des tables où parlaient des choses et des noms ; Et des hommes toujours, et toujours des calices Pleins, les uns de respects; les autres de délices. — Et le fleuve vivant roule, et roule toujours, Et, des heures, s'écoule, et ruisselle, des jours, Laissant pour souvenir aux mémoires moroses L'ombre d'un noir courant qui charriait des roses.


344 LES HORTENSIAS BLEUS

Hélas! Daphnis est mort! et mort est Adonis! Et la rose a raison si, des rosiers finis, En un parfum suprême elle appelle sa sève Pour l'exhaler dans le dernier soupir du rêve, Adonis, de ta fleur; de ta flûte, ô Daphnis.

Car cet homme, pour glaive, avait porté sa lyre; Sa vertu, pour égide ; et, pour cri, son délyre. Il était doux et simple et parlait aux enfants : Et voilà qu'on lui fait, ô retours décevants ! Les obsèques des rois ; les fauves funérailles Des égorgeurs de loups, et des mangeurs d'entrailles !

Du germe, sous le sol ; de l'idée, en l'esprit,

Il écoutait, penché sur l'être et sur la chose,

La transformation et la métamorphose;

Il surprenait la loi, le mystère, le rit,

La corrélation et la correspondance,

Et le nombre et le rythme, harmonie et cadence;

Il écoutait pousser les plumes du bouvreuil,

Les fleurs du serpolet, les poils de l'écureuil;

Il entendait, bien haut, battre le coeur des arbres;


DYSPNEE 345

Et, l'oreille collée à la dalle des marbres,

Il percevait, tout bas, dans les champs de repos

La palpitation du coeur froid des tombeaux.

La vie en lui, de tout, Amenait forte et profuse,

Ainsi qu'un plein courant qui s'infiltre et s'infuse

Et donnait à son oeuvre un aspect de forêt.

Et l'ouïe appliquée à son Livre, on croirait

Entendre bourdonner, traduite et transposée,

La nature : la fleur où perle la rosée,

L'océan inhumain dont la perle est un pleur;

L'homme tumultueux où perle la douleur.

Et l'on sent en lui battre un coeur libre de chaînes,

Comme il écoutait, lui, battre le coeur des Chênes !


346 LES HORTENSIAS BLEUS

CLVII

IS PATER EST

O toi qui fus conçu dans Artagnan, mon Maître Et mon aïeul, Théo, le roi de nos harpeurs, Le saint Buddha du nombre, et le plastique prêtre, De mes communions tu n'aurais point de peurs.

Il me plaît de rêver être de ta famille,

Toi de la mienne ; les Poètes sont les Grands.

Un peu de ta lumière intelligente brille

En mon oeuvre, et ton art illumine nos rangs.

Moi qui dois posséder ton Château de Misère,

J'y veux graver sur marbre : « En ce lieu fut conçu

Le plus loyal des rois, l'amant le plus sincère

Du rythme que, des dieux, les hommes ont reçu ! »


IULE 347

CLVIII

IULE

Les deux Goncourt. GAUTIER.

Un hommage incessant monte comme une bulle Vers le nom de Celui qui mourut pour le Beau. Les femmes ont des pleurs, dans les plis de leur tulle, Qu'elles laissent tomber sur le seuil du tombeau.

Ce Jules de Goncourt que tant chérit son frère, Comme nous, a souffert du Divin dans l'Humain ; Et, faute que le dieu, de l'homme, pût s'extraire. Il remit ses pouvoirs en fraternelle main.

Gautier en parle bien dans son discours insigne; Cette Oraison Funèbre, il la fait comme il sied. On y voit sur la fin s'enfuir comme un grand cygne Plein d'horreur pour le sol où son aile a pris pied.

Gautier sait aujourd'hui le vrai sens de ces choses Que déjà démêlait son incarnation; Et Jules, près de lui, nous dicte quelques roses Pour en aller fleurir leur morte station.


348 LES HORTENSIAS BLEUS

Jamais ne s'éteindront les palpitantes flammes Qui nous unissent à ces noms qu'il faut bénir; Les hommes ont des fleurs, dans les plis de leurs âmes Qu'ils laissent s'effeuiller au seuil du souvenir!


NÉNIES

Une douleur que vos vers ont pu endormir, un moment; un nom chéri, symbole de nos affections les plus intimes, et que vous avez consacré dans une langue moins fragile que la langue vulgaire ; une mémoire de femme, d'ami, d'enfant que vous aurez embaumée pour les siècles dans une strophe de sentiment et de poésie.

LAMARTINE.



