Recension du “Système éducatif” (Pascale Gruson, EHESS- Revue Projet)

Depuis l’allongement de la scolarité obligatoire, effective au tout début des années soixante, la crise du système d’enseignement est un thème récurrent. Il connaît d’infinies variations, toute réforme touchant un élément de celui-ci (administration, programmes) paraissant affecter l’ensemble alors emporté dans un jugement global négatif, la baisse du niveau et diverses calamités associées.
Il ne fait pas de doute que la mise en place du collège unique a connu bien des ratés, tandis que les évolutions respectives de l’enseignement des lycées et de l’enseignement supérieur ont été encadrées d’étrange manière, bien souvent commandées par l’urgence de l’instant et avec un accompagnement financier peu soucieux des spécificités d’une institution de plus en plus complexe et de ses conditions d’évolution dans le moyen et dans le long terme.
Pourtant dans ce contexte général très difficile pour les acteurs qui y étaient engagés, ceux-ci ne sont pas restés impassibles. Des expériences diverses et importantes ont été menées. Des transformations ont eu lieu qui ont permis de rebondir et le peuvent toujours. Malgré le bruit d’évaluations menées à une échelle mondiale et dont les critères retenus ne sont pas sans simplifier à l’excès ce que doivent être les performances d’un système d’enseignement, tout n’est pas en crise ou plutôt ce qui est désigné comme critique ne l’est pas nécessairement. Peut-on par exemple considérer que les compétences littéraires d’un élève se repèrent dans sa compréhension d’un article de presse, que le bon niveau en mathématiques ne peut s’évaluer qu’à partir de problèmes tirés de la pratique ?

C’est pourquoi il faut saluer le travail de l’équipe de spécialistes, enseignants et chercheurs en sciences de l’éducation qu’ont dirigé Martine Boudet et Florence Saint-Luc. Tout d’abord, il réussit cette prouesse de traiter du système d’enseignement dans son ensemble sans en voiler la complexité. La diversité de ses parties, leurs spécificités ne sont pas ignorées, mettant mieux au jour les modalités de leurs agencements, des ouvertures ou au contraire des impasses qui en résultent.

Le point de départ du livre est le projet qui a donné naissance à la loi-cadre de juillet 2013, celui de refonder l’école de la République. En effet si le système d’enseignement doit , comme le souhaitaient les réformateurs de la IIIème République, former des citoyens autonomes et capables d’action responsable dans un monde plein de potentialités mais aussi d’obscurités, il doit le faire sur des bases qui tiennent compte des changements induits précisément de l’efficacité des réformes de la IIIème République, c’est-à-dire un contexte de connaissance assez profondément enrichi et des données techniques et sociétales quelque peu renouvelées. Il importe de tenir compte d’une dynamique historique. Les dérives du système d’enseignement contemporain ne proviennent sans doute pas de l’inaptitude actuellement imputée à un public d’élèves beaucoup plus hétérogène qu’auparavant, aggravée par l’incompétence si volontiers attribuée à leurs professeurs ; ce qui menace les équilibres du système vient plutôt d’un rapport au présent qui renonce trop facilement à l’éducation du citoyen au profit d’une soumission servile aux contraintes du marché et à celles des échanges économiques qui lui sont associées. Le citoyen bien formé est celui qui peut avoir les moyens d’évaluer l’objectivité supposée de ces contraintes supposées, en fait plutôt volatiles et désordonnées.

La démonstration est menée à plusieurs niveaux. Elle s’ouvre sur le thème des connaissances que l’enseignement doit transmettre obligatoirement, en particulier dans l’enseignement primaire et dans celui du Collège unique. C’est un thème souvent abordé, mais plutôt dans la polémique. Ici, il s’agit des dynamiques induites des ressources de connaissances, de la transformation de certains de leurs supports comme de la permanence de certains autres. Il faut alors souligner que certains enseignements sont maintenant devenus absolument nécessaires à la formation du citoyen, dans le contexte d’une société mondialisée, médiatisée et multiculturelle. Celui de la statistique (cf Emmanuel Brassat et aussi Jean-Claude Régnier) est tout particulièrement indispensable pour juger d’affirmations quantitatives qui se présentent comme générales et définitives : on ne peut utiliser n’importe comment la loi des grands nombres ; on ne peut pas confondre des probabilités avec des causes. L’importance d’un bon enseignement mathématique de la statistique ouvre à un autre débat, celui du contenu de l’enseignement des Sciences sociales (Martine Boudet et aussi Laurence de Cock), sur la manière dont il est introduit dans l’enseignement secondaire, sur les ressources de connaissance que les enseignants et les chercheurs sont invités à reconnaître ou à constituer dans l’enseignement supérieur. Il est évidemment essentiel aussi de s’interroger sur les conditions de formation des enseignants (Martine Boudet, Florence Saint-Luc), sur les modalités de reconnaissance de leurs compétences, étant entendu que les publics auxquels ils s’adressent sont très hétérogènes. Les auteurs savent alors montrer combien la question des sciences de l’éducation (pédagogie et didactique) est essentielle, loin des lazzis et critiques hautaines sur le « pédagogisme », brandis par ceux qui ne constatent que de loin, voire par ouïe-dire, un problème tout à fait nouveau.

Pour mieux comprendre l’enjeu d’un projet de refondation de l’école de la République, il faut alors faire de l’histoire et engager des comparaisons entre différents systèmes éducatifs, eux-même soumis à pareille exigence et ambition. Il n’est pas certain, en ce domaine, que les jugements venus des évaluations de l’OCDE (PISA) aident à y voir plus clair. Mais on trouve dans les chapitres concernés un certain nombre de pistes utiles.
Les auteurs ne sous-estiment pas enfin la responsabilité qui est la leur dans l’analyse critique et constructive qu’ils ont prise en charge. Ils formulent donc de manière assez détaillée un programme de réformes, sous l’angle de la démocratisation du système éducatif: quelles connaissances proposer, quelles recherches engager, quels enseignants recruter.
Dans un temps où les accusations faciles, les indignations pompeuses, s’accumulent, ce livre donne matière par les informations qu’il apporte, par sa construction judicieusement élaborée, à comprendre que le système d’enseignement français peut avoir de remarquables ressources pour autant que l’on ne néglige pas la visée éthique, politique, critique, dans laquelle son histoire, ses développements, ses acteurs enseignants l’ont inscrit, pour autant qu’on ne l’abandonne pas à une concurrence mercantile qui le menace de dilution. Les auteurs savent aussi montrer que le défi n’est vraiment pas simple à relever dans un contexte où les contraintes des instants qui se succèdent dans le désordre semblent toujours prioritaires.

Pascale Gruson
sociologue, chargée de recherche à l’EHESS (Paris)

Recension sur le site de la revue Projet (juillet 2015)
http://www.revue-projet.com/comptes-rendus/2015-07_boudet-saint-luc_le-systeme-educatif-a-l%E2%80%99heure-de-la-societe-de-la-connaissance/

Martine Boudet, Florence Saint-Luc, Le système éducatif à l’heure de la société de connaissance, avec un avant-propos de Philippe Meirieu. Toulouse, PUM 2014. 477 pages. 26 €.
http://w3.pum.univ-tlse2.fr/~Le-systeme-educatif-a-l-heure-de~.html



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Promotion Français-Lettres (2015, 11 juillet). Recension du “Système éducatif” (Pascale Gruson, EHESS- Revue Projet). Promotion Français-Lettres. Consulté le 26 mai 2024, à l’adresse https://doi.org/10.58079/st94

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