Le blog officiel de Bernard Lugan

samedi 1 juin 2024

L'Afrique Réelle n°174 - Juin 2024

Sommaire

Actualité
- Le Niger après la rupture avec la France et les Etats-Unis

Dossier Cameroun
- L’ethno-politique au Cameroun
- D’Ahmadou Ahidjo à Paul Biya

Dossier Sahara occidental
- Entretien avec Bernard Lugan
- Existe-t-il un « peuple sahraoui » ?  Y eut-il dans le passé un Etat du nom de « Sahara Occidental » ?


Editorial de Bernard Lugan

Pourquoi l’Afrique a rompu avec l’« Occident »

Le 16 mai 2024, lors d'un discours consacré aux relations entre l'Afrique et l'Europe prononcé à Dakar devant les étudiants de l'université Cheikh Anta Diop en présence de Jean-Luc Mélenchon, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a déclaré que la « promotion des droits des homosexuels alimente le sentiment anti-occidental en Afrique ».

Sur un continent où les deux tiers des pays criminalisent l’homosexualité, les injonctions occidentales en la matière sont en effet ressenties comme des attaques directes à l’ordre naturel africain. Ici, les peines contre les homosexuels vont en effet de l’amende à la condamnation à mort. L’ancien président de Gambie, Yahya Jammeh affirmait pour sa part que son pays « lutterait contre ces vermines gays de la même manière qu’il combat les moustiques responsables du paludisme, sinon plus agressivement ». Quant au défunt président Mugabe du Zimbabwe, ce fut à la tribune de l’ONU qu’en 2015, il déclara que « l’Afrique ne voulait pas de gays sur son sol » car l’homme noir se devait de « perpétuer sa race avec des femmes. »

C’est dans un ferme discours au ton très mesuré qu’Ousmane Sonko a condamné les « velléités extérieures d’imposer l'importation de modes de vie et de pensée contraires à nos valeurs et qui risquent de constituer un nouveau casus belli parce que, dans des pays comme le Sénégal, cela soulève énormément de tensions et d'incompréhensions tant cela met face à face des cultures, des civilisations et des systèmes politiques à la vision diamétralement opposée ».

Refusant ce nouveau diktat qui, à la différence des précédents, n’est ni politique, ni économique, mais « existentiel », Ousmane Sonko a déploré que « la question du genre revienne régulièrement dans les programmes de la majorité des institutions internationales et dans les rapports bilatéraux, jusqu’à se poser comme une conditionnalité pour différents partenariats financiers ».

Enfermés dans leur bulle sociétale, les dirigeants occidentaux ne mesurent pas le niveau d’exaspération, voire d’indignation et d’écœurement provoqué par la guerre morale qu’ils mènent actuellement contre les piliers des cultures africaines.

Ancrés sur leur arrogance, eux qui ne trouvent d’échos que dans le cap ouest de l’Europe et en Amérique du Nord, sont partout ailleurs balayés dans ce que le reste du monde considère comme un réflexe de survie. Cependant qu’en Afrique, sur les volutes de leur prétention morale, Russes, Chinois, Indiens, Indonésiens et Turcs tirent les marrons du feu…

Le message d’Ousmane Sonko est très clair :  l’Afrique qui ne cédera pas à l’oukase existentiel du Nord a donc décidé de redevenir africaine. Un écho à ceux qui, de plus en plus nombreux, demandent quant à eux que l’Europe redevienne européenne... Ici et là,  référence est donc faite à l’identité, ce qui annonce le triomphe de l’ethno-différentialisme sur les nuées de l’universalisme.

jeudi 30 mai 2024

C’est à l’Algérie de rembourser ce qu’elle doit à la France et non le contraire…

Madame Rima Hassan, candidate LFI aux élections européennes, vient d’oser déclarer que « La France rende à l’Algérie ce qui lui appartient ». Or, si madame Rima Hassa avait un minimum de culture, pour ne pas parler de simple décence, elle devrait tout au contraire crier « Vive l’Algérie française », tant ce pays doit en effet tout à la France. Jusqu’à son nom qui lui fut donné par elle en 1839…


