Le film qui a coûté un bras
L’incroyable mésaventure vécue par Aron Ralston a inspiré à Danny Boyle, le réalisateur de Slumdog Millionaire, un long métrage haletant
"Excusez-moi de ne pas vous serrer la main, mais je n’en ai plus !" L’homme est du genre grand gaillard rigolard et exhibe sans complexe la prothèse métallique qu’il a conçue lui-même et prolonge son bras droit. "Quand mon fils aura l’âge que je lui raconte des histoires, je ferai un tabac en Capitaine Crochet." C’est avec une décontraction un peu désarmante qu’Aron Ralston revient sur la mésaventure qui, voilà près de huit ans, l’a tenu prisonnier cinq jours au fond d’une grotte de l’Utah, lui a coûté sa main et presque la vie. L’histoire devient aujourd’hui un film réalisé par Danny Boyle : 127 Heures. Six nominations aux Oscars de dimanche prochain. "Je ne voulais pas qu’Hollywood s’empare de mon histoire et la dénature, mais je savais que le metteur en scène de Slumdog Millionaire trouverait le juste équilibre entre documentaire et fiction. C’était très étrange de voir le canyon reconstitué en studio. Il y avait là ma corde, mon couteau, une femme qui fabriquait pour de faux une urine que j’avais, moi, dû boire pour de vrai, et un acteur qui jouait mon rôle. Sauf que James Franco pouvait à la fin de la journée se dégager de son rocher en carton-pâte."
Aron Ralston, lui, dut attendre 127 heures avant de se libérer de la masse rocheuse qui lui broyait le poignet. Le portable ne passe pas et notre amateur de sports extrêmes n’a prévenu personne de son escapade. Il tente de soulever le roc avec son baudrier, de le raboter avec son couteau. Rien n’y fait. Il rationne l’eau et la nourriture, se fait un hamac pour dormir. "J’ai vu toute mon existence défiler et réalisé à quel point j’avais été égoïste. J’ai fait mon mea culpa devant l’objectif de ma petite caméra DV pour mes parents et mes amis, que j’avais négligés pour aller escalader des montagnes. Frôler la mort me donnait à l’époque l’impression d’être en vie. Je la voyais enfin en face, mais là, j’avais peur!"
"Je pleurais de douleur, mais aussi de joie"
Au quatrième jour, alors qu’il trempe son dernier bout de sandwich dans son urine, il comprend que cette grotte sera sa tombe. "J’ai gravé mon épitaphe sur la muraille." Mais la vision d’un visage d’enfant dans la nuit lui redonne espoir. "C’était le signe qu’un avenir m’attendait. Sous le coup de l’adrénaline, j’ai réussi à me casser le bras, j’ai tailladé la chair et les nerfs avec mon couteau, qui coupait mal. Je pleurais de douleur, mais aussi de joie. J’allais peut-être mourir d’une hémorragie – je devais encore atteindre la surface et parcourir 11 kilomètres jusqu’à ma voiture –, mais je ne crèverais pas dans ce trou! J’étais tellement heureux qu’avant de partir j’ai pris en photo le reste de mon bras coincé dans le rocher."
Son histoire fit la une des journaux. Aron Ralston, héros comme les aiment les Etats-Unis, a écumé les plateaux télé, tiré de son "expérience" un livre devenu un best-seller*, et est aujourd’hui payé pour donner des conférences ou conseiller d’anciens soldats amputés. "Je ne regrette rien. J’ai perdu un bras, mais j’ai gagné une vie." A 35 ans, il n’a plus besoin de travailler et vit très confortablement du business médiatique généré par son histoire.
Aron Ralston rend encore visite à "son" rocher comme il va à l’église. "Il m’apaise quand j’ai le blues. C’est lui qui a fait de moi un homme nouveau. Meilleur. Si j’ai démissionné de mon job d’ingénieur chez Intel pour me lancer à l’assaut de sommets vertigineux, c’est parce que j’avais l’impression de n’être personne. J’avais fait de brillantes études, mais les gars intelligents sont mal vus. Je voulais prouver au monde que j’étais capable de choses exceptionnelles. Cela m’a pris du temps. Un vrai combat contre moi-même et mon arrogance. Mais j’ai fini par comprendre : ce qui rend plus fort, c’est d’apprécier la vie et non de la défier." Son sport le plus extrême aujourd’hui ? "Aller à la mare aux canards avec mon fils".
127 Heures, Michel Lafon, 18,90 euros.
Source: JDD papier
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