Line Papin : « J'ai retrouvé l'envie d'aimer »
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Line Papin : « J'ai retrouvé l'envie d'aimer »

 Sur son carnet, les notes qui lui ont servi à écrire « Après l’amour », un livre illustré par Inès Longevial. Dans un café de la rue de Seine à Paris, vendredi 21 avril.
Sur son carnet, les notes qui lui ont servi à écrire « Après l’amour », un livre illustré par Inès Longevial. Dans un café de la rue de Seine à Paris, vendredi 21 avril. © Ilan Deutsch
Charlotte Leloup , Mis à jour le

Après sa séparation d’avec Marc Lavoine, l’écrivaine Line Papin raconte la fin de cette passion dans un recueil de poèmes intimes. Rencontre.

C’est dans un carnet épais, en cuir rose, gravé de ses initiales en or « LP », que Line Papin a jeté ses pensées en vrac. Elle l’a acheté juste après sa rupture, alors qu’elle venait d’emménager dans un studio niché près de la place Saint-Sulpice, à Paris. « Ce carnet représente une chambre dans laquelle je pouvais me réfugier. J’ai écrit des cantiques, des élégies. C’est le chant du cygne. Un chant d’au revoir », confie-t-elle. Les pages à l’intérieur sont légèrement bleutées. La calligraphie est régulière, pleins et déliés noircis à la plume. En guise de présentation, elle dépose le carnet rose sur la table : « J’ai voulu l’apporter avec moi », dit-elle.

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Le rendez-vous a été pris dans un bistrot, à Saint-­Germain-des-Prés. Elle arrive, silhouette de danseuse, gracile, les cheveux encore humides et ondulés par l’eau de la piscine. Et se livre, tournant parfois les pages pour chercher, s’arrêter sur une phrase. « Janvier 2022 » est inscrit en tête de la première : « Après l’amour ». « Lorsque tu aimes quelqu’un, tu construis et tu te projettes dans un film. Le mien s’est figé du jour au lendemain : il n’y avait plus de scénario. Alors, quand tout s’arrête, tu te demandes : “Qu’est-ce que je vais faire de cet amour qui n’est plus ?” » Elle a écrit frénétiquement, se souvient-elle, souvent le jour, parfois la nuit, et toujours sous le regard félin de Marceline, son chat léopard du Bengale qui joue les sentinelles. Sa garde ? Line en a hérité après la séparation. Un chat est le compagnon parfait pour affronter les ruptures : il ne parle pas, ne juge pas, il ronronne et rassure : « Je crois qu’il n’existe pas un animal au monde qui soit plus aimé que Marceline », assure Line. Lacan, le psychanalyste, aurait souri de ce nom de chat qui sonne comme « Marc-et-Line ». De Marc Lavoine, l’homme follement aimé, Line, justement, ne prononcera ni le prénom ni le nom. Elle refuse d’en parler. Elle a prévenu avant l’entretien : « Ce livre n’est pas un journal intime ; je ne raconte pas ma rupture, mais le cheminement du deuil exploré sur une année. L’écriture m’a permis de sculpter mon chagrin. » Dans ses poèmes, le nom de Marc Lavoine n’apparaît pas non plus. L’homme aimé s’appelle « lui », « mon amour » ou « mon ancien mari ».

 De toi, je ne ferai jamais mon deuil (...) mon bébé jamais né 

Line Papin

Leur belle histoire n’était pourtant pas secrète, elle s’étalait dans les journaux, faisait rêver. La romancière et le chanteur s’étaient croisés pour la première fois en 2016, dans un studio de radio. Il venait faire la promotion de son nouvel album, elle présentait « L’éveil », un premier roman dont les ventes s’envolaient… La plus jeune romancière de cette rentrée littéraire n’avait alors que 20 ans mais déjà une plume à part, sensible, mystérieuse. Une élégance. Avant Marc, elle écrivait. Après, elle écrit toujours. Elle espère qu’un jour, bientôt, on arrêtera de la ramener au statut d’« ex-femme de ».

Ce recueil est son sixième livre. Dans les précédents, elle a raconté la chaleur moite de Hanoï où « l’air est si humide qu’on a l’impression d’habiter un ventre chaud ». Hanoï, « la ville entre les fleuves », le refuge qui abrite ses souvenirs d’enfance. À l’âge de 10 ans, elle quitte le Vietnam pour la Touraine, puis Paris. Dans ses livres, « Les os des filles », « Le cœur en laisse », « Une vie possible », Line Papin s’attarde sur le déracinement, l’anorexie, le mal de vivre. À Hanoï, il y a du bleu et encore du bleu. Presque le même bleu que les yeux de Marc.

Avec Line, « lui » retrouve le goût de la vie. Qu’importent les ­jugements, leurs trente-trois ans d’écart… Il lui dédie « Ma Papou » qui chante « une poupée moitié indochinoise, fifty française » : « Mon dernier rendez-vous, mon ultime hypothèse ». Marc est au micro et Line dessine les illustrations du clip. Le 25 juillet 2020, c’est sur la Seine qu’ils se disent « oui ». Ce serment pour la vie fait la couverture de Paris Match. Deux ans plus tard, fin du voyage. Le couple se sépare.

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Dans un de ses poèmes intitulé « N° (Nouvelle vie) », Line écrit : « Je me suis mariée à 24 ans, j’ai divorcé à 25 ans, j’ai fait une fausse couche à 24 ans, j’ai avorté à 25 ans, je vis seule à 26 ans. L’avenir est silencieux. Il s’est tapi dans les buissons. Il ne promet rien. » Et l’écrivaine s’interroge : « Et vous, comment vous faites après l’amour ? Je ne parle pas de l’acte, qui nous laisse des expressions ébahies, des corps lascifs et détendus… Je parle de l’amour véritable, celui qui vous prend à la gorge et bouscule les lignes du réel, quand il s’arrête, comment vous faites ? » Il y a ceux qui boivent pour oublier, ceux qui se recroquevillent dans leur lit en attendant que ça passe, ceux qui sont incapables de rester seuls et attrapent le premier cœur libre… Line n’appartient à aucune de ces catégories. Elle opte pour le cahier rose.

Avec lui, elle ausculte les cicatrices de l’amour perdu, lorsqu’il faut tout reconstruire, y compris les visages qui « arrachent et déforment sans pitié » : « Le visage de la rupture, écrit-elle, c’est celui qui porte le désamour. J’avais l’impression de ne plus avoir de visage. » Pire encore, elle dit y avoir perdu une part de son identité. Extrait du poème intitulé « N° (Manque) » : « Mon identité n’est plus “ta femme”, mon identité est-elle “divorcée” […] quand on n’est plus aimé, on est désidentifié. » Et que faire du désir ? Lorsque les corps sont « désorientés et que les ventres et les cuisses sont creux ». Line Papin explique : « J’aime l’image de l’hydre à deux têtes, lorsqu’on est deux, les corps fusionnent et puis, lorsque l’amour s’arrête, il faut se réapproprier son corps. » Mais comment ? « En remplaçant l’ocytocine [l’hormone de l’amour] par les endorphines ! » répond-elle dans un éclat de rire. 

 Ma rupture a été un tel tremblement de terre que je suis restée figée 

Line Papin
Sur les quais de Seine, le 21 avril.
Sur les quais de Seine, le 21 avril. © Ilan Deutsch

Plus sérieusement : « Je suis allée nager tous les jours. J’avais l’impression de noyer mon chagrin, qu’il se diluait, qu’il sombrait au fond de la piscine. » Elle aurait pu choisir la baie d’Ha Long, à plus de 9 000 kilomètres, une mer plus apaisante que les tristes bassins parisiens : « Ma rupture a été un tel tremblement de terre que je suis restée figée, “plus personne ne bouge” ! Je ne pouvais quitter ni mon appartement ni mes amis. » Pour ceux qui ont eu la fortune de ne pas le côtoyer, le chagrin d’amour est une traversée en mer déchaînée : « Comme Ulysse, tu passes tes journées à aller d’île en île pour te raccrocher. S’il y a des sirènes toxiques, alors tu repars. Parfois, le soleil apparaît et la mer se calme et puis c’est à nouveau la tempête. » « À quoi servent les souvenirs si c’est pour pleurer ? » questionne-t-elle. Pourquoi a-t-elle choisi de publier ce carnet si intime ? « À la dernière page, j’ai eu la sensation que mon deuil était terminé. C’était la fin de mon manuel de survie. J’aimerais que ce livre accompagne d’autres personnes. Qu’il devienne un grigri ou un porte-bonheur, des lettres à destination des cœurs brisés. » Elle ajoute : « En France, on a un rapport parfois un peu clinique au deuil. Il faut mettre dans des boîtes, se séparer, oublier alors que, dans d’autres cultures, les conversations continuent… Au Mexique, il y a la fête des morts et c’est joyeux. »

