(PDF) Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire | Timothy J Standring - Academia.edu
Nouvelles de l’estampe 265 | 2021 Varia Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Timothy Standring Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/estampe/1713 DOI : 10.4000/estampe.1713 ISSN : 2680-4999 Éditeur Comité national de l'estampe Référence électronique Timothy Standring, « Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire », Nouvelles de l’estampe [En ligne], 265 | 2021, mis en ligne le 02 juillet 2021, consulté le 01 septembre 2021. URL : http:// journals.openedition.org/estampe/1713 ; DOI : https://doi.org/10.4000/estampe.1713 Ce document a été généré automatiquement le 1 septembre 2021. La revue Nouvelles de l’estampe est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons Attribution 4.0 International License. Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Timothy Standring 1 Après l’apparition de la manière noire au XVIIe siècle, les graveurs ont rapidement découvert que sa capacité à conférer des gradations de tons veloutés aux images était un excellent moyen de reproduire des peintures, ce qui a constitué l’utilisation la plus courante de la technique tout au long des XVIIIe et XIX e siècles. Comme nous le rappelle Craig McPherson, « il est ironique qu’après deux cents ans d’existence, la gravure en manière noire, en tant qu’artisanat et en tant qu’art, ait été, dans tous ses usages pratiques, remplacée, tuée, par la photographie au XIXe siècle et qu’aujourd’hui, les photographes aient développé une technologie qui tente de reproduire les gravures en manière noire ». En dépit de ces changements, un certain nombre d’artistes produisent aujourd’hui des images originales en manière noire – l’artiste française Sylvia Bataille en fait partie. Sans lien de parenté avec la célèbre actrice française du même nom (compagne de Jacques Lacan), la graveuse a grandi dans l’appartement de sa grandmère. La dextérité et la finesse du travail manuel sont peut-être inscrites dans ses gènes : son père était kinésithérapeute et sa mère coiffeuse. Elle a eu le temps d’appréhender le monde au cours de ses premières années de formation – la lecture de En attendant Godot (1953) a peut-être eu une influence sur le contenu des images qu’elle a produites plus tard : il se trouve que sa première gravure (à la pointe sèche) est un portrait de Samuel Beckett. 2 Les parcours artistiques suivent souvent des chemins détournés ; celui de Sylvia Bataille ne fait pas exception. Elle se souvient avoir toujours désiré dessiner. C’est aux ateliers de dessin et d’histoire de l’art du musée des Arts décoratifs de Paris qu’elle découvrit l’eau-forte ; elle raconte qu’à l’âge de quatorze ans, elle fut frappée par l’intensité des surfaces encrées, la complexité des compositions et la finesse des images des Carceri d’Invenzione de Piranèse (elle possède aujourd’hui quelques feuilles d’une édition en fac-simile in-folio avec un commentaire de Marguerite Yourcenar). De 1984 à 1986, elle expérimente la sérigraphie, le cinéma d’animation et suit des cours d’architecture à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, mais décide de se Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 1 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire consacrer à la photographie et à la gravure en taille-douce. Dans l’esprit de notre artiste, ces deux disciplines se sont liées intimement lorsqu’elle a commencé à produire des manières noires. 3 Après ses années de formation, Sylvia Bataille fait ses débuts au Studio des Plantes, où elle apprend à maîtriser la photographie de natures mortes. En 1989, elle s’installe à son compte comme photographe professionnelle spécialisée en architecture. Ses reportages photographiques à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, au Grand Palais, à la tour Société générale à Paris sont publiés dans des revues spécialisées comme L’Architecture d’aujourd’hui, Le Moniteur, Techniques et Architecture. Elle est aujourd’hui photographe d’objets d’art tribal et asiatique. Cette activité de photographe professionnelle lui permet de poursuivre en parallèle son aspiration à être reconnue pour ses gravures en manière noire et ses photographies originales. 