Andrew Birkin, l'album intime : «Jane, Serge et moi»
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Andrew Birkin, l'album intime : «Jane, Serge et moi»

Dans son cabanon en bord de plage, Andrew aime se retirer avec ses chiens. Au pays de Galles, le 21 septembre.
Dans son cabanon en bord de plage, Andrew aime se retirer avec ses chiens. Au pays de Galles, le 21 septembre. © Ilan DEUTSCH / PARIS MATCH
De notre envoyée spéciale au pays de GallesAurélie Raya , Mis à jour le

Pendant des années, le frère de Jane Birkin a photographié au quotidien le couple qu’elle formait avec son french lover. Un album intime et inédit

Rarement éprouve-t-on à ce point la sensation d’arriver au bout du monde. Ce fut le cas en débarquant chez Andrew Birkin. Un patelin… que dire? un hameau, au fin fond du pays de Galles. Le long de la route, de l’herbe verte, des moutons, de superbes vaches au poil marron. Peu d’âmes aux alentours et, au terme d’un chemin rétréci, une vaste maison rafistolée, isolée. La sienne.

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Serge était inconnu avant « Je t’aime… moi non plus». Je ne savais pas qu’il deviendrait si célèbre.

 

Pas de voisins. Des jeux d’enfants traînent dehors; deux chiens joueurs accueillent le visiteur avant que l’homme, grand, n’apparaisse. Longs cheveux blancs, il se fiche manifestement de ses vêtements et s’excuse pour sa lenteur. Il a mal au dos depuis ce matin et utilise une canne pour se déplacer. Andrew offre un tour du propriétaire. Un incroyable bric-à-brac se déploie dans chaque pièce; partout où l’œil se pose, des objets surgissent. Des vinyles – celui de sa nièce Charlotte, «Rest», en côtoie un autre de Dylan –, des outils, des pellicules de nitrate inflammables, de vieilles machines de montage, des rayonnages de livres anciens, des maquettes, des fioles de produits chimiques en tout genre.

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Ce professeur Tournesol british est tout heureux de montrer un minuscule morceau d’uranium… Des tableaux de sa femme, Karen, ou de son père, David, entourent une carte du monde et décorent le bureau. Une photo encadrée de l’ami Serge attire le regard, celle où, rigolard, l’ancien beau-frère lit un article de journal titré «Le torchon brûle chez les Gainsbourg ». Andrew Birkin aime cette image: «Quand je le photographiais, Serge ne se prenait pas au sérieux, son œil frisait. C’est sans doute la raison pour laquelle mes portraits sont différents, il était très drôle.»

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L’objectif tendre d’Andrew rend les amants familiers, joyeux et innocents, rigolos, légers.

Ces temps-ci, Andrew Birkin publie un album intimiste qui regroupe quantité de photos qu’il a prises de sa sœur cadette, Jane : l’enfance choyée, la beauté naissante, la naissance de sa fille, Kate, puis Serge Gainsbourg, leur fille Charlotte… Il y a toute l’histoire des Birkin et, plus encore, toute l’histoire de Jane et Serge, au temps du bonheur. On a vu mille clichés de ce couple qui adorait s’exposer dans la presse, mais l’objectif tendre d’Andrew rend les amants familiers, joyeux et innocents, rigolos, légers.

Beaucoup d’images datent d’avant la sortie, en 1969, de l’hymne sensuel « Je t’aime… moi non plus». Un scandale, un succès qui a transformé les amoureux en vedettes internationales. «Serge ne signifiait pas grand-chose pour moi, anglais, avoue Andrew, qui possède le pressage original du titre. Il était inconnu avant cette chanson. Je ne savais pas qu’il deviendrait si célèbre. Je photographiais sans cesse Jane, car elle appréciait cela, contrairement à notre sœur Linda. »

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Dans sa maison, un incroyable bric-à-brac dont une vieille machine de montage.
Dans sa maison, un incroyable bric-à-brac dont une vieille machine de montage. PARIS MATCH / © Ilan DEUTSCH

