Anne Brochet : "Je voulais être une actrice qu’on suit dans les rues de Paris"

Arthur Nauzyciel dirige Anne Brochet dans L'image de Samuel Beckett avec le chorégraphe Damien Jalet en 2006 puis dans Julius Caesar de Shakespeare en 2012. Plus tard, ils jouent ensemble dans Architecture mis en scène par Pascal Rambert en 2019. Les deux amis se retrouvent aujourd’hui pour discuter de leur carrière, de leur rapport au temps qui passe et de l’importance des rencontres dans leurs parcours.

L’arrivée à Paris : une révélation

Anne Brochet est née à Amiens, à un peu plus d’une heure de Paris. Pourtant, c’est très tard qu’elle visite la capitale. Elle raconte : « À 16 ans je suis allée à Paris avec mes économies m’acheter Place des Victoires une paire de flamenco Robert Clergerie. J’avais vu la pub dans Elle magazine ». Elle s’y rend alors avec la simple envie de marcher dans les rues de Paris, une ville qui représente pour elle « le lieu de la liberté ». Très vite, elle prend ses marques dans la ville et intègre le cours Florent et le conservatoire, avant de faire une première apparition au cinéma avec Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau en 1990, dans lequel elle interprète Roxane alors qu’elle a 24 ans.

Arthur Nauzyciel grandit quant à lui aux Ulis, à plus d’une heure de Paris. « On arrivait avec le RER dans le trou du forum des Halles qui était un endroit assez inquiétant, un peu anxiogène mais plein de promesses et aussi plein de gens bizarres. J’avais 14 ou 15 ans, j’étais très obsédé de cinéma et j’allais là pour voir des films, dans un cinéma qui s’appelait Ciné-Movie Les Halles ». Après des études d'arts plastiques option cinéma, Nauzyciel rentre à l'école du Théâtre national de Chaillot, dirigée par Antoine Vitez.

Les figures de sa jeunesse

Dans L’Armoire de vies, Anne Brochet fait référence à deux reprises au choc de ses 13 ans qu’elle tentera ensuite de transmettre à sa fille : la série Les Dames de la côte de Nina Companeez (1979), ou le destin de trois familles bourgeoises et de leurs domestiques pendant la Guerre 1914-1918. L'écrivaine évoque tous ces acteurs et actrices qui l’ont fascinée à l’époque : Edwige Feuillère, Denise Grey, Évelyne Buyle, Martine Chevallier, Bruno Devoldère, Francis Huster… « J’avais envie de vivre ce qu’ils vivaient tous. Je voulais être vieille et jouer de la réussite comme Edwige Feuillère, je voulais être un homme de 50 ans qui sait plus qui il est comme cet extraordinaire François Perrot. Je pense que cette émotion que j’ai eue, cette empathie totale pour tous les personnages, c’est possible que ça ait déclenché quelque chose de mon envie d’être comme eux, à leur place ».

Le souvenir des objets et des odeurs

À l’origine de son livre, il y a le constat de l’histoire à la fois personnelle et collective que portent les objets du quotidien, marqueurs d’une époque. « Un jour je suis rentrée dans la salle de bain de quelqu’un qui n’était plus. C’était la même armoire de toilette que chez mes parents. Il y avait dedans beaucoup d’objets que nous utilisions dans ma famille : la crème Nivea, la brosse à dents, le Signal, les bandelettes… Et ça m’a beaucoup frappée, je me suis dit que c’était un très bel objet. C’est comme un petit théâtre, une boîte à musique, un confessionnal, cette armoire à trois portes ». Elle mentionne notamment les publicités marquantes des années 1980 : Obao, Oil of Olaz, Tonigencyl, Clearasil, qu’ils s’amusaient à imiter avec ses frères lorsqu’elle était petite. Pour Arthur Nauzyciel, « On pense aux Choses de Perec, à Annie Ernaux, mais avec eux c’est comme si ils regardaient de l’extérieur [...]. Dans le livre d’Anne on est à l’intérieur de quelque chose qui fait raconter une vie à travers des objets auxquels on prête assez peu attention et qu’on ne lit pas comme des vecteurs d’imaginaire ».

Ce qui prime alors pour Anne Brochet, c’est la fascination pour la mémoire de l’odorat et le rapport à l’objet. « L’objet qui se consomme trop rapidement, celui qui n’en finit pas de finir, celui qui ne va peut-être plus exister, ces flacons en plastique. [...] C’est aussi ça qu’il se passe dans une armoire de toilette : ce bruit-là du temps qui passe ».

L’écriture comme remède au temps qui passe

Anne Brochet, en jogging à bandes rouge et petite frange, revendique l’envie de prendre le temps à rebours, loin de la chirurgie esthétique. Elle raconte qu’en essayant une fois le botox, elle a réalisé qu’elle était « rentrée dans l’angoisse du temps sur le visage » et a couru se cacher dans un cinéma, rouge de honte. Alors pour échapper à cette angoisse, elle s’est réfugiée dans l’écriture, comme « un petit abri de réconfort » entre elle et son lecteur.

La suite à écouter...

PROGRAMMATION MUSICALE
Black Pumas - Ice cream (pay phone)
Christophe - comme un interdit
Yoa - Matcha queen

Agenda

• L'Armoire de vies d’Anne Brochet est paru en mars aux éditions Albin Michel.
• Les Paravents de Jean Genet sera mis en scène par Arthur Nauzyciel au théâtre de l’Odéon (31 mai – 19 juin).
• Les balades grosso modo sont à suivre sur Instagram et son livre Tuer le temps aux éditions de L'Archipel est à retrouver dès le 4 mai en librairie.
• Le documentaire Brancusi : les métamorphoses de la sculpture réalisé par Alain Fleischer à voir jusqu'au 12 juillet sur Arte.tv. L’exposition « Brancusi, l'art ne fait que commencer » a lieu jusqu'au 1er juillet au Centre Pompidou.