KENNEDY Nigel

(1956- ) Violoniste

Nigel Kennedy n’a pas voulu choisir. Jazz, rock, classique, il pratique tous les genres possibles avec son violon. Son refus des codes et son éclectisme en ont fait une icône populaire. Mais son anticonformisme ne plait pas à tout le monde. Pourtant, derrière le provocateur, se trouve simplement un artiste pour qui le plus important dans la vie reste la liberté.

Nigel Kennedy en 10 dates :

  • 1956 : Naissance à Brighton
  • 1963 : Entre à l’école Yehudi Menuhin
  • 1972 : Elève à la Juilliard School avec Dorothy Delay
  • 1974 : Concert avec Stéphane Grapelli au Carnegie Hall
  • 1977 : Concert à Londres dirigé par Riccardo Muti
  • 1985 : Contrat chez EMI
    Concerto d’Elgar primé « meilleur enregistrement de l’année » en Angleterre
  • 1989 : Enregistrement des 4 Saisons de Vivaldi
  • 1999 : « The Kennedy Experience », album de libres adaptations de Jimmy Hendricks
  • 2002 : Directeur artistique de l’Orchestre de chambre de Pologne
  • 2018 : « Kennedy Meets Gershwin », album sur lequel Nigel Kennedy alterne violon, alto et piano

La musique classique coule dans ses veines depuis au moins deux générations

La musique est centrale chez les Kennedy depuis plusieurs générations. Lauri, le grand-père, est violoncelle solo du Philharmonique de New York et joue en trio avec Arthur Rubinstein et Jascha Heifetz. Le père occupe un poste similaire, cette fois au Philharmonique de Londres. La mère est professeure de piano, et c’est elle qui donne ses premiers cours à son fils. Nigel commence donc par le clavier avant de se mettre au violon. Manifestement doué, il intègre l’Ecole de Yehudi Menuhin à 6 ans. Le maître, qui prendra plus tard sous son aile Vadim Repin, dira de lui en 1992 : « A cause de ses qualités d’improvisations, sa musique parle ; elle vit. » Nigel Kennedy entre ensuite à la Juilliard School, dans la classe de Dorothy Delay. Il y passe trois ans, ponctués de retards voire d’absences, mais force l’admiration par sa volonté et surtout sa capacité de travail. Car en plus des cours à la Juilliard, Nigel Kennedy s’offre des activités musicales externes et peu habituelles à l’époque pour un élève de cette haute institution.

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Le jazz : une passion devenue un métier, grâce à sa rencontre avec Stéphane Grapelli

En effet, l’adolescent s’autorise à sortir des sentiers battus du classique. Stéphane Grapelli lui propose de donner avec lui un concert au Carnegie Hall. Contrairement à ses camarades qui poussent les prestigieuses portes pour interpréter Beethoven, Brahms ou Mendelssohn, Nigel Kennedy monte donc sur cette scène mythique pour jouer du jazz. Il improvisait déjà au piano depuis ses 13 ans, mais Stéphane Grapelli lui montre qu’on peut en faire autant avec un violon. Une révélation. Même si, comme Dorothy Delay le lui avait prédit, le contrat imminent avec la firme CBS (qui deviendra plus tard Sony) lui passe sous le nez. Nigel Kennedy prendra sa revanche quelques années plus tard, en signant avec EMI en 1985.

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Ses 4 Saisons de Vivaldi remportent un succès mondial avec un million d’exemplaires vendus en moins d’un an

Les concerts avec son mentor dureront jusqu’en 1976, après quoi le violoniste reviendra (momentanément) au répertoire classique. Premier aller-retour d’une longue série. En 1977, il donne le Concerto de Mendelssohn à Londres sous la direction de Riccardo Muti. L’Orchestre philharmonique de Berlin l’accompagne trois ans plus tard. En 1985, son premier disque, consacré au Concerto d’Elgar, est nommé « Enregistrement de l’année » par Gramophone et les BPI Awards.
En 1989, les ventes explosent. Nigel Kennedy enregistre les 4 Saisons de Vivaldi, parce qu’il « s’est rendu compte que l’oeuvre avait la même structure qu’un album de rock : 12 morceaux de quelques minutes chacun. » Avec plus d’un million d’exemplaires vendus en mois d’un an, et 4 millions sur 15 ans, Nigel Kennedy entre dans les records du Guinness ! Sa deuxième version de l’œuvre, en 2004, ne remportera cependant pas le même succès. « Il n’y a pas une si grande différence entre le jazz et le classique, pour l’utilisation du violon en tout cas. Lorsque je joue du violon électrique dans le rock, c’est un bien plus gros changement. Je sais parler la langue du violon, quels que soient les styles… j’ai même essayé la musique indienne et country, mais ça je n’aime pas du tout », explique l’artiste à Séverine Garnier pour Classic mais pas has been.