CROISSANCE 351

NENIES

CLIX

CROISSANCE

Nodum quemdani solvere proecipue oegritudine sentitur.

PLINE.

Dans sa dernière maladie, Frêle ange, il se développa; Et sa silhouette grandie, Sous les draps, surprit et trompa.

Sa compréhension confuse Parut aussi se détacher, Comme un rayon qui se refuse Aux opacités de la chair.

Et l'on souffrait de voir cet être Que rien hélas n'eût pu guérir. Qui s'éclairait pour disparaître, Et qui grandissait pour mourir!


352 LES HORTENSIAS BLEUS

A Henry BATAILLE.

CLX

ANCILLA

Et la vieille Ursule qui me portait enfant sur ses bras, elle y est aussi enterrée, et un rosier pousse sur sa tombe. Elle aimait tant l'odeur des roses dans sa vie, et son coeur n'était que douceur et parfums de roses.

HEINE.

Hélas ! que j'ai trouvé tristes, et solennelles, Devant nos vains soupirs, devant notre effort vain, Les heures qui, pour moi, sonnaient, avec ta fin, L'irrémissible fin des choses maternelles!

O pauvre Marguerite, ô la chère servante, Esprit si magnanime et coeur si simple ! adieu ! Toi qui dans ce bas monde étais assez savante, Parmi les hommes, douce, et droite devant Dieu.

Pas un détour lointain, de ma vie enfantine, Où ton regard ne luise en mon frêle univers ; Car tu fus celle que l'existence destine A dispenser la joie en gardant les revers.


ANCILLA 353

Oh! si tu m'as aimé de cette bonté tendre, Toi dont je clos les yeux en ce cruel départ, C'est que des yeux, par toi fermés, t'ont fait entendre Le testament muet du maternel regard.

Comme tu l'as remplie en mère, cette tâche De mère, — ce mandat, comme tu l'as rempli! Et comme tu le vas restituer, sans tache, Ainsi qu'à Dieu tu rends ton âme, sans un pli.

Telle, dès ton jeune âge incertain de sa route, Tu greffas sur le nôtre un destin isolé, O toi, dont la richesse, à cette heure, était toute Un écheveau de fil par l'aïeule filé.

Donc, ce que l'on soutient, en échange, ragrée ; Donc, ce que l'on aida, pour l'aide se fait mûr; Et, du lierre accueilli, la maille enchevêtrée Que le mur appuya, consolide le mur.

Cependant, loin du bruit, joyeuse? — non, paisible, Et, du présent terrestre, au céleste avenir, Ainsi, se partageait ton royaume visible : Quelques fleurs à soigner, quelque geste à finir.

Les fleurs : tu les aimais! les faibles, les petites, Surtout, je m'en souviens, pensée et réséda; Mais, dans ton frais oubli fermé de clématites, Le mal vint te chercher encore, et t'obséda.

23


354 LES HORTENSIAS BLEUS

Quand tu vis qu'il fallait quitter cet humble songe, Oh! je souffre en comptant les douleurs de ton soir! Car le goût du bonheur faiblement se prolonge Et l'on voudrait toujours encore un peu surseoir.

Etait-ce donc beaucoup demander, cette trêve Dans cet abri modeste, à l'horizon borné, Pour celle qui jamais n'a pu rêver son rêve Sans le voir aussitôt ou maudit ou mort-né?

Alors, ayant compris que c'est grâce impossible Que fixer, un instant, ce qui fuit sans retour, Docile, résolue à demeurer la cible, Elle s'est renfermée en son rôle d'amour ;

Et, nous voyant moins forts qu'elle contre l'atteinte Suprême, noblement, ferme, sans se leurrer, Elle nous exhortait d'une parole éteinte Qui demandait pardon de nous faire pleurer.

O bonne, ô sainte, ô juste, ô chère, ô digne femme ! Toi qui tenais la clef de mes pensers meilleurs, Toi qui ne pouvais croire à rien qui fut un blâme, Quand tu meurs, ô vertu, je m'explique mes pleurs.

La résignation de ton lent sacrifice Redescendra sur nous en vive charité; Que ce soit donc ta gloire et le nouveau service Qui par ton dévouement te sera mérité.


ANCILLA 355

Si jamais, dans la nuit épaisse où tu m'oublies, J'ébauche quelque bien au hasard de mes pas, De ces mains, par la tienne, aux douceurs assouplies, C'est que tu les conduis encore de là-bas !

Hélas ! que j'ai trouvé tristes et solennelles. Devant nos vains soupirs, devant notre effort vain, Les heures qui, pour moi, sonnaient, avec ta fin, L'irrémissible fin des choses maternelles.


