Italienne, c’est le mot qui vient à l’esprit en rencontrant pour la première fois Flavie Flament, 49 ans, l’autrice, militante féministe, animatrice de radio. Un genre de bomba italienne blonde, à la sensualité épanouie, bien dans son corps et dans sa peau. C’est ce corps qu’elle a décidé de mettre en avant en postant récemment une photo de son (beau) postérieur sur son compte Instagram. Le texte émouvant qui l’accompagnait, intitulé « Ceci est ma lune, mes fesses », provoqué par un commentaire acerbe critiquant son physique, a déclenché un raz-de-marée de commentaires, cette fois, bienveillants, et de photos de postérieurs féminins accompagnées du fameux hashtag. Ceci est sa lune, ceci est le corps d’une survivante, qui a mené bien des batailles pour aller mieux. Interview vérité. 

ELLE. - Pourquoi avoir posté cette photo de vos fesses avec un texte l’accompagnant ?

Flavie Flament. - Beaucoup de gens pensent que c’est une réaction épidermique, un coup de gueule. Pas du tout, c’était très réfléchi. Cela fait maintenant treize ans que j’ai quitté TF1 et que j’ai une vie médiatique beaucoup plus discrète, parce que je l’ai choisie, que je fais de la radio, que j’écris des livres, que je fais plein de choses différentes. Donc les gens ne me voient pas toutes les semaines à la télévision, seulement une fois de temps en temps. J’ai accepté récemment de donner une interview pour « 50 mn inside ». Deux jours avant la diffusion, au mois de décembre, je vais rentrer en studio, j’ai mon smartphone dans la main. J’ai été taguée sur la publication, mon doigt ripe et je tombe sur le premier commentaire qui dit : « elle est méconnaissable depuis qu’elle a pris du poids ». Et c’était une femme qui l’avait posté.

ELLE. - Ce commentaire vous a-t-il blessée ?

F.F. - Je me le suis pris dans la figure et puis je suis allée enregistrer une émission de radio sur des sujets politiques autrement plus importants. Ce n’est pas tant qu’il m’ait blessée, car pour moi, quinze ans se sont passés et justement je suis plutôt bien dans ma peau et très épanouie. Mais c’est la violence de cette réflexion et l’ignorance que ça véhiculait qui a fait que cela m’a travaillée pendant plusieurs heures. Très vite la blessure narcissique s’est évaporée, parce que je suis parfaitement consciente des choses et que ce n’est pas un sujet pour moi. Cela m’a plutôt interrogée sur le monde d’aujourd’hui, le temps qui passe, la notoriété. J’ai toujours considéré et j’en ai beaucoup souffert, qu’être connue c’était s’exposer au monde et à la critique. Et ce n’est pas la première fois qu’on dit des choses à mon égard. Et on a raconté énormément de conneries à mon sujet et j’ai toujours laissé glisser. Et puis, là, en fait, c’est devenu presque une question philosophique pour moi.

On a raconté énormément de conneries à mon sujet et j’ai toujours laissé glisser

Il se trouve que j’avais cette photo de mon popotin rebondi, de bons vins, de bonne bouffe et de caresses sur mon téléphone. Je l’avais prise pendant les vacances de décembre à la faveur d’un réveil dans un hôtel où il y avait une lumière superbe. Quand je me suis retournée, j’ai vu mes fesses dans le miroir de la salle de bains et je me suis dit « wow tu as un bon pétard, il est chouette ». Et pour la première fois de ma vie, j’ai pris une photo de mes fesses dans le miroir. Un petit plaisir narcissique comme je m’en offre peu. Mais en rentrant de vacances, je m’étais dit tu ne vas quand même pas garder cette photo au milieu de tes autres photos de paysages, d’amis et je ne sais pas pourquoi, je ne l’ai pas effacée, car je me suis dit gardons le souvenir de ton pétard à 49 ans et demi. En réfléchissant, j’ai repensé à cette photo, j’ai écrit ce texte et puis j’ai laissé la nuit passer. Et puis le lendemain matin, j’ai appuyé sur publication. Et j’ai éteint mon smartphone et j’ai vécu ma vie pendant une heure. Et une heure après, je suis revenue sur Instagram, et j’ai vu que c’était parti. Et que ce qui était en train de passer, c’était beau. Je me suis rendu compte à quel point ça faisait du bien à tout le monde. Et je ne l’ai pas fait du tout pour m’adresser à cette personne, car pour moi, c’est de la bêtise, ce n’est pas grave en soi.

