La Loue. Esprit canoë – Kayak de mer

La Loue. Esprit canoë

Un été, j’ai souhaité décrocher du kayak et de la mer, un peu sous la pression de l’entourage. Je partais vers d’autres cieux : l’Est de la France. Loin des côtes et des odeurs marines. Je n’amenais rien. Pour quoi faire de toute façon ? Il me faudrait marcher, avec godillots et sac à dos. Mais cette année-là, le mois de juillet fut particulièrement chaud. Et du haut des plateaux calcaires, les rivières scintillaient. L’envie était trop forte… Or, au creux de mes bagages se lovait, soigneusement emmitouflé, « Le guide du canoë en France » de Paul Villecourt. On ne se refait pas… Or, ledit guide parlait de la Loue comme l’une des plus belles rivières de Franche-Comté : le « joyau » de la région (p. 106-115).

« Le canoéiste est un équilibriste flottant entre deux statuts : celui de promeneur inoffensif en bordure de propriétés (puisqu’il ne touche à rien) et celui de transgresseur contrevenant au respect desdites propriétés (puisqu’il passe au-dessus et au ras, pour ainsi dire au milieu) ». Patrice de Ravel, La caresse de l’onde, p. 65.

Affluent du Doubs, elle est navigable sur 120 km jusqu’à sa confluence, à partir de Mouthiers. Cependant, sa navigation est réglementée par un arrêté préfectoral assez strict. Il est par exemple interdit de naviguer en dehors des horaires autorisés, de 10h à 18h. Plus encore, si le niveau est inférieur à 4 m3/s, la navigation n’est autorisée que sur quatre parcours (voir « Le guide du canoë en France », p. 114.). Or, en cette fin de mois de juillet, au cœur d’un été caniculaire, c’était bien le cas. 

« Sensations nouvelles : lorsque l’on est à genoux ou assis au fond d’un canoë, le monde apparaît différent. La hauteur des rives et le mur végétal de ronces et d’arbres effacent la perspective et ramènent toute vision à la surface de l’eau ».
B. Ollivier, Aventures en Loire. 1000 km à pied et en canoë, p. 72.
« Faire du canotage était chose facile. (…). De simples efforts musculaires y suffisaient dans un état intermédiaire entre la veille et l’assoupissement et, pendant ce temps, le cerveau en grandes vacances s’ensommeillait ». R.-L. Stevenson, En canoë sur les rivières du nord, p. 150.

Pourtant, j’avais bien envie de la découvrir cette rivière si prometteuse. Sans matériel particulier, j’ai pris contact avec « Latitude Canoë ». Le nom du prestataire était prometteur. Grand bien m’en a pris. J’ai eu la chance de faire la connaissance de Samuel, grand amoureux de sa rivière. Il proposait une descente guidée en canoë ouvert de type canadien. La section envisagée, de Montgesoye à Ornans, correspondait à l’une des quatre sections de la rivière autorisée à la navigation à cette période. Le matériel était de qualité : des C2 Venture Prospector et des C1 Old Town, le tout accompagné de pagaies en bois très agréables aux maniements. Samuel m’a proposé de prendre un C1, plus intéressant techniquement. La navigation en C1 était une première pour moi et j’ai beaucoup apprécié cette découverte qui nécessitait de concilier à chaque coup de pagaie propulsion et orientation. 

« Un fleuve, ce n’est pas un lieu, c’est une personne, et au cours de ce voyage, il m’est arrivé de l’entendre chanter. (…)« C’est quoi ça ? » demandai-je, stupéfait. – Ce sont les graviers qui roulent, répondit Angelo ; c’est le lit du fleuve qui se promène ». Dans ces fonds sonores résidait le secret du dieu « .
Paolo Rumiz, Pô, le roman d’un fleuve, p. 13.
« Des deux journées de navigation qui suivirent, il ne reste que peu de souvenirs dans ma mémoire et rien du tout dans mon carnet de notes. (…) et le frémissement des arbres et de l’eau faisait un accompagnement à nos pensées ensommeillées durant notre descente rapide au fil de l’eau courante »
R.-L. Stevenson, En canoë sur les rivières du nord, p. 177.

Avec Samuel, je n’étais n’est pas dans la simple prestation d’un service. Il était vraiment dans l’esprit canoë. Je retrouvais pleinement l’esprit de ce que j’avais perçu du livre de Patrice de Ravel : « La caresse de l’onde. Petite réflexion sur le voyage en canoë ». Comme l’auteur, il aurait pu dire – peut-être l’a-t-il dit d’ailleurs à sa manière – : « Le coup de pagaie est un mantra que l’on récite inlassablement. Un mantra dans lequel les muscles remplacent les mots et où les gestes tiennent lieu de voix » (p. 88-89). Au fur et à mesure de la navigation, il expliquait la rivière, attirait l’attention sur la faune, la flore et militait pour que l’on puisse retrouver l’âme du canotage. Il tempêtait contre les trop nombreuses locations de sit-on-top. « Il faudrait former les gens, leur apprendre en particulier à respecter les lieux », précisait-il. Les personnes consomment la descente sans tenir compte de ce qui les entoure. La sur-fréquentation présente d’ailleurs des risques de détérioration du cours d’eau. Ne serait-ce que par les frottements du plastique sur les pierres. On ne le sait que trop bien. Néanmoins, on laisse faire… Pourtant que la vallée est belle ; « Comment peut-on s’imaginer en voyant un vol d’hirondelles » qu’elle puisse ainsi être abimée… 

