Thermidor : comment s’est déroulée la chute de Robespierre | Historia
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Thermidor : comment s’est déroulée la chute de Robespierre

Au matin du 27 juillet 1794, Robespierre rejoint la Convention nationale, pour une séance parlementaire qui s’annonce particulièrement houleuse. De fait, il ignore que ce sera sa dernière matinée d’homme libre.

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En 1793, l’Assemblée nationale déménage à la salle des Machines du palais des Tuileries. Une annexe de la Comédie-Française idéale pour accueillir la tragédie qui va se dérouler. La Chute de Robespierre à la Convention, de Max Adamo (1837-1901). Nationalgalerie, Berlin. (SUPERSTOCK-AURIMAGES)

Par OLIVIER COQUARD

Publié le 3 mai 2024 à 07:01

Acte I : l’inévitable affrontement

La veille, Maximilien Robespierre était revenu à la Convention nationale, dont il s’était absenté pendant plusieurs semaines. Il y avait prononcé un discours dans lequel se trouvaient énoncées des menaces contre ceux qui freinaient l’action de ce gouvernement ou, au contraire, la dénaturaient. Ces menaces à peine voilées avaient suscité colère et peur parmi les députés, en particulier ceux qui étaient le plus évidemment visés par Robespierre, comme Cambon, Tallien ou Panis.
Le retour de Robespierre à la Convention s’était donc terminé par la manifestation éclatante de nombreuses oppositions à l’Incorruptible : de la part des députés modérés de la Plaine (ou du Marais pour les Montagnards), parmi lesquels siégeaient nombre d’anciens Girondins ; mais aussi de certains Montagnards en danger, comme Joseph Fouché. Par ailleurs, au sein même du Comité de salut public, son autorité était contestée par Carnot ou Collot d’Herbois. Robespierre avait quitté la séance, furieux, et s’était rendu au club des Jacobins.
Là, il avait répété son discours sous les applaudissements et même obtenu la radiation de Collot et Billaud-Varenne. Il était ensuite revenu au Comité de salut public, à la fois rasséréné par le soutien du club et conscient de la menace qui pesait sur lui : toutes ces peurs contradictoires pouvaient en effet se coaliser et le conduire à la guillotine, lui et ses fidèles.

Acte II : la nuit des crises

De fait, au comité, le début de la nuit est extrêmement tendu. Robespierre l’a déserté depuis six semaines, ce que lui reproche Fouquier-Tinville. Lui choisit de rester froid, neutre, et se tient en retrait quand Saint-Just est attaqué par Collot et Billaud. Fidèle de Robespierre, comme Couthon, Saint-Just revient d’une mission aux armées où son efficacité a été démontrée par une série de victoires remportées en Belgique – mais cette efficacité s’est fondée sur des mesures contrariant les choix de Carnot, « l’organisateur de la victoire » ; Carnot fait donc aussi partie de ceux qui sont réticents devant la « tyrannie » des « triumvirs » du comité, Saint- Just, Couthon et Robespierre. Celui-ci a quitté le comité quand Saint-Just annonce qu’il présentera le lendemain à 10 heures un rapport sur la situation de l’opinion publique au comité, avant de le soumettre à la Convention. Robespierre est déjà rentré chez les Duplay, à quelques pas du Louvre, où se réunit le comité.

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Pas de complot cohérent contre Robespierre mais des improvisations successives