ELLE. - C’est une méconnaissance du corps féminin ?

F.F. - Oui et de la société, de la psychologie. Ça dit qu’on est dans un monde où on est derrière des pseudo, on peut critiquer, ouvertement, sans penser à l’impact que ça peut avoir. Et en fait je ne l’ai pas fait pour moi, ce n’était pas une réponse aux haters. Je réponds à toutes les femmes, à mes amies, aux femmes que je peux croiser dans la rue, aux gamines de treize ans. Je me suis complètement adressée aux autres dans un message universel et de bien-être. Depuis ça dure et ça n’a de cesse de s’amplifier, je vois des popotins postés par des femmes avec le #ceciestmalune. Je trouve ça génial.

ELLE. - On avait pourtant l’impression, avec le mouvement body positive, que le rapport au corps féminin avait changé ?

F.F. - Je crois qu’on est dans une société de paradoxes. Une société qui va prôner le body positive mais en même temps où les injonctions sont toujours là, cruelles, tenaces, véhiculées par la presse, les médias, les publicités. Et puis surtout, il y a l’injonction à être mince mais il y a aussi ce refus du temps qui passe. Et ça, c’est quelque chose qui me sidère. On a zéro indulgence pour ça et c’est hyper violent. Les femmes sont beaucoup plus concernées que les hommes sur ce point-là. On ne voit pas d’hommes se plaindre d’être quittés pour une calvitie ou pour une prise de poids. Alors que des femmes peuvent s’interroger sur leur pouvoir de séduction, encore et encore, et de plus en plus, parce que le temps passe et que notre corps change. Mais en fait, il y a tellement d’autres choses qui changent dans nos vies que c’est tellement dommage de ne se concentrer que là-dessus mais on nous le rappelle en permanence. C’est le paradoxe et la grande cruauté du monde d’aujourd’hui. 

La concurrence féminine, la méchanceté. Ça en dit long sur le terrain. On n’évolue pas.

ELLE. - Vos fesses sont magnifiques, une ode à la vie et au plaisir. Est-ce que ça dit aussi un refus du plaisir et de la volupté dans cette société ?

F.F. - Avec le temps, pour correspondre aux critères qui nous sont imposés, je crains qu’on ne s’éloigne de ces plaisirs essentiels. Et ça je trouve ça terrible. On ne va pas se voiler la face, le temps passe, nos corps changent, la ménopause arrive, notre visage change aussi. On est dans un monde où tout est filtré, où l’on peut retoucher soi-même ses photos, où l’on se fait violence à soi-même et où l’on est dans un refus de la réalité. Je trouve que c’est très problématique parce que ça laisse entendre qu’à partir d’un certain âge, ce n’est pas tant qu’on soit foutues, car je pense au contraire que plus le temps passe, plus on est une bonne affaire dans tous les sens du terme. Mais cela veut donc dire qu’on va être condamnées quand même à lutter en permanence au lieu d’embrasser l’existence ? Moi j’ai choisi ma famille. Je n’ai pas envie de lutter, de me priver, à un moment où je suis bien dans ma peau comme je ne l’ai jamais été. Je me souviens d’une interview d’Isabelle Adjani qui m’avait énormément marquée. Elle avait dit « si j’avais su que j’étais aussi belle, j’en aurais profité davantage ».

Je pense qu’il est toute une période de la vie où l’on n’est pas encore complètement soi-même, pas encore affranchie, libre. On correspond à ce que la société, la famille attend de nous. Il faut avoir un mari, faire des enfants, travailler, il faut acheter, être propriétaire, etc. et puis il y a un âge où l’on prend du recul et où l’on se dit : est-ce que tout ça m’a rendue profondément heureuse ? Me concernant, force est de constater que non. Moi, mon bonheur, il se situe ailleurs. C’est en traversant des épreuves que j’ai réussi à trouver une sérénité, à être bien dans ma peau et dans mon corps. Et en fait, si j’avais su que j’étais aussi belle, indéniablement j’en aurais profité davantage. Mais je ne le savais pas, et je n’étais pas heureuse à ce moment-là. Donc, je ne vais pas avoir de regrets, je ne vais pas chercher mes vingt ans, mes trente ans mais je vais me tourner vers le présent et l’avenir en me disant : il faut en faire quelque chose de sympa. Et pour moi, quelque chose de sympa, c’est justement ne pas m’enfermer dans des critères, c’est profiter, vivre, rire, boire, manger. Ça ne fait pas de moi quelqu’un qui se laisse aller. Ça fait juste de moi quelqu’un de vivant. Et c’est ce que je dis en montrant ces fesses rebondies de joie, de plaisir recouvré, de caresses – car ça englobe aussi la sexualité, la sensualité – et de vins et de bonne bouffe.