Au moment de l’indépendance de juillet 1962, tout ce qui existait en Algérie y avait en effet été construit par la France à partir du néant, dans un pays qui n’avait jamais existé puisqu’il était directement passé de la colonisation turque à la colonisation française. Ce fut en effet la France qui créa l’Algérie en lui donnant ses frontières. Des frontières qui, à l’Ouest, furent tracées en amputant territorialement le Maroc. Le Tidikelt, le Gourara, le Touat, Tindouf, Colomb Béchar etc…furent ainsi arrachés au Maroc pour être généreusement offerts à Algérie française dont l’Algérie algérienne est l’héritière directe. Une héritière qui, sans le moindre remords, a conservé le legs exorbitant fait par la France aux dépens du Maroc.

Une Algérie que la France ouvrit vers le Sud en lui offrant un Sahara qu’elle n’avait, et par définition, jamais possédé puisqu’elle n’avait jamais existé…Une réalité historique résumée en une phrase par le général de Gaulle : « (…) Depuis que le monde est monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le pays sans qu’il y ait eu à aucun moment, sous aucune forme, un Etat algérien » (Charles de Gaulle, 16 septembre 1959, déclaration à la RTF).

Dans l’ancienne Régence turque d’Alger, l’ouest reconnaissait l’autorité spirituelle du sultan du Maroc. Ce dernier avait d’ailleurs un représentant, un khalifat, dans la région, l’un d’entre eux ayant été le propre père d’Abd el-Kader. Quant à l’Est, il était tourné vers Istanbul. Nulle part, la prière n’était donc dite au nom d’un chef « algérien » car, à l’époque, la « nation algérienne » n’existait pas puisqu’il s’agissait d’un « non concept ».

Ferhat Abbas (1899-1985), l’ancien chef du GPRA écrivit lui-même en 1936 : « Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste (…) je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les morts et les vivants ; j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a parlé… ».

En 1962, la France légua à sa « chère Algérie » selon la formule de Daniel Lefeuvre, un héritage composé de 54 000 kilomètres de routes et pistes (80 000 avec les pistes sahariennes), de 31 routes nationales dont près de 9000 kilomètres étaient goudronnés, de 4300 km de voies ferrées, de 4 ports équipés aux normes internationales, de 23 ports aménagés (dont 10 accessibles aux grands cargos et dont 5 qui pouvaient être desservis par des paquebots),  de 34 phares maritimes, d’une douzaine d’aérodromes principaux, de centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages etc.), de milliers de bâtiments administratifs, de casernes, de bâtiments officiels, de 31 centrales hydroélectriques ou thermiques, d’une centaine d’industries importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie etc., de milliers d’écoles, d’instituts de formations, de lycées, d’universités avec 800 000 enfants scolarisés dans 17 000 classes ( soit autant d’instituteurs, dont deux-tiers de Français), d’un hôpital universitaire de 2000 lits à Alger, de trois grands hôpitaux de chefs-lieux à Alger, Oran et Constantine, de 14 hôpitaux spécialisés et de 112 hôpitaux polyvalents, soit le chiffre exceptionnel d’un lit pour 300 habitants.

Sans parler du pétrole découvert et mis en exploitation par des ingénieurs français. Ni même d’une agriculture florissante laissée en jachère après l’indépendance. A telle enseigne qu’aujourd’hui l’Algérie doit importer jusqu’à du concentré de tomate, des pois chiches et même de la semoule pour le couscous… Quant à sa seule exportation agricole, celle de ses succulentes dattes, elle ne sert même pas à compenser ses achats de yaourts fabriqués à l’étranger…

Or, tout ce qui existait en Algérie en 1962 avait été payé par les impôts des Français. En 1959, l’Algérie engloutissait ainsi 20% du budget de l’Etat français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Education nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce ! 

