Former French Budget Minister Jerome Cahuzac speaks during a public meeting in Monsempron-Libos, south-western France, on November 23, 2023. Ten years after his political fallout, Cahuzac goes back in the arena with a first public meeting in Lot-et-Garonne. (Photo by PHILIPPE LOPEZ / AFP)

L'ancien ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, le 23 novembre 2023.

AFP

Dans les couloirs de la maison de la Radio, remue-ménage. Ce lundi 27 novembre, alors que 8 heures viennent de sonner, François Hollande pousse les portes vitrées de l’immense bâtiment rond et presse le pas vers les ascenseurs, direction l’étage jaune de France Info. L’élévateur prend son temps, sentiment d’éternité. L’ancien président de la République sait qu’aux étages supérieurs, chez France Inter, Jérôme Cahuzac, son ancien ministre du Budget, celui qui a menti "les yeux dans les yeux" et qui fut condamné pour fraude fiscale, vient de conclure l’entretien de 7h50 et fera le chemin inverse. Il n’a aucune envie de le croiser. Il ne lui parle plus depuis la démission fracassante du ministre en 2013. Jérôme Cahuzac aurait pu forcer le destin. Les plumitifs auraient jasé, alimentant ainsi la chronique de son retour sur la scène politique. "Nous n’avons jamais été amis avec François Hollande, raconte-t-il aujourd’hui à L’Express. La vie politique nous avait rapprochés, elle a fini par nous éloigner."

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Voilà l’homme de 71 ans délesté de son bracelet électronique, et qui clame haut et fort "ne rien s’interdire". Ce n’était jusqu’alors qu’une rumeur, qui volait au gré des vents depuis la rentrée de septembre, d’abord dans le Lot-et-Garonne, son ancien fief, puis vers le nord de la France. Xavier Bertrand, le président Les Républicains des Hauts-de-France, fut l’un des premiers au courant, prévenu par Jean-Louis Costes, un de ses soutiens, ancien député LR et maire de Fumel (Lot-et-Garonne). Le bruit a couru ensuite jusqu’au Rassemblement national. Lors d’une réunion début novembre, la députée RN de la circonscription où Cahuzac fut élu en informe son collègue Sébastien Chenu. "On s’est tous regardés, étonnés. Personne n’a vraiment compris", raconte le vice-président du RN. "Il paraît qu’il vise la mairie de Villeneuve-sur-Lot mais qui pourrait avoir l’idée saugrenue de lui donner l’investiture ?"

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La rumeur est arrivée tardivement au Parti socialiste. Même François Hollande n’en avait pas entendu parler, et quand quelques journalistes l’en informent, il croit à une mauvaise blague. "Si Jérôme Cahuzac n’est pas cramé, alors Eric Dupont Moretti a de l’avenir", blaguait-il encore en novembre, bien avant que le garde des Sceaux ne soit relaxé par la Cour de justice de la République.

"Quand je donne l’heure exacte, on ne me croit pas"

Les rares qui n’ont pas coupé les ponts avec Jérôme Cahuzac n’ont pas été surpris. Il a toujours refusé de tirer sa révérence. Le sort que ses amis socialistes, François Hollande le premier, lui avaient réservé, il disait le vivre comme une "injustice". "On me reproche d’avoir menti à des gens qui mentent tous les jours. Même quand je donne l’heure exacte, on ne me croit pas. Il ne me reste que ma dignité, mon courage, j’y tiens. Ils m’ont pris tout le reste…", confiait-il, un jour de juin 2014. Neuf ans plus tard, un de ses amis l’assure : "Au premier jour de sa longue traversée du désert, il jurait qu’il reviendrait, d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard."

Jérôme Cahuzac aura donc patiemment attendu la fin de son inéligibilité, sûr de lui et certainement pas revanchard. "Qui a lu La Plaisanterie de Milan Kundera sait que la vengeance ne sert à rien. Elle est dégradante pour tout le monde. Vouloir se venger, c’est perdre son temps", hâble celui qui n’en veut à personne - il le jure ! - pas même aux socialistes, pas même à Bernard Cazeneuve qui fut l’un de ses plus fidèles camarades. "J’ai la faiblesse de penser que nous avons été entre 2007 et 2013 de vrais amis." Cazeneuve a d’autres ambitions désormais et Cahuzac se refuse à le déranger. Avec lui aussi les échanges complices ont cessé, faut-il se rendre à l’évidence ?