ELLE. - Il faut donc être aveugle pour poster un commentaire comme celui-là ?

F.F. - Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné on en arrive à ce genre de réflexion volontairement blessante ? Il est des gens pour qui ces injonctions sont complètement intégrés. Il y en a qui s’en affranchissent ou qui se remettent en question après avoir vu ma publication. En disant peut-être suis-je prisonnier ou prisonnière de quelque chose ? C’est cela qui est intéressant. C’est de voir à quel point la société commande, les médias nous le disent, et à quel point les hommes peuvent l’avoir intégré, et les femmes par rebond, l’ont aussi en elles. Et les femmes peuvent être investies dans des causes et peuvent être néanmoins aussi d’une grande violence. Ça commence à la cour de récréation. La concurrence féminine, la méchanceté. Ça en dit long sur le terrain. On n’évolue pas.

ELLE. - Vous aviez évoqué dans vos livres votre période anorexique ?

F.F. - J’ai été très anorexique à la naissance d’Antoine, mon premier fils. Il a 28 ans. J’avais 21 ans, et j’ai eu une grande phase d’anorexie très inquiétante, que j’explique dans mon livre « Les Chardons ». Après ma grossesse où j’avais pris 22 kilos, j’ai voulu retrouver le poids que j’avais quand j’avais 14 ans. J’ai reçu une éducation terrible basée sur cette notion de poids. Ma mère me mettait sur la balance, elle me disait que j’étais moche et grosse. J’étais extrêmement mince mais ça n’était jamais assez. J’ai été élevée avec son regard qui me faisait comprendre qu’on n’était pas éligible sur une plage si on n’avait pas un corps parfait. Et c’était terrible parce que je la voyais elle-même critiquer tous les gens qu’elle croisait sur la plage. C’était le culte du corps, cette idée qu’avec un joli corps, j’y arriverai toujours. J’ai grandi comme ça et quand j’ai eu cette grossesse, pourtant extraordinaire, au cours de laquelle j’ai pris 22 kilos, j’ai eu cette obsession de redescendre au-delà même du poids que j’avais avant. Je pesais même 40 kilos à un moment. Ça m’a beaucoup interrogée et je m’en suis sortie par miracle.

J’ai été très anorexique à la naissance d’Antoine

Ensuite, j’ai commencé à travailler à TF1, et il y a eu les exigences de la notoriété, avec le fait de ne pas prendre de poids. J’avais totalement intégré cette injonction. Lorsque j’avais un tournage, une semaine avant, je ne mangeais plus, je ne me nourrissais que de produits liquides, je fondais, et en trois jours je perdais trois kilos. Sur un plateau de télévision, les vêtements auxquels accèdent les stylistes ne sont qu’en 36. C’est super quand tu as 25 ou 30 ans, mais après, à mon âge, c’est plus compliqué. Et donc si l’on fait un 40 ou un 42, il faut acheter soi-même ses vêtements. Donc, j’ai passé des années et des années comme ça. Des années où je dépendais affreusement, d’une façon absolument pitoyable et perdue, du regard des autres. Mais c’était aussi une période de ma vie où je n’étais pas totalement moi-même. Et cela fait partie de mon processus depuis que j’ai quitté l’antenne, il y a treize ans, et de tout ce travail que j’ai fait sur moi, avec « La consolation », de vouloir me réconcilier avec des choses qui, à mon avis, sont essentielles au bonheur de l’existence. J’ai découvert le plaisir de manger, la bonne bouffe, je me suis mise à cuisiner. J’ai découvert ce que c’est qu’une tablée de gens qui profitent, qui se réjouissent de bien manger et surtout, je me suis départie de l’image qui était la mienne. Et je me suis sentie libre. Et effectivement, à la faveur d’une interview, on se dit tiens elle a changé. Oui, car le temps a passé, et puis parce qu’entretemps, j’ai vécu ce bonheur. Car pour moi, ce bonheur, il passe par là : rire avec mes amis et ne pas me priver. Ne pas dire non.