Pour la France, le fardeau algérien était donc devenu impossible à porter car, en soulageant les misères, en soignant, en vaccinant et en faisant reculer la mortalité infantile, elle avait créé les conditions de la catastrophe comme l’a écrit René Sédillot en 1965 :

« (En Algérie), la colonisation française a poussé l’ingénuité – ou la maladresse- jusqu’à favoriser de son mieux les naissances : non seulement par le jeu des allocations familiales, mais aussi par la création d’établissements hospitaliers destinés à combattre la stérilité des femmes. Ainsi, les musulmanes, lorsqu’elles redoutaient d’être répudiées par leurs maris, faute de leur avoir donné des enfants, trouvaient en des centres d’accueil dotés des moyens les plus modernes tout le secours nécessaire pour accéder à la dignité maternelle ».

Chaque année à partir du lendemain du second conflit mondial, 250 000 naissances étaient ansi comptabilisées en Algérie, soit un accroissement de 2,5 à 3% de la population, d’où un doublement tous les 25 ans. Or, la France s’était elle-même condamnée à nourrir ces bouches nouvelles et à créer ensuite autant d’emplois puisqu’elle considérait l’Algérie comme une de ses provinces, au même titre que la Bretagne ou que l’Alsace...

En 1953, comme les recettes locales ne permettaient plus de faire face aux dépenses de fonctionnement, l’Algérie fut en faillite. Au mois d’août 1952, anticipant en quelque sorte la situation, le gouvernement d’Antoine Pinay (8 mars 1952-23 décembre 1952), demanda au parlement le vote de 200 milliards d’impôts nouveaux, tout en étant contraint de faire des choix budgétaires douloureux. Pour aider encore davantage l’Algérie il fallut alors faire patienter la Corrèze et le Cantal.

L’addition des chiffres donne le vertige : durant les seuls 9 premiers mois de 1959 les investissements en Algérie atteignirent 103,7 milliards de crédit dont 71,5 milliards directement financés par le Trésor français. De 1950 à 1956 la seule industrie algérienne reçut, hors secteur minier, en moyenne 2 395 millions anciens francs annuellement. En 1959 et en 1960 cette somme atteignit en moyenne 5 390 millions (Lefeuvre, 2005). Entre 1959 et 1961, pour le seul plan de Constantine, les industries métropolitaines investirent 27,40 milliards d’anciens francs, gaz et pétrole non compris.

La France s’est donc ruinée en Algérie alors qu’elle n’y avait aucun intérêt économique réel. Qu’il s’agisse des minerais, du liège, de l’alpha, des vins, des agrumes etc., toutes les productions algériennes avaient des coûts supérieurs à ceux du marché international. Or, toujours généreuse, la France continua d’acheter à des cours largement supérieurs au marché des productions qu’elle avait déjà largement payées puisqu’elle n’avait jamais cessé de les subventionner !

Au bilan, l’Algérie a donc été placée sous « assistance respiratoire » par la France qui n’a cessé de l’alimenter artificiellement. Année après année, la France remplissait donc le « tonneau des Danaïdes », algérien, nourrissant les bouches nouvelles, bâtissant hôpitaux, écoles, routes, ponts et tentant de créer artificiellement des milliers d’emplois.

Non seulement la France n’a donc pas pillé l’Algérie, mais, plus encore, c’est elle qui serait fondée à lui « présenter la facture » …En effet, les demandes de Madame Rima Hassan ne valent pas davantage que celles faites au mois de janvier 2021 quand les médias officiels algériens exigèrent de la France un « dédommagement » pour le « pillage » du fer « algérien » qui, selon eux, aurait servi à fabriquer la Tour Eiffel !!!

Or, le minerai de fer ayant servi à édifier l’emblématique monument fut extrait de la mine de Lurdres en Lorraine, département de Meurthe-et-Moselle…Quant aux pièces métalliques composant la Tour, elles sont, comme ses visiteurs peuvent le constater, estampillées à la marque des aciéries de Pompey, également en Lorraine, là où elles furent fondues…
Au verbe et à l’idéologie, l’histoire oppose donc les faits. Des faits qui font l’objet de mon livre argumentaire Algérie, l’Histoire à l’endroit.





















