Peter Thiel, le milliardaire à la droite de la tech américaine | Les Echos
Publicité
Critique

Peter Thiel, le milliardaire à la droite de la tech américaine

Le cofondateur de PayPal et de Palantir est le seul grand nom de la Silicon Valley à avoir soutenu Donald Trump. Un livre explore son parcours et son engagement politique, entre libertarisme et droite extrême.

Peter Thiel à Cleveland, le 19 juillet 2016.
Peter Thiel à Cleveland, le 19 juillet 2016. (SIPANY/SIPA)

Par Benoît Georges

Publié le 5 nov. 2021 à 10:15

Oubliez un moment Elon Musk ou Mark Zuckerberg : le milliardaire le plus fascinant issu de la Silicon Valley n'a pas fondé SpaceX ou Facebook - même s'il a en partie contribué à leur succès. Peter Thiel, auquel le journaliste américain Max Chafkin vient de consacrer une passionnante biographie, a créé deux entreprises phares de la tech américaine, PayPal (paiements en ligne) et Palantir (big data pour le renseignement). Il en a aussi financé des dizaines d'autres, dont Airbnb, LinkedIn ou Spotify. Mais c'est surtout son parcours idéologique qui le distingue des autres grands noms de la tech.

Même s'il était connu pour ses idées libertariennes et son manque de considération pour la démocratie, Peter Thiel a surpris - et consterné - les élites californiennes en soutenant ouvertement Donald Trump avant l'élection de 2016. « Thiel a contribué à un tournant réactionnaire qui a laissé les Etats-Unis dans un état bien plus incertain que quand il a démarré sa carrière, au début des années 1990 », écrit Max Chafkin.

Ennemi du politiquement correct

Son livre met en lumière les fondements idéologiques, les relations troubles - en particulier avec l'extrême droite, qu'il fréquente beaucoup, même s'il nie souvent partager toutes ses idées - et les multiples contradictions de Peter Thiel. Pourfendeur des impôts et de la bureaucratie de Washington, il doit une partie de sa fortune (près de 7 milliards de dollars) aux agences gouvernementales américaines. Défenseur autoproclamé des libertés individuelles, il a créé avec Palantir un outil de surveillance planétaire au service des Etats et des entreprises. Ennemi du politiquement correct, il a dépensé des millions de dollars pour pousser à la faillite un média en ligne, Gawker, « coupable » d'avoir révélé son homosexualité.

Publicité

Ce fervent partisan des lois anti-immigration de Trump est aussi un fils d'immigré. Né en octobre 1967 à Francfort (Allemagne), Peter Thiel arrive à l'âge d'un an aux Etats-Unis, où son père, ingénieur dans l'industrie lourde, voyage de chantier en chantier. Elève brillant, ambitieux et solitaire, il est reçu dans l'université la plus renommée du pays : Stanford, au coeur de la Silicon Valley. Mais l'ambiance festive et l'esprit contestataire du campus le déçoivent. « En dehors de la compétition pour avoir les meilleures notes, écrit Max Chafkin, Peter n'avait que deux centres d'intérêt aux yeux de ses camarades : les échecs et la politique. »

Il fréquente les cercles pro-Reagan et se passionne pour les écrits d'Ayn Rand , auteure culte des libertariens dont les romans ont pour héros des entrepreneurs aux prises avec un pouvoir oppresseur et corrompu. Thiel « n'avait jamais été agressivement politique au lycée, mais à Stanford il a commencé à endosser une nouvelle identité - celle du provocateur de droite. » Son premier coup d'éclat est la création d'un journal universitaire, « The Stanford Review », qui se distingue par des éditoriaux contre les « Marxistes cachés » du campus, le politiquement correct et le féminisme, qui menacent la « culture occidentale ».

La politique le passionne, mais à sa sortie de Stanford, Peter Thiel a un autre projet : devenir riche. Brièvement trader à New York, il revient dans la Silicon Valley en 1995. C'est le bon endroit, et le bon moment : les Américains découvrent Internet, les jeunes loups du Web lèvent des millions, et Thiel veut sa part du gâteau. Il lance d'abord un modeste fonds d'investissement, puis sa première start-up, qui propose un service d'échange d'argent entre internautes, PayPal.

Une figure de la Silicon Valley

Court-circuiter banques et Etats avec des transactions virtuelles : bien avant le Bitcoin , l'idée est visionnaire et colle parfaitement aux idées libertariennes de Thiel. PayPal lui permet aussi de rencontrer un jeune Sud-Africain porteur d'une idée très proche, Elon Musk. Leurs entreprises fusionnent, mais les relations sont houleuses et se terminent par un coup : Thiel et ses associées débarquent Musk pendant son voyage de noces.

La vente de PayPal à eBay pour 1,5 milliard de dollars, en 2002, marque le coup d'envoi de la success-story de Peter Thiel. A titre personnel ou avec ses fonds d'investissement, il investit avec flair dans des pépites de la nouvelle économie et devient une figure de la Silicon Valley. Son livre sur l'entreprenariat, « De zéro à un » (2016), adapté d'un cours donné à Stanford, est un best-seller, et sa fondation, qui accorde 100.000 dollars à des jeunes entrepreneurs s'ils abandonnent leurs études, attire des candidats du monde entier.

Pour Max Chafkin, l'influence de Peter Thiel va bien au-delà. Il en fait le « responsable […] de l'idéologie qui en est venue à définir la Silicon Valley : le progrès technologique doit être poursuivi sans relâche - avec peu, voire aucun, égard pour les coûts ou les dangers potentiels pour la société ».

Proche de l'alt-right

Le symbole le plus évident - et le plus lourd de conséquences - de cette approche est Facebook. Peter Thiel a été l'un des premiers investisseurs du réseau social de Mark Zuckerberg, dont il apparaît comme le mentor. S'il a revendu ses parts peu après l'introduction en Bourse de Facebook, récoltant au passage près d'un milliard de dollars, Thiel a conservé un siège au conseil d'administration. Le livre explique comment il a servi de liaison entre le réseau social et ses amis de l'alt-right, patchwork de militants d'extrême droite très présents sur le Net.

Publicité

En refermant « The Contrarian », on se demande qui est vraiment Peter Thiel. Un entrepreneur et investisseur de génie, qui a compris avant tout le monde les enjeux technologiques du XXIe siècle ? Un idéologue sincère, persuadé que l'Occident court à sa perte et que seul le progrès technologique pourra le préserver ? Ou un provocateur cynique et sans scrupule, prêt à épouser les pires idées pour consolider son immense fortune ? Il est sans doute un peu de tout cela, même si l'enquête très fouillée de Max Chafkin penche plus nettement vers la troisième hypothèse.

The Contrarian. Peter Thiel and Silicon Valley's Pursuit of Power

Par Max Chafkin, Penguin Press, 384 pages.

Benoît Georges

Entreprise - Solo.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres
Publicité