Lois scolaires de Jules Ferry : Comment naît l’école de la République en France ?

Lois scolaires de Jules Ferry : Comment naît l’école de la République en France ?

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Lois scolaires de Jules Ferry : Comment naît l’école de la République en France ?

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Comment naît l'école de la République en France ?
Comment naît l'école de la République en France ?
© AFP - JACQUES LOIC / PHOTONONSTOP

Jules Ferry fonde l’école républicaine en proposant une série de lois qui instaurent une instruction publique, gratuite, obligatoire et laïque pour toutes et tous. Une démocratisation de l’école afin de garantir l'unité de la République française.

À l'occasion des 130 ans de la disparition de Jules Ferry, retraçons l'histoire de la naissance de l'école républicaine.

L’héritage d’une école longtemps dominée par l’Eglise

Si Jules Ferry n’invente pas l’école elle-même, il révolutionne une institution multicentenaire qui était, depuis ses plus vieilles origines, restreinte à la portion congrue de la société. L’école était d’abord réservée, depuis le Moyen Âge à la formation des élites et dominée par les congrégations religieuses. L'école des temps lointains prend forme en France à l’initiative de l’Église. C’est avec Jules Ferry que cette dernière devait perdre toute son autorité sur l’Éducation publique.

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L'autorité civile a mis du temps avant d'imposer pour la toute première fois à l’Église une politique civile en matière d’enseignement. C’est la Révolution française qui marque une rupture fondamentale dans la manière d’envisager la politique de l’instruction de la société, l'événement majeur qui rendait irréconciliables, pendant tout le XIXe siècle, l'Église réactionnaire et le libéralisme politique. Si le projet révolutionnaire défend déjà une scolarisation gratuite, obligatoire, laïque, égale pour les filles et les garçons, ces mesures restent lettre morte jusqu’à Jules Ferry et la IIIe République.

L’école repose pendant tout le XIXe siècle sur la liberté d’enseignement fondée sur l’ordre moral et le cléricalisme. Les défenseurs de l’école laïque et de l’école religieuse se déchirent. La IIIe République a failli avorter. La société se remet tout juste de la guerre contre la Prusse, des émois de la Commune de Paris et est encore largement imprégnée de cléricalisme et de conservatisme social.

Naissance de l'école gratuite, obligatoire et laïque

L'École de Jules Ferry forge la IIIe République

C’est avec l’élection de Jules Grévy à la présidence de la République en janvier 1879, qu’une page se tourne et que la République libérale est définitivement instaurée. Les ténors républicains (dont Jules Ferry) installent les valeurs de la France républicaine. Au pouvoir, ils prennent des mesures symboliques pour républicaniser la nation, garantir l’émancipation de l’individu tout en rejetant l’autoritarisme et le conservatisme social. À ce moment-là, Jules Ferry est président du Conseil des ministres (1880-1885) et ministre de l’Instruction publique (1879-1883). C'est lui qui élabore la première grande politique publique pour ce qui concerne l’école républicaine. Par le biais de l'éducation, cette réforme libérale promeut la démocratie politique, en participant à la transformation sociale et économique du pays.

Ainsi, Jules Ferry consacre-t-il, dans la lignée des idées de la Révolution et des revendications de la Commune de Paris, les lois proclamant l'École primaire gratuite pour éduquer tous les enfants de la République (loi du 16 juin 1881) ; obligatoire pour les élèves de 6 à 13 ans et fondée sur une instruction laïque (loi du 28 mars 1882) qui interdit l'enseignement religieux et les instituteurs ecclésiastiques dans le modèle éducatif public (sauf s’ils sont titulaires d’un brevet public d’enseignement).

Cette réforme de l’école, Jules Ferry en donne les principaux détails en 1883 dans une lettre qu’il adresse aux instituteurs : "La loi du 28 mars 1882 qui se caractérise par deux dispositions, et se complètent sans se contredire. D'une part, elle met, en dehors du programme obligatoire l'enseignement de tout dogme particulier. D'autre part, elle place au premier rang l'enseignement moral et civique. L'instruction religieuse appartient aux familles et à l'Église, l'instruction morale à l'école. Le législateur a eu pour premier objet de séparer l'école de l'Église, d'assurer la liberté de conscience des maîtres et des élèves, de distinguer deux domaines jusque-là confondus celui des croyances personnelles, libres et variables et celui des connaissances qui sont communes et indispensables à tous ".