4 Ses efforts ont porté leurs fruits. Elle reçoit le premier prix de la huitième Triennale mondiale de l’estampe et de la gravure de Chamalières en 2010, et le premier prix de la Biennale de l’estampe de Saint-Maur en 2011. Cette même année, elle fait don de plusieurs gravures en manière noire de la série Autochromes et de la série Autoroute à la Bibliothèque nationale de France. Sa première exposition de gravures en manière noire a eu lieu à Chamalières en 2013 ; l’année suivante, elle participe à une exposition collective à la galerie Univer à Paris. Elle fait don de la suite de la série Autochromes à la BnF en 2015 ; trois manières noires de cette série y seront exposées à l’occasion des Journées du patrimoine. Trois ans plus tard, elle publie un livre regroupant une série de trente photographies au sténopé de masques himalayens. Sept images de cette série, transférées sur plaques photopolymères sont été exposées à la galerie Indian Heritage à Paris en 2018. Depuis, elle continue d’exposer ses estampes en France, ainsi qu’à Tokyo, de manière quasi annuelle. 5 L’appartement qu’occupe Sylvia Bataille à Paris est celui où elle a grandi. Il a été transformé en atelier, une partie de l’espace étant réservé à l’habitation. La presse qu’elle utilise est plus grande que la table où elle prend ses repas (fig. 1). Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 2 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Fig. 1. Sylvia Bataille dans son atelier, juin 2021. 6 C’est par l’intermédiaire de Louis Richebé, reconnu pour la qualité de ses presses tailledouce qu’elle a pu acquérir une presse de sa fabrication, qu’il a lui-même transportée et assemblée dans son atelier (fig. 2). Fig. 2. La presse de Sylvia Bataille, juin 2021. Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 3 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire 7 C’est dans une pièce bien éclairée qu’elle prépare ses plaques de cuivre, en les grainant à l’aide d’un berceau. Elle les travaille ensuite avec divers grattoirs et brunissoirs jusqu’à ce qu’elle obtienne le résultat recherché (fig. 3, 4). Fig. 3. Table de travail de Sylvia Bataille, Diptère IV. Fig. 4. Encrage, Diptère IV. Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 4 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire 8 Elle procède ensuite à l’encrage de la plaque sur la table dédiée avant de la déposer avec soin sur le plateau de la presse. Elle réalise d’abord quelques tirages d’essai sur le papier humide pour déterminer la bonne viscosité de l’encre avant l’impression définitive. Lors de ma visite, elle travaillait sur l’image d’un Diptère (fig. 5) dont certaines épreuves séchaient sur des fils suspendus le long des murs. Fig. 5. « Lors de ma visite, elle travaillait sur l’image d’un Diptère ». 9 Comme tous les graveurs, elle est pointilleuse sur le choix des matériaux. En ce qui concerne le papier, elle imprime les images en noir et blanc sur du gampi appliqué sur papier Arches (240 g) et les images en couleur sur du papier Hahnemühle (240 g). Pour encoller le papier gampi sur de l’Arches 240 g, elle place d’abord la plaque encrée dans un bac rempli d’eau à la surface de laquelle elle dépose une feuille de papier gampi. Au moment de soulever la plaque immergée pour la retirer du bac, le papier gampi y adhère naturellement. Après avoir chassé le surplus d’eau résiduelle, elle applique une fine couche de colle de riz ou d’amidon à l’aide d’une brosse japonaise en poils de chèvre appelée noribake. Une fois l’excès de colle épongé, la plaque est posée sur le plateau de la presse avec une feuille de papier Arches humide par-dessus. L’ensemble est pressé en passant entre les rouleaux en acier de la presse pour produire l’image imprimée. Consciente de l’importance de la qualité de l’encre, elle utilise un mélange d’encres noires et transparente mêlé d’autres composants afin d’obtenir la teinte et la viscosité qu’elle désire. Elle a longtemps utilisé l’encre transparente de la société Oiffer, mais suite à sa fermeture, elle s’est tournée vers la société Intaglio Printmaker, basée à Londres. Ses berceaux, ainsi que ses brunissoirs et ses grattoirs sont fabriqués à New York par la société Edward C. Lyons. Un brunissoir en hématite est également à proximité. 