La nuit du 8 au 9 thermidor, des rencontres entre ceux qui souhaitent la chute, et donc la mort, de Robespierre et de ses alliés sont avérées. Chez Cambon ? chez Barère ? Des conciliabules ont eu lieu, rendus d’autant plus urgents que des rumeurs bruissent de « listes de proscription » que Robespierre aurait déjà dressées pour se débarrasser de ceux qu’il pense traîtres (comme Collot), corrompus (comme Tallien), incompétents (comme Cambon) ou criminels (comme Carrier). Il y a nombre d’anciens représentants en mission, des membres de tous les « grands comités », celui de salut public et celui de sûreté générale ; des Montagnards, d’anciens Girondins, des membres de la Plaine. Cependant, il n’y a pas de complot cohérent construit par Tallien, Barère ou Fouché. Ces hommes se rencontrent et discutent. Les discussions ont conduit, pour un grand nombre de Conventionnels, à la certitude qu’il faudrait profiter de la séance du 9 pour faire définitivement taire l’Incorruptible.
Il n’y a donc pas eu de complot, mais des improvisations successives qui se sont combinées pour aboutir à la sanglante conclusion de cette terrible journée. Robespierre et ses amis ont tout autant improvisé.
Chez les Duplay, Robespierre est en famille depuis 1791 : le père, entrepreneur aisé, fait partie de l’élite du club des Jacobins et siège comme juré au Tribunal révolutionnaire. Des deux filles de la maison, Éléonore et Élisabeth, cette dernière a épousé un des plus fidèles amis de Robespierre, le député Philippe Le Bas. Les deux femmes témoignent une fervente
admiration à l’Incorruptible, et il est probable qu’Éléonore, l’aînée, fait plus que l’admirer : elle l’aurait aimé, la réciproque ayant été possible. Quoi qu’il en soit, elle s’occupe avec une ferveur presque religieuse de son confort, de ses repas, de ses vêtements même. C’est elle qui, semble-t-il, prépare les tenues impeccables qui le rendent si reconnaissable.

Acte III : fureur à la Convention

Le matin du 9 thermidor, Maximilien se rend donc à nouveau au palais des Tuileries. Il y rencontre peut-être Saint-Just et Fouquier-Tinville, accusateur public du Tribunal révolutionnaire, pour finaliser la liste des Conventionnels à mettre en accusation. Saint-Just, en tout cas, choisit d’envoyer au Comité de salut public, réuni comme chaque matin au Louvre, un billet annonçant qu’il réserve en fait la primeur durapport annoncé la veille à la Convention : cette information plonge Collot et Billaud, qui se savent sur la sellette, dans une anxiété intense.
Il est difficile de savoir si le comité s’est séparé et si ses membres menacés se sont concertés avec les députés les plus en danger. Un certain nombre d’entre eux, dont Billaud, arrivent toutefois à la Convention après le discours de Saint- Just. La séance de la Convention a commencé à 11 heures : le roulement normal fait que la présidence en revient précisément à Collot d’Herbois. Robespierre entre dans une salle où, d’emblée, il sait qu’il est en danger malgré la présence d’un public nombreux, souvent acquis à sa cause, dans les tribunes. Or seuls 300 députés sont présents sur les 749 : il manque les représentants en mission (donc beaucoup de Montagnards qui auraient pu soutenir Robespierre) et beaucoup de Conventionnels, retenus en province ou simplement soucieux de ne pas être impliqués dans une séance qui promet d’être tragique.
Lecture est d’abord faite des correspondances envoyées à la Convention ; on annonce des victoires, des récoltes prometteuses… Et à midi, Saint-Just monte à la tribune pour lire son rapport. Il évoque d’emblée une « altération politique » dans le gouvernement. Tallien l’interrompt alors, furieux. Il est l’un des Conventionnels les plus menacés après sa sanglante mission à Bordeaux. De plus, il est déjà attaqué : sa maîtresse, Thérésa Cabarrus, emprisonnée depuis quelques jours, a comparu le matin même devant le Tribunal révolutionnaire et sa tête est prête à tomber.
Tallien exige que « le rideau soit déchiré » au moment où les membres du Comité de salut public, leur réunion inquiète terminée, rejoignent la Convention. Les archives parlementaires, qui fournissent le compte rendu le plus exhaustif des débats (il y a plusieurs secrétaires qui prennent en note la totalité de ce qui se dit et des réactions de l’assemblée !), permettent de s’y retrouver quelque peu dans un chaos assez indescriptible.

