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Il y a 80 ans le roi George V d'Angleterre disparaissait

Le roi George V en 1929. Rue des Archives/© Rue des Archives/CCI

LES ARCHIVES DU FIGARO - Le 20 janvier 1936, George V, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande et empereur des Indes meurt au manoir de Sandringham. Wladimir d'Ormesson salue une dernière fois en Une du Figaro ce «roi loyal» si populaire.

Le roi George V meurt après un règne de vingt-six ans, durant lequel il a voulu rendre la monarchie populaire. Il la redynamise, réinventant les traditions royales. Pourtant lorsqu'il accède au trône en 1910, il doit affronter plusieurs situations critiques: une crise constitutionnelle, l'agitation irlandaise de 1913 et surtout la Grande Guerre.

Objectif atteint: sa popularité ne cesse de croître. Son courage est reconnu. Il cherche à «partager les soucis de son peuple» (Jean des Cars dans la Saga des Windsors). Ainsi durant la Première Guerre mondiale, il se rend souvent sur les champs de bataille afin d'être proche des soldats. Il s'efforce d'être un souverain irréprochable.

L'attachement des Britanniques à leur roi

En mai 1935 lors de la célébration du Jubilé, la monarchie est plus populaire que jamais. Il est acclamé partout où il se déplace, les foules sont enthousiastes. Sa popularité l'étonne lui-même, comme le rapporte l'épouse du premier ministre Lady Asquith*: devant la ferveur de ses sujets, il dit «Je ne peux pas comprendre tout cela, je ne suis qu'un simple humain».

Durant les dernières heures de sa vie, le peuple suit avec anxiété les phases de l'agonie de son souverain. Une grande émotion unit tous les sujets britanniques.

Le journaliste du Figaro Wladimir d'Ormesson rend hommage à ce grand roi qui a su attirer et surtout conserver l'amour de ses sujets. Il a acquis ses faveurs, selon lui, parce qu'il a été est un «homme loyal, plein de bon sens, plein de mesure, et que l'on savait, qu'on le sentait humain».

* voir encadré


Article paru dans Le Figaro du 21 janvier 1936.

Le roi loyal

«Nous sommes pouilleux mais loyaux». Telle est l'inscription que l'on pouvait lire sur les banderoles qui flottaient dans les rues des quartiers les plus miséreux de Londres, il y a six mois, au moment du «Jubilé Royal».

Ce cri du cœur indique ce que représente «The King» non seulement en Angleterre, mais dans l'empire britannique. La couronne forme la clef de voûte de cet édifice dont les murs baignent dans toutes les mers. Le roi George V remplissait cette fonction prestigieuse avec une tranquille grandeur. Si l'on était si «loyal»

Le Figaro du 21 janvier 1936.

envers Lui, dans toutes les classes, dans tous les partis, dans toutes les régions de l'empire, c'est que Lui-même, fut splendidement loyal avec tous ses sujets. Il régnait au-dessus des luttes politiques, scrupuleusement attentif à l'exercice de la Constitution, ne perdant jamais l'occasion cependant de mettre sa discrète influence au service du bien public. C'est à lui que les Anglais doivent en grande partie la trêve politique, qui permit à l'Angleterre, dans une crise aiguë de son histoire, de triompher des difficultés qui l'assaillaient et de reprendre son élan économique et financier.

Cette fidélité prit des allures d'une explosion d'enthousiasme à l'occasion du Jubilé.

George V était extraordinairement populaire. L'attachement que lui portait son peuple se manifesta déjà d'une façon touchante lors de la maladie qui le mit, il y a sept ans, à deux doigts de la mort. Mais cette fidélité prit des allures d'une explosion d'enthousiasme à l'occasion du Jubilé. Je me suis laissé dire que le roi fut lui-même surpris de la spontanéité et de la chaleur de ces démonstrations publiques. Il ne se savait pas si aimé.

Cette faveur, George V se l'était acquise par les plus belles qualités auxquelles puisse prétendre un souverain: la conscience, le sérieux avec lesquels il remplissait sa mission. Il n'était pas un surhomme, mais il était un homme loyal, plein de bon sens, plein de mesure, et que l'on savait, que l'on sentait humain. Dans les temps désaxés où nous sommes, le fait que ces qualités toutes simples portèrent au maximum la popularité du monarque qui règne sur le grand empire du monde m'apparaît non seulement comme une sorte de consolation, mais comme le plus riche enseignement que l'on puisse méditer. Il montre que les peuples, pour être heureux et se sentir bien gouvernés, ont moins besoin de génies hors série que de traditions d'airain.

Un règne d'une importance capitale dans l'évolution du système britannique.

L'histoire d'Angleterre dira sans doute que le règne de George V fut non seulement un règne glorieux parce que la Grande-Bretagne fut victorieuse sur terre et élimina des mers- pour combien de temps?- la flotte menaçante de Guillaume II, mais aussi un règne d'une importance capitale dans l'évolution du système britannique. Avec souplesse, en effet, et réalisme, l'Angleterre, sut s'adapter aux circonstances et faire évoluer ses rapports avec le Canada, l'Inde, les États de l'Afrique du Sud, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, etc…, de telle sorte que, d'un empire colonial fondé sur les anciennes notions de souveraineté pure et simple, elle s'est constituée en un Commonwealth où elle contrôle plus qu'elle n'administre, où elle conseille plus qu'elle n'ordonne, où elle aide plus qu'elle n'est aidée, en un mot, où elle préside plus qu'elle ne dirige. Une telle évolution est grosse de conséquences. Mais si elle limite les pouvoirs de la métropole, elle ne diminue pas, loin de là, ses responsabilités. Plus l'empire se développe, plus il est menacé, plus il est nécessaire de conserver toutes ses forces.

