L’Union des scénographes (UDS) milite ardemment pour la reconnaissance du scénographe en tant qu’artiste auteur : les lignes sont sur le point de bouger.
Art de l’organisation de l’espace, la scénographie crée une réalité autre, met en perspective, joue avec l’intérieur et l’extérieur, l’ombre et la lumière, les couleurs et les matières. La scénographie est un territoire-monde, un carrefour qui touche au texte, à la musique, à l’opéra, à la danse, au cirque et aux arts numériques. Il embrasse aussi les arts visuels, l’architecture et la ville. La scénographie est cet art merveilleux qui transcende le temps et matérialise nos rêves1 .
L’espace, le temps, le sens : les mediums du scénographe sont pluriels et plastiques. C’est un art cinétique, polyphonique, qui compose et jongle avec les éléments au présent de la représentation et devant un public à chaque fois renouvelé. L’élaboration du projet scénographique s’inscrit lui aussi dans la durée et mûrit progressivement — dessins préliminaires, story-board, maquette plane ou en volume, plans, construction, peinture. À la fois créateur et artisan, le scénographe ne cesse d’être pour cette raison inconfortablement assis entre deux chaises. L’évolution du terme décorateur de théâtre (davantage soumis à une commande émanant du metteur en scène) vers celui de scénographe (plus autonome, résolument dynamique et actif, prenant en compte une dramaturgie d’espace) n’a pas permis à ce jour que le statut connaisse une évolution, ni dans les pratiques de rémunération, ni dans la reconnaissance de son statut d’auteur.
À une époque où la culture de l’image domine largement le paysage, quelle place réserve-t-on à la scénographie, cet art éminemment visuel ? Paradoxalement, la scénographie envahit le discours, au point d’être omniprésente. La multiplicité de ses usages, en floutant ses contours, finit par porter préjudice à la profession. La part de technicité dans la mise en œuvre ne devrait plus la pénaliser en la reléguant au rang d’un unique savoir-faire, balayant ainsi d’un revers de manche son essence créative. L’écrivain lui aussi taille ses crayons ! Le peintre gâche ses pigments ! L’Union des scénographe (UDS), qui fédère un nombre important de praticiens, permet qu’aujourd’hui une parole collective émerge et soit entendue.
L’exercice de la scénographie comporte deux volets : d’une part, la création d’une œuvre originale et, d’autre part, un aspect artisanal et technique. La mission du scénographe est de produire une création artistique, plastique, conférant à son œuvre le statut de propriété intellectuelle. À ce titre, des droits doivent être perçus par le scénographe. Or, le fait que la scénographie soit une création n’est pas encore intégré par tous. En effet, les droits d’auteur ne sont que trop rarement versés par les théâtres et, lorsqu’ils le sont, le scénographe qui souhaite les déclarer se heurte à un vide juridique, car cette profession n’était pas jusqu’alors répertoriée à l’Agessa – Maison des artistes. Grâce aux négociations menées conjointement par l’UDS, le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac) et la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture (DGCA), cette situation semble sur le point d’évoluer enfin. La scénographie devrait bientôt faire partie de la liste des métiers régis par le Code de la Sécurité sociale concernant les artistes auteurs. Reste maintenant à obtenir des théâtres qu’ils versent des droits d’auteur au scénographe et à leur rappeler que le statut du scénographe est régi par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle.
Une seconde mission du scénographe est l’exécution matérielle de son projet de création, exercée sous l’autorité du producteur. Le scénographe assure ainsi la direction artistique, supervise artisans et techniciens et définit l’esthétique globale du projet, ce qui impose qu’il soit rémunéré comme un artiste salarié conformément aux dispositions du Code du travail. Intermittent du spectacle, il bénéfice d’une assurance chômage spécifique gérée par l’Unédic. Cependant, le scénographe, contrairement au metteur en scène et au chorégraphe, relève de l’annexe 8 (techniciens) et non pas de l’annexe 10 (artistes), car il n’est pas à ce jour mentionné dans l’article L7121-2 du Code du travail. En s’appuyant sur le rapport Archambault du 7 janvier 20152 , l’UDS se bat pour que l’assurance chômage de la profession de scénographe bascule de l’annexe 8 à l’annexe 10 et que soit ainsi pleinement reconnue sa qualité d’artiste auteur.
En initiant, les 27 et 28 octobre 2017, les Rencontres européennes de la scénographie, sous le haut patronage du ministère de la Culture à l’Odéon – Théâtre de l’Europe (Ateliers Berthier), l’UDS prend la parole et espère voir évoluer le statut du scénographe auteur. Comme gage de cette reconnaissance, l’UDS souhaite que soit donnée à la France en juin 2019, après quinze années d’absence, la place qui lui revient à la prochaine Quadriennale internationale de scénographie de Prague. Parallèlement à cette action, le syndicat mène conjointement une action juridique. La DGCA, l’Agessa - Maison des artistes (sécurité sociale des artistes auteurs) et le Snac ne peuvent, ne veulent plus ignorer le statut laissé pour compte du scénographe de spectacle vivant. Tous s’accordent pour que les négociations aboutissent vite ! Certes il reste encore du chemin à parcourir, mais nous voyons dans la nomination de scénographes à la tête de quatre lieux prestigieux, l’espoir d’un changement.
- 1Citation de Geneviève Gallot, ancienne directrice de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, extraite de l’introduction au colloque international organisé à La Villette en 2011 dont les actes, « Qu’est-ce que la scénographie ? Vol II, Pratiques et enseignements », ont été publiés par le Centre d’études théâtrales de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (Belgique) en 2013
- 2 Lire le rapport: www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/ document/2015/01/rapport.pdf