356 LES HORTENSIAS BLEUS

A Ghislaine de CARAMAN-CHIMAY.

CLXI

Princesse en qui le ciel mit un esprit si doux.

RACINE.

Le front pareil au front de Psyché de Capoue Purement étalait son modelé serein ; Avec, autour, l'anneau de nattes qui se noue, Sur le blanc du Paros tressant un blond d'airain ;

Au point, que, sous le doigt de l'ange noir qui tue, Et dont le geste glace, et dont l'étreinte mord, On pensait voir, plutôt, s'étendre une statue, Un marbre qui sommeille, un albâtre qui dort.

Païenne par la forme et sainte par la flamme ; Ange par le regard, déesse par les yeux ; Minerve par le front, et Maria par l'âme ; A demi de l'Olympe, à moitié dans les cieux.


LE FRONT PAREIL AU FRONT... 357

Le vol harmonieux des mains spirituelles

Qui faisaient résonner l'âme des clavecins,

Sous tes gestes raidis, garderont, virtuelles,

Les chansons, dans leurs doigts, encloses par essaims.

Hélas ! c'en est donc fait des extases divines Que versait le doigté mélodique et subtil Des phalanges, aussi candides, aussi fines Que des lys dont le rythme eût été le pistil.

Mais non ; l'oeil de l'esprit qui vite se dessille Te voit remplir aux cieux un office pareil, Où tu vas alterner avec Sainte Cécile Sur le clavier divin des rayons du soleil!

Tu me pardonneras peut-être ma faiblesse Toi qui, dans ce vil monde, étais la pureté, En jugeant ce que m'a conféré de noblesse La compréhension de toute ta clarté.

Tu fus Celle qui passe, incorruptible et pure, Parmi le groupe affreux des laideurs d'ici-bas, Que ta candeur voilait comme d'une guipure ; Et qui, ne faisant pas le mal, n'y croyait pas.


358 LES HORTENSIAS BLEUS

C'est ainsi qu'observant ta mort qui m'intimide, Et qui pèse d'en haut notre fragilité, J'ai senti sur mon front, de ton regard humide, S'épandre encor l'absoute et couler la bonté.

Un mot encor pour toi, Muse à la fois et Sainte, Que de tes cheveux blonds je revois toujours ceinte Sous ton profil de vierge, et ton air étoile Que pas un seul oubli, dans nos coeurs, n'a voilé.

Diadème natté de tes deux nobles tresses

Qu'on aimait contempler dans les jours de détresses,

Ebauchant ici-bas l'auréole d'or pur

Dont ton front aujourd'hui se nimbe, dans l'azur,

Pour ta candeur, gardée au milieu de nos fanges, Par-dessus les berceaux de tes fils, et leurs langes : Prorogée au delà de la maternité, Et rapportée entière à ton éternité.

Elle n'eût pas aimé vous voir sans fin morose : Elle n'eût pas voulu nous voir toujours pleurer; Elle savait que c'est le devoir d'une rose D'être rose ; et la loi d'un astre, d'éclairer.


LE FRONT PAREIL AU FRONT... 359

Comme elle connaissait que le regret empire La vie, assez déjà triste sans qu'il advint ; Je crois qu'elle eut rêvé que d'Elle on se souvînt Ainsi que d'une fleur cueillie, et qu'on respire.


360 LES HORTENSIAS BLEUS

CLXII

CHERUBINE

Donc vous avez perdu votre petite fille

A la parole douce, au visage charmant ;

Pure comme une fleur, comme un oiseau gentille,

Et dont le coeur savait embaumer, en aimant.

Car elle était la plante à la sève de vie

Qui parfumait les bords du chemin de vos jours;

Mais Dieu l'a respirée, et suave, ravie

Aux longs enchantements de futures amours.

Et, nous ne recueillons dans nos mémoires, d'Elle, Qu'un souvenir plus frais, plus fin, plus radieux Que l'or qu'un papillon laisse encor de son aile Au jasmin qui se fane en un livre pieux.


CHERUBINE 361

Elle était ici-bas un pur lys étoile Dont un si fort parfum montait vers le ciel vaste Qu'au monde il jalousa cette corolle chaste Et rappela vers lui son pétale envolé.

L'ange à présent qu'elle est dans la joie éternelle Des pétales repris compose son vol pur; Ainsi tombent sur nous des plumes de son aile, Comme, eux, ils s'enfuyaient naguère vers l'azur.