Table des matières
- Chapite I : L’Algérie est-elle Berbère ou Arabe ?
- Chapitre II : Comment des Berbères chrétiens sont-ils devenus des Arabes musulmans ?
- Chapitre III : Pourquoi Bougie et Tlemcen n’ont-elles pas créé l’Algérie alors que Fès et Marrakech a fondé le Maroc ?
- Chapitre IV : L’Algérie, Régence turque oubliée ou marche frontière de l’empire ottoman ?
- Chapitre V : Abd el-Kader, une résistance « nationale » ou arabe ? Mokrani, une résistance « nationale » ou berbère ?
- Chapitre VI : Que s’est-il passé à Sétif et à Guelma au mois de mai 1945 ? Sétif au-delà des mythes
- Chapitre VII : 1954-1962 : la « révolution unie », un mythe ? La revendication berbériste
- Chapitre VIII : Le FLN a-t-il militairement vaincu l’armée française ? La guerre d'Algérie ne s'est pas terminée le 19 mars 1962
- Chapitre IX : Le 17 octobre 1961 à Paris : un massacre imaginaire ?
- Chapitre X : La France a-t-elle pillé l’Algérie ?


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vendredi 17 mai 2024

Comprendre la question du Sahara occidental



Durant la période coloniale le Maroc fut  territorialement amputé, à la fois à l’Est, et au Sud :
- A l’Est, la France rattacha à l’Algérie les provinces marocaines du Touat, de la Saoura, du Tidikelt, du Gourara et  la région de Tindouf.
- Au Sud, l’Espagne occupa les provinces marocaines de la Saquia el Hamra et de l’Oued ad Dahab dont elle fit la colonie du Sahara espagnol (le Sahara occidental).
 
En 1956 quand il recouvrit son indépendance, l’Etat marocain millénaire fut contraint d’entériner la perte de ses provinces de l’Est et d’accepter leur rattachement à l’Algérie, Etat créé en 1962 par le colonisateur français. Une Algérie qui, s’affirmant l’héritière de la France, refusa toute restitution territoriale au Maroc.
Plus encore, en 1975, au moment de la décolonisation du « Sahara espagnol », l’Algérie chercha à faire de cette région historiquement marocaine un « Etat sahraoui », pseudopode qui lui aurait permis de s’ouvrir sur l’océan atlantique.
L’explication  de l’artificielle question du « Sahara occidental » est que, enclavée dans une Méditerranée fermée par le détroit de Gibraltar, l’Algérie a inventé la fiction d’un « Etat sahraoui » vassal dont la création lui aurait permis de disposer d’une ouverture sur le grand large atlantique.

Plan du livre

Question 1 : Qu’est-ce que le Sahara occidental ?
Question 2 : Existe-t-il un « peuple sahraoui » ? Y eut-il dans le passé un Etat du nom de « Sahara occidental » ?
Question 3 : Le Sahara occidental est-il  historiquement marocain ?
Question 4 : Comment la colonisation détacha-t-elle le  Sahara occidental du Maroc ?
Question 5 : Le Sahara occidental n’est-il qu’une partie des amputations sahariennes subies par le Maroc ?
Question 6 : Avant le démembrement colonial, la marocanité du Sahara occidental était-elle internationalement reconnue ?
Question 7 : Comment le Sahara occidental est-il redevenu marocain ?
Question 8 : La question des frontières est-elle le coeur du contentieux algéro-marocain ?
Question 9 : L’Algérie est-elle à l’origine de la question du Sahara occidental ?
Question 10 : Le plan d’autonomie est-il l’unique solution possible au conflit du Sahara occidental ?
Chronologie
Table des cartes et des documents
Bibliographie
Index des noms propres
Index des peuples et des tribus
 
Prix du livre :
- France métropolitaine :  32 euros port colissimo compris
- UE  : 36 euros port compris
- Reste du monde : 50 euros port compris

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mercredi 1 mai 2024

L'Afrique Réelle n°173 - Mai 2024

Sommaire

Dossier: 
L’Afrique du Sud  avant les élections

- L’Afrique du Sud victime de sa cleptocratie d’Etat
- De Jacob Zuma à Cyril Ramaphosa : le lent déclin du parti-Etat ANC

Dossier :
Traites arabo-musulmanes et traite européenne

- Peut-on comparer les traites arabo-musulmanes et la traite européenne ?
- Et les esclaves européens ?
- Les esclaves français rachetés en 1785 à Alger


Editorial de Bernard Lugan

Afrique du Sud : « Face à la décomposition du pays, il va bientôt falloir se décider à en rendre la direction aux Boers » !!!
 
