Marianne Denicourt : « Le cinéma, ce n’est que de l’instant, il faut pouvoir tout oublier »
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Marianne Denicourt : « Le cinéma, ce n’est que de l’instant, il faut pouvoir tout oublier »

  • Chloé Blanckaert
  • 2023-07-03

Inoubliable Louise dans « Haut bas fragile » de Jacques Rivette (1995), l’actrice française est ce mois à l’affiche de « Cléo, Melvil et moi », touchante autofiction d’Arnaud Viard. Elle prête ses traits à Marianne, une pharmacienne qui va illuminer le quotidien d’Arnaud, père de famille récemment séparé pendant le premier confinement de 2020. Pour l'occasion, Marianne Denicourt se confie sur sa vision du métier d’actrice, ses expériences de tournage avec Jacques Rivette et Patrice Chéreau, et son rapport au temps.

Le personnage de Marianne apparaît comme une lueur d'espoir dans une période un peu sombre. C'est comme ça que vous avez approché ce personnage ?

Tout à fait. Le film est très proche de la vie d’Arnaud [Arnaud Viard, le réalisateur, ndlr] : ce sont ses enfants, il a tourné dans son appartement et il s’était vraiment séparé de sa femme. Mais le personnage de Marianne, c’est la part de fiction du film. Arnaud avait envie d’un personnage de pharmacienne mais il avait peur qu’il soit un peu trop mystérieux. Je trouvais ça bien qu’on ne sache pratiquement rien d’elle. Dans le film, il y a un côté un peu irréel, presque comme un conte. Mais c’est effectivement un personnage qui ouvre vers un avenir.

Le personnage porte votre prénom. Y a-t-il des points communs entre vous et cette pharmacienne ?

Arnaud voulait l’appeler Marianne à cause d’une chanson mais il faut voir le film pour savoir laquelle ! Je n’ai pas plus de points communs avec elle qu’avec un autre personnage. Forcément, comme je l’incarne, je lui donne ma voix, mes traits, mais c’est tout. Elle fait des choses qui ne me ressemblent pas. Je n’ai jamais suivi un homme comme ça [le personnage d’Arnaud lui propose un rendez-vous, elle refuse, puis quand il lui demande à nouveau quelques jours après elle accepte. Ils entament par la suite une relation, ndlr]… Au début, elle dit non, elle reste en retrait puis tout d’un coup elle dit oui. Pourquoi ? Je ne sais pas, je ne me suis pas posée la question. Je me suis dit qu’il fallait l’accepter comme ça.

Le film a été tourné pendant le premier confinement. À l’image du personnage de Marianne, est-ce que ce projet vous a permis de respirer vous aussi ?

C’est vrai qu’on a fait quelques plans pendant le premier confinement, ce qui était sympathique. Mais on a aussi filmé à la mi-août parce que Paris était désert. Pendant le confinement, toutes mes autres activités étaient à l’arrêt, c’était assez anxiogène. Heureusement, j’ai pu faire des lectures avec le Théâtre de la Colline. C’était une super initiative : les gens s’inscrivaient et on les appelait au téléphone pour leur lire des textes. Je l’ai fait tous les jours, c’était un rendez-vous très important pour moi.

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Dans le dossier de présentation du film, Arnaud Viard raconte vous avoir choisi parce que vous représentiez « les années 90, la jeune femme idéale, incroyablement jolie et intellectuelle ». Vous vous reconnaissez dans cette description ?

C’est très gentil (Rires) On est de la même génération avec Arnaud. Quand j'ai commencé à travailler, c'était dans les années 90, à Nanterre au Théâtre des Amandiers avec Patrice Chéreau. Mais aussi au cinéma, avec Jacques Rivette et Jacques Doillon. À ce moment, Arnaud était acteur et il allait voir ces films. Chéreau, Doillon, Rivette, c’étaient des cinéastes qui comptaient. Pour tout le monde, mais surtout pour cette génération d’acteurs et d’actrices. Je pense qu’il fait référence à ça. Après, heureusement pour moi, j’ai fait autre chose depuis.

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Qu’avez-vous retenu de ces années de formation avec Patrice Chéreau, au théâtre des Amandiers ?

C’était exceptionnel ce qui se passait à Nanterre dans ces années-là, aussi bien artistiquement qu’humainement. Il y avait de grands artistes : Luc Bondy, Richard Peduzzi, Bernard-Marie Koltès, Maria Casarès et puis Patrice Chéreau bien sûr… C’était un homme extraordinairement intelligent et passionné. Mais ce n’était pas du genre à donner des conseils. Il ne se positionnait pas comme prof mais comme metteur en scène. Ce qui comptait pour lui, c’était le spectacle et que les gens soient captivés.

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Vous avez tourné avec Jacques Rivette dans La Belle Noiseuse (1991) et Haut bas fragile (1995). Quel souvenir gardez-vous de ces tournages ?