362 LES HORTENSIAS BLEUS

CLXIII

A UNE MORTE

Non, ta Nausikaa n'était point cette vierge;

Et tu l'as faussement dite Nausikaa,

Celle qu'on vit debout et droite comme un cierge

Que l'art devait brûler et que l'ardeur ploya.

Blanche et nue, au milieu de l'oeuvre embryonnaire, Toute d'une venue et forte sans effort; Méandre de pensée où sans parler on erre, Courbé sous la raison brutale du plus fort.

La raison du plus fort : le trépas, — la meilleure, Qui coupe sous tes pieds l'herbe de ton printemps ; Et qui répond : jamais ! quand tu demandes l'heure, O toi qui crains toujours de n'avoir pas le temps!

Non, ta statue éclose ainsi qu'une fleur pâle, Pour rosée enfermant les larmes de ses yeux, Ne cache point son front pour tromper une balle, Mais pour rendre son grand sanglot silencieux :


A UNE MORTE 363

Le sanglot de ta belle attente méconnue, Fille d'Alcinoüs? — non pas; mais de Jephté; — Non point Nausikaa pleurant de se voir nue; Mais, ta virginité, sur ta virginité !


364 LES HORTENSIAS BLEUS

CLXIV

LE TRIO DES MASQUES

Je pleure ces trois morts : toi la plus regrettable ; Et celui qui m'aimait d'un amour si touchant ; L'autre, qui, sans mourir, a déserté ma table, Et dont le nom parfois me revient comme un chant.

Combien d'adieux pressés! de rapides surprises, Qui me font désolé, veuf et silencieux! Voilà que mon passé redevient spacieux Et sur mon avenir ouvre des portes grises.

Il ne reste que toi qui m'aimes — ou me hais ! Et ce qui surviendra, que le futur agite; Une espérance verte aux yeux de malachite, Et des souvenirs bleus aux regards de bluets.


VOUS AVEZ BIEN RAISON... 365.

CLXV

Vous avez bien raison non seulement, Madame,

D'espérer, Mais de ne laisser même aucunement votre âme S'obstiner à se plaindre et s'astreindre à pleurer.

Car les morts sont vivants ; les vrais morts, c'est nous-mêmes : Morts de matière épaisse et lourde cécité, Que ressusciteront les onctions extrêmes Quand le trépas tuera nos cent nécessités ;

Nécessité d'errer, lutter, saigner et vivre Dans la prison où l'âme a peine à s'enfermer, Qui ne conservera, sous le mot qui délivre, Que les nécessités immortelles — d'aimer!


366 LES HORTENSIAS BLEUS

CLXVI

Les vrais trépassés et les sûrs défunts

Sont ceux qu'on oublie ; Ceux qui n'ont ni pleurs, ni fleurs, ni parfums,

Sur leur croix qui plie.

Les autres sont là, réels et présents,

Aux foyers, aux tables; Mais la mort des morts, l'oubli des absents

Sont épouvantables!

Les autres sont là, car on parle d'eux,

Devant leurs images; Mais les délaissés, qu'ils sont malheureux!

Qu'ils ont de dommages !

Tombeaux oubliés, marbres entamés,

Dalles défleuries, Titres effacés, terrains réclamés,

Mémoires meurtries.


LES VRAIS TRÉPASSÉS... 367

Donc, si vous craignez l'improbation

Du seuil par le spectre, N'oubliez jamais la libation

D'Oreste et d'Electre,

Car de votre rire, ils seront blessés,

Sous leur croix qui plie, Les seuls vrais défunts, les seuls trépassés,

Ceux que l'on oublie !


368 LES HORTENSIAS BLEUS

CLXVII

BERCEUSE NOIRE

Dormez les morts, dormez les âmes,

Dormez les corps ; En l'attente de vains sésames,

Dormez les morts.

Dormez les fronts, dormez les rêves

Et les essors ; Dormez les apparences brèves,

Dormez les morts.

Dormez les yeux, dormez les larmes

Et les décors; Dormez les hideurs et les charmes,

Dormez les morts.

Dormez le sourire et les lèvres Et les transports;

Dormez les amours et les fièvres; Dormez les morts.


BERCEUSE NOIRE 369

Dormez les coeurs, dormez les plaintes

Regrets, remords; Toutes les choses sont éteintes,

Dormez les morts.

Dormez, l'esprit et les pensées

Et les efforts; Toutes les choses sont cessées,

Dormez les morts.

Dormez, l'espoir, dormez, l'extase ;

Jusques aux bords De la tombe, suprême vase,

Dormez les morts.

Ce vase où la chair s'incorpore,

Vase aux flancs forts, Urne d'où l'âme s'évapore,

Dormez les morts.