Paradoxalement, ces poèmes lui ont offert sa plus grande liberté d’écriture : « J’ai perdu tout ce que j’avais imaginé construire, l’appartement, le mariage, les enfants… J’ai pris toutes les libertés parce que, comme rien n’avait marché, je n’avais plus rien à perdre. » Lorsque Line a remis ce carnet à son éditeur, elle n’a supprimé aucun passage, aucun mot, aucune ligne : « Si je me censure, cela signifie que mon livre n’est plus entier. Je n’ai pas besoin de plaire et je n’en ai pas envie. Je n’écris pas pour être lue, pour la presse ou pour le succès, j’écris par nécessité. » Elle compare l’écriture à une rampe à laquelle elle s’accroche pour tenir, ne pas tomber : « Lorsque j’avais 16 ans, j’ai souffert d’anorexie et j’ai failli mourir. Je suis restée hospitalisée pendant une année. La lecture m’a sauvée. J’ai l’impression d’avoir vécu des tête-à-tête incroyables avec Camus, Tolstoï ou ­Dostoïevski… J’ai eu un déclic le jour où j’ai compris que si les livres m’avaient sauvée, j’avais maintenant le devoir de créer du beau avec l’écriture. » C’est alors qu’elle esquisse, dans cette chambre d’hôpital, les premières lignes de son premier roman. « Depuis, dit-elle, j’ai l’impression d’être en conversation avec un ange. Il me protège. Je n’ai pas envie de le trahir et si je me censure, je me trahis. Les critiques et ce que les gens pensent… Ce n’est pas très important. »

Le poème intitulé « Martha » évoque son avortement, en 2021 : « De toi je ne ferai jamais le deuil […] j’imagine ta petite main, ton fantôme sans lendemain, mon bébé jamais né, notre rêve inachevé… » Dans un livre précédent, Line évoquait une fausse couche, un an auparavant, en 2020. En plein confinement, alors que le monde s’est arrêté, elle attend des jumeaux. Ils ne survivent pas. La grossesse interrompue fait chavirer son équilibre. Elle tient à ce poème sur Martha, cet enfant avorté qu’elle ne veut pas cacher. « Je ne me suis pas posé une seule seconde la question de savoir si je devais l’enlever. Il fait partie de mon histoire. Cela raconte un deuil, un avenir amputé. Il ne faut pas rendre tabou le sujet de l’avortement. Les femmes vivent en permanence avec ce rapport à l’enfantement possible ou impossible. »

Le dernier poème s’intitule « Rideaux » et se termine par ces mots : « Rideaux sur toi chéri. Rideaux et applaudissements. » Quelques pages auparavant, elle écrit : « Le chagrin m’a modifiée, si tu frappes à ma peau, tu ne reconnaîtras pas celle qui va se retourner. » Qu’y a-t-il alors après l’amour ? « Il y a la vie. Follement. J’ai pris conscience que même si l’amour que j’ai vécu s’est arrêté… je l’ai vécu. Le grand amour ne disparaît jamais, il devient votre force. Il vous rend encore plus femme. »

Ce grand amour, si fou, si passionné, presque démesuré, ne le rencontre-t-on qu’une seule fois ? « Mais non ! s’exclame-t-elle. Cela serait horrible ! Alfred de Musset disait : “Il faut aimer sans cesse après avoir aimé.” Mon grand-père vient de se remarier à 83 ans. Plusieurs années après la disparition de ma grand-mère. Quand je le regarde, je vois le visage de l’amour et cela me bouleverse. Aujourd’hui, je respire, j’ai envie d’aimer à nouveau. »

Il semble manquer une étape essentielle dans ce travail de deuil : celle de la colère. Dans ces poèmes, ni aigreur ni rancœur. On le lui fait remarquer, elle réplique : « Quand vous avez vécu l’amour pur, il n’y a pas de place pour l’amertume. La définition du véritable amour c’est peut-être que lorsque l’on “désaime”, on aime encore… »

Elle marque un silence, feuillette les pages de son carnet rose et reprend : « Pour aimer, il faut accepter de souffrir. Cela me rend très triste lorsque j’entends des personnes dire qu’elles ne veulent plus aimer parce qu’elles ont trop souffert ; elles n’ont rien appris. Personne n’a encore inventé la péridurale pour les chagrins d’amour ! Mais aimer reste le plus grand luxe de la vie. »

Line Papin range son carnet rose au fond de son sac en cuir noir. Marceline, le chat léopard, l’attend. Au milieu des cartons de déménagement qui s’empilent, l’animal devient fou. Elle quitte Saint-Germain-des-Prés pour un autre quartier. « Une nouvelle page », lance-t-elle en guise d’au revoir. Line a changé de rive.

« Après l’amour », de Line Papin, éd. Stock, 304 pages, 19,50 euros.
« Après l’amour », de Line Papin, éd. Stock, 304 pages, 19,50 euros. © Stock

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