Andrew ne s’assoit pas quand il parle – et il parle beaucoup, de tout. Il s’échappe en digressions, s’enhardit sous l’effet de la cortisone, demande soudainement à propos de Napoléon: «Savez-vous où sont passés les journaux sur lesquels le comte de Montholon s’est appuyé pour son récit de captivité en 1846?» Le Corse dominateur revêt une importance conséquente dans la création de l’ouvrage de Birkin. À l’origine, le premier éditeur, Benedikt Taschen, l’avait abordé, il y a des années, en prévision d’un beau livre sur le long-métrage jamais réalisé de Stanley Kubrick sur Napoléon. Après une mission sur «2001», le jeune technicien Andrew Birkin avait en effet œuvré pour le compte du maître à la fin des années 1960. Il devait saisir chaque lieu foulé par l’empereur, de Malmaison à l’Italie, de Fontainebleau aux Tuileries…

J’avais tout donné à Kate pour qu’elle vende ces photos et récolte de l’argent pour sa fondation contre la drogue. Mais elle n’a rien fait, sans doute était-ce trop intime…

 

Birkin avait envoyé des milliers de rouleaux au domicile de Kubrick l’obsessionnel, en Angleterre. Puis rien. Le flot dormait au manoir de St Albans, la résidence de Kubrick. Jusqu’au moment où l’éditeur du projet Napoléon a découvert ces archives et constaté la présence régulière de Gainsbourg sur les pellicules de Birkin. Pourquoi donc ? Le chanteur allait-il interpréter l’Empereur? Et Andrew d’expliquer qu’il shootait sa sœur et Serge quand il ne travaillait plus.

Kubrick avait droit à la couleur, en Ektachrome, Andrew employait du noir et blanc pour son usage personnel, mais il se mélangeait parfois les pinceaux. Touchée par tant de candeur et alléchée par tant d’inédits du couple célèbre, l’éditrice a réclamé à Andrew davantage de matériel, l’album de l’époque. Un premier livre est sorti en 2013, chez Taschen, dont le graphisme n’a pas vraiment plu à Andrew.

Celui du nouvel ouvrage, chez Albin Michel, lui sied davantage. « J’avais d’abord refusé. J’avais tout donné à Kate pour qu’elle vende ces photos et récolte de l’argent pour sa fondation contre la drogue. Mais elle n’a rien fait, sans doute était-ce trop intime… On a récupéré les rouleaux deux ans avant sa mort, mais certaines images d’elle bébé ont disparu», raconte-t-il, songeur.

Jane et Andrew partagent la pire des choses, le deuil d’un enfant.

Kate Barry, née en 1967, est l’aînée de Jane Birkin, issue de son bref mariage avec le compositeur John Barry. La blondinette espiègle remplit les pages, sa complicité avec Gainsbourg émeut. «Si Barry fut un mauvais père, elle avait éprouvé un coup de foudre pour Serge, relate l’oncle. Kate était la plus marrante, elle m’avait emmené faire la tournée des bars à billards de Paris jusqu’à 4 heures du matin. » Cela serre le cœur de penser à la fin de cette dernière, tombée tragiquement de sa fenêtre, selon lui, durant l’hiver 2013.

Jane et Andrew partagent la pire des choses, le deuil d’un enfant. Le fils d’Andrew, Alexander, dit Anno, est mort à 20 ans, en 2001, dans un accident de la route. Andrew évoque ce gouffre émotionnel sans pathos, une expérience atroce qu’il faut traverser, «trois ans de montagnes russes, avec des très hauts et des très bas, puis vous vous stabilisez».

Je ne suis pas nostalgique, peut-être mélancolique.

Sa résilience fut de créer une fondation caritative en Afrique et d’éditer les milliers de feuillets de poésie de son fils, recueil qu’il vend encore aujourd’hui par correspondance. «Une façon de le faire revivre pour l’athée que je suis», dit-il. «Je ne suis pas nostalgique, peut-être mélancolique. Jane aussi, mais n’est-ce pas le cas de toutes les familles?» s’interroge-t-il en nous guidant dans l’allée du jardin qui mène à une belle plage, la sienne, en contrebas. Voilà le secret du lieu. Des cailloux, du sable, des rochers, le vent et un cabanon avec terrasse où trônent deux transats usés, face à la mer. C’est magique.

Andrew Birkin près d’Edern, dans le nord du pays de Galles.
Andrew Birkin près d’Edern, dans le nord du pays de Galles. PARIS MATCH / © Ilan DEUTSCH

Andrew Birkin et sa femme ont acheté le terrain il y a douze ans. Ils habitaient non loin, avant. Lui réside au pays de Galles depuis une trentaine d’années. Dans la bicoque en bois, des dessins de ses jeunes enfants, Thomas, 11 ans, et Emily, 13 ans, côtoient une carte postale du «Titanic», des livres affalés, des conserves, une perceuse… Dès qu’il en ressent le besoin, Andrew descend ici, bricole et observe la nature, seul à des kilomètres à la ronde.