On ne chante plus vos nénies

Aux doux accords; Toutes les choses sont finies,

Dormez les morts!

24


370 LES HORTENSIAS BLEUS

CLXVIII

REDIVIVA

Des grains de blé trouvés dans une tombe, à Thèbes, Trente siècles, captifs, au fond de ces Erèbes, Furent semés, après ces éternels répits, Et, sous nos ciels nouveaux, donnèrent des épis.

Des bulbes recueillis aux mains d'une momie, Et plantés, au sortir de l'étreinte endormie, Sentirent des ferments rompre leur coeur ouvert, Et la sève, en eux close, ouvrir un regard vert.

Trois mille ans enfermée en sa prison de pierre, Une bête y veillait, et revoit la lumière... Qui dira ce qu'en l'ombre où la nuit la plongeait Silencieusement, sa vieille âme songeait?


JE M'EN REMETS A DIEU... 371

CLXIX

Je m'en remets à Dieu qui, s'il existe encore,

Pourra bien démêler Le bon grain, de l'ivraie, et ce qui me décore

Ou pour moi peut parler.

Je m'en remets au Temps, qui pourra, dans mon livre,

Trouver ce qu'aujourd'hui Négligent d'y chercher ceux qu'il regarde vivre

Sans joie, autour de lui.

Je n'ai pas souhaité la vie, au point que, même,

Je n'en ai pas voulu, J'ai peu vécu, vivant ; aimant, peu fait qu'on m'aime,

Et presque n'ai que lu !



V

ITE

L'exquis est une gageure contre le possible.

RENAN.



DULCEDO AMARITUDINIS 375

ITE

CLXX

DULCEDO AMARITUDINIS

Je n'ai que peu d'amour pour les choses qui durent. J'ai longuement chéri jadis celles qui furent; Ce que j'aime, à présent, c'est la chose qui meurt, Et qui semble, sans fin, frissonner sous un heurt.

Ce que j'aime, c'est, las de la chose qui semble

Assurée et hautaine, une chose qui tremble;

Et la forme domptant mon infidélité

Est celle à qui m'attache une fragilité.

Les beaux vases meurtris dont un souffle, on le pense,

Va disperser les Mais épandus sur leur panse,

Et faire, dans l'instant, voler de toutes parts

Un frêle émiettement de mandarins épars,

De lotus effeuillés et de presle brisée

Que voilait leur couverte ainsi qu'une rosée!

Les jeunesses qu'on, voit dans les tièdes climats,

Et dont les pâles chairs paraissent des amas

Pétris de flocon vierge ; ivoires de chlorose

Que la danse parfois, comme un pétale, rose

D'un peu de sang, qu'il faut aller prendre à leur coeur ;

Et que la mort, parfois, d'un coup d'archet moqueur.


376 LES HORTENSIAS BLEUS

Invite dans le bal, les trouvant toutes prêtes. Ce que j'aime, c'est la fuite, le long des crêtes, De ce rêve, qui va s'éteindre à tout moment, Tellement qu'on dirait qu'il cesse incessamment; Avec, en cet adieu d'éternelle agonie, La prolongation d'une extase finie. La lente extinction d'une aurore qui point ; Et ce qui pourrait être, et qui ne sera point !


SATIS 377

A Giovanni BORGHESE.

CLXXI

SATIS

J'ai senti, sur mes doigts, rouler l'ardeur des gemmes ; Et, crouler, sur mon corps, la splendeur des orfrois ; J'ai, sur mon front, l'orgueil de vaincre les dilemnes ; J'ai les encens des dieux, et les pouvoirs des rois.

J'ai connu la douceur du placet qu'on accorde; L'accent qui remercie, et l'accent qui fait don; Et cet enchantement : faire miséricorde ; Et cette volupté d'accorder un pardon.

J'ai goûté le bonheur d'adorer et d'étreindre; Ou la fierté qu'on m'aime, et de tenir rigueur ; Aussi, rien ne peut plus m'enchanter, ni m'atteindre, Rien... qu'un tout petit mot, venu tout droit d'un coeur!


378 LES HORTENSIAS BLEUS

CLXXII

ORAISON FUNÈBRE

Les heurts des heures Vous ont meurtri ; Les pleurs des leurres Vous ont flétri.

Les chocs des choses Vous ont froissé ; L'Éros des roses Vous a blessé.

Les sons des nombres Vous ont charmé ; Les noms des ombres Vous ont aimé !


