La guerre en héritage : fausses notes chez les Jarre - Le Parisien

La guerre en héritage : fausses notes chez les Jarre

LE PARISIEN WEEK-END. Depuis 2009 et la mort de leur père, illustre compositeur installé aux Etats-Unis, le pionnier de la musique électronique Jean-Michel Jarre et sa demi-soeur se battent en justice pour être reconnus comme héritiers. Leur combat résonne avec celui qui déchire aujourd’hui la famille Hallyday.

    Sur ses rapports avec son père, Jean-Michel Jarre a souvent déclaré qu'il aurait préféré vivre avec lui « un conflit ouvert » plutôt que d'être confronté à son absence. Le pionnier de la musique électronique, bientôt 70 ans, a été abandonné très jeune par son géniteur.

    Le garçon sera élevé par sa mère, la résistante lyonnaise France Pejot, tandis que Maurice Jarre, compositeur de musiques de film, partira exercer son art à Hollywood.

    Il y remportera trois oscars en signant la bande son d'oeuvres légendaires comme Lawrence d'Arabie (1962) ou Le Docteur Jivago (1965). Avant de décéder en Californie, le 29 mars 2009, date marquant le début d'une éprouvante bataille judiciaire.

    Après Jean-Michel, Maurice a eu deux enfants : Stéfanie, née de son union avec l'actrice Dany Saval, et Kevin, le fils de sa troisième femme, Laura Devon, qu'il a adopté.

    Jean-Michel Jarre, à 38 ans (en 1987), auprès de sa mère, France Pejot. (Alain Canu/Télé 7 jours/ Scoop)

    En 1984, il se marie en quatrièmes noces avec Fui Fong Khong, de trente ans sa cadette, et rédige dès 1987 un testament pour lui céder ses droits d'auteur. En 1991, il constitue un trust, une structure juridique dans laquelle est transféré l'ensemble de ses biens à des trustees, à savoir lui-même et son épouse, qui sont chargé de gérer ces actifs.

    Après s'être enrichi d'un appartement à Paris et d'une maison en Suisse, ce trust est remanié le 31 juillet 2008, quand Maurice Jarre rédige un nouveau testament, finalisant un legs total à sa dernière compagne.

    De courtes retrouvailles dans les années 2000

    Il a pourtant renoué des liens avec ses enfants dans l'intervalle. En témoigne sa présence au mariage de son fils aîné avec l'actrice Anne Parillaud, en 2005. « Ils s'étaient retrouvés, rappelle Thierry Domas, l'avocat de Jean-Michel et Stéfanie Jarre. Le père revoyait ses enfants, ainsi que ses petits-enfants. Ils lui avaient rendu visite dans sa maison de Malibu. Mais le contact a été coupé durant les derniers mois. »

    Frères et soeur auraient ainsi appris par la presse le décès de leur père, victime d'un cancer à l'âge de 84 ans. Cinq mois plus tard, ils sont convoqués en Suisse pour l'ouverture d'un testament consacré à la maison située dans ce pays.

    Les enfants de Maurice Jarre auraient appris le décès de leur père, survenu le 29 mars 2009, par voie de presse. (Le Figaro)

    Ils y découvrent par la même occasion l'existence du trust dont leur belle-mère est devenue l'unique trustee (gestionnaire) et qu'elle a émis la volonté de ne rien leur transmettre.

    Une affaire extérieure influe sur la succession

    En parallèle, Fui Fong Khong Jarre réclame à la Sacem, qui gère, depuis la France, la plupart des droits d'auteur de son défunt mari, le versement des sommes y afférant, mises sous séquestre depuis le décès. L'organisme en informe les enfants Jarre, héritiers potentiels, qui ne tardent pas à saisir le juge des référés de Nanterre (Hauts-de-Seine).

    Le 4 février 2010, le tribunal maintient le blocage. Un mois plus tard, la veuve est assignée devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, en vue d'obtenir un partage de la succession. « Elle leur a tout refusé, y compris un manuscrit sans valeur financière que Jean-Michel souhaitait récupérer », révèle Me Domas.

    Une mise à l'écart des descendants autorisée par le droit américain, qui ne connaît pas la notion de « réserve héréditaire », celle-là même qui, en France, leur assure de 50 à 75 % des biens de leurs parents. Maurice Jarre résidant à Malibu au moment de sa mort, la loi californienne devrait pouvoir s'appliquer.

    Sauf que Jean-Michel et Stéfanie décident de se prévaloir d'un « droit de prélèvement », prévu par une vieille loi de 1819. Il permet de saisir, sur les biens situés en France, la portion qui aurait dû être attribuée, selon la législation hexagonale, sur l'ensemble du patrimoine du parent.

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    Pas question de toucher à la maison de Malibu, ni à celle de Suisse. Mais l'appartement parisien et les droits Sacem, qui avoisineraient 200 000 euros par an, permettraient aux enfants Jarre de récupérer la quote-part que notre loi leur aurait accordée. Mais tout ne va pas se passer comme ils l'espéraient...