George V laisse à son fils un héritage transformé, mais intact. Cet héritage exige alors, devant les menaces qui lèvent de toutes parts, un redressement des volontés auquel l'Angleterre ne faillira pas.

Pour nous, Français, comment ne nous rappellerions-nous pas que George V fut le roi-allié, dont la «méprisable petite armée», la flotte superbe vinrent, le 3 août 1914, combattre à côté des Belges, à côté de nous, pour défendre la force du droit contre le droit de la force?

Comment ne nous souviendrions pas qu'au cours de ce règne, entre Anglais et Français, qui si longtemps furent adversaires, une amitié s'est scellée contre laquelle rien ne peut prévaloir et qui est plus que jamais indispensable à l'Europe, à la paix…

Aussi la France s'incline-t-elle avec respect devant la dépouille du roi George V et les Français s'associent-ils fraternellement à l'émotion du peuple et de l'empire britanniques.

Par Wladimir d'Ormesson


Article paru dans Le Figaro du 28 janvier 1936

Mes souvenirs sur George V

Par Lady Asquith, comtesse d'Oxford

George V possédait, plus qu'aucun autre homme que j'aie jamais connu, le courage, la simplicité et un bon sens robuste. J'étais placée près de l'archevêque de Canterburry et de Fitz Ponsonby lorsqu'ils parlaient au Roi après le dîner du Jubilé au Palais. La conversation roulait sur le témoignage merveilleux et spontané de loyauté que le Roi avait reçu de ses sujets.

Le Roi, qui dissimulait mal un profond plaisir, dit:

- Je ne peux pas comprendre tout cela! Après tout, je ne suis qu'un simple humain.

J'avais envie de l'interrompre pour lui dire:

- Et, c'est justement pour cela, Sire, que vous êtes tant aimé.

[ …] Le profond sentiment que nous avons pour notre monarque est la clé de voûte de notre libre et heureuse Constitution.

[…] Le Roi George était un souverain pour qui le plaisir comptait moins que le devoir.

« Son calme et son courage pendant la terrible guerre ont impressionné profondément son premier ministre, mon mari. »

Lady Asquith

[…] Mon mari m'a dit que, pendant les dix ans qu'il occupa Down Street, il n'avait jamais vu son Souverain manquer de courage, ni de prendre une mauvaise décision. […] Son calme et son courage pendant la terrible guerre ont impressionné profondément son premier ministre, mon mari.

[…] Aux premiers jours de la guerre, deux de mes amis intimes vinrent me voir un matin à Downing street, et me dirent qu'il était désormais impossible de revoir aucun de nos amis allemands et que la meilleure chose que j'avais à faire était de rompre avec eux. Indignée d'une telle intervention, je leur demandai de quel droit elles m'adressaient cet avis et j'ajoutais que la chose ne faisait pas question et qu'il était plus que probable que les plus à plaindre en ce moment étaient les Allemands qui vivaient dans ce pays. A cela elles répondirent qu'elles avaient entendu dire que le Roi ne pardonnerait pas à son premier ministre s'il recevait les Allemands à Downing street. Sur l'instant, je sonnai un messager et je lui ordonnai de se rendre au Palais pour demander une audience au Roi.

[…] Le Roi consentait à me recevoir. Je trouvai le Roi marchand de long en large dans un salon avec un air très grave. Nous étions seuls.

- Sire, dis-je, je suis désolée de vous déranger en ces heures si graves mais on m'a informée que vous désiriez qu'aucune personne de nom allemand ne soit mandée à Downing Street. Comme je suis la femme de votre premier ministre, je désire savoir si tel est réellement votre désir.

« Je n'ai jamais abandonné un ami dans ma vie et j'ai beaucoup de relations en Allemagne. »

George V

Le Roi me répondit:

- Que voulez-vous que je vous dise?

Je dis à sa Majesté que je désirais seulement obéir à ses ordres.

Le Roi:

- Mais que pensez-vous que je puisse vous répondre?

Je dis que je l'ignorais, à quoi le Roi dit:

- Alors, je vais vous le dire. Je n'ai jamais abandonné un ami dans ma vie et j'ai beaucoup de relations en Allemagne.

Sur quoi je fondis en larmes et, après avoir embrassé la main qu'il posait sur mon épaule, je quittai le Palais.

Il y a 80 ans le roi George V d'Angleterre disparaissait

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1 commentaire
  • Vivement 2022

    le

    Cet article date de 1936... C'est la période de lâcheté infinie des démocraties occidentales, le Royaume-Uni et les Etats-Unis au premier plan, la France suivant de très prêt. Alors vu d'aujourd'hui la nostalgie de ce journaliste paraît stupide, presque déplacée, alors qu'il aurait fallu être combatif, sur le pied-de-guerre, dans son époque quoi. Cela étant dit, cet article attire ma curiosité sur George V. Quelle a été sa réelle responsabilité dans la victoire de 1918, et dans la préparation du désastre de 1940 ? J'avoue ne pas être renseigné sur cette question.

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