Michel Sapin, une pièce rare pour le président - Le ministre du travail reçoit Match
LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

Michel Sapin, une pièce rare pour le président - Le ministre du travail reçoit Match

Le ministre, samedi 25 janvier, chez lui, à Argenton-sur-Creuse, dans son bureau avec sa collection de pièces.
Le ministre, samedi 25 janvier, chez lui, à Argenton-sur-Creuse, dans son bureau avec sa collection de pièces. © Thierry Esch
Anne-Sophie Lechevallier

Le ministre du Travail, collectionneur de monnaies antiques, défend son grand ami François Hollande face à l’échec de l’inversion de la courbe du chômage.

Michel Sapin ne s’éloigne pas de son téléphone portable. En ce samedi d’une actualité agitée et pas seulement sur le front économique, dans sa vaste bâtisse blanche d’Argenton-sur-Creuse où il passe chaque week-end, sans garde du corps ni chauffeur, l’ancien maire de cette coquette ville de 5 000 habitants revient du concours local de bovins. Il plaisante avec l’aîné de ses trois fils – François, géologue, bientôt 30 ans – qui va et vient dans la maison familiale. Il raconte son récent déplacement marseillais à Valérie de Senneville, son épouse depuis deux ans, une avocate devenue grand reporter aux « Echos ». Dans la salle à manger, autour de la table, il s’assoit à « sa » place, celle qui offre la vue sur la Creuse, les moulins et la chapelle de la Bonne-Dame. Le ministre du Travail attend l’appel de son directeur de cabinet, qui, chaque mois, lui communique en avance les chiffres du chômage. Il saura si le pari du président de la République, l’« inversion de la courbe avant la fin de 2013 », est gagné. Las, à 18 heures, le verdict tombe. Encore une fois, les Français ont été très nombreux à perdre leur travail.

Publicité

Il prévient François Hollande et Jean-Marc Ayrault par SMS. Le pari est perdu, mais comme à son habitude, il défend coûte que coûte François Hollande, son complice depuis l’Ena, celui qui le considère comme « plus qu’un proche ». « Cet objectif volontariste était une manière de dire que nous ne nous résignons pas à la montée du chômage, et de mobiliser toute la société. Il a permis de créer 100 000 emplois d’avenir ! » Et c’est justement parce que la décrue du chômage tarde que le pacte de responsabilité aurait été décidé. « La politique de l’emploi ne peut pas être accélérée, c’est le moment d’activer la deuxième jambe, l’économie », dit Michel Sapin. Michel Sapin « assume depuis longtemps son appartenance à la social-démocratie », rappelle Bruno Le Roux, le chef de file des députés PS.

La suite après cette publicité

« En 1993, des copains changeaient de trottoir, les gens nous plaignaient. Pas aujourd’hui »

La gauche modérée et réformiste, persuadée que l’Etat n’est pas le seul représentant de l’intérêt général, c’est au fond celle que Michel Sapin n’a cessé d’incarner depuis qu’en 1975, jeune normalien, il a pris sa carte à la section PS d’Argenton- sur-Creuse, depuis qu’il a soutenu Rocard et la « deuxième gauche » contre son copain François, partisan de la « première gauche ». Et c’est la politique qu’il pratique, sans couac ni fracas, depuis son arrivée rue de Grenelle, avec la signature entre le patronat et les syndicats de l’accord sur la compétitivité (Ani) et de celui sur la formation professionnelle. « On me dit parfois que mon mode de vie évoque celui d’un ministre suédois. J’essaie de faire en sorte qu’il n’y ait aucune rupture entre le moment où j’exerce le pouvoir et celui où je ne l’exerce pas, que mon train de vie ne change pas », assure celui qui est ministre pour la quatrième fois depuis 1991. Il n’habite pas au ministère, continue à faire ses comptes et, de l’avis général, n’entretiendrait aucune fascination pour l’argent. D’ailleurs, à 61 ans, l’ancien trésorier du PS n’a jamais été inquiété dans une quelconque affaire de détournement de fonds publics : « Je dis toujours que je préfère avoir laissé mon nom à une loi contre la corruption que comme corrompu. »

La suite après cette publicité
Avec son épouse, Valérie de Senneville, le long de la Creuse.
Avec son épouse, Valérie de Senneville, le long de la Creuse. © Thierry Esch

Son quotidien n’en demeure pas moins confortable, il est parmi la poignée de ministres qui paie l’ISF. Sa déclaration de patrimoine mentionne plusieurs maisons et 433 hectares autour d’Argenton. Il relativise la défance des citoyens envers leurs élus : « Les gens disent “tous des salauds, sauf mon maire, sauf mon député”. C’est comme ceux qui conspuent les fonctionnaires mais qui rêvent que leur fils en devienne un. » L’impopularité qui frappe le chef de l’Etat, avec une désapprobation jamais observée dans la Ve République, n’inquiète pas celui qui ne se classe qu’à la 25e place de notre baromètre des politiques : « J’ai connu de vraies périodes d’impopularité. Début 1993, des copains changeaient de trottoir, les gens nous plaignaient. Aujourd’hui, ils nous disent “ça ne va pas” ou “courage”. » Sur la vie privée de François Hollande, sa séparation d'avec Valérie Trierweiler - les deux témoins de son troisième mariage en 2011 -, il reste pudique constatant que François Hollande «a utilisé son indignation et cette blessure pour rebondir politiquement.