ELLE. - Quel rapport a-t-on avec son corps lorsqu’on a été violée, comme vous, à treize ans ?

F.F. - Très compliqué. Moi j’ai eu la double peine. Car non seulement c’est un corps assiégé à treize ans, mais c’est aussi une éducation qui ne tournait qu’autour du corps. Un corps qui a été touché par des mains dégueulasses, qui a été violé, qui a été pénétré sans son consentement, qui a été malmené, on part à sa conquête toute une vie. Une conquête permanente.

ELLE. - Parce que corps vous semble étranger ?

F.F. - Non, me concernant. C’est toujours resté mon corps, mais il avait été objectisé une première fois par ma mère et l’éducation qu’elle m’avait donnée, cette idée qu’il n’y aurait qu’avec mon corps et mon cul que je pourrais marchander l’affection des gens, leur reconnaissance. Et c’est un corps qui a été détruit, ravagé de l’intérieur. Car un corps, c’est comme une fleur qui pousse à l’intérieur de nous. Moi, ma fleur elle a mis du temps à pousser car mon jardin a été piétiné. Donc, c’est une conquête permanente, et encore plus quand on s’en rend compte, comme moi, à l’âge de 35 ans, qu’on a été violée. C’est un ensemble de choses qui fait que le corps a toujours été un sujet me concernant. Et je ne me suis jamais trouvé belle, par exemple. Alors qu’aujourd’hui, il y a des matins où je me sens moche, et d’autres où je me sens belle. Parce que je suis heureuse, parce que c’est le regard d’un homme qui est posé sur moi, parce que ce sont mes enfants qui me disent, wesh, t’as le flow, maman. Et là, tout d’un coup, je me sens belle, car le regard que je pose sur moi est beaucoup plus indulgent. Il m’arrive aujourd’hui d’être en paix avec moi-même. Je ne me trouve pas canon, mais belle et heureuse. Ça ne m’arrivait jamais avant.

ELLE. - Vous l’insultiez, ce corps ?

F.F. - Je le maltraitais en me nourrissant d’un blinis et d’une toute petite noisette de tarama. Je l’insultais en ce sens que j’en parlais mal. Je parlais de moi en disant que j’étais dégueulasse, immonde, et ça m’arrive encore d’employer des mots comme ça. Un jour, mon psychiatre m’a dit « Flavie, est-ce que vous pourriez parler de quelqu’un d’autre comme ça ? » Cela ne me viendrait jamais à l’idée de dire d’une autre personne c’est un déchet, elle est dégueulasse, répugnant. Et pourtant ce sont les termes que j’employais à une époque où très certainement, il y aurait eu Instagram on m’aurait dit wow. Incroyable d’être gaulée comme ça ! Mon corps était un objet de rejet.

ELLE. - Comment avez-vous vécu vos accouchements ?

F.F. - Formidables. J’ai toujours eu, au fond de moi, une petite flamme que j’ai toujours protégée contre les tempêtes. Enfant, le soir, quand j’étais seule, je faisais des grands feux, à travers la littérature, plein de choses, j’ai toujours accédé, malgré tout, au bonheur, même si ce n’était pas mon état permanent. Donc je savais que j’avais cette possibilité-là. Avec mes accouchements, mon corps a enfin pris un sens. J’ai eu des grossesses fantastiques, j’ai adoré mon corps enceinte, j’ai adoré accoucher. J’ai adoré ce ventre, ces seins lourds, ces grosses fesses, sa rétention d’eau. J’ai mis au monde mes enfants, je les ai sortis moi-même de mon corps. Et ça, ç’a été des moments où j’étais totalement en paix avec mon corps.

ELLE. - Comment vit-on sa sexualité après un viol ?

F.F. - C’est beaucoup plus compliqué car il est très difficile de faire la part des choses. D’abord, quand on a été victimes de viol, et d’une éducation comme celle que j’ai reçue, parce que j’ai été plongée dès l’enfance dans un bain maltraitant, apprendre le bien et le mal a été une vraie conquête aussi. Être capable de dissocier ce qu’on faisait de bien ou de mal pour moi, j’en ai été incapable pendant très longtemps. C’est pour ça aussi que j’ai vécu des moments en privé très compliqués quand je ne tombais pas sur les bonnes personnes. Il suffisait qu’elles me disent je vais faire attention à toi, elles gagnaient tout car c’est ce que je rêvais d’entendre.