10 En 1998, elle rencontre Yvonne Alexieff dans son atelier de l’ADAC, qui l’initie à la technique de la manière noire. Cette découverte marque un tournant dans la carrière Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 5 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire de Sylvia Bataille. Alors qu’elle est déjà familière du procédé photographique, elle réalise qu’avec la manière noire elle « dispose d’outils à portée de main pour produire des images proches de sa perception de la réalité ». Dans son esprit, dit-elle, « il n’y a pas de séparation nette entre ces deux processus ». Peut-être, mais l’un comme l’autre exigent beaucoup de travail. Alors que l’image photographique nait de l’exposition à la lumière d’une surface photosensible, les images en manière noires émergent de l’obscurité. La plaque de cuivre est préalablement grainée à l’aide d’un outil nommé berceau afin d’obtenir une surface régulièrement ponctuée de creux minuscules qui vont constituer la texture de l’image, sa « trame » – activité physique qui a causé de douloureuses tendinites à certains. Bien qu’il existe des plaques grainées mécaniquement, Sylvia Bataille préfère bercer (grainer) les siennes manuellement à l’aide d’un berceau fixé à une perche articulée, afin de produire un grainage homogène pour obtenir des gradations de gris subtiles. Une fois la plaque préparée, elle se sert d’un outil de section triangulaire à lames tranchantes appelé grattoir, pour gratter certaines zones afin de les aplanir, et de différents brunissoirs, instrument en acier à l’extrémité arrondie, pour les polir davantage. Les parties bercées produisent les zones sombres tandis que les zones grattées ou polies apportent au motif les lumières ; la plaque ainsi gravée constitue la matrice. Elle est alors encrée avant de passer entre les rouleaux de la presse pour produire une estampe. Sylvia Bataille transpose ses images – dans son cas, ce sont des photographies – par la méthode de la mise au carreau, qui consiste à tracer un quadrillage sur une plaque préalablement bercée à l’aide d’un berceau de 85 dpi. Depuis l’avènement de l’imagerie numérique, elle a remplacé ses modèles photographiques imprimés sur papier par des images numériques quadrillées sur iPad. Aujourd’hui, elle utilise la même technique avec son iPhone, ce qui lui permet d’approcher davantage de la plaque de cuivre certains détails de l’image sur laquelle elle travaille (fig. 3). Fig. 6. Sylvia Bataille, Autoroute V, 2010, manière noire imprimée sur gampi, 150 x 210. Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 6 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire 11 C’est en suivant cette méthode traditionnelle de création d’une matrice en manière noire que Sylvia Bataille a réalisé ses séries Autoroute [petit format], 2007-2014 (fig. 6, manière noire imprimée sur papier gampi, 15 x 21 cm), et Autoroute [grand format], 2009-2015 (fig. 7, manière noire imprimée sur papier gampi, 36 x 24 cm). Fig.7. Sylvia Bataille, Autoroute [grand format], Passage Pluvieux, 2013, manière noire imprimée sur gampi, 240 x 360. 12 Dans le cas de ces deux séries, chaque estampe en noir et blanc, est produite par une matrice unique. Dans les séries suivantes, elle a expérimenté la manière noire en couleurs. Pour Autochromes, série de trichromies en manière noire, 2010-2014 (fig. 8, 9, 15 x 21 cm), elle utilise trois ou quatre matrices par image, une pour chaque couleur, revisitant le procédé mis au point par J. C. Le Blon au XVIIIe siècle. Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 7 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Fig. 8. Sylvia Bataille, Autochrome I, 2011, trichromie en manière noire, 150 x 210. Fig. 9. Sylvia Bataille, Autochrome I, 2011, les quatre plaques, 150 x 210. 13 Il s’agit d’un processus délicat qui nécessite dans un premier temps, de convertir mentalement l’image désirée en trois couleurs primaires avant de graver trois matrices distinctes. La surimpression de ces matrices, chacune encrée dans sa couleur propre, sur une même feuille, produit une estampe polychrome. L’ordre d’impression est le Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 8 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire suivant : rouge, jaune, bleu, et parfois une quatrième matrice encrée avec un deuxième bleu. Fig. 10. Sylvia Bataille , Route VI, 2020, manière noire en couleurs à la poupée, 200 x 300. 