Ludivine Sagnier : l'âge lui va si bien
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Ludivine Sagnier : l'âge lui va si bien

Ludivine Sagnier : l'âge lui va si bien
Ludivine Sagnier : l'âge lui va si bien © Sipa
Arthur Loustalot

Fini les emplois de femme-enfant. Mère de trois filles et enchaînant les rôles, elle est bien la seule à ne pas se plaindre d’avoir 40 ans.

Dans la cité des masques, il faudrait plus que ce drôle de carnaval de « mascherine » chirurgicaux pour lui faire perdre le sourire… et ses repères. A Venise, Ludivine est chez elle. Et pas seulement parce qu’elle y présentait déjà « La fille coupée en deux », de Claude Chabrol, en 2007, ou encore, l’année dernière, « La vérité », de Hirokazu Kore-eda, et « Un monde plus grand », de Fabienne Berthaud. Mais aussi à cause de « The Young Pope » , la série de Paolo Sorrentino, avec Jude Law… « Nous avons présenté la première saison à la Mostra et tourné la saison 2, “The New Pope”, sur la plage devant l’hôtel Excelsior, en plein hiver. Il faisait si froid ! » Elle se souvient des morsures de l’Adriatique glaciale et du sirocco humide. Cette fois, le temps est aussi beau et doux que les rencontres.

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Ludivine fait partie du jury de cette 77e Mostra, présidé par Cate Blanchett. « Une des plus grandes actrices du monde, et une femme… parfaite. A l’écoute, très curieuse et chaleureuse, elle a fait quelque chose que je n’ai jamais connu comme jurée, ni à Deauville, ni à Marrakech, ni à Cannes : nous écrire pour nous expliquer pourquoi elle était heureuse de vivre ce festival avec nous. C’est ce qu’on appelle l’élégance. » Le virus a mis le 7e art à genoux et les corps à un mètre de distance, mais il resserre les liens. « Dans les salles à moitié pleines, on ressent notre fragilité. Mais je la trouve plutôt fédératrice. » Dans le silence légendaire de Venise, comme dans celui des salles obscures, elle assiste au miracle : « Le cinéma crépite encore. » Mais les projections peuvent être quotidiennes, les déjeuners, rituels, les réunions, passionnées… impossible d’oublier celles qui constituent son port d’attache : ses trois filles. Elle les appelle chaque jour.

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Où que j’aille, dans l’exploration d’un personnage, mes filles sont le fil d’Ariane qui m’aide à sortir du labyrinthe

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Ludivine Sagnier a pu tourner une quarantaine de films avec Alain Resnais, Christophe Honoré, François Ozon, Claude Miller ou Alain Corneau ; au générique de sa vie, il n’y a que trois noms qui tiennent le haut de l’affiche : Bonnie, 15 ans, née de son histoire d’amour avec l’acteur Nicolas Duvauchelle, Ly Lan, 11 ans, et Tàm, 5 ans, qu’elle a eues avec le cinéaste Kim Chapiron. Pas question de faire passer les ambitions professionnelles avant la vie de famille. Bien au contraire. Parce qu’être mère, dit-elle, l’a protégée des affres du succès. Actrice précoce repérée à l’adolescence, révélée par son rôle de bimbo sexy dans « Swimming Pool », de François Ozon, elle monte au zénith avant d’être prise de vertige. « Tout arrivait très vite. Ça ne m’a pas dérangée jusqu’à un certain point. Quand j’ai commencé à être un peu plus en vue, sur la scène internationale notamment, les choses m’ont brusquement paru trop rapides. J’ai ressenti la nécessité de me poser en créant une famille. C’était ma façon de m’enraciner, de contrôler une temporalité qui m’échappait et que je subissais. » Alors, ces dernières années, elle a imposé son propre rythme, quitte à se faire parfois plus rare et à reléguer au second plan ses états d’âme de comédienne. « Avant d’être mère, après des heures de tournage, je restais chez moi, transie des émotions que j’avais eues à gérer comme actrice. Aujourd’hui, je n’ai plus le temps pour cette forme de complaisance. Je pourrais jouer une meurtrière ou une femme violée, je dois passer à autre chose quand je rentre à la maison : il faut donner le bain et raconter une histoire. Parce que mes enfants me demandent une présence, une sécurité, et ça me protège. C’est une vraie force. Où que j’aille, dans l’exploration d’un personnage ou la vision d’un metteur en scène, mes filles sont toujours le fil d’Ariane qui m’aide à sortir du labyrinthe. »