Cette remarque aussi désabusée qu’iconoclaste a été faite par un journaliste noir sud-africain. 
Elle illustre le naufrage d’un pays dans lequel plus de 70 meurtres sont commis quotidiennement, dans lequel le chômage touche environ 40% des actifs, dans lequel le revenu de la tranche la plus démunie de la population est inférieur de près de 50% à celui qu’il était sous le régime blanc d’avant 1994, et dans lequel plus d’un tiers des habitants ne survit que grâce aux aides sociales.

Comment aurait-il d’ailleurs pu en être autrement dans la « nouvelle Afrique du Sud » devenue la proie du parti-Etat ANC dont les cadres, trop souvent aussi incapables que corrompus, semblent n’avoir pour objectif que leur propre enrichissement ? 
Un parti-Etat qui va risquer gros lors des élections du 29 mai prochain car il n’aura plus l’alibi du soi-disant héritage « négatif » de « l'apartheid » pour s’exonérer de son incapacité prédatrice.

En effet, en 1994, quand le président De Klerk hissa au pouvoir un Nelson Mandela incapable de le prendre par la force[1], il légua à l’ANC la première économie du continent, un pays doté d’infrastructures de communication et de transport à l’égal des pays développés, un secteur financier moderne et prospère, une large indépendance énergétique, une industrie diversifiée, des capacités techniques de haut niveau et la première armée africaine. 

Vingt-huit ans plus tard, pris dans la nasse de leurs propres mensonges, de leurs prévarications et de leurs insuffisances, les dirigeants de l'ANC ne sont donc plus crédibles quand ils continuent à mettre en accusation le « régime d'apartheid » afin de tenter de dégager leur colossale responsabilité dans l’impressionnante faillite dont ils sont les seuls responsables.

Le tout sur fond de lutte acharnée au sein même de l’ANC entre les partisans de Cyril Ramaphosa, l’actuel président de la république et l’ancien président, le Zulu Jacob Zuma qui fut poussé à la démission en 2018 sur fond de scandales de corruption. Or, ce dernier a fait dernièrement son grand retour en politique avec un seul but : se venger de ceux qui l’ont chassé du pouvoir en 2018… 
Jacob Zuma est ainsi devenu la figure centrale d’un nouveau parti créé pour barrer la route à l’ANC lors élections du 29 mai prochain, l’Umkhonto we Sizwe (MK), du nom de la branche armée de l’ANC qui, avant 1994, mena la lutte contre le régime blanc.

[1] Voir à ce sujet mon livre « Histoire de l’Afrique du Sud des origines à nos jours ». Editions Ellipses, 2022

lundi 22 avril 2024

Niger : après les Français, les Américains priés de quitter le pays…

Vendredi 19 avril, au terme de plusieurs mois de négociations accompagnées de promesses sonnantes et trébuchantes, puis de menaces, les Etats-Unis ont été finalement contraints d’accepter de devoir retirer leurs troupes du Niger. Après les Français, les voilà donc eux aussi, chassés d’un pays qui, jusque-là, n’avait rien à leur refuser.

Avec ce départ exigé par les autorités de Niamey au pouvoir depuis le coup d’Etat du 26 juillet 2023, les Etats-Unis vont perdre leur importante base d’Agadez spécialisée dans l’écoute et dans la guerre électronique. Une emprise qui leur permettait de surveiller toute la bande sahélienne, la profondeur saharienne libyenne, ainsi que toute la région péri-tchadique. Cette base qui leur avait coûté plus de 100 millions de dollars abritait également les drones utilisés dans la lutte contre les groupes jihadistes.