14 Dans le cas de la série intitulée Route, 2015-2020 (fig. 10 et 11, 36 x 24 cm), manières noires en couleurs « à la poupée », elle n’a utilisé que deux matrices par image : la première est encrée à l’aide de sortes de tampons appelé poupées portant des couleurs différentes, et la deuxième avec plusieurs teintes de noir. Fig. 11a. Route VI, 2020, manière noire en couleurs Matrice principale encrée en noire avec ajout de couleur. Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 9 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Fig. 11b. Route VI, 2020, manière noire en couleurs. Matrice couleur encrée à la poupée. Fig. 11c. Route VI, 2020, manière noire en couleurs à la poupée. L’impression. 15 Son approche de l’estampe est intimement liée aux procédés photographiques, comme en témoigne sa série Arbres, 2016-2018 (fig. 12, photopolymère imprimé sur papier gampi, 36 x 24 cm). Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 10 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Fig. 12. Sylvia Bataille, Arbre VIII (2016), Photopolymère imprimée sur gampi, 360 x 240. 16 Dans cette série, elle rend hommage à Eugène Atget, dont les photographies d’arbres du parc de Saint-Cloud, tirées sur papier albuminé au début du XXe siècle, l’ont profondément impressionnée. Elle a voulu en faire une version à sa manière. Elle écrit : « Les arbres que je photographie en Haute-Loire ont un caractère particulier. Ils personnifient l’austérité sauvage de cette région. Je les ai longtemps dessinés avant d’en faire des portraits photographiques au sténopé. Ce sont des images intemporelles ». Pour les quinze estampes de cette série, elle a utilisé des photographies prises à l’aide d’un sténopé, appareil photographique dont l’optique a été remplacée par un trou de 0,35 mm. Le film utilisé est un négatif noir et blanc de format 120. Après avoir développé et numérisé les films à l’aide d’un scanner, les images ont été transférées sur une matrice photopolymère. Elle a ensuite imprimé cette matrice avec sa presse taille-douce, en utilisant la même encre et le même papier gampi que ses manières noires. 17 Au sein de la série Masques Himalayens, réalisés au sténopé, l’estampe intitulée FAKE, 2018 (fig. 13, manière noire imprimée sur papier gampi, 26 x 21 cm), est la seule gravure en manière noire où Sylvia Bataille a mixé les deux techniques (manière noire et photographie au sténopé) : l’image a été élaborée à partir d’un montage de plusieurs photographies réalisées au sténopé. Ce travail témoigne des préoccupations de l’artiste sur la question de l’ambiguïté entre image photographique et image gravée. Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 11 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Fig. 13. Sylvia Bataille, FAKE, 2018, gravure en manière noire imprimée sur gampi, 260 x 210. 18 La photographie au sténopé exerce une véritable fascination sur Sylvia Bataille. Par ce procédé théorisé au milieu du XIXe siècle, les images se forment grâce à la lumière qui passe au travers d’un trou minuscule. Excluant toute profondeur de champ, il produit des images au flou uniforme et leur confère un rendu velouté très particulier qu’elle recherche dans son travail. 19 Avec la série diptères, partant d’images photographiques tirées d’une publication de qualité médiocre datant des années 1920, elle crée des manières noire d’insectes qui, sortis de leur contexte et agrandis, donnent aux gravures une force qui capte l’attention. Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 12 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Fig. 14. Sylvia Bataille, Diptère I, 2018, gravure en manière noire imprimée sur gampi, 470 x 200. 20 Dans cette série, qu’elle réalise en deux formats, Diptère I (fig. 14, manière noire imprimée sur papier gampi, 47 x 20 cm) et Diptère II, Diptère III et Diptère IV (fig. 15, manière noire imprimée sur papier gampi, 30 x 25 cm), elle se confronte aux limites de la technique de la manière noire dans sa capacité à restituer détails et textures. Fig. 15. Sylvia Bataille, Diptère II, 2019, gravure en manière noire imprimée sur gampi, 300 x 250. Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 13 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire 21 La série de photographies au sténopé Paris, Printemps 2020 (fig. 16, photographie au sténopé), sur film argentique de format 120, tirée sur papier Fine Art Hahnemühle, 36 x 24 cm, a été réalisée à Paris lors du premier confinement (du 28 mars au 11 mai 2020). Fig. 16. Sylvia Bataille, Paris, Printemps 2020, photographie au sténopé, imprimée sur papier Fine Art Hahnemühle, 360 x 240. 22 Elle s’est servie d’un appareil photo équipé d’un trou de 0,35 mm et d’un film noir et blanc de format 120 simplement posé au sol, sans trépied (selon la lumière, le temps de pose peut varier de quelques secondes à plusieurs minutes). Après avoir développé les films dans sa chambre noire et numérisé les négatifs à l’aide d’un scanner, elle envoie les fichiers à un laboratoire qui réalise des tirages Fine Art sur papier Hahnemühle au format 36 x 24 cm. La prise de vue depuis le sol transforme l’espace de la ville étrangement déserte en une maquette figée dans le temps. La qualité de rendu unique des photographies au sténopé restitue son atmosphère intemporelle. Ces deux éléments contribuent à donner une lecture en adéquation avec le sentiment d’irréalité et de perte de repères généré par l’événement. 23 Dans toutes les séries sur le paysage urbain en mouvement, Sylvia Bataille s’intéresse à la question de la représentation du mouvement, en tentant de capter des images fugitives que l’œil ne peut percevoir. C’est la raison pour laquelle elle utilise une vitesse d’obturation relativement lente pour les photos de routes, transformant ainsi le passage des véhicules en une trace fantomatique. Par l’intermédiaire de la manière noire, elle fige ces traces imperceptibles en leur donnant une forme. Ses premières recherches sur le rendu du flou photographique généré par le mouvement ont débuté en 1980 à l’INSEP (Institut national du sport et de l’éducation physique) où elle a photographié les plongeurs de l’équipe de France pendant leur entraînement. Grâce aux temps de pose longs de ses photographies, chaque corps capté en plein saut dans le vide devient une abstraction où il ne subsiste que la trace du mouvement. Pour Sylvia Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 14 Sylvia Bataille, de la photographie à la manière noire Bataille la représentation du mouvement par l’image est une manière de parler du temps. Beaucoup de ses manières noires nous déconcertent car elles sont, en apparence, très semblables à des photogravures, mais elles n’en sont pas. Ce sont des réflexions sur le flou, qui sont au cœur de l’œuvre de l’artiste. 24 Les peintures de Francis Bacon et les photographies d’Eugène Atget, Karl Blossfeldt, Walker Evans, August Sander, Bernd et Hilla Becher ont marqué de leur empreinte sa vision du monde. Son attachement à La recherche du temps perdu de Marcel Proust, à l’œuvre de Miguel de Cervantes, Herman Melville, ou encore à celle de Jorge Luis Borges, n’a de ce fait rien d’étonnant. 25 Pour Sylvia Bataille, comme pour la plupart des artistes, le processus de création des images est intuitif et lent. Ses estampes puisent leur fondement sur la spécificité des techniques. Elles sont le fruit de son double intérêt pour les deux disciplines de la gravure et de la photographie, qui l’ont sensibilisée aux pratiques d’autres graveurs contemporains, comme Chuck Close, qu’elle admire beaucoup. 26 Les cinéastes lui ont aussi fourni un vaste champ de références. Ses images s’inspirent autant des films de la Nouvelle Vague de Jean-Luc Godard et d’Alain Resnais que de ceux des cinéastes italiens Rossellini, Pasolini et Fellini. Les expressionnistes Fritz Lang et F. W. Murnau, les Japonais Akira Kurosawa et Yasujirō Ozu, Ingmar Bergman et Andreï Tarkovsky font également partie de son musée personnel. Compte tenu de la richesse de ses sources d’inspiration, de sa rigueur et de son savoir-faire, nous pouvons nous attendre à en découvrir bien davantage de la part du sténopé, du berceau et des grattoirs de Sylvia Bataille. INDEX Index géographique : France Index chronologique : 21e siècle AUTEUR TIMOTHY STANDRING Conservateur honoraire au Denver Art Museum Nouvelles de l’estampe, 265 | 2021 15