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Longtemps, elle a cloisonné deux mondes : le cinéma et la maison. Ludivine Sagnier n’a jamais tourné avec son compagnon Kim Chapiron, le réalisateur de « Sheitan » et de « La crème de la crème ». « Disons que ce n’est pas l’objectif principal. Entre lui et moi, il y a une compréhension, un dialogue quotidien et une inspiration mutuelle. On est très présents l’un pour l’autre. C’est déjà pas mal d’avoir des enfants, une vie amoureuse et un couple épanoui ! » Récemment, elle a joué dans « La ruche »*, l’adaptation de mon troisième roman par Christophe Hermans, prochainement en salle. Je l’avais rencontrée sur le tournage. Un moment intense. Alice, la mère célibataire en dépression dans mon livre, était devenue une femme atteinte de trouble bipolaire dans le film mais, sur le décor, je voyais mon personnage. Pour Ludivine aussi, la fiction et la réalité se mêlaient. C’est sa propre fille, Bonnie, qui lui donnait la réplique. « On a fait des essais pour savoir si Bonnie avait les épaules pour endosser cette partition. Lors de nombreuses improvisations, elle m’a vue me mettre dans des états pas possibles, sans voir autre chose que le personnage. Elle sait que sa mère est une actrice… »

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En vieillissant, je provoque quelque chose de nouveau dans le regard des réalisateurs

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Et une de celles qui peuvent tout jouer. Un temps cantonnée dans la case femme-enfant, Ludivine Sagnier se réjouit : « Mes traits commencent à être un peu plus marqués, et tant mieux ! C’est peut-être à contre-courant, mais, à l’heure où toutes les femmes veulent avoir l’air plus jeune, je découvre qu’en vieillissant je provoque quelque chose de nouveau dans le regard des réalisateurs. Quand j’avais 30 ans, j’avais la maturité de mon âge mais un physique plus jeune. Désormais, le temps a fait disparaître ce décalage. » Alors elle ose les costumes inconfortables, à commencer par celui de mère psychotique. « Pour choisir ce type de rôle, il faut être costaude. Parce qu’on va s’abîmer un peu… Mais je voulais explorer la bipolarité. Je pense que les acteurs connaissent, à moindre échelle, une forme de dédoublement avec des moments d’exaltation et de déception. Et une question m’intriguait autour de ce personnage de femme dysfonctionnelle portée par ses filles : comment aimer quelqu’un qui se fait du mal et fait du mal aux autres ? »

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Pour se préparer au tournage, elle a lu des romans, des essais, des témoignages. Elle a même participé à des ateliers et des groupes de parole avec des personnes atteintes de troubles bipolaires, organisés par l’association Le Funambule, dont elle est devenue la marraine. « Ce film a été une expérience particulière dans ma carrière. C’était un huis clos, avec un dispositif spécial, très peu de techniciens, dans de rares conditions de réalisme, laissant une place gigantesque pour les actrices. Il y a eu des moments de grâce non seulement avec Bonnie, mais également avec Mara Taquin et Sophie Breyer, qui jouent mes deux autres filles. J’étais une louve avec elles. Je les protégeais intensément, nous avons été complètement fusionnelles. C’était évident qu’il y avait un lien de transmission, de tendresse, et beaucoup d’amour. Ça nous a soudées pour la vie. » Bonnie s’est prise au jeu. Elle vient, confie sa mère, d’intégrer un lycée avec option théâtre : « Elle ne s’impose rien mais explore tranquillement cette voie, avec beaucoup de curiosité. »

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Pour Ludivine aussi, la rentrée est une étape importante. Elle doit finir le tournage de la série « Arsène Lupin », avec Omar Sy, et, surtout, elle reprendra, dès le 28 septembre, le chemin des classes… La comédienne va diriger la section acteurs de l’école de cinéma Kourtrajmé, entièrement gratuite, fondée par son ami Ladj Li, le réalisateur des « Misérables ». L’objectif : former vingt jeunes au métier et les aider à décrocher des rôles. « Je ne m’inquiète pas pour mes filles, dit Ludivine. Les bases ont été posées, elles sont sur les bons rails. Aujourd’hui, j’ai un fort désir de transmission que j’arrive à concrétiser avec ce projet d’école. Nous avons la volonté d’aider des jeunes qui n’ont pas les moyens d’accéder à une formation classique. De leur redonner confiance, de faire naître des personnalités et des talents. C’est une forme de créativité aussi. » Elle leur répondra peut-être comme l’avait fait Gena Rowlands à qui elle avait demandé, il y a quinze ans, où elle puisait la matière pour être actrice : « La vie, avec son lot de souffrances, se charge d’apporter les expériences nécessaires. » Il lui a fallu aussi du temps pour comprendre que ce sont l’équilibre et l’amour qui lui permettent de porter ses plus beaux rôles. 

* Arthur Loustalot est l’auteur du roman « La ruche », éd. Jean-Claude Lattès.

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