Les Etats-Unis avaient pourtant pensé que, contrairement à la France, n’étant pas l’ancienne puissance coloniale, ils allaient donc pouvoir rester au Niger, d’autant plus que, jusque-là, ce pays parmi les plus pauvres du monde, n’avait jamais résisté aux « arguments » du dollar…
Mais les temps ont changé. Avec l’émergence de nouvelles puissances -Russie, Chine ou encore Inde-, les pays africains peuvent désormais se permettre de ne plus être de simples correspondants acquiesçant docilement aux diktats, notamment démocratiques, des « Occidentaux ». Ou bien d’apparaître comme d’obéissants vassaux contraints de reconnaître les nouvelles normes morales occidentales -« théorie du genre » ou « singularités » LGBT-, nouveautés totalement incompréhensibles en Afrique où un homme est un homme… une femme… une femme…

Le 16 mars, le Niger avait déjà annoncé la rupture « avec effet immédiat » de l’accord militaire le liant aux Etats-Unis, vu comme un « accord imposé ». Parmi les raisons de ce divorce, le colonel Amadou Abdramane évoqua à la télévision nationale la « condescendance » de madame Molly Phee, secrétaire d’Etat adjoint aux Affaires africaines. Cette dernière avait en effet déclaré avec une arrogante suffisance que les Etats-Unis étaient prêts à reprendre leur coopération à condition que le Niger rétablisse la démocratie et cesse d’entretenir des relations avec la Russie.

De telles exigences furent naturellement jugées inacceptables par les militaires au pouvoir à Niamey et ils refusèrent donc cette mise en demeure qui déniait « au peuple nigérien souverain le droit de choisir ses partenaires ».
Les centaines de millions de dollars engloutis par les Etats-Unis dans d’aussi multiples qu’inutiles programmes d’aide au développement n’auront donc pas suffi, Washington n’ayant en effet pas compris que le temps des ingérences et de l’alignement était terminé. Au même moment, le Niger s’ouvrit avec enthousiasme à la Russie. Qu’en adviendra-t-il ? L’avenir le dira…

Quoiqu’il en soit, les premiers conseillers militaires russes ont débarqué à Niamey le 10 avril dernier avec une importante quantité de matériel. Cette nouvelle coopération nigéro-russe a été illustrée à la fin du mois de mars par un long et chaleureux entretien téléphonique entre le président Poutine et le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte. L’homme auquel, avec un grand sens des réalités adossé à une fine connaissance des mentalités africaines, le président Macron avait, tel un maître à son valet, ordonné, sous menace d’intervention ( !!!), de rendre sur le champ le pouvoir à son protégé, le président Bazoum, dont le poids ethnique, donc politique, est de moins de 0,5% de la population...

Le plus grave est qu’au lieu de tirer les leçons de ces échecs, ceux qui prétendent faire la politique africaine de la France tentent maintenant de dégager leurs responsabilités en criant au complot russe et chinois. Une attitude pathétique qui ne trompe personne car c’est bien leur incompétence, leur aveuglement et leur arrogante volonté d’imposer leurs « nuées » sociétales aux Africains, qui ont ouvert les portes du continent à ces nouveaux acteurs. Et si ces derniers y sont bien accueillis, c’est parce qu’ils n’y viennent pas pour y donner des leçons de « bonne gouvernance », pour y demander aux populations de croire qu’un homme peut accoucher ou que la démocratie individualiste est la solution pour des pays à structures communautaires…

En Afrique, la redistribution géostratégique est donc en cours d’achèvement. Au Sahel, après s’être fait mettre à la porte du Mali, du Niger et du Burkina Faso pour avoir obstinément décidé d’ignorer les avis des connaisseurs de la région, les « décideurs » français assistent aujourd’hui impuissants au développement d’un mouvement qui s’étend désormais au Tchad et au Sénégal. Bientôt sera donc définitivement fermée une parenthèse africaine française ouverte à la fin du XIX° siècle dans ces « Terres de soleil et de sommeil » si chères à Ernest Psichari.

