Théodora. De la femme de l’empereur à la conseillère du prince [1] | Cairn.info
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1L’Histoire secrète fut l’occasion pour Procope d’écrire un véritable pamphlet contre Justinien et Théodora qui ne devait être publié qu’après la mort de son auteur [2]. Procope y décrivait ainsi une impératrice qu’il présentait comme une ancienne actrice et courtisane à la vie très dissolue, insistant en particulier sur ses supposées frasques sexuelles précédant son mariage, probablement au début de l’année 525, avec Justinien [3]. Il n’avait, par ailleurs, tout au long de cette œuvre, de cesse de dénoncer l’influence exercée par Théodora sur un empereur qu’il comparait, entre autres amabilités, à « un âne stupide, prêt à suivre, en agitant continuellement les oreilles, qui le tirait par la bride » [4]. L’historien, reprenant le modèle tacitéen, présentait ainsi un empereur à la fois aussi faible et ridicule que Claude, et aussi cruel que Domitien, manipulé par Théodora, nouvelle Messaline ou Agrippine [5], qui aurait, dans le secret des alcôves, et dès avant d’être mariée, conseillé et influencé, pour satisfaire ses propres haines, un Justinien totalement soumis à sa passion amoureuse [6]. Puis, devenue Augusta en même temps que Justinien accédait au pouvoir impérial [7], c’est aux yeux de tous qu’elle aurait alors affirmé et joué de son influence sur son mari jusque dans le consistorium[8]. Pour Procope, la capacité de Théodora à conseiller l’empereur aurait donc été avant tout la conséquence de sa très forte personnalité [9]. Et c’est là, d’ailleurs, une explication de l’influence des impératrices sur les empereurs que l’on retrouve chez tous les historiens byzantins, qu’il s’agisse pour eux de s’en féliciter ou de le déplorer, essayant ainsi de résoudre, dans tous les cas, le paradoxe fondamental que représentaient les impératrices ayant accès, du fait de leur proximité avec l’empereur, à un pouvoir politique que, par nature, en tant que femmes, elles étaient théoriquement inaptes à exercer [10]. Et dans le cas de Théodora, ce paradoxe autour de la nature du pouvoir des impératrices se posa avec d’autant plus d’acuité que, femme de l’empereur, elle fut dans le même temps conseillère du Prince, exerçant une influence à la fois personnelle – à l’instar des augustae qui la précédèrent – mais également, pour la première fois du vivant d’un empereur adulte, dans le cadre des institutions officielles de la cour de Constantinople.

2Lorsque Procope évoquait dans les Anecdota l’origine de l’influence qu’aurait eue Théodora sur Justinien, il la présentait toujours comme la conséquence de la faiblesse d’un empereur trop amoureux pour refuser quoi que ce soit à sa femme :

3

Or, aussitôt, Théodora réussit à acquérir une extraordinaire influence et des richesses assez considérables. Il semblait que, pour cet homme, la chose la plus agréable de toutes était de gratifier sa maîtresse de toutes les faveurs et de toutes les richesses – ce qui est habituel chez ceux qui aiment à l’excès. [11]

4 Peut-être, d’ailleurs, faut-il comprendre le titre 3 de la Novelle XXII évoquant l’affection nécessaire dans un mariage comme une confirmation de cet amour que portait Justinien à son épouse et que Procope eut tôt fait de dénoncer comme une faiblesse utilisée par la jeune femme [12]. Elle n’aurait ainsi pas hésité, pour arriver à ses fins, à “dénigrer” – διέβαλε – devant l’empereur ceux dont elle voulait se débarrasser, dans une relation d’influence que Procope inscrivait clairement dans un contexte privé.

5

Cet homme, Théodora le dénigra auprès de son mari, l’accusant d’avoir fait preuve d’arrogance envers elle et d’avoir tenté de lui résister. [13]

6S’il est tout à fait impossible de vérifier la véracité de cette anecdote, il est, en revanche, clair que pour Procope, dans la perspective des Anecdota, il s’agissait de discréditer l’impératrice. Or, à bien lire les Anecdota, ce qu’il reprochait surtout à Théodora ce n’était pas tant de conseiller Justinien en profitant de l’amour de l’empereur que de le faire dans son propre intérêt et en le manipulant [14]. Et en cela, les Anecdota n’étaient pas sans rappeler ce que Philostorge rapportait à propos du comportement de Fausta qui aurait usé de son influence sur Constantin pour lui conseiller de tuer son fils Crispus [15]. À nouveau, ce n’était pas l’influence en elle-même exercée par Fausta sur l’empereur que dénonçait Philostorge, mais l’utilisation de cette influence pour satisfaire une haine personnelle privée. De la même façon encore, l’impératrice Eudoxia aurait réussi à se débarrasser du tout-puissant eunuque Eutropius en inscrivant clairement sa démarche auprès de l’empereur Arcadius dans un contexte privé, mettant littéralement en scène leurs enfants avec lesquels elle se serait présentée devant son époux qui n’aurait su résister ni aux pleurs de la mère ni, surtout, à ceux des enfants [16].

7 En revanche, dans le cas d’Eusebia, Ammien Marcellin se félicitait de ce que l’impératrice avait pu conseiller et convaincre Constance II d’abord d’épargner Julien après la mort de Gallus puis de l’envoyer à Athènes. Par la suite, elle semble également avoir été celle qui lui conseilla de faire de Julien un César [17]. Et c’est d’ailleurs dans l’enkômion dédié à Eusebia par Julien que l’on trouvait décrit clairement le rôle qui devait être celui d’une bonne impératrice au côté de l’empereur : ses conseils devaient s’inscrire dans le cadre de leur relation personnelle, et exprimer ses qualités, que Julien listait pour l’occasion, parmi lesquelles certaines toute féminines et chrétiennes comme la douceur, l’humanité ou encore la tendresse [18] :

8

Il n’a pour elle aucun secret ; il la prie de prendre part à ses desseins, d’y songer avec lui et de l’aider à trouver ce qu’il doit faire […] Eusebia emprunta également à toutes deux [la bienveillance et la tendresse de son époux] les moyens d’être de moitié dans les conseils de l’empereur, et de profiter du naturel doux, bon et bienveillant du prince pour l’engager à suivre davantage encore son inclination naturelle, et ainsi elle fit pencher la justice vers le pardon. [19]

9 Et Julien dessinait un couple uni où l’impératrice conseillait un époux « courageux, tempérant, intelligent, juste, excellent, doux et magnanime » [20] tout en respectant un comportement que Julien, ou au moins son auditoire, c’est-à-dire la cour impériale de Constance II [21], devait considérer comme approprié pour une femme. Il était en particulier attendu que ses conseils témoignent de la grande piété de l’impératrice, suivant en cela le modèle idéologique d’Hélène, la mère de Constantin [22].

