Avec sa chemise impeccable, ses mots simples et son débit tranquille, Anis Tlili a quelque chose de rassurant. Est-ce une attitude qu’on endosse naturellement quand on travaille sur un sujet aussi anxiogène ? Car depuis quelques mois, les PFAS font parler d’eux : ces substances chimiques ont la particularité de ne pas se dégrader dans l’environnement et, pour certaines, d’être nocives pour l’humain. Or elles ont été relevées en masse dans l’eau, le sol et l’air français. Après une vague de mobilisation et des procédures judiciaires contre les entreprises soupçonnées d’être à l’origine de ces rejets, un premier texte vient d’être voté à l’Assemblée nationale pour interdire, en partie, ces « polluants éternels ». Mais comment les remplacer ?

Voilà la question qui anime ce chercheur de 41 ans, au sein de l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires de Lyon. « C’est une question cruciale, car si ces composants sont aussi présents dans l’industrie, c’est parce qu’ils possèdent des propriétés à l’origine de nombreux progrès, insiste-t-il. On évoque souvent les produits antiadhésifs ou imperméables pour l’électroménager et le textile, mais on leur doit aussi des médicaments révolutionnaires contre le diabète ou le cancer ! » Dans son laboratoire, installé à deux pas du Parc de la Tête d’or, le chercheur s’est donc lancé un défi : leur trouver une alternative responsable et durable. « Identifier un problème de société et faire des expériences pour le résoudre, c’est exactement pour ça que j’ai signé ! », note-t-il dans un sourire discret.

Dire adieu au CF3

Né en Tunisie, Anis Tlili a rejoint la France à 18 ans pour commencer des études scientifiques à l’Université de Bourgogne (Dijon). Son amour pour la paillasse (le plan de travail des scientifiques) le conduit à pousser jusqu’à la thèse, à l’Ecole nationale supérieure de chimie de Montpellier. Dans l’espoir d’intégrer le CNRS, il enrichit ensuite son CV de deux stages prestigieux, à l’Institut Leibniz de Rostock (Allemagne) et au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Saclay. Le jeune chimiste devenu spécialiste des fluors – un élément particulièrement abondant et convoité, notamment dans le monde médicinal – finit par attirer l’œil du CNRS, qui le recrute en 2014.

Anis Tlili s’intéresse, dès l’année suivante, au sort des PFAS. « On a compris que leur utilisation serait bientôt restreinte et que cela aurait de grosses conséquences », raconte-t-il. Sa discipline permet de s’y attaquer sous leur plus petite entité, le CF3. Ce motif chimique, dit « fluorocarboné » en raison des liaisons fortes entre les atomes de fluor et de carbone, est largement utilisé en pharmaceutique. « Sa lipophilie lui permet de mieux être absorbé par les graisses, et sa stabilité lui évite d’être oxydé par le corps. Résultat, 20 % des médicaments en sont aujourd’hui composés ! » Mais il pose deux principaux problèmes : la procédure chimique pour l’obtenir nuit à l’environnement et une fois relâché dans la nature, sa minéralisation conduit à la formation de produits toxiques.

Une première preuve de concept

Son alternative, le SF5, est connue depuis les années 1960, mais très difficile à exploiter. « Notre approche, inédite, consiste à l’activer en valorisant l’hexafluorure de soufre, : c’est le gaz à effet de serre le plus puissant, actuellement utilisé comme isolant électrique », détaille Anis Tlili. Grâce à une première preuve de concept solide, le chercheur, déjà symboliquement récompensé par la médaille de bronze du CNRS en 2024, est parvenu à décrocher un important financement européen : près de 2 millions d’euros, qui lui permettront de recruter dès juin une équipe de six personnes.

Père d’un tout jeune bébé, Anis Tlili reconnaît s’inquiéter « comme les autres » de chaque goutte d’eau qu’il lui donne à boire et qui est potentiellement contaminée par ces polluants éternels. Mais sa casquette de chercheur l’oblige à garder confiance. « Si l’on fait sauter ce verrou scientifique, on pourra imaginer une utilisation à grande échelle qui pourrait changer la donne ! » À condition, selon lui, que le monde de l’industrie prenne ses responsabilités. « Fabriquer des médicaments pour mieux soigner est bien sûr indispensable. Mais il faut rappeler que jusqu’à aujourd’hui, on faisait aussi appel à ce motif chimique pour le fart par exemple : appliqué sur les skis, ce produit permet simplement à une poignée d’entre nous de glisser un tout petit peu plus vite ! »

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► Sa boussole : l’histoire de la découverte scientifique

« Aujourd’hui, on utilise à tort le mot “chimie” pour évoquer tout ce qui est toxique, polluant, nocif… Heureusement, je lis chaque jour des choses qui me rappellent que c’est avant tout une science dont les expériences ont révolutionné notre vie quotidienne pour le meilleur, qu’il s’agisse de notre santé, de notre environnement, de notre confort, du remède miracle à la voiture électrique. Le prix Nobel de chimie, comme les autres, n’est-il pas récompensé pour son travail en faveur de l’humanité ? Pour avancer, dans mon monde, il faut faire une confiance absolue à la future découverte scientifique : c’est presque toujours là d’où jaillit la solution à nos problèmes ! »