Devant un tel désastre, que l’on ne s’étonne donc pas que certains, à la suite du grand historien qu’était René Grousset (1885-1952), en arrivent à dire que : « Quand le destin a inutilement prodigué à une société (…) tous les avertissements, et qu’elle s’obstine dans le suicide, sa destruction n’est-elle pas une satisfaction pour l’esprit ? »

Pour en savoir plus, voir mon livre Histoire du Sahel des origines à nos jours

dimanche 7 avril 2024

Monsieur le président Macron, en avril 1994, c’était aux 2539 soldats de l’ONU commandés par général canadien Roméo Dallaire de s’opposer au génocide…Non aux forces françaises qui avaient quitté le Rwanda depuis le mois d’octobre 1993…

La seule question qui se pose est en effet celle de la responsabilité de l’ONU. Pourquoi le général Roméo Dallaire qui avait tous les moyens de le faire, ne fit-il rien de sérieux pour empêcher le génocide ?

Devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), loin du héros médiatique, « capitaine courageux » face à l’indicible génocidaire, c’est tout au contraire le portrait d’un homme désemparé qui est ressorti des longues audiences. Ses fautes de commandement, ses atermoiements, ses hésitations, son absence de décision sur le terrain ainsi que ses initiatives politiques aberrantes, et parfois même incohérentes, prises en violation de la chaîne de commandement de l’ONU, font que nous sommes désormais devant l’alternative suivante :
- Soit le général Dallaire commandant des Forces de la Mission d’assistance des Nations Unies au Rwanda fut dépassé par les évènements.
- Soit, comme l’a écrit son supérieur, M. Booh-Booh[1], il avait reçu pour ordre de faire gagner le général Kagamé et le FPR[2].
 
En application des accords de paix d’Arusha, l’ONU devait en effet garantir la Transition démocratique. La Résolution 872 (1993) du Conseil de Sécurité du 5 octobre 1993 porta ainsi création de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR).
Le chef de cette mission était M. Jacques Roger Booh-Booh, nommé Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Rwanda. Il avait sous ses ordres le général canadien Roméo Dallaire qui était le chef militaire de la mission. Or, ce dernier était un officier qui n’avait aucune expérience du commandement opérationnel. De plus, il ne connaissait rien de l’Afrique.
 
Après l’attentat du 6 avril 1994, le général Dallaire ne fit rien pour s’opposer à la reprise des hostilités par les forces du général Kagame.
Alors qu’il se devait de sécuriser au moyen de ses 2539 hommes et de ses blindés, l’axe menant du centre-ville de Kigali à l’aéroport, au lieu de montrer sa force, il la replia tout au contraire dès la nuit du 6 au 7 avril, en commençant par abandonner cet axe vital pourtant sous sa garde et que le FPR coupa…
Plus largement, dès la reprise des hostilités, le général Dallaire aurait dû imposer un couvre-feu et déclarer qu’il ferait tirer sur quiconque le violerait. Le général Kagamé aurait alors hésité à lancer son offensive. Avec la compagnie para-commando belge, il disposait d’une excellente unité qui pouvait sans problèmes majeurs remplir une telle mission. Il lui aurait également fallu, avec ses blindés, occuper en ville les points stratégiques dont la tenue aurait freiné l’extension des massacres et des débordements, ce qu’il n’a pas davantage fait.
 
Le 7 avril, quand le FPR eut unilatéralement rouvert les hostilités, le général Dallaire ne condamna pas cette violation gravissime des accords d’Arusha. Encore plus insolite, au lieu d’agir sur la partie qui avait déclenché la reprise de la guerre, il somma au contraire les forces gouvernementales de rester dans le cadre des Accords d’Arusha, leur interdisant de fait de simplement se défendre.
 
Les manquements du général Dallaire qui présida au plus grand échec militaire de l’ONU depuis sa création sont à ce point nombreux qu’il est licite de demander si une telle incompétence est concevable chez un officier général, ou si l’explication de tels errements ne se trouve pas dans l’hypothèse de M. Booh-Booh, à savoir la « connivence » avec le général Kagamé.
 
Ce général canadien aurait-il donc été nommé à la tête de la MINUAR afin de permettre la réalisation du plan américain visant à évincer la France du Rwanda puis du Zaïre, et pouvoir faire main basse sur les richesses du Kivu ? 
 
Page 123 de son livre qui a pour sous-titre éloquent « Révélations sur les dérives d’un général de l’ONU au Rwanda », J.R. Booh-Booh qui était donc le supérieur hiérarchique de Roméo Dallaire écrit ainsi sans détours que :
 
« Dallaire n’était pas neutre : il était plutôt de connivence avec le FPR. Voilà la clé qui permet de comprendre cette situation ».
 
