Splendeurs et mis�res des courtisanes, c'est d'abord un magnifique titre pour le second plus long roman d'Honor� de
Balzac apr�s
Illusions perdues, dont il constitue une suite ou un prolongement. Il fait du personnage central des Illusions, Lucien de Rubempr�, un personnage secondaire mais essentiel autour duquel vont graviter deux personnages successivement centraux : la courtisane tout d'abord et le mentor ensuite.
L'ouvrage est constitu� de quatre parties, � peu pr�s �quivalentes en volume, les deux premi�res centr�es sur le personnage de la courtisane et les deux derni�res sur celui du mentor. D�s � pr�sent, on pourrait remarquer que cet ensemble aurait pu constituer deux ensembles distincts et que son titre, fait en r�alit� r�f�rence uniquement � la premi�re moiti� du livre.
Ouvrage composite, ouvrage complexe car il se pr�sente comme une clef de vo�te de la Com�die Humaine. C'est une pi�ce centrale qui relie m�caniquement beaucoup de chefs-d'oeuvres de cet ensemble en ogive : les sublimes
Illusions perdues, d�j� mentionn�es, mais �galement le tr�s fameux P�re Goriot, ou encore des petits romans comme Gobseck,
La Maison Nucingen,
L'Interdiction ainsi que quelques autres, de fa�on plus t�nue.
Splendeurs et mis�res des courtisanes, c'est une sorte de portrait en creux : le sujet �tant la r�ussite sociale et mondaine, l'accession � un poste de premier plan � l'�chelle nationale, � l'�poque de la Restauration (aux alentours de 1830). Il y est bien s�r question de la r�ussite de Lucien, qui passerait par un beau mariage, mais ce n'est pas le centre d'int�r�t de l'auteur. Celui-ci s'int�resse aux �-c�t�s de cette ascension.
En ce sens, l'analyse d'un ph�nom�ne humain sous la Restauration au XIX� s. que nous propose ce roman pourrait �tayer avantageusement et nous �tre pr�cieuse pour la compr�hension fine de ph�nom�nes humains similaires du XXI� s. tels que l'ascension vertigineuse d'un certain Emmanuel M., par exemple, mais on pourrait en cibler beaucoup d'autres. Et c'est en ce sens, quoi qu'on en pense et quoi qu'on en dise, que
Balzac est vraiment tr�s, tr�s fort : il touche � des caract�ristiques universelles de la m�canique humaine, ce qu'il nommait " la com�die humaine ". Et bien qu'on ne parle plus ni de monarchie, ni du XIX�me si�cle, ses observations et ses conclusions restent valables des si�cles apr�s leur formulation et n'importe o� dans le monde. Voil� la force
De Balzac.
La courtisane, tr�s comparable au personnage de Coralie dans les Illusions perdue et qui annonce grandement la Josepha de
la Cousine Bette, sera ici la jolie juive, la sublimissime Esther, surnomm�e " la torpille " tant elle tape dans l'oeil de tous les hommes qui posent le regard sur ses charmes. Cette femme, cette demi-mondaine, va subir une transformation sous l'action de qui vous verrez (il ne faut pas que je vous en d�voile de trop). de sorte qu'Esther va peu � peu se muer en formidable tremplin pour Lucien. Tremplin pour quoi ? Qu'advient-il du tremplin ? �a, je vous laisse le plaisir de le d�couvrir par vous m�me, quoique, si vous �tes perspicaces, le titre vous donnera peut-�tre une l�g�re indication.
Le destin d'Esther n'est pas sans m'�voquer celui de
Christine Deviers-Joncour. Rien dans le cynisme et l'utilisation incroyablement m�prisante voire humiliante des femmes aux plus hauts �chelons de l'�tat n'a v�ritablement chang� de nos jours. Combien d'Esther encore de par le monde � l'heure qu'il est ?
Balzac a le m�rite de nous sensibiliser � leur triste destin, m�me s'il peut para�tre enviable, vu de loin, de tr�s loin�
Venons-en � pr�sent � la seconde moiti� du livre et � ce mentor d'exception qui souhaite � tout prix faire r�ussir Lucien. C'est bien le " � tout prix " qui compte ici. On pourrait m�me ajouter un proverbe : la fin justifie les moyens. Qui donc, parmi la galerie de portraits de la Com�die humaine a les �paules assez solides et l'audace assez haut plac�e pour ne reculer devant rien, mais ce qui s'appelle rien ? Vous l'avez reconnu ? Nom de code : Trompe-la-mort, cela �voquera peut-�tre quelques souvenirs � certains, quant aux autres, je vous invite � venir d�couvrir le personnage si vous ne le connaissez d�j� (peut-�tre sous une autre appellation).
C'est l'occasion pour
Balzac de nous emmener dans les coulisses de la justice de 1830 mais dont vous constaterez qu'elle n'a pas si fondamentalement chang� depuis lors. C'est aussi l'occasion de nous �voquer l'action souterraine de la police secr�te, qu'on d�signait il y a peu encore par les deux lettres RG et qui depuis a encore chang� de nom, mais dont les attributs plus ou moins troubles demeurent.
Le romancier s'inspire tr�s fortement d'un personnage historique ayant r�ellement exist� : Vidocq. Mais, et c'est l� encore une des grandes r�ussites sociologiques de la Com�die humaine, � divers endroits du monde des 3/4 malfrats ont jou� des r�les d'auxiliaires de " justice " (avec toutes les r�serves possibles que l'on peut �mettre sur cette notion). On sait par exemple que pour chasser les banksters des ann�es 1930, Franklin D. Roosevelt a fait appel � l'un des meilleurs d'entre eux, un certain Kennedy, p�re d'un futur pr�sident am�ricain assassin�, on se demande bien pourquoi.
Plus pr�s de nous, en France, il y a peu encore, �tienne L�andri a jou� ce r�le du temps de
Charles Pasqua. de nos jours, de par le monde, combien de Trompe-la-mort continuent d'officier en sous main, parfois pour la cause de leur gouvernement, parfois pour leurs int�r�ts propres ?
Bref, vous le voyez, un tr�s, tr�s grand
Balzac, encore une fois, dont le projet litt�raire n'est pas si �loign� de ce qui se fait � l'heure actuelle en terme de s�ries, je pense notamment � la s�rie exceptionnelle The Wire (Sur �coute en fran�ais) de David Simon.
Litt�rairement parlant, j'aurais peut-�tre un ou deux petits b�mols � apporter, notamment dans la troisi�me partie o� les descriptions de la Conciergerie ne me semblent pas toutes indispensables. L'accent syst�matique yiddisho-alsacien de Nucingen est un peu fatigant � la longue. Certains personnages sont peut-�tre un peu exag�r�s, je pense principalement � celle qui est surnomm�e " Asie ". C'est s�rement vrai aussi de quelques autres, mais pour le reste, un vrai grand plaisir de lecture sans cesse renouvel� sur plus de 500 pages, ce qui m'incite � vous conseiller vivement la lecture de ce roman. En outre, souvenez-vous que tout ceci n'est que mon avis, splendide pour certains, mis�rable pour d'autres donc, si l'on fait une moyenne, pas grand-chose. (CQFD)