« Tsars sans empire » : poussés sur le chemin de l’exil après la révolution soviétique, les Romanov ont perdu leur gigantesque fortune

Russie : les milliards perdus des Romanov

Le tsar Nicolas II et ses grands-ducs étaient les princes les plus riches du monde avant la révolution de 1917. Un livre passionnant revient sur la déroute et l’exil d’une dynastie perdue.

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Temps de lecture : 5 min

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C'est l'histoire d'un trésor englouti, sans doute l'un des plus fantastiques au monde : celui des Romanov, la dynastie qui contrôlait encore la Russie au début du XXe siècle. À l'aube de la révolution soviétique, le tsar Nicolas II, prince irrésolu et falot, est l'un des hommes les plus riches du globe, héritier d'un empire qui s'étend sur quasiment 1/6 des terres de la planète.

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« Sa fortune a été estimée 45 milliards de dollars il y a trente ans par le New York Times, soit près de 100 milliards d'aujourd'hui », explique Boris Prassoloff, petit-fils d'un colonel de la garde du tsar et auteur d'une remarquable enquête sur l'exil des Romanov (Tsars sans empire*). « Il jouit de plusieurs palais, sur la mer Noire, dans le golfe de Finlande, mais aussi du palais d'Hiver à Saint-Pétersbourg avec ses 1 500 pièces, et de son domaine de Tsarskoïe Selo, au sud de Moscou… S'ajoutent trois yachts, dont le Standart, de 135 mètres, deux trains spéciaux, d'immenses domaines, des résidences de chasse, des mines d'or et de diamants et des fonds placés qui lui procurent des intérêts. » Sans oublier une fantastique collection de bijoux et parures précieuses à côté de laquelle celle des Windsor fait aujourd'hui pâle figure…

La famille profite également largement de la fortune impériale, notamment les grands-ducs, qui sont les autres membres de la dynastie régnante – fils et petit-fils d'empereur –, ainsi que les princes. Ils occupent des fonctions militaires et reçoivent une annuité de 280 000 roubles par an, détaille Boris Prassoloff, sachant qu'un ouvrier gagne environ 560 roubles sur l'année. À cela s'ajoutent des palais, des propriétés à l'étranger, comme à Paris et sur la Côte d'Azur, et les revenus de leurs propres domaines – ils possèdent ainsi la moitié de la Crimée en leur nom.

« Au milieu du XIXsiècle, ces domaines représentent 240 millions d'hectares, soit quatre fois la superficie de la France, rappelle l'auteur. La moitié de ces domaines est composée de terres arables, exploitées par une armée de serfs et d'employés divers. » Le servage est officiellement aboli en 1861, mais il faut attendre 1906 pour que l'État donne enfin aux paysans les moyens d'acquérir des terres en propriété…

La guerre puis la révolution de 1917 emportent tout : la cour la plus fastueuse d'Europe s'effondre comme un château de cartes. Le tsar abdique, il est arrêté, bientôt assassiné, les terres et apanages de la couronne sont nationalisés, les joyaux et biens meubles seront revendus en Occident contre des devises pour acheter des biens d'équipement ou financer les partis communistes à l'étranger. Les nobles se rassurent en pensant que la fortune de la famille royale et celle de l'Église suffiront à calmer les moujiks. Comme ils se trompent…

Dans un premier temps, les grands-ducs et les princes sont laissés libres, et certains rejoignent leur domaine de Crimée, encore épargnée, ou encore la Finlande, sous administration russe, d'où on peut rejoindre la Suède. C'est le cas du grand-duc Cyrille, cousin du tsar, qui prend soin, avant de partir, de déposer 100 000 roubles dans la succursale d'une banque américaine.

Des joyaux plein les poches

On évalue entre un et deux millions les Russes qui fuient la révolution pour trouver refuge à l'Ouest, et notamment en France. Il s'agit essentiellement des dignitaires du régime – bourgeois, intellectuels, professions libérales, militaires – et bien sûr des centaines d'aristocrates, qui forment bientôt une communauté en exil, attachée aux hiérarchies et traditions, rêvant d'un futur retour…

« Les exilés vont emporter avec eux leurs bijoux, cousus dans les sous-vêtements des femmes, explique Boris Prassoloff. Ils vont les proposer chez les joailliers parisiens, comme Cartier, mais la mise sur le marché est telle qu'elle provoque à l'époque une baisse importante des prix, selon la loi de l'offre et de la demande… Le prince Youssoupov, qui était parti avec deux Rembrandt, qu'il finit par gager, était réputé pour se promener avec des diamants et des pierres précieuses dans les poches, qu'il essayait de vendre en sous-main à l'occasion des réceptions… » Les Windsor récupéreront, entre autres, le somptueux diadème de la grande-duchesse Vladimir en perles et diamants et quelques pièces des fameux œufs de Fabergé.

Quant aux Romanov, il reste huit grands-ducs qui ont échappé aux Bolcheviks. Ils ont gardé leur prestige et quelques moyens, à l'image de Boris Vladimirovitch, lequel épouse sa maîtresse, s'installe à Meudon et court les réceptions ; ou encore Alexandre Mikhaïlovitch, qui vit entre Paris, Biarritz et la Côte d'Azur, surveillé comme il se doit par les services de police… Un rapport croustillant raconte comment il s'affiche au bras d'une demi-mondaine, une certaine Zézette, dans les restaurants parisiens. Un jour, il y croise, confus, la grande-duchesse Maria Pavlovna et s'attarde à sa table, quand Zézette s'écrie : « Dis donc, Alexandre, qu'est-ce que tu fous là-bas avec c'te poule ? » « Le scandale a été énorme », souligne l'officier de police dans ses notes…

Dons aux nazis

Certains basculent dans la politique, comme le grand-duc Cyrille, qui rallie à lui une partie des monarchistes revanchards, s'installe à Saint-Briac, près de Dinard, et s'autoproclame empereur de Russie. Chaque hiver, il fréquente assidûment la Riviera, où s'est formée une grosse colonie russe, et compte sur son épouse Victoria pour activer ses réseaux en Allemagne, où elle possède des biens.

Selon les services soviétiques, qui surveillent également de près ces exilés influents, le couple serait parvenu à toucher entre 5 et 6 millions de marks-or en gageant ses bijoux auprès d'industriels allemands conservateurs et Victoria en donne immédiatement un demi-million au tout nouveau NSDAP, le parti nazi d'Adolf Hitler – les Romanov ont en commun avec lui la même haine des bolcheviks. La grande-duchesse récupérera aussi des fonds pour son train de vie et la cause de son époux chez les Américains fortunés de la côte est, notamment l'industriel Henry Ford, farouche anticommuniste et antisémite notoire…

Mais les millions récoltés par les dons et les ventes de bijoux ne permettront jamais aux Romanov de retrouver le trône… Après la mort de Cyrille, son fils Vladimir reprend le flambeau, appelle les Russes blancs à soutenir Hitler dans sa lutte contre l'Union soviétique et finit par se réfugier chez Franco après la Seconde Guerre mondiale. En 1991, le grand-duc foule la terre russe pour la première fois et se rapproche de Boris Eltsine, qui n'est pas opposé à la restauration d'une monarchie symbolique, une des options pour réconcilier une nation déchirée. Mais Vladimir s'éteint un an plus tard, à quelques marches seulement du trône…

*Tsars sans empire. Les Romanov en exil, 1919-1992, par Boris Prassoloff, éditions Perrin, 24 euros.

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Commentaires (6)

  • Ferula

    Ils ont surtout perdu la vie dans des circonstances sinistres !

  • Didier LOUIS

    C'est quoi la différence avec aujourd'hui ?
    Le peuple russe n’a jamais été libre et démocratique.
    La soumission est dans son ADN et nous devons constater qu’ils ne font pas grand chose pour se libérer des dictatures consécutives qu'ils subissent.
    On a aussi ce qu'on mérite.

  • Frimaire

    Pas perdus pour tout le monde, les cousins germains britanniques ont fait la fête, bijoux et argent confiés à la famille n’ont jamais été restitués aux descendants.