Tant que François Mitterrand eut la capacité de gouverner, ce plan anglo-saxon fut mis en échec. Mais, après les élections législatives de 1993, et la « cohabitation » qui s’en suivit, le suivisme atlantiste des dirigeants français fit que tout fut bouleversé.
Ces évènements provoquèrent même une totale redistribution des cartes en Afrique centrale au profit du Rwanda, principal allié de Washington qui reçut un blanc-seing pour mettre l’est de la RDC (l’ex-Zaïre), à savoir le Kivu, en coupe réglée.
 
Monsieur le président Macron étiez-vous informé de cela, avant de faire porter la responsabilité des évènements sur votre propre pays et sur son armée… ?

[1] Booh-Booh, P-R., (2005) Le patron de Dallaire parle. Révélations sur les dérives d’un général de l’ONU au Rwanda. Paris.
[2] Pour tous les détails concernant l’attitude et les responsabilités du général Dallaire, on se reportera au chapitre VIII de mon livre « Rwanda, un génocide en questions »

mardi 2 avril 2024

L'Afrique Réelle N°172 - Avril 2024

Sommaire

Actualité :
- Algérie : quel avenir pour les exportations de gaz naturel ?
- Le Rwanda et la RDC

Dossier :
Génocide du Rwanda 30 ans plus tard

- Les faits, rien que les faits…
- Assassinat du président Habyarimana : l’enquête interdite
- Un non-lieu qui pose bien des questions…
- Ces Tutsi qui accusent le FPR d’avoir assassiné le président Habyarimana


Editorial de Bernard Lugan :

Génocide du Rwanda : 30 ans plus tard

Il y a trente ans le 6 avril 1994, était assassiné le président hutu Juvénal Habyarimana, attentat qui, selon le TPIR (Tribunal pénal international du Rwanda) fut le déclencheur du « génocide du Rwanda » ou « génocide des Tutsi du Rwanda ».

Depuis, les médias répètent l’histoire officielle écrite par le régime de Kigali, à savoir que ce génocide fut « programmé »  et « planifié » par les « extrémistes » hutu. 

Or, ce postulat a volé en éclats devant le TPIR. 
Ce tribunal créé par le Conseil de sécurité de l’ONU et qui siégea à Arusha, en Tanzanie, de 1995 à 2016, a en effet, et dans tous ses jugements concernant les « principaux responsables du génocide », que ce soit en première instance ou en appel, clairement établi qu’il n’y avait pas eu « entente » pour le commettre. 

Si ce génocide n’était pas programmé, c’est donc qu’il fut provoqué... Aujourd'hui nous savons que ce qui le déclencha ce fut l’assassinat du président Habyarimana. 

Or, spécialement créé pour juger les responsables du génocide, le TPIR fut interdit par les Etats-Unis et par la Grande-Bretagne de rechercher les auteurs de l’acte terroriste qui en fut la cause !!! 
Ce faisant, Washington et Londres protégèrent donc de facto ceux qui assassinèrent le président Habyarimana. 

Quant à la justice française, la seule ayant véritablement enquêté sur cet attentat, après 21 ans d’enquête, paralysée par d’incessantes interventions et manœuvres politico-médiatiques, elle a finalement renoncé à en identifier les auteurs. Certains prétendent que cela aurait pu être sur ordre du pouvoir politique français...

De fait, la France courtise  le régime de Kigali qui n’a pourtant jamais cessé de la vilipender et qui a effacé le français au profit de l’anglais. 

Cela n’a pas empêché le président Macron de faire nommer à la tête de l’Organisation de la Francophonie, une des plus proches du président Kagamé… 

A telle enseigne que, de reniement en reniement et de lâcheté en lâcheté, en Afrique, la France est quasiment considérée comme l’alliée du Rwanda… Ce qui n’est pas pour rien dans le mépris dont elle est aujourd’hui l’objet sur le continent…

Pour un bilan de la question on se reportera à mon livre : Rwanda : un génocide en questions et à mes expertises devant le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda).