Alexander McQueen et John Galliano, splendeurs et misères de deux grands couturiers

Alexander McQueen et John Galliano, splendeurs et misères de deux grands couturiers

« Dieux et rois », le livre de la journaliste américaine Dana Thomas consacré aux deux génies de la mode, est enfin publié en France !

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Le créateur de mode John Galliano au début de sa carrière. 
Le créateur de mode John Galliano au début de sa carrière.  © Independent / Alamy / Abaca

Temps de lecture : 5 min

Au mitan des années 1990, deux Anglais sans fortune ont dominé la mode parisienne. Leur fin de règne fut aussi tragique que scandaleuse. Alexander McQueen et John Galliano, deux génies dévorés de l'intérieur par une enfance fracassée, ont explosé en vol. McQueen s'est suicidé à 40 ans et Galliano, filmé par un passant en train de tenir des propos antisémites, a dû quitter Dior juste après. Était-ce inéluctable ? Pourquoi une telle tragédie s'est-elle produite pour l'un comme pour l'autre ? Qu'avaient-ils de si particulier ? Est-ce le business grandissant et la pression qui les ont poussés dans les affres de la dépression et des abus en tout genre ?

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Une du <em>New York Post </em>après le scandale antisémite à Paris.
Une du New York Post après le scandale antisémite à Paris.

La journaliste Dana Thomas, ancienne du Washington Post et de Newsweek, correspondants free-lance à Paris pour le New York Times, avait commencé une enquête sur la chute de Galliano en 2011, pour le Post. « Et je me suis rendu compte qu'il n'était pas le seul designer qui avait craqué sous la pression. Marc Jacobs partait en cure de désintoxication, le créateur de Balmain était épuisé, McQueen s'était tué… Je sentais qu'il fallait creuser davantage que le cas Galliano. »

Quatre ans d'enquête

Dana Thomas a donc fouillé pendant quatre ans et demi pour livrer un récit centré sur la vie et les raisons de la dégringolade de ces deux hommes trop rivaux pour être amis. En anglais, cela s'appelait Gods and Kings, publié en 2015. Les éditions Séguier le sortent ces jours-ci traduit en français, sous un titre des plus fidèles : Dieux et rois. Car ces deux-là furent plus que des rois du chiffon, ils furent les dieux d'un univers encore artisanal, plus pour longtemps. L'autrice a décortiqué la jeunesse, l'ascension, le talent, les folies créatives de Galliano et McQueen, l'un ayant tout appris à Savile Row quand l'autre fréquentait l'école Saint Martins.

Le lecteur assiste à la naissance d'un entourage, ce sont deux clans de jeunes Anglais modernes qui débarquent, ignorants et volontaires, pour conquérir Paris, avec le soutien de Bernard Arnault. Le propriétaire de LVMH mise sur ces excentriques si doués pour revigorer deux maisons endormies, du moins très calmes. John Galliano secoue Givenchy avant de filer chez Dior et de laisser Givenchy à McQueen. Sur la route du succès, ces deux-là furent cruels. Galliano a abandonné la muse qui l'a tant aidé, Amanda Harlech ne se voit pas proposer de contrat, elle rebondira finalement chez Chanel grâce à Karl Lagerfeld. Et la chère Isabella Blow, qui s'est démenée pour faire découvrir McQueen, le petit gars pauvre de l'East End, n'est pas non plus du voyage en France, à son grand dam. « Isabella pouvait être très envahissante, sans doute Alexander ne voulait-il pas partager la gloire », distille Dana Thomas.