C'était un homme merveilleux. Il avait une confiance absolue dans l'acteur. On travaillait avec lui pour écrire le scénario, il y avait beaucoup de discussions en amont sur les personnages, les situations… Quand il choisissait un acteur ou une actrice, c’était un cadeau. Surtout pour les actrices, c’était vraiment un cinéaste de femmes. Il avait une ouverture totale à qui était l’autre, il nous donnait une sorte de liberté sur ce qu’on voulait raconter, comment on voulait s’habiller… Mais en même temps, c’était complètement son film : il n’y a pas un seul de ses films qui ne ressemble pas à un film de Rivette. C’était quelqu’un qui connaissait magnifiquement le cinéma, les films, les acteurs. Un homme passionnant !

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Dans Hippocrate (2014) et Médecin de campagne (2016) de Thomas Lilti, vous incarnez deux personnages du corps médical : une médecin confrontée à la hiérarchie de l'hôpital et une médecin de campagne en formation. Dans Cléo, Melvil et moi, Marianne est cette fois pharmacienne. Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait d’incarner des personnages du milieu de la santé ?

À vrai dire, ça ne m’intéresse pas plus que d’autres personnages. En fait, je ne crois pas aux personnages. Pour moi, il n’y a que des mots sur une page, auxquels il faut donner vie. Je ne joue pas un médecin, je joue une scène. Même si je me prépare en amont, le cinéma ce n’est que de l’instant, il faut pouvoir tout oublier. Chacun sa manière d'aborder le métier, mais ce qui m'intéresse c'est quand on ne voit plus les gens jouer. J’ai besoin de beaucoup travailler, de savoir extrêmement bien mon texte, mais le jour du tournage, j’arrive comme une page blanche, sans intention. Il faut avoir une sorte d’abandon, de lâcher prise.

Au cours de votre carrière vous êtes passée du théâtre au cinéma puis à la réalisation avec vos documentaires Une maison à Kaboul (2007) et Nassima, une vie confisquée (2008). Qu’est-ce qui est le plus important pour vous quand vous choisissez vos projets ?

Les gens avec qui on va passer du temps. Dans la vie, on peut faire des bonnes et des mauvaises rencontres, mais les bonnes sont tellement importantes qu’il faut les privilégier. J’ai commencé par le théâtre, mais pour les films, ce sont des gens qui sont venus à moi. J’ai aussi fait beaucoup de lecture musicale, je le fais de plus en plus parce que j’adore travailler avec les musiciens. Quant à la réalisation, c’était une période de ma vie où j’avais envie de m’éloigner du métier d’actrice, j’ai eu besoin de partir là-bas en Afghanistan.

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Vous étiez partie dans l’idée de réaliser un film ?

Oui et non. J’ai un ami qui est responsable de l’association Afghanistan Demain [une association qui œuvre pour assurer l’éducation des enfants des rues de Kaboul, ndlr] et je lui avais dit qu’un jour je voulais aller là-bas. Il voulait que je vienne avec un journaliste pour en faire un sujet, mais ça ne me convenait pas. Je trouve qu’il y a une certaine indécence dans le fait de se mettre en scène dans ce genre de situation. Alors j’ai préféré le filmer moi-même, mais je ne savais pas ce que j’allais ramener comme image. C’était très dur, les gens sont dans des situations difficiles mais j’en garde un souvenir inoubliable. Parfois j’ai envie de me lancer à nouveau dans la réalisation, mais je ne sais pas si je vais le faire. Il y a plein d’autres choses que j'aimerais faire aussi.

Jouer au théâtre et jouer au cinéma, qu’est-ce que ça change ?

 Ça n’a rien à voir. Au cinéma, il faut vraiment être dans l’instant. Au théâtre, c’est l’inverse, on répète tous les soirs, avec des textes, un metteur en scène… Moi, j’aime beaucoup être dans l’instant, c’est pour ça que j’aime autant les lectures musicales. Il n'y a jamais de metteur en scène, je me retrouve seule face au public et ça m’a beaucoup appris. Me retrouver sans personnage de manière assez nue, avec un texte à transmettre et souvent des musiciens. Je fais ça depuis une dizaine d’années, c’est un exercice que j’aime énormément.

Dans la vie de tous les jours, vous arrivez à être dans l’instant présent ?

C’est beaucoup plus difficile, mais c’est important. On est souvent trop dans le passé ou dans l’avenir. Mais mon rapport au temps change tout le temps. Parfois il est lourd et puis parfois on y pense pas du tout. Je ne suis même pas sûre qu’il existe. Ce qui est sûr c’est qu’il passe et qu’il passe vite. C’est une banalité mais on le constate, ça va beaucoup trop vite.

Cléo, Melvil et moi d’Arnaud Viard, Moonlight Films Distribution (1h15) au cinéma le 5 juillet.

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