    A la même époque, les enfants d'un autre compositeur français installé aux Etats-Unis, Michel Colombier, attaquent sa veuve, désignéeelle aussi comme héritière. Grâce à une nouvelle procédure judiciaire, les avocats de cette dernière obtiennent, le 5 août 2011, la suppression de l'article 2 de la loi de 1819.

    Privilégiant les héritiers français en excluant les étrangers, ce dernier est en effet jugé contraire à la Constitution. « Cette décision a rappelé que le facteur temps peut jouer dans un procès, en faisant tomber un élément sur lequel nos adversaires se fondaient », souligne Charles-Hubert Olivier, l'un des avocats de Fui Fong Khong.

    Privé de sa martingale légale, le camp Jarre fait remarquer que le « droit de prélèvement » de 1819 a été supprimé car il crée une différence de traitement entre les héritiers, selon leur nationalité. Pour y remédier, il suffirait tout bonnement de l'ouvrir aux étrangers, comme le suggère le Conseil constitutionnel.

    Officieusement, des parlementaires sont sollicités dans le but d'adapter la législation dans ce sens. En vain. Un nouveau règlement européen consacre finalement l'application de la loi du pays de résidence du défunt en matière de succession.

    Le 10 juillet 2013, le TGI de Paris donne gain de cause à la veuve de Michel Colombier. « La décision a été rendue huit mois après l'audience, note son avocat, Budes-Hilaire de La Roche. Les magistrates étaient très mal à l'aise, mais finalement contraintes et forcées de nous donner raison. »

    Le 2 décembre 2014, c'est au tour des enfants Jarre d'encaisser une décision identique. Jean-Michel et Stéfanie (devenus les ayants droit de leur frère Kevin, à la suite de son décès en 2011) n'en continuent pas moins leur combat.

    L'actrice française Dany Saval (en arrière-plan) deuxième femme de Maurice Jarre, et leur fille Stéfanie, en 1991. (Jean Lenoir/Télé 7 jours/Scoop)

    Ainsi, fin 2015, ils s'invitent au procès en appel de l'affaire Colombier. « Mais que faisaient-ils là ? » s'interroge encore Me de La Roche. Eh bien, utilisant leur droit à l'« intervention volontaire », leurs avocats viennent y défendre la cause de tous les déshérités.

    Ils espèrent ainsi éviter de se voir opposer une jurisprudence défavorable, lors du procès en appel où ils plaideront, prévu l'année suivante. Las, le 11 mai 2016, face à la cour parisienne, les enfants ont beau rappeler que le « droit de prélèvement » existait encore au moment du décès de leur père, les juges n'y voient rien à redire.

    Et ils acceptent « la démarche continue et bien définie de Maurice Jarre de faire bénéficier son conjoint survivant de l'intégralité de ses biens », tout en reconnaissant qu'elle peut, « aux yeux des enfants, paraître excessive et injuste à leur égard ».

    En avril 2006, le maire de Lyon, Gérard Collomb (au centre), invite Maurice Jarre et sa femme Fui Fong (à dr.) ainsi que ses enfants Jean-Michel et Stéphanie (à g.). (Joel Philippon/Maxppp)

    Des descendants à l'abri du besoin

    « Le droit des héritiers légaux doit-il être une valeur fondamentale, ou peut-il être balayé par le libéralisme ambiant ? Telle est la vraie question que suscite cette affaire, estime Me Domas, l'avocat du clan Jarre. On glisse vers un abandon d'un pilier du droit de la famille. »

    D'autant que la Cour de cassation, le 27 septembre 2017, a clôturé les dossiers Jarre et Colombier en confirmant les arrêts d'appel selon lesquels l'application d'une loi étrangère ignorant le principe français de réserve héréditaire n'est pas contraire à l'ordre public international.

    Elle relève toutefois que les enfants ici déshérités « ne se trouvent pas dans une situation de précarité économique ». Une précision qui laisse supposer qu'il pourrait en être autrement en cas de dénuement.

    Pas de quoi rassurer David et Laura, les enfants de Johnny Hallyday, eux aussi très loin d'être dans le besoin. Leur père ayant tout cédé à sa femme, Laeticia, via un trust constitué à Los Angeles, où était établie sa résidence, ils pourraient se retrouver dans la même situation que Jean-Michel et Stéfanie Jarre, dont le cas fait désormais jurisprudence.

    A moins que la domiciliation de Johnny en Californie, pas aussi évidente que celle de Maurice Jarre – l'idole des Français a fait toute sa carrière dans l'Hexagone et y a passé ses derniers mois –, soit remise en cause.

    Une première audience est prévue le 22 novembre prochain. Un autre feuilleton en perspective, qui ne fait, lui, que démarrer.

    Maurice Jarre