SEPULCRUM PULCHRUM 379

CLXXIII

SEPULCRUM PULCHRUM

Donc je me ferai faire un très beau Sarcophage. Car je veux de la terre éviter le ravage, Et résorber mon être en ses seuls éléments. L'ensevelissement et les embaumements; Puis, le corps, couché nu, dans le porphyre rouge; Sans nul rejointoiement, pour que plus rien n'y bouge Que la vibration de ma mémoire, en moi, Sous le couvercle lourd dont s'apaise l'émoi. Au-dessus écloront les charmés et l'emblème; Car ce porphyre roux se vêt de marbre blême; Celui-ci plus fouillé que l'autre n'était nu. Six sujets. Le sculpteur est encore inconnu.

Angles droits. Quatre pans. Le dessous. Le couvercle. Les symboles pourront s'y déchiffrer en cercle. Deux grandes faces. L'une aux cygnes consacrant Son grain vierge. Une file indéfinie; un rang D'oiseaux blancs profilés comme des canéphores, Et dont l'aile aura l'air de porter des amphores. Puis leur guide, au devant, sera de marbre noir


380 LES HORTENSIAS BLEUS

Au bec de pierre rouge, et qui luit, dans le soir. Des lamelles d'argent figureront les vagues Que la lune pensive atteint de reflets vagues, Et dont le disque éclaire un des petits côtés Avec tant de mollesse et de suavités Qu'une chauve-souris se prend à sa lumière.

Sur l'autre face, et répondant à la première, Le mystérieux bois des hortensias bleus S'épanouit comme un bocage fabuleux, Laissant luire, parmi son feuillage de jade, Ou de jaspe, un reflet de turquoise malade Qui redouble de fleurs au couvercle bleui Et laisse le regard doucement ébloui.

Sous ses fleurs j'ai fleuri : je périrai sous elles; Si quelque chose en moi doit entr'ouvrir des ailes, Elles auront le bleu des hortensias bleus... Jetez-en un pétale à mes Mânes frileux!

Le dessous est silence, et la base est mystère, Signes, hiéroglyphe, empreinte, caractère : On y lira des mots secrets : Cara Rara! On y lira quel fut mon rêve, on y lira D'où venait mon sourire, et quel fût mon mystère, Ce que j'ai voulu dire, et ce que j'ai su taire, Quels étaient mes péchés, auprès de mes vertus... Nullus est occultoe musicoe respectus!


EXEGI 381

CLXXIV

EXEGI

Et je ne mourrai pas peut-être tout entier. Peut-être qu'un, écho du cristallin chantier D'où sort mon délicat et durable poème, Fixera dans le temps l'âme de ce que j'aime Tout ce qui fut ténu, suave, exquis, subtil, Lucide, précieux et rare... Ainsi soit-il.


382 LES HORTENSIAS BLEUS

CLXXV

REQUIESCAT IN LUCE

« Car j'écris (je parle d'un auteur qui se respecte) non pour les lecteurs d'aujourd'hui ; mais pour les lecteurs qui pourront se présenter tant que la langue vivra.

FLAUBERT.

On aura dit du mal de moi; J'en ai fait moins — et plus encore. Qu'importe, si quelqu'un eut foi Dans le futur de mon aurore?

J'accomplis un travail serein En abeille mystérieuse, Qui, voulant faire un miel d'airain, Est sérieuse, et sourieuse.

On en dit quelque bien moins haut; Mais — ceci fut ma récompense : Le bien n'est pas celui qu'il faut; Le mal n'est pas celui qu'on pense.


REQUIESCAT IN LUCE 383

Que l'avenir me soit vermeil De quelques précieuses laudes, Je verrai venir ce Soleil Au travers de ces émeraudes...

Espérance au vert non pareil !

Dire du mal de moi, c'est surérogatoire ;

D'autres s'en chargeront! Mais de quelque bien fait, plus subtil que notoire,

Est-ce qu'ils parleront?

Et pourtant j'eusse aimé que l'on m'aimât... peut-être

L'avais-je mérité... Mais qui donc se retourne, en somme, vers le prêtre

D'un oracle abrité ?

Pourtant l'heure viendra, car toujours elle sonne

A qui fit son devoir ; De ceux qui m'ont connu restera-t-il personne Pour l'entendre, et la voir?

La répercussion des mots au fond des âmes Vraiment rien n'est plus beau;

Quel autre embaumement peut valoir ces dictames, Aux morts, dans le tombeau?


384 LES HORTENSIAS BLEUS

Si mes vers m'attiraient des tendresses posthumes,

De frères et de fils, Qui les admireraient comme de beaux costumes

Dont on compte les fils;

Des frères, des élus, des servants, des apôtres,

Des amantes, des soeurs, Désireux d'attester, à la clarté des nôtres,

Leurs forces, leurs douceurs.