10 Si les sources byzantines ne déniaient pas aux impératrices la possibilité de conseiller leurs époux, en revanche, elles inscrivaient donc cette influence dans une perspective christianisée où c’était Dieu qui inspirait les conseils de l’impératrice [23]. À l’inverse, lorsque cette influence était critiquée, comme dans les Anecdota, c’étaient tous les stéréotypes idéologiques, construits dès l’époque julio-claudienne, contre les femmes de la famille impériale qui se trouvaient convoqués, qu’il s’agisse de l’ambition face à un empereur faible, de l’égoïsme, de la violence gratuite, d’un comportement sexuel débridé, ou de la propension à comploter, toutes choses témoignant de l’impiété de l’impératrice [24]. Mais, dans les deux cas, cela permettait surtout aux sources de résoudre le paradoxe fondamental que représentait la double identité biologique et politique de l’impératrice : si par sa nature féminine même, elle était exclue du pouvoir dans une société patriarcale et chrétienne, en tant que femme de l’empereur et/ou Augusta, elle se retrouvait au cœur de ce pouvoir [25]. En inscrivant son influence dans un cadre idéologique christianisé, ces deux identités se trouvaient ainsi réconciliées : l’impératrice restait en tant que femme inapte à l’exercice du pouvoir politique. Et lorsqu’elle conseillait l’empereur, elle était ou inspirée par Dieu, devenant alors le vecteur de la volonté divine, ou sous l’influence précisément de ses démons féminins qui confirmaient par ailleurs, dans un raisonnement circulaire, son incapacité en matière politique. Mais, paradoxalement, ce dont témoignaient surtout toutes ces sources, quels que soient leurs partis pris [26], c’était bien de la réalité d’une influence officieuse des impératrices sur leurs époux [27]. Or, précisément, cela leur permettait d’accéder à une forme de pouvoir politique, en leur donnant la capacité d’imposer leur volonté, non pas par l’exercice d’une violence légitime au sens weberien du terme qu’elles n’avaient pas, en tant que femmes, les moyens d’exercer, mais en agissant, dans le cadre de leur relation sociale, sur l’empereur, le seul qui pouvait exercer cette violence légitime et leur permettre ainsi de contourner d’éventuelles résistances [28].

11L’influence de Théodora dépassa, elle, largement cette influence officieuse que l’on admettait chez les impératrices. Elle intervint et conseilla à différentes reprises l’empereur dans le cadre même des institutions officielles de l’Empire. Et ce que Procope dénonçait comme un comportement inapproprié pour une femme était confirmé par d’autres sources.

12Son influence était ainsi avérée dans l’activité législative de Justinien [29]. Plusieurs sources témoignent, en effet, des interventions de Théodora pour lutter contre la prostitution, et on imagine sans peine qu’elle a pu influencer la législation prise par Justinien non seulement pour abolir les discriminations contre les actrices mais également pour lutter contre la prostitution forcée [30]. Mais, plus surprenant, Justinien lui-même précisait dans la Novelle VIII, datant du 15 avril 535, qu’il avait pris conseil auprès de sa femme [31]. Or, cette novelle s’adressant aux gouverneurs de province, leur interdisait d’acheter ou de vendre leur charge et leur fixait une ligne de conduite à suivre face à leurs administrés, toutes choses sur lesquelles on n’imagine pas, a priori, l’empereur consulter Théodora. Certes, pas plus l’impératrice que les membres de l’administration impériale, ne pouvaient exercer d’activité législative par eux-mêmes car c’était le privilège de l’empereur [32]. Mais, clairement, Théodora conseilla l’empereur, et peut-être plus largement qu’on ne l’imagine. Surtout, en inscrivant dans la loi le nom de sa femme, il l’associait de façon tout à fait officielle à sa réflexion, la faisant sortir ainsi d’un rôle strictement officieux, de la même façon d’ailleurs, qu’elle était associée à l’empereur dans le texte du serment donné à la fin de cette loi où le couple impérial était ainsi appelé θειοτάτοις και εὐσεβεστάτοις ἡμῶν δεσπόταις Ἰουστινιανῷ καὶ Θεοδώρᾳ, τῇ ὁμοζύγῳ τοῦ αὐτοῦ κράτους. Théodora devenait ainsi l’homologue féminin de Justinien [33]. C’était bien en tant qu’Augusta associée à la βασιλεία qu’elle fut également la première impératrice à participer à certaines séances du conseil du prince, le concilium[34]. En effet, Procope rapporte dans ses Guerres Persiques un discours qu’elle y aurait prononcé pendant la révolte Nika et grâce auquel elle aurait convaincu l’empereur de ne pas fuir la capitale impériale [35]. Même si ce discours est très certainement une construction littéraire de Procope, il paraît, en revanche, difficile de nier et la présence de Théodora au concilium, et l’influence qu’elle dut y avoir [36]. Surtout ce discours montrait que Procope interprétait bien l’intervention de Théodora comme celle d’une impératrice associée au pouvoir – l’emploi de δέσποινα comme dans la novelle VIII est, à cet égard, tout à fait révélateur – et non plus d’une épouse :

13

Puis-je ne jamais être séparée de cette robe de pourpre et puis-je ne jamais vivre ce jour où ceux qui me rencontrent ne s’adresseront plus à moi comme à une maîtresse [37].

14 Procope revenait, par ailleurs, dans les Anecdota, à plusieurs reprises, sur cette présence, pour la dénoncer, qu’il s’agisse pour l’impératrice d’intervenir dans l’élection de magistrats ou d’imposer des membres de sa famille à certains postes [38].

15Théodora conseilla également l’empereur dans le domaine des relations diplomatiques. La correspondance de Cassiodore laisse apparaître qu’elle fut destinataire d’au moins cinq lettres émanant des souverains ostrogoths [39]. Et lorqu’Amalasonthe rechercha désespérément de l’aide dans les années 530, elle adressa une lettre à Théodora non pas à titre privé, mais bel et bien à titre tout à fait officiel, l’adressant à l’Augusta pour qu’elle appuie les démarches de l’ambassade qu’elle avait, par ailleurs, envoyée à Justinien [40]. Même si l’impératrice n’avait absolument aucun moyen d’agir par elle-même dans un cadre institutionnel, Amalasonthe pensait manifestement qu’elle était la personne la plus à même de faire avancer sa cause auprès de Justinien. Plus explicite encore, on comprend de la lettre que Théodahat lui adressa en 535 que l’impératrice elle-même avait ordonné au roi ostrogoth de l’informer en premier lieu de tout ce qu’il demanderait à l’empereur :

16

Car vous m’exhortez à porter d’abord à votre attention quoi que ce soit que je cherche à obtenir du prince triomphant, votre mari. Qui maintenant peut douter que ce qu’un si grand pouvoir daigne soutenir parviendra à un résultat ? Auparavant, en effet, je m’en remettais à la justice de notre cause mais maintenant, je me réjouis plus de votre promesse. De fait, nos vœux ne pourront pas être différés quand il importe à celle qui a gagné d’être écoutée. [41]

17 Associée officiellement au pouvoir impérial par Justinien, elle avait réussi à s’imposer comme la plus proche conseillère du prince. Et c’est bien ce qui était à l’origine de la haine que lui voua Procope. En témoigne la différence de traitement entre Théodora et Euphémia dans les Anecdota. Si la femme de Justin Ier était d’une extraction probablement encore moins élevée que Théodora, à l’inverse de cette dernière, elle ne prétendit jamais à aucun rôle politique ; dès lors, Procope, dans ses jugements pourtant tranchés sur les femmes, ne lui reprocha ni d’avoir été esclave ni barbare et, son jugement sur la femme de Justin Ier était, certes, condescendant mais très loin des tirades enflammées contre Théodora :

18

Cette femme en effet était étrangère à toute vilenie, bien qu’elle fût tout à fait rustique et de race barbare, comme je l’ai dit. Elle ne réussit jamais à obtenir de la considération et resta toute sa vie sans aucune expérience des affaires de l’État. [42]

19 Pour devenir cette conseillère du Prince impliquée dans les institutions officielles de l’Empire, Théodora dut négocier constamment entre ses deux identités : sa nature féminine et, pour reprendre le vocable de Ernst Kantorowicz, son « corps politique » [43]. Pour cela, elle adopta une attitude très différente de deux femmes qui, comme elle, se retrouvèrent au cœur du pouvoir politique, l’Augusta Aelia Pulcheria et la reine des Ostrogoths, pour ainsi dire son exacte contemporaine, Amalasonthe.

20 Lorsque l’empereur Arcadius mourut en 408, il laissait quatre enfants dont un seul garçon. L’aînée, Pulchéria, prit sous son aile son jeune frère, Théodose II [44] : elle fit vœu de virginité perpétuelle en 413, incita ses sœurs à en faire de même et fut finalement proclamée Augusta en 414 [45]. Dès lors, elle eut une influence non seulement sur l’éducation de son frère, mais également dans l’exercice officiel du pouvoir [46]. Elle participa, selon toute vraisemblance, au conseil du prince où elle exerça son influence de façon tout à fait officielle. Jean de Nikiou rapportait ainsi une anecdote où l’impératrice n’hésitait pas à se jouer de l’empereur en lui faisant signer un acte qu’il ne prit pas le temps de lire pour lui en faire ensuite vertement le reproche [47]. Si Pulcheria put tenir ce rôle, cela était en grande partie dû à son vœu de virginité perpétuelle qu’elle prêta avant de devenir Augusta. Certes, ni elle ni ses sœurs ne pouvaient plus, dès lors, ni se marier, ni devenir mère et cela permettait d’assurer le pouvoir à leur frère [48]. Mais ce vœu eut aussi une autre conséquence plus immédiate pour l’impératrice car il était à la base de sa légitimité à conseiller son frère et à exercer une partie du pouvoir impérial. C’est ce qui ressort ainsi très clairement de la dédicace de l’église Sainte Sophie où sa virginité était associée au règne de son frère : ὑπὲρ τῆς ἰδίας παρθενίας καὶ τῆς τοῦ ἀδελφοῦ ἡγεμονίας [49]. En devenant une vierge perpétuelle, elle rejetait ce qui était perçu comme la définition même de son identité naturelle, le mariage et la maternité. Et de la sorte, elle s’affranchissait de la dichotomie biologique homme/femme, et empêchait ainsi d’être définie par cette identité. En revanche, en mettant en scène publiquement les miracles qu’on lui attribuait et son ascétisme, elle se définissait par son lien particulier avec Dieu qu’elle mettait au service de l’Empire [50].

21 Quant à Amalasonthe, elle exerça, à partir de 526, une régence pour son fils Athanaric [51]. Elle adopta alors une attitude très différente de celle de Pulcheria, car sa légitimité à conseiller le jeune prince lui venait précisément de sa maternité. Loin de renier sa nature féminine, elle sut en jouer, adoptant, quand cela était nécessaire, l’attitude soumise qu’on attendait d’une femme, fût-elle la mère du roi [52]. En restant, en apparence, soumise et en retrait par rapport aussi bien au jeune prince qu’aux aristocrates qui l’entouraient, elle désamorçait des situations conflictuelles avec l’entourage masculin de son fils. Dans le même temps, aussi bien Procope que Cassiodore louaient la « virilité » dont elle sut faire preuve en tant que souveraine [53]. Elle réussissait, de la sorte, en agissant, selon les circonstances, tantôt comme une souveraine, tantôt comme une femme se soumettant, aux hommes, à trouver un équilibre, certes très précaire, entre identités genrée et politique lui permettant de continuer à conseiller et diriger son fils.

22 Théodora n’afficha ni l’humilité de façade d’Amalasonthe, ni ne fit de vœux de virginité [54]. Sa seule légitimité lui venait de son mariage, et donc de son identité sexuée qui lui permit de devenir Augusta[55]. Et, c’est bien cela qui lui permit précisément de dépasser la dichotomie féminin/masculin, car elle participa aux institutions officielles du pouvoir, traditionnellement interdites aux femmes, y compris d’ailleurs dans la sphère militaire, en tant qu’Augusta associée à la βασιλεία de Justinien, et non pas en tant que femme de l’empereur [56]. Et cela expliquait, en partie, les nécessaires évolutions protocolaires que Procope s’empressa de dénoncer, particulièrement autour de la proskynèse faite devant chacun des deux augusti :

23

Ce n’était pas l’habitude toutefois de saluer l’impératrice. Mais tous ceux qui venaient en présence de Justinien et Théodora, même ceux qui avaient la dignité de patricien, tombaient face contre terre, et c’est après avoir touché de leurs lèvres les pieds de l’un et de l’autre que, mains et pieds étendus, ils se relevaient pour se retirer. Même Théodora ne se dérobait pas à cette marque d’honneur, elle qui n’hésitait aucunement à recevoir les ambassadeurs des Perses et des autres Barbares et à leur faire des dons d’argent, comme si l’empire romain était à ses pieds – une chose qui jamais, depuis le commencement du temps, n’était arrivée. [57]

24Quoi que sous-entende Procope, il ne s’agissait pas de s’incliner devant la femme de l’empereur mais de rendre au « corps politique » de l’Augusta Théodora les mêmes honneurs qu’à Justinien qui l’avait associée au pouvoir. Et c’est peut-être la même idée que l’on retrouve dans la mosaïque de l’église San Vitale de Ravenne, montrant l’impératrice revêtue d’une chlamyde pourpre, symbole du pouvoir impérial et traditionnellement un vêtement masculin. Si Théodora était représentée sur cette mosaïque entourée de femmes, elle-même agissait bien en tant qu’Augusta, dépassant ainsi son identité genrée, lorsqu’elle offrait à Dieu un calice [58]. La mise en place du protocole décrit par Procope permettait, comme les mosaïques, de rendre publiquement visible l’évolution idéologique de la définition du pouvoir de l’impératrice. Et l’anecdote qu’il inventait autour des moqueries dont Théodora aurait fait l’objet, selon lui, à la cour perse, témoignait surtout que l’historien n’arrivait pas à dépasser la contradiction que la redéfinition du titre d’Augusta imposait, celle d’une femme ayant accès officiellement au pouvoir politique [59].

25 Si Procope lui-même témoignait du pouvoir de Théodora à la cour, ce qu’il ne perçut pas, ou ne voulut pas percevoir, c’était sa situation tout à fait paradoxale. Son mariage avec l’empereur était, certes, à la base de son pouvoir à la fois en tant qu’épouse et en tant qu’Augusta, faisant d’elle la conseillère la plus proche de l’empereur. Elle exerça sur Justinien, manifestement amoureux d’elle, une influence personnelle en tant qu’épouse qui se doubla, pour la première fois dans l’histoire de l’Empire, d’une association officielle de l’impératrice aux décisions prises par son mari, lui permettant d’exercer un pouvoir au sein même des institutions officielles de l’Empire. Mais, dans le même temps, elle ne fut jamais l’égale de Justinien, condamnée par son genre à ne rester que sa plus proche conseillère. Si, en tant qu’Augusta, elle était associée à la βασιλεία de l’empereur, en tant que femme, elle ne pouvait, en aucune façon, prétendre à une égalité de pouvoir avec lui et restait donc soumise aux volontés de l’homme à qui elle devait son pouvoir [60]. Et d’ailleurs, même si Théodora fut impliquée dans la quasi-totalité des décisions impériales, elle n’eut pas toujours gain de cause. Elle protégea, certes, des monophysites, allant même jusqu’à en cacher dans le palais, mais elle ne put pas, pour autant, changer la loi et la politique religieuse de son mari pour améliorer leur situation [61]. Lorsque Justinien, dans l’une de ses lois, précisait avoir pris conseil auprès de Théodora, il la promulgua pourtant en son seul nom. Et, en matière de politique étrangère également, Théodora elle-même concédait dans sa correspondance qu’elle ne pouvait qu’influencer son mari qui prenait seul, en dernier ressort, les décisions. Mais, en revanche, nul doute que le rôle qu’elle joua auprès de Justinien rendit plus aisée la « tutelle » qu’exerça l’impératrice Sophia sur le successeur de Justinien, Justin II, lorsque celui-ci devint fou.

Notes

  • [1]
    Qu’il me soit ici permis de remercier Mme le professeur M.-R. Guelfucci pour avoir rendu possible ma participation à ce projet scientifique alors qu’un océan nous séparait. Cette contribution a été rédigée durant un semestre à Washington comme visiting scholar au Center for the Study of Early Christianity (CUA, DC). Toute ma reconnaissance à M. le professeur W. Klingshirn, son directeur, ainsi qu'à M. le professeur Ph. Rousseau pour avoir rendu cela possible.
  • [2]
    Sur les Anecdota, Cameron 1985, p. 49-66 ; sur Procope, Evans 1972 ; Cameron 1985 ; Kaldellis 2004.
  • [3]
    Sur la construction littéraire de ces passages : Bornmann 1978 ; Fisher 1978 ; Baldwin 1987 ; Ziche 2013.
  • [4]
    Procope, Anecdota, VIII, 3 : νωθεῖ ὄνῳ ἐμφερὴς μάλιστα καὶ οἷος τῷ τὸν χαλινὸν ἕλκοντι ἕπεσθαι, συχνά οἱ σειομένων τῶν ὤτων.
  • [5]
    Wood 1999, p. 261 et suivantes.
  • [6]
    Sur l’influence que Procope prête à la jeune femme sur Justinien, Procope, Anecdota, IX, 30-32 ; XXII, 28.
  • [7]
    Sur le couronnement conjoint de Justinien et de Théodora : Chronique pascale, 527 ; sur l’investiture de Justinien, également Jean Malalas XVII, 18 ; Theophanes, Chronographia, Anno Mundi 170, 24-28.
  • [8]
    Procope, Anecdota, X, 13-23 ; XIII, 19 ; XV, 10 ; XVI, 2 ; XVI, 8-10.
  • [9]
    Certains historiens n’ont pas hésité à faire de Théodora, une héroïne romantique, voire sentimentale, parfois même féministe avant l’heure. Elle fut ainsi tour à tour comparée à Lola Montez (Holmes 1912, p. 338), Virginie Cardinal, héroïne oubliée de Ludovic Halévy (Diehl 19652, p. 62), Evita Peron (Fisher Pap 1982) ou encore Grace Kelly (Schwartzenbach 2002) ; sur la réception de la figure de Théodora dans les arts italiens au xx e siècle, voir le très intéressant article de Carlà 2013 ; parmi les biographies les plus récentes, on notera Cesaretti 2001 ; Evans 2010 ; Pratsch 2011 ; Potter 2015.
  • [10]
    De façon assez symptomatique, cette idée que le pouvoir des impératrices était la conséquence de la faiblesse des empereurs a pendant longtemps était prédominante dans l’historiographie. Même dans l’étude fondamentale de K. Holum, on pouvait ainsi lire qu’Aelia Eudoxia devait son pouvoir « au caractère lamentable » d’Arcadius (Holum 1982, p. 48). Quant à Ch. Diehl, il dépeignait au début du xx e siècle une Théodora vivant loin de la cour, au milieu des jardins fleuris de son palais (Diehl 19662). Soixante ans plus tard, S. Maslev affirmait, lui, que l’impératrice était totalement à l’écart des affaires de l’Empire (Maslev 1966). L’impératrice était supposée vivre au milieu des intrigues menées par les eunuques de sa propre cour et n’exerçait sur l’empereur qu’une influence officieuse dépendant à la fois de sa force de caractère et de la faiblesse de son époux. Plus récemment, des études sont revenues sur la définition de la nature du pouvoir politique des impératrices : Kunst, Riemer 2000 ; James 2001 ; Temporini, Vitzthum 2002, Kolb 2010 ; Späth 2010.
  • [11]
    Procope, Anecdota, IX, 31 : δύναμιν τοίνυν ἐξαισίαν τινὰ καὶ χρήματα ἐπιεικῶς μεγάλα περιβαλέσθαι ἡ Θεοδώρα εὐθὺς ἴσχυσε. πάντων γὰρ ἥδιστον τῷ ἀνθρώπῳ ἐφαίνετο, ὃ δὴ ξυμβαίνειν τοῖς ἐκτόπως ἐρῶσι φιλεῖ, χάριτάς τε πάσας καὶ χρήματα πάντα τῇ ἐρωμένῃ χαρίζεσθαι.
  • [12]
    Justinien, Novelle, XXII, 3 (535) : nuptias itaque affectus alternus facit […] puro nuptiali affectu…
  • [13]
    Procope, Anecdota, XVI, 8 : τοῦτον δὴ ἅτε ὀφρυάζοντά τε καί οἱ ἀντιτείνειν πειρώμενον ἡ Θεοδώρα ἐς τὸν ἄνδρα διέβαλε ; également Procope, Anecdota, XIII, 19.
  • [14]
    Selon les Anecdota Justinien n’aurait pris aucune décision sans sa femme (Procope, Anecdota, X, 13), ce qui aux yeux de l’auteur était une preuve de plus de la faiblesse de l’empereur.
  • [15]
    Philostorge, II, 4.
  • [16]
    Philostorge, XI, 6 ; également Marc le Diacre, Vie de Porphyre, 46-49 sur le stratagème inventé par l’impératrice pour convaincre Arcadius de faire fermer les temples païens de Gaza.
  • [17]
    Ammien Marcellin, XV, 8, 3 ; Julien, Orationes, II, 11 ; II, 12 ; Theophanes, Chronographia, Anno Mundi 5846, 5849 ; Sozomène, V, 2.
  • [18]
    Julien, Orationes, II, 8 : sur la définition de la bonne impératrice, James 2001, p. 12.
  • [19]
    Julien, Orationes, II, 2 : ἀπόρρητον δὲ ἐποιεῖτο πρὸς αὐτὴν οὐδὲ ἕν, ἀλλὰ ἠξίου κοινωνὸν γίγνεσθαι τῶν βουλευμάτων καὶ ὅ τι πρακτέον εἴη συννοεῖν καὶ συνεξευρίσκειν. […] ὧν ἥδε κατ’ ἴσον ἀρυσαμένη, βουλευμάτων τε αὐτῷ γέγονε κοινωνὸς καὶ πρᾷον ὄντα φύσει τὸν βασιλέα καὶ χρηστὸν καὶ εὐγνώμονα πρὸς ἃ πέφυκε παρακαλεῖ μᾶλλον πρεπόντως καὶ πρὸς συγγνώμην τὴν δίκην τρέπει ; également Julien, Orationes, II, 8 ; II, 9.
  • [20]
    Julien, Orationes, II, 5 : ἀνδρείου, σώφρονος, συνετοῦ, δικαίου, χρηστοῦ καὶ πρᾴου καὶ μεγαλοψύχου ; Julien nuança considérablement ce jugement par la suite, après la mort de Constance II, en particulier dans la Lettre aux Athéniens (III, 4).
  • [21]
    Tougher 1998, p. 109-110 émet l’hypothèse que cet enkômion aurait été destiné à l’entourage même de Julien en Gaule. Mais, même dans ce cas, cette œuvre dédiée à l’impératrice allait nécessairement arriver et être lue à la cour de Constantinople.
  • [22]
    Brubaker 1997, p. 61-62.
  • [23]
    Si le païen Julien préférait évoquer à propos d’Eusebia « une divinité », l’idée restait la même ; Julien, Orationes, II, 5 : ὥσπερ θεοῦ τινος ἀγαθῷ βασιλεῖ καλὴν καὶ σώφρονα πλάττοντος τὴν νύμφην – « il fallut qu’une divinité, pour ainsi dire, façonnant pour un bon prince une belle et sage épouse… » ; également Julien, Orationes, II, 8 où il évoque une ῥεῦμα θεῖον, une « influence divine » à propos du comportement de l’impératrice ; quant à Pulchérie, elle conseille son frère σὺν θεῷ (Theophanes, Chronographia, Anno Mundi 5901 ; également Sozomène, IX, 1 et Theodorus Lector, Epitome Historiae Ecclesiasticae, XCI, 4-13).
  • [24]
    Wood 1999.
  • [25]
    Toutes les impératrices depuis Aelia Flavia Flacilla jusqu’à Théodora, à l’exception de Galla, la seconde femme de Théodose Ier, ont porté le titre d’Augusta. Sur l’évolution de la définition idéologique du titre d’Augusta Holum 1982, p. 31-32 ; James 2001, p. 119-125 ; Kolb 2010, p. 14-22.
  • [26]
    Sur cette question James 2001, p. 19-20 ; sur les différents niveaux de lecture possible du panégyrique d’Eusebia, Tougher 1998.
  • [27]
    L’emploi du terme « officieux » ne revêt ici ni caractère péjoratif ni dépréciatif et qualifie simplement toute influence s’exerçant à l’extérieur des institutions officielles de l’Empire.
  • [28]
    Sur la définition du pouvoir, Weber 1968 [1922], particulièrement p. 53 ; sur la capacité des femmes à exercer un pouvoir politique, Erler, Kowaleski 1988 ; Stafford 1995 ; Evans 2001.
  • [29]
    Avant Théodora, on ne trouve pas d’autres impératrices intervenant dans l’activité législative, à l’exception d’une mention de Procope, qu’il faut prendre avec précaution, précisant qu’Euphemia aurait convaincu Justin Ier de ne pas prendre de loi permettant aux anciennes actrices de se marier (Procope, Anecdota, IX, 47).
  • [30]
    Parmi les lois de Justinien : Justinien, Novelle XIV qui chasse également de Constantinople les proxénètes ; également Jean Malalas XVIII, 24 ; la tradition monophysite fait de Théodora l’instigatrice de ces lois : Jean de Nikiou, XCIII, 1-3 : « À son tour l’impératrice Théodora, épouse de l’empereur Justinien, fit cesser la prostitution, et elle ordonna d’expulser les femmes prostituées de tout lieu » (traduction Zotenberg 1883 ; pour le texte éthiopien, se référer à la seule édition existant à ce jour, Zotenberg 1883).
  • [31]
    Justinien, Novelle, VIII, 1, 3.
  • [32]
    Justinien, Institutes, I, 2, 6 ; Digeste, I, 4, 1.
  • [33]
    Procope lui-même avait conscience de cette association : Procope, Anecdota, XXX, 27 : ἐξ ὅτου δὲ οὗτοι τὴν βασιλείαν παρέλαβον… – « mais, à partir du moment où ces deux-là reçurent la βασιλεία… »
  • [34]
    Le conseil des empereurs était totalement inaccessible officiellement aux impératrices. Tacite rapporte ainsi qu’Agrippine faisait convoquer les sénateurs au Palais pour pouvoir espionner le déroulement des séances, cachée derrière les rideaux. Tacite, Annales, XIII, 5, 1 : patres […] in Palatium ob id vocabantur, ut adstaret additis a tergo foribus velo discreta, quod visum arceret, auditus non adimeret. quin et legatis Armeniorum causam gentis apud Neronem orantibus escendere suggestum imperatoris et praesidere simul parabat, nisi ceteris pavore defixis Seneca admonuisset, venienti matri occurrere. ita specie pietatis obviam itum dedecori – « Les Pères étaient convoqués au Palatium afin qu’elle pût assister aux séances, grâce à une porte aménagée par derrière, séparée par une tenture qui la dérobait à la vue sans l’empêcher d’entendre. Elle fit plus : comme des ambassadeurs arméniens plaidaient la cause de leur pays devant Néron, elle se préparait à monter sur l’estrade de l’empereur et à siéger avec lui, si devant l’assistance paralysée par la peur, Sénèque n’avait conseillé au prince d’aller au-devant de sa mère. Ainsi, la piété filiale servit de prétexte pour prévenir un scandale » ; sur le cas de Pulcheria, cf. infra.
  • [35]
    Procope, De bello Persico, I, 24, 32-38.
  • [36]
    Diehl 1965², Bury 1923, p. 48 ainsi que Baldwin 1982 considèrent que Procope rapporte le discours tel qu’elle l’a prononcé ; contra Barker 1966, p. 87 ; Moorhead 1994, p. 46-47 ; Evans 1996, p. 124 ; Cameron 1985 ; Leppin 2011 p. 146 doutent de la véracité du discours.
  • [37]
    Procope, De bello Persico, XXIX, 36 : μὴ γὰρ ἂν γενοίμην τῆς ἁλουργίδος ταύτης χωρὶς, μηδ’ ἂν τὴν ἡμέραν ἐκείνην βιῴην, ἐν ᾗ με δέσποιναν οἱ ἐντυχόντες οὐ προσεροῦσιν ; sur l’aspect ironique de ce discours de Procope, Cameron 1985, p. 69.
  • [38]
    Par ex. Procope, Anecdota, XV, 21 ; XVII 27.
  • [39]
    Lettre envoyée par Amalasonthe : Cassiodore, Variae, X, 10 ; lettres envoyées par Theodahad : X, 20 ; X, 22 ; X 23 ; lettres envoyées par Gudeliva : X, 21 ; X, 24 ; Gillett 2003, p. 178-179.
  • [40]
    Cassiodore, Variae, X, 10, 1 : Moorhead 1994, p. 38.
  • [41]
    Cassiodore, Variae, X, 20, 2 : Hortamini enim ut quicquid expetendum a triumphali principe domno iugali vestro credimus, vestris ante sensibus ingeramus. quis iam dubitet ad effectum pervenire, quod talis potestas dignabitur allegare ? ante quidem de causarum nostrarum aequitate praesumpsimus, sed nunc amplius de vestra promissione laetamur. Non enim poterunt vota nostra differri, quando interest, quae meretur audiri. Ces lettres de Cassiodore prouvant l’existence de ce que l’on pourrait appeler une “diplomatie parallèle” menée par l’impératrice confirment, une fois encore, ce que Procope écrit dans les Anecdota à propos des réceptions diplomatiques menées par l’impératrice (Procope, Anecdota, XXX, 24). Il est cependant impossible d’établir si les affirmations de Procope autour de la réception d’ambassades perses et l’envoi d’une lettre par Théodora (Procope, Anecdota, II, 32-36) à l’ambassadeur Zaberganès sont véridiques ; Evans 2011, p. 96-98 ; Leppin 2011, p. 160-163.
  • [42]
    Procope, Anecdota, IX, 48-49 : πονηρίας μὲν γὰρ ἡ γυνὴ ἀπωτάτω οὖσα ἐτύγχανεν, ἄγροικος δὲ ἦν κομιδῆ καὶ βάρβαρος γένος, ὥσπερ μοι εἴρηται. ἀντιλαβέσθαι τε ἀρετῆς οὐδαμῆ ἴσχυσεν, ἀλλ’ ἀπειροτάτη οὖσα διατετέλεκε τῶν κατὰ τὴν πολιτείαν πραγμάτων, ἥ γε οὐδὲ ξὺν τῷ ὀνόματι τῷ αὐτῆς ἰδίῳ ἅτε καταγελάστῳ ὄντι ἐς Παλάτιον ἦλθεν, ἀλλ’ Εὐφημία ἐπικληθεῖσα ; également Procope, Anecdota, VI, 17 : Τὰ μὲν ἀμφὶ τῷ Ἰουστίνῳ ταύτῃ Ῥωμαίοις εἶχε. γυναικὶ δὲ ὄνομα Λουππικίνῃ ξυνῴκει. αὕτη δὲ δούλη τε καὶ βάρβαρος οὖσα τοῦ πρόσθεν αὐτὴν ἐωνημένου παλλακὴ γέγονε – « Il en était donc ainsi pour les Romains avec l’empereur Justin. Il vivait avec une femme du nom de Lupicina qui, étant esclave et barbare, avait été auparavant la concubine de celui qui l’avait achetée. » 
  • [43]
    Kantorowicz 1957 ; voir également Jussen 2009 ; Leyser 2016.
  • [44]
    Sur Pulcheria et, plus largement sur les impératrices théodosiennes, Holum 1982, p. 79-111 reste incontournable ; plus récemment, Busch 2015.
  • [45]
    Theophanes, Chronographia, Anno Mundi 5901.
  • [46]
    Sozomène, IX, 1, 5 : ὑπεισελθοῦσα δὲ τὴν φροντίδα τῆς ἡγεμονίας ἄριστα καὶ ἐν κόσμῳ πολλῷ τὴν Ῥωμαίων οἰκουμένην διῴκησεν, εὖ βουλευομένη καὶ ἐν τάχει τὰ πρακτέα ἐπιτελοῦσα καὶ γράφουσα – « Lorsqu’elle eut assumé le soin de l’Empire, elle administra excellemment et avec beaucoup d’ordre le monde romain : elle délibérait avec justesse et était prompte à accomplir et à mettre par écrit les mesures à prendre » ; autre témoignage de cette influence et de son rôle officiel, son buste aurait été rajouté dans le sénat de Constantinople à ceux des deux augusti, Honorius et Théodose II (Chronique pascale, 414).
  • [47]
    Jean de Nikiou, LXXXVII : « Alors elle [Pulcherie] écrivit un acte frauduleux en ces termes : Le palais de l’impératrice [Eudocia], ses clos et ses jardins, tout cela m’est donné par l’empereur. Et elle remit ce document à l’empereur pour qu’il le signât. Lorsqu’on en fit la lecture devant le Sénat assemblé, Pulchérie se leva, et, se tenant au milieu des hommes, sans pudeur, reprocha d’une manière insolente à l’empereur d’accomplir avec négligence les actes du gouvernement » ; cf. note n. XXXX.
  • [48]
    Sozomène, IX, 1, 3.
  • [49]
    Sozomène, IX, 1, 4 : « pour sa virginité et le règne de son frère » ; à signaler également la dédicace sur une base de statue retrouvée à l’Hebdomon associant clairement les vœux des sœurs de l’empereur à ses victoires militaires (Demangel 1945, p. 33-43 pour le texte que l’auteur comprend, lui, comme renvoyant à des vœux plus généraux pour le salut de l’Empire).
  • [50]
    Sur les miracles, Sozomène, IX, 2 ; sur la mise en scène de son ascétisme et de son humilité, Kelly 2013.
  • [51]
    Becker 2008, p. 529-534.
  • [52]
    Procope, De bello Persico, I, 2, 18 : Ταῦτα ἐπεὶ ἤκουσεν Ἀμαλασοῦνθα, οὐκ ἐπῄνεσε μὲν, δείσασα δὲ τὴν τῶν ἀνθρώπων ἐπιβουλὴν, δόκησίν τε παρείχετο ὡς πρὸς ἡδονῆς αὐτῇ οἱ λόγοι ἐγίνοντο, καὶ ξυνεχώρει ἅπαντα ὅσων οἱ βάρβαροι αὐτῆς ἔχρῃζον. – « Quand Amalasonthe eut entendu ces propos, elle les désapprouva, mais dans la crainte que ces hommes ne se livrassent à des menées insidieuses, elle leur fit croire que leur langage lui causait du plaisir, et elle accorda aux barbares tout ce qu’ils demandaient. »
  • [53]
    Procope, De bello Persico, I, 2, 3 : Ἀμαλασοῦνθα δὲ ἅτε τοῦ παιδὸς ἐπίτροπος οὖσα, τὴν ἀρχὴν διῳκεῖτο, ξυνέσεως μὲν καὶ δικαιοσύνης ἐπὶ πλεῖστον ἐλθοῦσα, τῆς δὲ φύσεως ἐς ἄγαν τὸ ἀρρενωπὸν ἐνδεικνυμένη. « Amalasonthe, comme tutrice de l’enfant, administrait le gouvernement en faisant preuve au plus haut point d’intelligence et de sens de la justice, en montrant complètement la virilité de sa nature » ; également Cassiodore, Variae, XI, 1, 19 : sed quemadmodum illi sufficere poterunt exempla feminea, cui virorum laus cedit universa ? – « Mais comment ces modèles féminins pourront-ils faire face à celle devant qui pâlissent toutes les gloires viriles » ; Fisher 1977, p. 264-265 ; Fauvinet-Ranson 1998, p. 302.
  • [54]
    Potter 2015 affirme que Théodora n’eut plus de relations physiques avec Justinien à partir de 536. Mais rien dans les sources, ne permet d’étayer cette affirmation.
  • [55]
    Maslev 1966, Missiou 1982 et Holum 1982, p. 29-32 établissent un lien entre l’attribution du titre d’augusta et la naissance d’un héritier. Or, Théodora n’eut jamais d’enfant avec Justinien. Pour Bensammer 1976, il faut le comprendre comme un titre officiel servant à évoquer ou à s’adresser à l’homologue féminin de l’augustus et à rendre ainsi concrète publiquement et officiellement son association à l’Empire ; sur cette question, Kolb 2010.
  • [56]
    Sur les mosaïques de la Chalkè représentant le couple impérial pendant une cérémonie de triomphe, Procope, De aedificiis, I, 10, 16-19.
  • [57]
    Procope, Anecdota, XXX, 23-24 : βασιλίδα μέντοι προσκυνεῖν οὐδαμῆ εἴθιστο. παρὰ δὲ Ἰουστινιανόν τε καὶ Θεοδώραν τὰς εἰσόδους ποιούμενοι οἵ τε ἄλλοι ἅπαντες καὶ ὅσοι τὸ πατρικίων ἀξίωμα εἶχον ἔπιπτον μὲν εἰς τὸ ἔδαφος εὐθὺς ἐπὶ στόμα, χειρῶν δὲ καὶ ποδῶν ἐς ἄγαν σφίσι τετανυσμένων τῷ χείλει ποδὸς ἑκατέρου ἁψάμενοι ἐξανίσταντο. οὐδὲ γὰρ ἡ Θεοδώρα τὴν ἀξίωσιν ἀνεδύετο ταύτην, ἥ γε καὶ τοὺς πρέσβεις προσίεσθαι Περσῶν τε καὶ τῶν ἄλλων βαρβάρων, χρήμασί τε αὐτοὺς δωρεῖσθαι, ὥσπερ ὑπ’ αὐτῇ κειμένης τῆς Ῥωμαίων ἀρχῆς, οὐδαμῆ ἀπηξίου, πρᾶγμα πώποτε οὐ γεγονὸς ἐκ τοῦ παντὸς χρόνου.
  • [58]
    Barber 1990, p. 35-36 ; en 491, lorsque l’impératrice Ariadne organisa l’élection du successeur de son défunt mari Zénon, elle le fit en tant qu’Augusta comme en témoignait son apparition à l’hippodrome vêtue de la chlamyde pourpre et entourée des dignitaires ὅσοι ἔθος ἔχουσιν συνθεωρεῖν τῷ βασιλεῖ ἐν ταῖς ἱπποδρομίαις – « qui participent habituellement avec l’empereur aux festivals de l’hippodrome » (Constantin Porphyrogénète, De ceremoniis, 418, l. 7-10).
  • [59]
    Procope, Anecdota, II, 34-36 : « […] οὐκοῦν πράττοις ἂν εἰκότα τῇ δόξῃ, ἣν ἐπὶ σοὶ ἔχω, εἴ γε βασιλέα Χοσρόην εἰρηναῖα πείθοις ἐς πολιτείαν τὴν ἡμετέραν βουλεύεσθαι. οὕτω γάρ σοι ἀγαθὰ μεγάλα πρὸς ἀνδρὸς ἀναδέχομαι τοὐμοῦ ἔσεσθαι, ὅς γε οὐδὲν ἂν ὅ τι καὶ ἄνευ γνώμης τῆς ἐμῆς πράξειεν. » ταῦτα ὁ Χοσρόης ἀναλεξάμενος, ὀνειδίσας τε Περσῶν τοῖς λογίμοις εἰ πολιτείαν οἴονται εἶναι, ἣν γυνὴ διοικεῖται, τὴν τῶν ἀνδρῶν ὁρμὴν ἀναστέλλειν ἔσχεν. – « “[…] Tu agiras donc conformément à la bonne opinion que j’ai de toi si tu persuades le roi Chosroès d’adopter une attitude pacifique envers notre État. De cette façon, je te l’assure, tu obtiendras de grandes richesses de mon mari, qui ne fait rien sans mon avis.” Ayant lu cela [la lettre que Théodora aurait envoyée à l’ambassadeur perse], Chosroès demanda en se moquant aux notables perses s’ils croyaient que l’État qu’une femme gouverne en était un, et il sut ainsi remonter le moral de ses hommes » ; plus largement sur la place de la femme dans la société byzantine, Beaucamp 1990 ; Herrin 1983.
  • [60]
    Justinien, Digeste, I, 3, 31 : Princeps legibus solutus est : augusta autem, licet legibus soluta non est, principes tamen eadem illi priuilegia tribuunt, quae ipsi habent. – « Le prince est délié des lois. Mais, bien que l’Augusta ne soit pas déliée des lois, les princes leur accordent cependant tous les privilèges dont eux-mêmes jouissent. »
  • [61]
    Sur la politique religieuse menée par Thédora, voir l’utile synthèse de Pratsch 2011, p. 65-74.
Français

Résumé

Théodora fut la première impératrice à exercer dans le même temps une influence officieuse sur son mari et un rôle officiel de conseillère en tant qu’Augusta. Pour cela, elle dut résoudre le paradoxe que représentaient ses deux identités biologique et politique. En effet, c’était bien à son mariage qu’elle devait sa proximité avec l’empereur qui lui donnait, de fait, accès à un pouvoir politique dont elle était, dans le même temps, en tant que femme, théoriquement exclue. C’est précisément la redéfinition de son titre d’Augusta qui permit à Théodora et Justinien de dépasser cette dichotomie.

Mots-clés

  • Théodora
  • Augusta
  • Impératrice
  • Pouvoir politique
  • Genre

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Audrey Becker
Université de Lorraine – CRULH EA 3945
audrey.becker@univ-lorraine.fr
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 11/12/2017
https://doi.org/10.3917/dha.hs17.0387
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