PORTRAIT. Après dix ans au gouvernement, Jean-Yves Le Drian entame sa « sixième vie » en Bretagne
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PORTRAIT. Après dix ans au gouvernement, Jean-Yves Le Drian entame sa « sixième vie » en Bretagne

Il y a une semaine, Jean-Yves Le Drian a quitté définitivement le Quai d’Orsay sous une pluie d’applaudissements. Ainsi s’achevait la carrière de ministre du plus célèbre des hommes politiques breton.

Jean-Yves Le Drian.
Jean-Yves Le Drian. | THIERRY CREUX / OUEST-FRANCE
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    Jean-Yves Le Drian. | THIERRY CREUX / OUEST-FRANCE

Le large escalier qui mène au bureau de Jean-Yves Le Drian est recouvert d’une moquette rouge, le parquet d’époque grince, les plafonds sont hauts, les fenêtres immenses et les moulures dorées. Lui, le gamin de Lanester, fils d’ouvrier programmé pour travailler à l’arsenal, vit depuis dix ans sous les ors de la République, sans jamais oublier d’où il vient. « Le ministre a cette simplicité qui est la marque des grands. Il s’adresse avec le même naturel à ses collaborateurs comme aux hommes d’État », dit de lui l’une de ses collaboratrices.

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S’il ne regarde pas toujours son interlocuteur quand il lui parle, il prévient simplement que ça n’est pas pour éviter le regard de l’autre mais parce qu’il se concentre sur ce qu’il dit. Ses lunettes violettes au bout du nez, ses yeux par-dessus, ses fiches en main, Jean-Yves Le Drian n’est pas du genre à s’épancher ou s’enorgueillir de son parcours. Même quand sa « mission » comme il dit pour parler de la fonction de ministre, touche à sa fin. « Mes cartons sont prêts », assurait-il, alors que la Première ministre n’était pas encore nommée.

« Sixième vie » qui reste à inventer

« Quand ce sera fini, j’irai en voiture jusqu’à Rennes et quand j’arriverai, j’aurai un agenda vide. ». Cette scène, Jean-Yves Le Drian l’a imaginée maintes fois, comme pour se préparer à ce qu’il appelle sa « sixième vie » (après celle de maire, député, président de Région, ministre de la Défense puis des Affaires étrangères) qui reste à inventer. Elle démarre maintenant, quelques semaines avant ses 75 ans et après une dernière carrière de ministre longue comme aucune autre. « J’aurai participé à 500 conseils des ministres », réalise-t-il à l’heure du bilan.

Aux postes régaliens, Jean-Yves Le Drian a vécu au rythme de l’affolement du monde. L’Afghanistan et le retrait des soldats, la crise malienne et l’offensive française avec l’opération Serval, la Syrie et le renoncement d’Obama alors que les avions français étaient prêts à décoller, la Centrafrique… Et puis les attentats qui frappent la France : Charlie Hebdo, l’hyper cacher, Nice, l’assassinat du père Hamel, le stade de France et le Bataclan…

Parfois ébranlé par la gravité des moments, meurtri quand il fallait assumer et annoncer la mort de soldats, le ministre évoque chacune de ces crises avec pudeur. « Ces moments nous obligent à une très grande maîtrise de soi. Rien ne serait pire qu’un chef qui tremble. »

« La Bretagne ! C’est mon humus, mon stimulant »

Alors que le grand désordre du monde se poursuit, le Menhir comme l’appellent affectueusement les Bretons, reste solide. « Ici on n’est pas maître de son temps, dit-il du quai d’Orsay. Cette belle maison où les jours et les nuits ont une gravité particulière. »

Pour tenir, le ministre n’a jamais renoncé à son essentielle : « La Bretagne ! C’est mon humus, mon stimulant ». La moindre de ses libertés, il l’a consacré à la Bretagne. Il suffit de l’évoquer pour que transparaissent l’affect et l’émotion. « Avec les Bretons, j’ai un lien très fort. Je suis l’un d’entre eux, il y a une forme d’identification mutuelle. N’importe où dans le monde, il y a au moins un Breton qui est venu me voir. Quand je suis allé passer le réveillon avec les soldats à Kaboul, on nous a servi des crêpes. En Irak, j’ai eu un gâteau à l’effigie du drapeau breton. En plein désert à Gao, j’ai été accueilli par des cornemuses. »

Naturellement, c’est dans sa maison à Rennes qu’il est rentré pour écrire le nouveau chapitre de sa vie. Il sera forcément différent de celui qui s’achève. Certains le voyaient finir sa carrière dans un fauteuil du Conseil constitutionnel. Lui n’y pense même pas une seconde. « Je n’ai pas vocation à entrer au couvent. J’ai beaucoup de respect pour l’institution mais je veux garder une liberté d’action et de parole ».

« Je ne suis pas un gentil »

Une marque de fabrique. Homme de devoir, homme d’État, ce serait une erreur de voir en lui un gentil serviteur. Ses adversaires politiques le savent. Et pas que. Sa « spéciale dédicace » à l’ex-premier ministre Australien Scott Morrison, qui avait sabordé le contrat à 56 milliards pour la livraison de sous-marins, montre qu’il n’oublie pas ! « Sa défaite me convient très bien et cela me fait plaisir de vous le dire », lâche-t-il avec ironie dans son dernier discours. Bon copain dans la « vraie vie », le Lorientais ne cache pas qu’en politique, « je ne suis pas un gentil. Je connais les rapports de force et je sais les appliquer. C’est peut-être aussi pour cela que je suis respecté, parce que je ne suis pas une girouette ».

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« Je suis né à gauche et je mourrai à gauche ! »

En 2017, Jean-Yves Le Drian a pourtant pris un virage, en claquant la porte du Parti socialiste, après 40 ans, pour rejoindre Emmanuel Macron. Que ceux qui ne s’en remettent toujours pas ne viennent pas trop lui donner de leçon. « Je suis né à gauche et je mourrai à gauche ! Ceux qui ont vendu les restes de la maison dans le cadre d’un populisme dominateur sont les mêmes qui animaient les frondeurs contre Hollande en 2015. Leur conception est sectaire et déconnectée du réel. C’est nier l’évolution de notre pays. »

Lui a choisi le camp de la social-démocratie. « C’est ce qui permet d’éviter l’extrémisme de droite et de gauche grâce aux compromis ». L’une des dernières réunions publiques avant le premier tour de la présidentielle, à Lorient – évidemment – illustre parfaitement son cheminement et sa méthode. Ce soir-là, Fabrice Loher, nouveau maire de droite et ancien adversaire politique, l’accueillait. « La vie évolue. Emmanuel Macron veut faire en France ce que Jean-Yves Le Drian a fait pour la Bretagne. Malgré nos différences, je suis admiratif de son parcours », dit le maire devant l’assemblée. Touché, Jean-Yves Le Drian ironise. « Ça fait drôle quand même ! Mais je suis heureux d’être accueilli par Fabrice. Nous avons aujourd’hui un choix commun tout en gardant notre propre histoire ».

À l’heure où il accepte de se livrer un peu, Jean-Yves Le Drian regarde son parcours avec le sentiment du devoir accompli. Il a aussi l’humilité de reconnaître qu’il laisse le monde dans un état peu réjouissant. « Il y a une constante dans ma vie. Elle vient de mes origines, elle est à la fois un frein et une force. En fait, j’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur. » Il est peut-être là, le secret des grands.

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