J’ai laissé faire des choses qui sont absolument innommables. J’ai laissé un homme multiplier les maltraitances diverses parce que je ne savais pas distinguer le bien du mal. Ensuite, il y a l’accession au plaisir. A un moment donné, tout est très réfléchi, il y a des gestes qui peuvent devenir compliqués, ne pas être aux abois quand on a vécu ça, même quand on est dans une relation amoureuse, est une gageure. Il y a des gestes qui ont pu être terrifiants pour moi. C’est l’idée de la confiance et, du coup, cette réflexion permanente. Tu te dis forcément, le prédateur n’est pas loin, du coup tu passes à côté de plein de choses.

ELLE. - Comment réagissez-vous à l’affaire Depardieu ? Est-ce que ça réactive quelque chose de douloureux chez vous ?

F.F. - Pour être tout à fait sincère, je ne m’exprime pas sur ces sujets-là. Parce que quand la « Consolation » est sortie, c’était un an avant l’affaire Weinstein, un an avant #MeToo, à l’époque, on ne parlait pas du tout de ça, et je pense que la libération de la parole a commencé à ce moment-là. Dès 2016 aussi, je menais la mission ministérielle sur le viol pour Laurence Rossignol, car ce gouvernement, celui de François Hollande, avait embrassé cette cause-là. Depuis toutes ces années, j’assiste, émerveillée, à ce mouvement de libération de la parole, au spectacle de ces femmes qui se lèvent, qui n’ont plus peur de parler. Je déplore encore la lenteur des mesures qui étaient promises et des mesures de justice même si je note aujourd’hui que certains hommes présumés innocents, mais aussi présumés coupables, sont inquiétés par la justice en dépit des délais de prescription. À l’époque, je n’ai jamais eu un appel de qui que ce soit de la justice et de la brigade des mineurs au moment de l’affaire Hamilton. David Hamilton s’est suicidé, je pense que ça a servi d’exemple pour tout le monde. Par mon expérience personnelle, j’ai ouvert la voie et je l’ai malheureusement un peu payé, mais c’est très bien comme ça. Donc j’assiste à ce mouvement avec beaucoup d’émotion, et puis, depuis quelques semaines, à cette affaire Depardieu et à cette succession contradictoire de tribunes, et ça ne me donne pas envie d’intervenir.

Depuis toutes ces années, j’assiste, émerveillée, à ce mouvement de libération de la parole

Il y a quelque chose d’un peu désespérant dans ce retour en arrière orchestré par le pouvoir. J’ai quand même le sentiment que le droit des femmes n’est plus une grande cause de ce nouveau gouvernement. Moi j’ai promis à mes enfants que quand la loi serait passée en 2018, je ne serai plus militante. J’ai rempli ma mission et cette mission a abouti sur une loi. Donc ç’a été efficace, mais ça a pris deux ans de ma vie et ç’a été extrêmement compliqué car je vivais moi-même l’épreuve personnelle d’avoir pris la parole publiquement, et d’essuyer une tempête médiatique. Je me tiens à cette promesse. Mais comme dans tous ces mouvements-là, je reste interdite devant la spontanéité parfois épidermique de certaines tribunes, qui peuvent même être suivies de regrets. Le seul truc que j’ai envie de dire, c’est : la parole a un poids. On a une responsabilité quand on est victime, et qu’on dénonce quelqu’un. Et il faut que cette parole soit reçue avec responsabilité, il faut que les hommes qui ont tant à se reprocher prennent leurs responsabilités et que les pouvoirs publics prennent leur responsabilité. J’ai l’impression que c’est devenu, parfois, quelque chose qui s’est vidé de son sens. Je ne parle pas des victimes. Mais que finalement, dans un monde où tout est immédiat, où tout est évanescent, où une information chasse l’autre, eh bien on peut décider de signer une tribune et deux jours après, se dire qu’on a fait une connerie. Non. Revenons à nos responsabilités. Soyons bien conscients de ce qu’on est en train de faire. Et ne négligeons pas l’impact de nos déclarations, de nos actes et faisons un peu silence. Arrêtons les postures.