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Été 2023, dîner chez son ami le sénateur François Patriat. "J’ai envie de revenir", répète-t-il à chaque coup de fourchette. Il dévoile son plan, cette idée d’association qui naîtra fin septembre, "Les amis de Jérôme Cahuzac", hébergée chez l’ancienne chef socialiste du département. Dans la bande, des fidèles de l’époque pour la plupart d’anciennes petites mains politiques du coin et Guy Gérard. C’est lui l’ancien maire d’un autre village voisin qui barre le rafiot. La presse locale, La Dépêche du Midi avant tout, en fait vite son miel. Un premier raout, privé et sur invitation, s’est tenu le 20 octobre, puis une autre réunion, publique, avec quelque 400 personnes. "Comprenez bien que réunir autant de gens dans une salle avec du bouche-à-oreille dans le Lot-et-Garonne, c’est une belle réussite", explique une huile de la politique locale qui connaît Jérôme Cahuzac de longue date.

Un retour, mais pour faire quoi ? Beaucoup pensent qu’il n’a que la mairie de Villeneuve-sur-Lot dans son objectif, la ville qu’il a dirigée pendant onze ans. Là n’est pourtant pas la priorité de Jérôme Cahuzac qui passe beaucoup plus de temps à parler de politique nationale. "La mairie, c’est tout au plus une solution de repli", murmure un de ses soutiens qui le concède : il veut récupérer son siège de député de la 3e circonscription du Lot-et-Garonne. Cahuzac fait, comme tant d’autres, le pari d’une dissolution avant la fin du second quinquennat d’Emmanuel Macron. "Le président ne peut pas aller jusqu’au bout comme cela", répète-t-il aux siens depuis les dernières élections législatives. À L’Express, il peine à cacher son ambition retrouvée, dit que "la situation politique est incontestablement difficile" même si "le président, le gouvernement et la majorité ne s’en sortent pas si mal". Compliment d’un endurci. "Imaginer une dissolution serait un pari et je ne sais pas ce qui laisserait penser qu’il pourrait être gagné, mais la politique est parfois mystérieuse. Essayer de reprendre la circonscription au Rassemblement national, c’est un beau combat."

Les morts et les vivants

L’a-t-il aussi dit au principal intéressé, le président de la République, dans les messages que les deux hommes échangent sur la messagerie WhatsApp depuis plusieurs mois ? Cahuzac a "de l’affection" pour le locataire de l’Élysée qu’il a connu quand ce dernier n’était qu’un jeune inspecteur des finances. "Je n’ai jamais voulu que cette amitié le gêne." Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on regarde d’un œil curieux cette pâque politique "à l’américaine", jouée à la manière d’une catharsis. "Les gens ont envie de cicatrices, mais quelle est la motivation derrière ?" Aucun mouvement politique, à gauche comme en Macronie, n’envisage de l’aider. L’homme reste politiquement radioactif. Dans le Lot-et-Garonne, ses soutiens mais aussi ses adversaires se veulent moins catégoriques. Sa déambulation d’une heure à Monsempron-Libos s’est si bien déroulée qu’il s’est lui-même dit étonné de ne pas avoir été chahuté plus que de mesure.

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Le patron des députés socialistes Boris Vallaud ne peut s’empêcher un haut-le-cœur : "Pourquoi les médias parlent-ils plus des morts que des vivants ?" Jérôme Cahuzac se croit plus en vie que jamais. Il a "purgé" sa dette, assène-t-il. A-t-il oublié son bobard ? "Moralement, il restera celui qui a menti devant la représentation nationale, qui a menti à sa famille politique, qui m’a menti, qui a menti à tout le pays", a rappelé François Hollande sur France Info, le 27 novembre. Cahuzac, qui restera comme l’un des plus grands menteurs dans l’histoire de la République, a-t-il un jour cru qu’on faisait de la politique avec de la morale ? "Les lois écrites doivent être respectées, je le sais d’autant plus que j’ai payé pour ne pas l’avoir fait, estime-t-il. Mais s’il existe une loi supérieure à toutes les autres en politique, c’est bien le vote des électeurs. Personne ne peut préjuger de ce que serait leur décision." Appuyez-vous sur des principes, ils finiront par s’écrouler, disait Talleyrand.

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