John Galliano avec Anna Wintour et Oscar de la Renta au Metropolitan Museum of Art, dans les années 1990.
©  Rose Hartman / Hulton Archive / Getty Images
John Galliano avec Anna Wintour et Oscar de la Renta au Metropolitan Museum of Art, dans les années 1990. © Rose Hartman / Hulton Archive / Getty Images

Pour elle, c'est certain, l'argent qui coule à flots, les privilèges, l'absence de limites ont contribué à la fin spectaculaire de ces héros du tissu. John Galliano et Alexander McQueen ont abusé des drogues, de l'alcool, de toutes sortes de substances, sans que quiconque intervienne vraiment. « Aux États-Unis, en cas de soucis, vous êtes envoyé en clinique. En France, on conseille parfois de consulter, mais guère plus, du moins à l'époque. Leurs employeurs ne savaient pas comment agir face à de tels comportements », explique Dana Thomas, qui décrit les excès, les caprices, les crises de ces protagonistes divas qui exigent tout et à qui personne ne résiste.

Autour d'eux, la mort rôde

Triomphe et finitude semblent faire la course. Autour d'eux, la mort rôde. L'aristocrate dépressive Isabella Blow se suicide en avalant du détergent pendant un week-end entre amis à la campagne. Le second de Galliano, Steven Robinson, est retrouvé sans vie à son domicile parisien après une énième prise de cocaïne. La fête tourne mal. Dana Thomas blâme l'industrie, mais aussi, évidemment, l'héritage d'une enfance malheureuse : « Grandir comme McQueen en se sachant gay avec un père homophobe, ce n'est pas idéal. Et j'ai appris grâce au nouveau documentaire de Kevin Macdonald sur John Galliano que celui-ci se faisait battre non seulement par son père mais aussi par sa mère. Ils ont été détruits dès le plus jeune âge. »

Alexander McQueen avec Isabella Blow.
Alexander McQueen avec Isabella Blow.

Dans une critique vénéneuse, la célèbre journaliste de mode Cathy Horyn avait, lors de la sortie de ce livre, signifié que, selon elle, l'industrie avait davantage sauvé que condamné McQueen, qui avait pu s'épanouir grâce à la création. On croyait en lui, ce qui a prolongé l'existence de ce dépressif violé à 11 ans par son beau-frère. Dana Thomas s'agace de cette thèse : « Tout déraille dès qu'ils arrivent dans les grandes maisons. Elle n'a pas lu mon livre… Je connais Cathy depuis 1991, elle n'a jamais réussi à écrire autre chose que des articles. Je ne suis pas d'accord avec elle et j'ai passé presque cinq ans à enquêter. »

Une scène se révèle poignante, celle du suicide de McQueen. Dana Thomas raconte comment le prodige s'est raté plusieurs fois, un couteau qui coupe mal, une tige pas assez solide, avant de réussir à se pendre à l'aide de sa ceinture. Un passage d'une tristesse noire, des lignes désespérées. « J'ai écrit cette scène pendant Thanksgiving, un an avant de terminer l'ouvrage, c'était dur, j'écoutais la messe en B mineur de Bach toute la journée quand a surgi à ce moment pile un morceau qui s'appelle “La Crucifixion”. J'étais en larmes. J'ai sauvegardé ma page et suis allée me coucher. » La mannequin Annabelle Neilson venait de partir de chez le couturier quand il a décidé de passer à l'acte. Elle-même est morte 8 ans plus tard d'une crise cardiaque, après des années d'abus et d'anorexie. Le glamour côtoie en permanence le caniveau.

Tout dans cet ouvrage semble si proche de nous, nous connaissons ces noms, McQueen s'est tué en 2010, Galliano a disparu des écrans en 2011, avant de reprendre la maison Margiela. Et pourtant, tout a changé. La mode est maintenant une industrie très sérieuse qui pèse des dizaines de milliards. Le coup de poker et de génie qui fut de nommer ces personnages fantasques et incontrôlables à la tête de grandes maisons françaises, une réussite marketing et commerciale, semble impensable de nos jours. Ce monde ne reviendra jamais.

Dana Thomas, Dieux et rois, éditions Séguier.

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Commentaire (1)

  • Alex_555

    C est balot…. Les memes propos tenus 12 ans plus tard seraient passés comme une lettre à la poste…