ELLE. - Il y a eu aussi, bien sûr, des tribunes réconfortantes pour s’élever contre l’impunité…

F.F. - Heureusement qu’aujourd’hui cette réponse soit possible. On fustige le tribunal médiatique, mais heureusement que ces médias-là permettent de faire le boulot qui n’est pas fait par ailleurs. En fait, il y a quelque chose de très nouveau, c’est que maintenant les victimes s’emparent de leur sujet, alors qu’auparavant, elles étaient presque sorties du débat. Quand il s’est agi de mener la mission ministérielle, j’ai demandé à ce que les victimes soient autour de la table. Au début, on m’a regardé avec de grands yeux. Pourtant, les victimes sont les premières expertes de ce qu’elles ont vécu. Donc aujourd’hui, elles peuvent s’emparer de ça. Après il y a un jeu à jouer, qui est celui de la justice. Je ne lui fais pas trop confiance mais elle est nécessaire. Je voudrais vraiment en appeler à un peu de recul, un peu de réflexion et beaucoup de responsabilité. Car ce sont des sujets qui sont graves. Je suis passée par là, et je sais à quel point il est difficile de prendre la parole, et d’avoir le sentiment de ne pas être entendue. Et quand on est dans le déni de la parole d’une victime, quand on n’a pas un mot pour elle, je connais ces ravages-là et je trouve ça parfaitement irresponsable.

ELLE. - Avez-vous regardé le « Complément d’enquête » consacré à Depardieu ?

F.F. - Bien sûr. Il m’a laissée sans voix. Ça en appelle, encore une fois, à la responsabilité de tous, parce que ces images ont été filmées, elles ont été gardées, et pourtant il y avait une plainte déposée par Charlotte Arnould. C’est comme tous ceux qui savaient pour David Hamilton et qui ne disaient rien. Et qui, au moment où j’ai parlé, ont dit : « oui c’est vrai que… » Merci les gars ! On a été combien de centaines de gamines à être violées par ce prédateur ?

ELLE. - En conclusion de cette interview consacrée à votre corps, vous diriez quoi ?

F.F. - Je dirai : on est dans un monde d’injonctions contradictoires. On va sur les réseaux sociaux, on achète des magazines de psychologie positive, on lit des livres de développement personnel. On nous dit qu’il faut être bien, et en même temps minces, qu’il faut être philosophe et en même temps kiffer, tout et son contraire. On fait comme on peut mais moi, je sais que ma réponse, je l’ai trouvée en moi. Et c’est ce qui est le plus compliqué. Et ça, ça passe par l’acceptation de la solitude, du tête-à-tête avec soi-même. Moi je m’en suis sortie en partant très souvent seule pendant quatre jours. Les deux premiers jours, je pleurais. Le troisième jour, je me disais c’est dommage de pleurer autant, et je commençais à sentir la vie autour de moi, le vent, la mer, et je me mettais à sourire. Le soir, je trouvais un super restau et le quatrième jour, je repartais en ayant laissé sur la plage sur laquelle j’avais marché tout ce qui m’encombrait.

On est dans un monde d’injonctions contradictoires

C’est ainsi que progressivement, de moments de solitude en moments de solitude, de réflexions en réflexions, d’écoute de moi-même en écoute de moi-même, j’ai fini par me recentrer et à être à mon sens alignée. Donc on peut nous dire, « sois heureuse, sois mince, mange, prend du recul sur la vie », au-delà de tous les bons conseils qu’on peut nous donner, il n’y a qu’en nous écoutant, véritablement, qu’on peut être sereins. Car sinon, on est tiraillés par tous les injonctions et on passe notre vie à vouloir correspondre à un truc. Faisons en sorte que chaque jour compte, en s’en foutant du regard des autres, car finalement c’est quand on est libres qu’on attire un regard bienveillant.

ELLE. - Et pour finir, quelle est votre recette pour avoir un aussi si beau cul ?

F.F. - [rires]. J’insiste encore : la lumière était assez valorisante. Mais je dirai : merci mon papa qui était footballeur, et qui avait un bon pétard. Merci le sport, parce que je nage beaucoup dans la mer. Merci l’amour. Merci la vie.

Dernier roman de Flavie Flament : « L’Étreinte » (Lattès).