La laïcisation de l’École et "les hussards noirs de la République"

La nouvelle loi scolaire implique l’interdiction de l'enseignement de la religion à l’école publique au moment des heures de classe. Elle rompt avec la loi Falloux du 15 mars 1850 qui généralisait l’enseignement catholique et le droit de contrôle de l’Église sur l’école. La nouvelle instruction républicaine affaiblit une institution religieuse qui s’était rangée depuis très longtemps du côté de la réaction, de l'ordre moral conservateur qui entretenait un imaginaire collectif antilibéral et anti-républicain. Pour autant, si l’anticléricalisme fédère la réforme de laïcisation scolaire, et qu’on ne souhaite plus que les affaires religieuses viennent perturber le nouvel ordre politique, l’école de Jules Ferry s’entend comme une école de la réconciliation de l’ensemble des sensibilités au sein d’un lieu (public) où l’Etat garantit la neutralité des consciences.

La laïcité de l’école va de pair avec la loi du 27 février 1880 qui conduit à la fermeture des écoles et des couvents appartenant à des congrégations religieuses non autorisées. La loi de Goblet du 30 octobre 1886, va plus loin puisqu'elle confie à un personnel exclusivement laïc l'enseignement dans les écoles publiques (laïcisation complète du personnel enseignant). Les lois proposées par Jules Ferry annoncent déjà au sein du modèle éducatif la séparation du clergé et de l’Etat de 1905.

L’enseignement est assuré par celles et ceux que Charles Péguy surnommait en 1913 les « hussards noirs de la République », les instituteurs républicains payés par l’Etat qui se donnent pour mission de consolider les valeurs de la République naissante dans l’imaginaire collectif. L'enseignement à caractère confessionnel disparaît de la sphère publique et fait place à une instruction morale et civique. Un apprentissage basé sur l'écriture, la lecture, la dictée, les mathématiques, l’histoire, et surtout l'apprentissage de la citoyenneté républicaine. Les écoles doivent permettre d’accueillir tous les enfants, quelle que soit leur religion, leur convictions familiale ou leur absence de religion. Au sein des classes, on remplace progressivement les signes extérieurs religieux par des attributs républicains.

La loi du 9 août 1879 permet d’établir des écoles normales supérieures afin de former les instituteurs et les institutrices de la République. Ils acquièrent une conscience commune dans le cadre d’une corporation publique et sont désormais payés par l’Etat.

La démocratisation de l’école des filles

La réforme s’étend aussi bien aux garçons qu’aux filles. Si leur accès à l’école publique avait déjà été favorisé plus tôt dans le siècle (notamment par Victor Duruy), l’absence d’obligation ne permettait pas de généraliser autant l’accès des filles à l’instruction. La loi d’obligation consacrée par Jules Ferry leur permet enfin de s’affranchir de l’enseignement exclusivement privé (familial et religieux) auxquelles elles étaient strictement réduites depuis le Moyen-âge. Sans l’obligation, beaucoup de filles ne seraient pas allées à l'école conformément aux mœurs de l'époque puisque pour la frange la plus réactionnaire de la société, l'école détourne les femmes du mariage.

Dans un discours qu'il avait prononcé à propos de l'égalité dans l'éducation, peu avant la chute du Second Empire, le 10 avril 1870, Jules Ferry revendiquait déjà ce projet : « Réclamer l’égalité d’éducation pour toutes les classes […] Cette égalité, je la réclame, je la revendique pour les deux sexes […] La difficulté ici n’est pas dans la dépense, il est dans les mœurs ; il est, avant toute chose, dans un mauvais sentiment masculin. Il existe dans le monde deux sortes d’orgueil : l’orgueil de la classe et l’orgueil du sexe […] »

Toujours est-il que l’école de Jules Ferry formule une instruction qui demeure très sexuée, avec une instruction non-mixte, séparée, d’où une représentation constitutive d’une époque qui considère encore que les femmes ne doivent pas avoir le même rôle et la même ambition que les hommes. Mais si l’école de Jules Ferry confine toujours l’esprit des femmes aux affaires domestiques en maintenant les cours de couture à l'école, elle considère que désormais la raison est égale chez les deux sexes et défend l'unité des esprits. L'enseignement est totalement symétrique à l'école primaire. Les filles passent le même certificat d'études. S'il est un homme de son temps, Jules Ferry remet totalement en cause la distribution conventionnelle et traditionnelle des représentations.

La Marche de l'histoire
29 min

Sources

📖  LIRE - Dominique Borne et Pierre Albertini : L'École en France : XIXe-XXe siècles : de la maternelle à l'université (Hachette, 1992)
📖  LIRE Rebecca Rogers : La Fabrique des filles, l'éducation des filles de Jules Ferry à la pilule" (Éditions Textuel)
📖  LIRE - Mona Ozouf : Jules Ferry. La liberté et la tradition (Gallimard)
📖  LIRE Jean Garrigues, Philippe Lacombrade : La France au XIXe siècle, 1814-1914 (Armand Colin, 2011)

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