Quand il vit une douleur personnelle, il est d'autant meilleur publiquement. C'était flagrant lors de la conférence de presse». Rares sont ceux à occuper la scène politique depuis plus de 30 ans –il est devenu député de l’Indre en 1981- et à avoir si peu d’ennemis. «Peut-être parce que je ne suis pas tranchant», dit-il. Il faut aller jusque dans le bas Berry pour trouver son plus grand détracteur, le socialiste André Laignel. Les autres louent sa compétence, son intelligence et son humeur toujours égale. «Ce grand connaisseur du fonctionnement de l’Etat sait échapper aux critiques. Sur les plans sociaux, il laisse souvent Montebourg monter en première ligne», décrypte Raymond Soubie, l'ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy. Même les P-DG, si remontés contre le pouvoir en place. n'accablent pas œ ministre qui jamais ne refuse un entretien. L'un de ceux qui le connaît le mieux, un autre camarade de la promotion Voltaire, le patron de la Caisse des dépôts Jean-Pierre Jouyet, explique: « C'est l'une des personnes les plus intelligentes que je connaisse. Michel conceptualise tout. C'est toujours celui qui cadre, qui clarifie.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

Sa mère, tendance « anarchiste qui remettait tout en cause », choisit Mitterrand

C'est lui, le seul a déjà avoir sa carte du PS à l’Ena, qui nous a pour la première fois emmenés, François et moi, au siège du PS, boulevard Malesherbes. Il est le plus organisé, le plus discipliné d'entre nous: lorsque nous partagions la même chambrée à Saint-Cyr Coëtquidan, avec François, Michel nous réveillait à 6h30 et ne comprenait pas pourquoi notre lit n'était pas fait à 6h35. Il ne plaisante pas sur ses convictions. J'en ai fait les frais quand je suis entré dans le gouvernement Fillon. Il a été plus dur avec moi que François.» Son éveil politique, ce «plaisir de servir l'intérêt général et les autres », une phrase presque démodée, se sont manifestés dès son adolescence quand, élève à Henri IV, il s'est trouvé au cœur de Mai 68. Il fera ensuite partie des comités d'action lycéens. Son enfance, ce fils unique la passe entre Paris et Argenton-sur-Creuse, la ville de sa mère. A table, parfois, on discute politique. Son père, cadre supérieur, centriste et catholique, vote en 1965 Lecanuet au premier tour, puis de Gaulle. Sa mère, tendance « anarchiste qui remettait tout en cause », choisit Mitterrand. Le garçon apprend le russe, le grec et le latin, s’éprend d’histoire, de géographie et de numismatique - une passion qui l’anime toujours et qu’il s’est découverte lorsque, petit. il a été cloué au lit par une polio. Il faut voir sa fierté devant ses tétradrachmes à l’effigie d’Alexandre le Grand, ces monnaies que tant de mains ont touchées et qu’il aime « faire parler», ces «tranches d'histoire ».

Il faut entendre Manuel Flam, un énarque que Sapin initia à la politique locale, raconter les trajets Paris-Argenton, le numismate tenant à la fois le volant et son Smartphone, déterminé à ne pas laisser filer une enchère d’une pièce rare sur eBay. Cet ancien enfant de chœur devenu agnostique réussit Normale sup, déterminé à intégrer l’Ecole française de Rome, l’une des seules à se pencher sur les monnaies antiques. Mais, déjà en 1974, les suppressions de postes le découragent. Descendant d'un député du tiers état et d’un autre de l’Assemblée constituante en 1848, il bifurque vers Sciences-po et l’Ena, d’où il sortira conseiller au tribunal administratif. Jamais il n’a rêvé d’être président: «Il faut avoir l’envie de sacrifier toute sa vie pour la conquête du pouvoir, de faire don de soi-même. Je ne l’ai pas. François, lui, a toujours eu cette énergie intérieure. Déjà au temps du comité d’action pour la réforme de l’Ena, personne n’a jamais pensé à quelqu’un d'autre que lui pour être président. Moi, j’étais secrétaire général. Jean-Pierre Jouyet confirme : «Michel n’est pas un assoiffé de pouvoir.» Alors que son nom circule pour Matignon, il répète à l’envi - trop, même, selon certains pour être parfaitement sincère: « Il faut apporter une différence, former un tandem complémentaire, or, avec François, nous sommes si proches dans la pensée qu'il nous est arrivé de répondre à la même question avec les mêmes mots sans avoir discuté du sujet avant, sur deux radios différentes. Et je ne voudrais pas que Matignon détériore le lien très fort qui existe entre nous deux.» 

Contenus sponsorisés

Publicité