En remontant, deux bonnes nouvelles l’attendent. Il a reçu le dernier numéro de «Private Eye », un hilarant magazine satirique, ainsi qu’un paquet: l’autobiographie de Mia Farrow, postée par celle-ci. «Nous nous connaissons depuis des lustres, Mia et moi. » Il précise être le parrain de son fils, Fletcher Previn, tandis qu’elle est la marraine de son aîné, David.  «Nous nous voyions souvent, quelquefois avec Woody Allen. Je ne l’appréciais pas. Il n’ouvrait pas la bouche, se déplaçait en limousine… Quelle bizarrerie ». Andrew a empaqueté un exemplaire de son propre livre à destination du Connecticut et de Mia.

Quel enchantement de diriger Charlotte. Je n’aurais pas osé lui proposer quand Serge était vivant.

 

Pour revenir à l’objet de la visite, l’album d’images, ce qui frappe est la proximité, la joie évidente qu’ils éprouvent à être ensemble, Jane, Serge, Andrew, les petites et le bull-terrier Nana. Avant que l’alcoolisme de Gainsbourg ne saccage le clan, avant qu’il ne se mue en une caricature, Gainsbarre, avant la séparation du couple, en 1980. Le parfait pendant illustré du journal désenchanté et lucide de Jane Birkin, «Munkey Diaries », sorti en 2018.

Lorsque Jane choisit Jacques Doillon et s’installe avec lui, Andrew ne rôde plus dans les parages. «Mon fils venait de naître, Jane avait rendu le bail de la maison louée à Londres par Barry, où j’avais vécu quatre ans dans le sous-sol. Je construisais ma vie, mes projets de réalisateur se concrétisaient », signifie Andrew pour expliquer la baisse de régime photographique concernant Jane dans les années 1980. Il s’agissait de devenir adulte, une hérésie pour cet homme passionné par le mythe de Peter Pan et son auteur James M. Barrie, sur lequel il a mis en scène une série télévisée pour la BBC. Et ce n’est pas fini, il prépare une somme sur l’écrivain de l’enfance éternelle.

Serge a écrit ses meilleures chansons pour Jane après leur rupture. Quelle ironie!

 

En évoquant Serge, il sourit, répète son affection pour Charlotte qui, quelques mois après le décès de son père, accepta de tourner sous sa direction un long-métrage, «Cement Garden». «Quel enchantement de la diriger. Je n’aurais pas osé lui proposer quand Serge était vivant. Il n’était pas jaloux, mais lorsque j’ai gagné des récompenses, et que j’ai été nommé aux Oscars… cela le blessait, lui dont les films étaient moqués des critiques.»

Il déniche d’on ne sait où une carte où Serge a écrit à l’encre, en anglais : «Pour Andrew, avec toute ma haine.» Ça le fait marrer.

Les deux hommes baragouinaient de temps en temps au téléphone – ils se comprenaient à peine – et s’apercevaient lorsqu’Andrew passait à Paris. Ce dernier semble à peine au courant du futur musée dédié à son beau-frère, rue de Verneuil: «Ça ouvre dans un mois, je crois…» Il déniche d’on ne sait où une carte où Serge a écrit à l’encre, en anglais : «Pour Andrew, avec toute ma haine.» Ça le fait marrer.

Il sait qu’il a capturé des moments précieux non seulement de l’existence de sa sœur, mais d’un monde révolu. Sa famille fut aussi, un peu, celle des Français: ils chérissaient Jane et Serge ensemble. «En un sens, ils le sont restés. Serge a écrit ses meilleures chansons pour Jane après leur rupture. Quelle ironie!» Ça l’affecte sans l’affecter. En nous voyant partir, Andrew insiste à nouveau: «Pourriez-vous savoir où sont les carnets de Montholon?» Amis lecteurs, si jamais…

«Serge Gainsbourg & Jane Birkin», d’Andrew Birkin, éd. Albin Michel, 224 pages, 39 euros.
«Serge Gainsbourg & Jane Birkin», d’Andrew Birkin, éd. Albin Michel, 224 pages, 39 euros. © DR

 

 

 

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