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«Sauver l'école avec Jean-Baptiste de La Salle»

Jean-Baptiste de La Salle gravé par L. Chapon, d'après Charles Müller, 1887.
Jean-Baptiste de La Salle gravé par L. Chapon, d'après Charles Müller, 1887. Muller-graveur Chapon — Vie du bienheureux JB de La Salle, éd. Poussielgue, Paris, 1888.

FIGAROVOX/TRIBUNE - Le 15 mai 1950, le pape Pie XII proclamait saint Jean-Baptiste de La Salle «patron de tous les éducateurs». Soixante-quatorze ans plus tard, le professeur agrégé d’histoire Ambroise Tournyol du Clos nous invite à s’inspirer de celui qui a consacré sa vie à éduquer les enfants pauvres.

Ambroise Tournyol du Clos est professeur agrégé d'histoire-géographie. Son dernier livre, Rien n'échappe à l'histoire : Dans l'atelier des historiens, est paru aux éditions Salvator en février 2023.


Le 15 mai 1950, le pape Pie XII proclamait saint Jean-Baptiste de La Salle «patron de tous les éducateurs».

Ferdinand Buisson lui-même, pédagogue anticlérical et libre-penseur, s'était fendu d'un Panégyrique à la gloire du fondateur des Frères des Écoles chrétiennes en 1904. Cette figure a-t-elle encore quelque chose à nous dire dans le contexte d'une République laïque et d'une société sécularisée ? La Salle peut-il nous aider à sauver l'école ?

Mais d'abord, qui était Jean-Baptiste de la Salle ? L'historien Bernard Hours a retracé avec une rigueur exemplaire le parcours de cet homme exceptionnel. Aîné de onze enfants, il naît à Reims d'une famille de la noblesse de robe en 1651. Nommé chanoine à l'âge de 16 ans – ce qui lui assure une position socialement honorable-, il est ordonné prêtre le 9 avril 1678 et reçu docteur en théologie deux ans plus tard. Abandonnant les honneurs et le confort du monde, Jean-Baptiste de la Salle décide de se consacrer à l'éducation des enfants pauvres et renonce à son canonicat. Après des débuts modestes, il fonde, le 25 mai 1684, la congrégation des Frères des Écoles chrétiennes. Cette institution, raillée au départ pour sa pauvreté et ses pratiques iconoclastes (le latin est abandonné pour ne pas décourager les familles les plus pauvres), devient incontournable dans le paysage scolaire du XVIIIe siècle : alors que les Jésuites ont pris le chemin de l'exil et que les Oratoriens connaissent la crise, les Lasalliens scolarisent plus de 30.000 élèves dans une bonne centaine d'établissements à la veille de la Révolution. Belle fécondité pour une entreprise qu'on regardait au départ avec suspicion !

L'école engage le sens de l'homme et de sa liberté. Voulons-nous une société d'hommes libres ? Il nous faut donc des professeurs libres et bien formés, comme déjà pouvait le penser Jean-Baptiste de la Salle, il y maintenant trois siècles.

Ambroise Tournyol du Clos

Il est certes insolite que le patron des éducateurs n'ait quasiment pas enseigné. Faut-il pour en autant l'en blâmer ? Son génie, c'est celui de l'organisation pédagogique. Il a fondé un ordre enseignant, lui a donné une structure, une règle de vie, à travers son maître-ouvrage, Conduite des Écoles, publié en 1709, et n'a fait lui-même que quelques rares remplacements. À travers son ordre et son œuvre, il nous offre cependant l'occasion de réfléchir à nouveaux frais à la question de l'école. Très tôt, il comprend en effet que la qualité de l'école dépend de celle de ses maîtres. Le saint rémois est persuadé que ce qui manque le plus aux écoles c'est de bons maîtres, avec une solide formation intellectuelle et morale : voilà pourquoi il s'entoure peu à peu de jeunes maîtres laïcs qui devront mettre toute leur ferveur dans l'œuvre éducative (à Reims d'abord, puis à Paris, avec de nombreux tracas). On lui doit une attention considérable portée à la préparation morale et spirituelle des enseignants, une laïcisation intelligente du corps enseignant, l'invention du groupe-classe, la priorité donnée à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture de la langue maternelle ou encore la gratuité de l'enseignement. Les frères ne sont pas prêtres. Aux vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, ils ajoutent une consécration totale de leur personne à la Sainte Trinité. L'école est en effet d'abord pensée comme un lieu de salut. Tout le reste en découle. En témoigne ainsi le programme d'oraison athlétique fixé aux Frères des Écoles chrétiennes par leur fondateur : lever à 4h30, 1h d'oraison, messe puis en allant en classe, matin et après-midi, récitation du Veni Sancte Spiritus et du chapelet, pendant le repas lecture des Evangiles, des Actes des apôtres ou d'une vie de saint, 1/2h d'oraison le soir, coucher à 21h15. Seule la prière des heures, propre à la vie monastique, ne figure pas au nombre des obligations rituelles de la Congrégation.

Jean-Baptiste de la Salle est également un lointain précurseur du design scolaire. Dans le chapitre 9 de la Conduite des Écoles, il prévoit avec un luxe de détails l'ordonnancement des salles de classe : une pièce de 40 m2 environ, lumineuse, aérée, avec cinq tailles de tables différentes, la chaire du maître sur une estrade, un bénitier, un crucifix, une image de la Vierge et de saint Joseph. Le lieu de la classe est pensé comme un espace sacré qui doit permettre l'apprentissage simultané des enfants, avec plusieurs niveaux différents, ce qui est assez nouveau (la formation scolaire était jusque-là individuelle) : les élèves les plus doués sont sur les côtés, proches des murs, les moins avancés au milieu. Le soin des lieux et leur ordonnancement n'est pas indifférent à la qualité de la transmission scolaire.

Jean-Baptiste de La Salle mourut le 7 avril 1719 - c'était alors le vendredi saint -, au manoir de Saint-Yon, dans les faubourgs de Rouen où se trouvait alors la maison-mère. Il laissait derrière lui un modèle pédagogique qui allait faire florès. Si celui-ci semble difficilement transposable à notre institution scolaire, il peut encore nous donner du grain à moudre. Avec lui, nous pouvons redécouvrir la valeur authentique du métier d'enseignant, artisan de la relation et de la transmission plutôt qu'expert en modes pédagogiques. Offrir à l'école une parole politique forte et stable qui garantisse davantage la communauté civique contre tout ce qui la défigure. Dépasser l'étroite neutralité pour proposer à nos élèves un horizon transcendant qui les dépasse et donne sens à leur vie. Susciter l'exigence et l'émulation, qui n'ont rien de la vulgarité utilitariste et nihiliste de la compétition économique.

L'école engage le sens de l'homme et de sa liberté. Voulons-nous une société d'hommes libres ? Elle se fonde sur des professeurs libres, pieux, attentifs et exigeants, comme déjà pouvait le penser Jean-Baptiste de la Salle, il y maintenant trois siècles.

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1 commentaire
  • stephane83

    le

    Merci pour cet article.
    Etonnant la disposition des classes ? Des détails sur les "groupes classes" seraient aussi les bienvenus.

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