S'ils disaient : « C'était Lui!.. » me dédiant leurs flammes

Et m'offrant leur émoi... Du fond de l'Infini, me penchant sur leurs âmes.

Je dirai: « C'était Moi!»

Ceux que mon vers fera rêver, Mon vers aux facettes multiples, M'aimeront, et sauront sauver Mon souvenir, amis, disciples.

Ils diront : « Il était ainsi... » Et contempleront les images Où quelque chose fut saisi Du sourire de mes orages.


REQUIESCAT IN LUCE 385

Mes poèmes leur seront chers, Comme des parfums dans une urne;. Sur ces bleus Hortensias clairs, Mes Chauves-souris, choeur nocturne.

Alors seulement aura lieu La diversité de mon geste, Qui, s'auréolant d'un doux feu, Se déroulera comme un ceste.

Mon âme aromatisera De tendres âmes pour moi faites, Auxquelles mon art tissera L'art prédestiné de ses fêtes.

Et mon espoir déjà jouit, Dans la récompense qu'il pèse, De cet amour, qui l'éblouit, Sur ces fronts à venir, qu'il baise !

Car c'est le mystère Du seuil de la Terre Que ce réveil bleu De notre oeuvre lente Dans une âme ardente Qui couve son feu :

25


386 LES HORTENSIAS BLEUS

Dans l'amour pensive Et compréhensive Qui goûte à nos miels, Et qui doit, ravie, Consumer sa vie Devant nos autels.

Eclosion pure, Transmission sûre, Testament sacré Sans verbe et sans acte, Et, par le seul pacte, Du seul vers nacré;

Du vers qui s'achève En nous, et se lève Sur ces fronts élus, Quand notre dépouille, Au sol qui la souille, Rien n'est déjà plus.

Palingénésie De la Poésie En un autre esprit, Qui la ressuscite, Et,qu'elle visite, Et qui lui sourit.


REQUIESCAT IN LUCE 387

Tendre Apothéose Qui métamorphose En félicité La douleur passée, Déjà nuancée D'Immortalité !



TABLE 389

TABLE

Pages

Les Hortensias Bleus . . . . . . . . V

In Memoriam IX

I

INTROÏT

I Montesquivi 3

II Parti 4

III Paterna Rura. ......... 5

IV Ordinaire 6

V Foi 7

VI Outils 8

VII Fleurs et Plumes 9

VIII Calame 10

IX Paginae. . II

X Regina 13

XI Avis 15

XII Portenta 16

XIII A une Cousine ingrate 18

II

CHAPELLE BLANCHE

XIV Signes 23


390

LES HORTENSIAS BLEUS

BERCEUSES

Pages.

XV Berceuse d'eau 27

XVI Berceuse d'ombre ......... 30

XVII Berceuse d'âme 32

XVHI Berceuse d'ailes 34

XIX Berceuse bête. . . 36

XX Berceuses veuves 39

XXI Berceuse féroce 41

XXII Berceuse d'émail 43

XXIII Recollection 46

XXIV Reliquiae 47

XXV Potinae 50

XXVI Chande 56

PUÉRILITÉS ET ENFANTILLAGES

XXVII Square . 63

XXVIII L'enfant au sucre d'orge vert ....... 64

XXIX Cycle 65

XXX O petite Adrienne 66

XXXI Passer 69

XXXII Flos Aliger. . 71

XXXIII O petite Beauté . 73

XXXIV Elle est toute petite 74

XXXV L'enfant dont la tristesse 75

XXXVI Diva 76

XXXVII Infantillage. 77

XXXVIII D'où vient qu'aux enfantins souvenirs 80

XXXIX Indulgence plénière 82

XL Missa est 85

XLI Confesse 87

XLII Humus collégial 88

XLIII Thus turris 91

XLIV Blanc mineur 92

XLV Eucharis 94

XLVI Tables vives 97


TABLE 391

Pages.

XLVII Vérités essentielles 99

XLVIII Rhapsodies 100

XLIX Louloups 105

L Bon Ami . , 107

LI Pourquoi ces meurtriers 109

LU Caput ... 110

LUI Messieurs de Paris 112

III

CHAMBRE CLAIRE

INTUS

LTV Faire 117

ZOTHECAE AC MUSICAE

LV Louis-Quinzerie 121

LVI Vester Vesper. . 122

LVII Scrupule 123

LVIII Pièces 124

LTX Morceau 126

LX Va lontano 127

TXT Foederis Arca 132

LXII Le Blanc et le Noir 134

LXIII Deux refrains 135

CÉANS

LXIV Manières 139

LXV Facture 140

LXVI Transfusion 141

LXVII Hic Locas 144

LXVIII Angle docte 145


392

LES HORTENSIAS BLEUS

Pages.

LXIX Pupitre 146

LXX Alluvions 147

LXXI Thérapeutique 149

LXXII Objets 150

LXXIII Intus. 152

LXXIV Roseum Mare. 153

LXXV Je veux faire de l'art Japonais 155

LXXVI Pierrot 156

LXXVII Empirisme 157

LXXVI II Les éventails anciens 162

LXXIX Babel 163

LXXX Prodigue 165

LXXXI Quia Pulvis 169

ALTIOR

LXXXII Flandres 175

LXXXIII Musique de jardin .... .... 177

LXXXIV Jucunda Joconda 186

LXXXV Oracle 187

LXXXVI Balnea 188

LXXXVII Plafond 189

LXXXVIII Longus 190

LXXXIX Le ciel est treillage 191

XC Succube 192

XCI Répit 193

XCII Pinacothèque 194

XCIII Tempé 197

XCIV Une Musicienne . . . , 199

XCV Minet 201

XCVI Mac-Neilliana 203

FORAS

XCVII Transport 207

XCVIII Portées 209

XCIX Ko-Ta-Ky . 211


TABLE

393

Pages.

C Ruinae 216

CI Chambre d'amis 219

CII Un portrait, au château d'Azay . 220

CIII Les tours du beau Castel . . 222

CIV Monoceros . 223

CV Venatio . 224

CVI Courre . 225

CVII Tama 227

STÈLES ET CIPPES

CVIII Nix et Nox 231

CIX Exsules 232

CX Les deux Anges 233

CXI Ce serait un penser 234

CXII Palpebrae ... 235

CXIII Melpomène 236

CXIV Diadèmes et draperies ........ 237

CXV Thalie 238

CXVI Madrigal 239

CXVII Offrande à Edmond de Goncourt 240

CXVIII De Verlânâ. . 244

CXIX Buffa-Seria 245

IV

CHAMBRE OBSCURE

ALMA PARENS

CXX Donnant, Donnant 251

CXXI Monstra te esse Matrem 253

CXXII Ratelier 255

CXXIII Vivres 257

CXXIV Indemnités . 259

CXXV Condoléances 261


394 LES HORTENSIAS BLEUS

VIVES SAISONS

Pages.

CXXVI Panneaux 265

CXXVII Vernal 267

CXXVIII Vert-vert 268

CXXIX Primevère 270

CXXX Allégorie. 271

CXXXI Physique de l'Avenir 272

MORTE SAISON

CXXXII Pénultièmes 277

CXXXIII Impares 279

CXXXIV Damae. 280

CXXXV Fille-feuille 282

CXXXVI Etoiles mortes 283

CXXXVII L'Insexuelle 285

CXXXVIII Macule 288

CXXXIX Glose 290

ECCE HOMO

CXL Liber 295

CXLI Rex 297

CXLII Chair fraîche 299

CXLIII Rois des Aulnes . 300

CXLIV Fermez cette cage : leur chambre 3 01

CXLV Elle racontait une histoire . ....... 303

CXLVI Berceuse grise 305

CXLVII Cet enfant qu'on gardait. . 307

CXLVIII Le gentil petit trépassé 311

MATER ALMA

CXLIX Chaque soir . . . 315

CL Gabelle 317

CLI P.P. C 321


TABLE

395

Pages. CLII La Mort n'est point un Être. . 324

CLIII In extremis 328

CLIV Sunt lacrymse hominum . 330

CLV Mortuis ignotis 332

TENEBRES

CLVI Dyspnée 337

CLVII Is pater est 346

CLVIII Iule 347

NENIES

CLIX Croissance 351

CLX Ancilla 352

CLXI Le front pareil au front 356

CLXII Chérubine 360

CLXIII A une morte 362

CLXTV Le Trio des Masques 364

CLXV Vous avez bien raison 365

CLXVI Les vrais trépassés et les sûrs défunts 366

CLXVII Berceuse noire 368

CLXVIII Rediviva 370

CLXIX Je m'en remets à Dieu 371

V

ITE

CLXX Dulcedo Amaritudinis 375

CLXXI Satis 377

CLXXII Oraison funèbre 378

CLXXIII Sepulcrum pulchrum 379

CLXXIV Exegi 381

CLXXV Requiescat in luce 382