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Emprunté au rock, son look suscite la polémique dans les années 90

Alors qu’il est au sommet du succès, Nigel Kennedy surprend tout le monde avec un changement de look radical. En 1990, pour les 60 ans de l’Orchestre symphonique de la BBC où il doit jouer le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg, il apparaît avec un manteau bleu, des chaussures rouges et le visage maquillé en vert. Doit-on y voir, comme Marie-Aude Roux le suggère dans un article du Monde en 2005, l’influence du manager John Stanley ? « La barbe a poussé, les cheveux sont dressés à la verticale. En quelques mois, Nigel Kennedy est devenu « l’enfant terrible du violon ». Mais cette transformation, aussi osée qu’elle puisse paraître, n’en est pas vraiment une : Nigel Kennedy lutte seulement pour être lui-même, à une époque où star du classique rime encore avec costume noir et nœud papillon sur scène. « Pendant quelques temps, j’ai essayé d’être ce que les gens attendaient de moi. Mais j’ai réalisé qu’on n’allait pas vraiment m’apprécier si je n’étais pas moi-même. Alors j’ai commencé à ne plus faire attention à ce que les gens pensaient de moi. Pour être moi-même. J’en ai eu assez du système, des vêtements à porter, du comportement à tenir », confesse-t-il des années plus tard dans une interview au Gstaad Menuhin Festival en 2018. En 1992, il s’installe à la campagne et se tourne vers d’autres styles de musique. Jazz et blues, bien-sûr, mais aussi rock, pop et celtique. Il se produit avec Paul McCartney et Kate Bush pendant que, dans le milieu classique, on prétexte une opération à la nuque pour expliquer son absence.

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Nigel Kennedy ne veut renoncer à rien, et cultive l’éclectisme discographique

En 1997, le voilà de retour dans le classique. Un évènement qui éclipserait presque la campagne électorale dans les tabloïds anglais ! Il réenregistre le concerto d’Elgar, vingt-deux ans après sa première version. Cette fois, Simon Rattle dirige l’Orchestre symphonique de Birmingham. Suivent des disques sur Kreisler, la musique de chambre de Bach avec le violoncelliste Lynn Harrel, et les concertos du même Bach avec le Philharmonique de Berlin. Les Brit Awards au Royal Albert Hall de Londres salue sa « Contribution extraordinaire à la musique britannique ». Rappelons qu’en plus d’Elgar, Nigel Kennedy a aussi enregistré The Lark Ascending de Vaughan Williams avec Simon Rattle et le Concerto pour alto de Walton avec André Prévin. Se sentant des affinités avec le caractère slave il s’installe quelques temps à Cracovie avec sa seconde épouse, elle-même polonaise. Il prend la succession de Menuhin à la tête de l’Orchestre de Chambre de Pologne en 2002, et fonde son propre ensemble, The Orchestra of Life.

 

Final de « L’Eté » des 4 Saisons de Vivaldi (Nigel Kennedy, Orchestre de Chambre de Pologne, 2005)

 

Mais le violoniste n’en abandonne pas pour autant son look détonnant, « pop star » pour les uns, « punk » pour les autres. Présentation des musiciens sur scène, promenades en rythme de l’un à l’autre, temps fort marqué avec le pied, Nigel Kennedy introduit dans la cérémonie du concert classique des codes empruntés à d’autres styles. Loin de déserter ses autres répertoires, il enregistre en 1999 The Kennedy Expérience, album d’œuvres personnelles en hommage à Jimi Hendrix. L’année suivante, c’est un concert basé sur les œuvres du groupe rock The Doors. Plutôt que d’alterner les genres, le violoniste les mène dorénavant tous de front. Une attitude inédite dans le milieu musical. Au fond, Nigel Kennedy ne fait que revendiquer ses goûts éclectiques et le droit de tous les pratiquer, sur scène comme au disque. Même s’il flirte parfois avec la provocation, comme cette déclaration dans le Guardian en 2013, où il affirme : « « Je pense que les chefs-d’orchestre sont très surestimés. Car si vous aimez la musique, pourquoi ne pas la jouer ? Aucune personne normale ne comprend à quoi sert un chef. Il agite juste les bras. »

 

Avec son violon, Nigel Kennedy attire vers le classique un public qui n’y était pas habitué

Nigel Kennedy surprend, parfois dérange. Mais derrière l’apparence un brin provocatrice, se tient un individu capable de faire le grand écart avec une étonnante agilité. Jouer dans les plus grand festivals classiques (Lockenhaus, Gstaad, Lucerne, Tanglewood…), réviser Bach tous les jours « parce qu’il met de bonne humeur pour travailler, me fait du bien spirituellement, et favorise la coordination des doigts », et en même temps faire du rock. Se produire sur un Stradivarius et un Guarnerius del Gesù, faire preuve d’une virtuosité technique digne des plus grands violonistes classiques, et passer ses nuits avec des jazzmen ou des tziganes. Grâce à lui, le violon renoue avec ses racines populaires et une tradition d’improvisation quasiment disparue dans le classique. Son anticonformisme parle à ceux qui n’osent pas aller au concert classique parce que « ce n’est pas pour eux ». De sorte qu’on cite souvent Nigel Kennedy comme le champion de la réconciliation des genres et de tous les publics. La clé de cette réussite paradoxale ? Les propos confiés au Guardian en 2013, lorsque le journaliste le questionne sur sa réputation de « diva ». « Les seuls moments où je deviens difficile, c’est quand les gens me disent ce que je dois faire. » Nous voilà prévenus. Liberté chérie, et jusqu’au bout.

 

Sixtine de Gournay

 

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