« Big Jim, comme l’appelait son entourage, aimait raconter que, en Inde, on attache parfois les fous près d’une rivière afin qu’ils guérissent en entendant le clapotis. L’incipit de la nouvelle « Le dolorosa beige » (dans Julip, 1995) exprime autrement cette mystique : « J’entends toujours le bruit de l’eau vive, même lorsqu’il n’y en a pas. Peut-être est-ce mon propre sang que j’entends ? » ».
Macha Séry, « Jim Harrison en quatre points cardinaux », Le Monde des livres, 21-09-2016, p. 12.
« La barque oisive donne les mêmes délices, suscite les mêmes rêveries. Elle donne, dit Lamartine sans hésitation, « une des plus mystérieuses voluptés de la nature » ». Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, p. 150.

La Loue filait au sein d’un magnifique paysage karstique qui s’ouvrait peu à peu : on passait sous les feuillages, la vue se déployait progressivement permettant d’apercevoir des falaises calcaires au loin. Les seuils et les barrages étaient réguliers accentuant l’intérêt du parcours. Dans la dernière section, la plus tranquille du parcours, j’ai pris plaisir à discuter plus longuement avec Samuel qui me racontait, notamment, comment il amenait régulièrement en randonnée des jeunes des quartiers. Ils découvraient alors non seulement la rivière, la navigation, mais aussi le bivouac. Il transportait pour l’occasion un tipi huit places. « Le canoë n’est pas qu’une pratique sportive… » Pour les derniers kilomètres, il m’a proposé d’essayer son C1 de chez Esquif (je n’ai pas retenu le type exact). Il est taillé pour l’eau vive : il a ainsi une ligné gironnée. Certes, il n’est pas très directionnel, mais il est très agréable à manier. Il a surtout un équipement adapté. Le fond est pourvu de genouillères et de lanières faisant offices de cale-genoux. Des cale-pieds complètent l’ensemble. Enfin, au lieu du traditionnel banc en bois, on est installé sur une selle confortable permettant de rester droit. 

« La citation d’Héraclite, On n’entre pas deux fois dans le même fleuve, et plus encore la version radicale d’un de ses disciples, Personne n’entre jamais dans aucun fleuve, pourraient s’accommoder pour la circonstance d’une version plus adéquate : chacun essaie d’entrer sans succès, comme dans un rêve, dans son propre fleuve ». Juan José Saer, Le fleuve sans rive, p. 25.
« La rivière prend en charge la volonté qu’on lui a abandonné sans résistance ; l’onde l’a emportée ; la caresse a changé de camp, et l’on succombe ; on atteint alors cet état somptueux dans lequel plus rien ne compte, ni le but ni le temps, rien que le geste et l’allure ». Patrice de Ravel, La caresse de l’onde, p. 89.

Juste avant d’atteindre Ornans, nous avons rencontré un barrage. Les équipages débarquaient, et descendaient la paroi à pied en faisant glisser leur canoë. Vu de haut, le barrage avait une forme en « L ». Samuel m’a poussé à le franchir avec le C1. « Tu vois tu as une veine là. Tu vas la prendre, mais pas dans le sens dans laquelle elle apparaît sinon, tu vas te prendre les pierres qui sont dessous. Tu prends de la vitesse. Tu t’orientes vers l’autre partie du barrage. Tu passes le barrage de façon à sauter par-dessus les obstacles en contrebas. Tu fais un stop sous la deuxième partie du barrage, tu tournes et tu passes le reste » (je ne sais pas si la description – que je prête à Samuel – est très claire…). Je m’y suis essayé : j’ai franchi le barrage. J’ai frotté contre les obstacles et j’ai loupé le stop. Mais c’est passé. En gros, j’ai fait une reprise de courant qui m’a permis de descendre la suite. Samuel m’a ensuité indiqué que le stop était compliqué à effectuer, mais que s’il ne m’avait pas donné ces consignes-là, je me serais orienté inconsciemment dans le sens du courant et que j’aurais pu me prendre les pierres dessous. J’ai fait ce qu’il fallait sans le faire exprès. 

L’arrivée sur le barrage en « L ».
Le barrage en « L » depuis l’aval.

Et puis on arrive à Ornans, considérée par le guide du canoë comme la capitale de la Loue. L’arrivée par la rivière donnait un très beau point de vue sur la petite ville avec ses maisons à encorbellement, suspendue sur ses eaux vertes. La navigation a été trop courte, deux petites heures seulement. Je me suis pris à rêver de la descendre sur l’ensemble de la partie navigable. La meilleure saison pour descendre la Loue est en avril-mai. La descente intégrale des 120 km serait alors possible. Mais, le bivouac est un peu compliqué : les rives sont privées. Pour en savoir plus, il faudrait s’adresser à Samuel. 

L’arrivée sur Ornans

Pour naviguer sur la Loue, une adresse donc : « Latitude canoë » https://latitudecanoe.fr

Pour l’esprit canoë, outre, le « La caresse de l’onde. Petites réflexions sur le voyage en canoë » de Patrice de Ravel et « Le guide du Canoë en France » de Paul Villecourt, voir aussi les petits films de l’Office National du Film du Canada : https://www.onf.ca/…/aviron_qui_nous_mene_-_double…/… et https://www.onf.ca/…/aviron_qui_nous_mene_-_solo…/…


par