L’Incorruptible à la tribune, empêché par les cris des députés

Robespierre ne peut absolument pas s’exprimer au cours de cette séance : chacune de ses tentatives est interrompue par des clameurs où le mot « tyran » revient systématiquement. Billaud-Varenne coupe Tallien et dénonce la traîtrise de Saint-Just, qui avait promis qu’il présenterait son rapport en priorité au comité.
Il accuse Robespierre de tyrannie ; il demande dans la foulée l’arrestation d’Hanriot, commandant en chef de la Garde nationale parisienne, ainsi que celle de Fouquier-Tinville.
Robespierre monte à la tribune pour répliquer, mais il en est empêché par les cris des députés. Vadier, député proche des hébertistesvexécutés en mars précédent, rappelle alors l’affaire Catherine Théot, une sorte de prophétesse qui a vu dans Robespierre un messie – façon pour lui d’insinuer que Robespierre veut instaurer une monarchie mystique, d’autant que l’Incorruptible a gracié Théot. Tallien revient à la charge, soutenu par Thuriot, qui a succédé à Collot à la présidence : quand Robespierre, toujours à la tribune, tente de reprendre la parole, Thuriot lui rappelle qu’elle ne lui sera donnée qu’à son tour. Il a peu apprécié, sans doute, de s’entendre dire par Robespierre : « De quel droit le président protège-t-il les assassins ? » Dans le tumulte, les secrétaires notent que Robespierre dénonce les « brigands », les « traîtres » ; mais lui, dont les discours à la Convention étaient le plus souvent reçus,
depuis l’été 1793, dans un silence de cathédrale, ne parvient pas à se faire entendre.

Acte IV : la marche au supplice

Louis Louchet, un ancien dantoniste, demande alors un décret d’arrestation contre Robespierre. La demande émane donc d’un obscur député montagnard, sans lien particulier avec Tallien, Barras ou Fouché. Il a accusé le tribunal de l’Aveyron de « modérantisme » et, cependant, a régulièrement marqué son opposition à Robespierre. Ce dernier peut alors compter ses fidèles les plus indéfectibles. Son frère, Augustin, se lève en premier : « Je suis aussi coupable que mon frère ; je partage ses vertus, je veuxaussi partager son sort. Je demande aussi le décret d’arrestation contre moi. » Billaud intervient pour accélérer le processus ; Couthon tente en vain de protester. Thuriot met le décret d’arrestation aux voix, à main levée. Il le déclare adopté à l’unanimité, ce qui est évidemment absurde. « Vive la République ! » s’écrient les députés, auxquels Robespierre réplique : « La République ? Elle est perdue : les brigands triomphent ! »
Pierre-Florent Louvet, autre député plutôt discret, siégeant en général sur les bancs de la Plaine, demande l’arrestation des deux autres « triumvirs », Couthon et Saint-Just. Alors une nouvelle voix s’élève, celle de Le Bas : « Je ne veux pas partager l’opprobre de ce décret. Je demande aussi mon arrestation. » Après Fréron, un ancien hébertiste, Lacoste, membre du Comité de sûreté générale, demande à son tour l’arrestation des cinq députés. Le décret finalement adopté est présenté au nom du Comité de salut public par Barère : sept autres noms sont décrétés d’arrestation, dont celui d’Hanriot.
Dans le tumulte, les membres du comité se sont concertés pour élaborer une liste des chefs révolutionnaires parisiens fidèles à Robespierre. Il est 17 heures quand les cinq dépu-tés sont conduits au Comité de sûreté générale (dans le palais des Tuileries, donc dans le même bâtiment), alors que dans Paris le tocsin sonne et que la mobilisation a commencé… La Commune de Paris, dès la nouvelle connue, a voté l’insurrection pour libérer les patriotes ; elle a aussi interdit à toutes les prisons parisiennes d’accepter de nouveaux détenus.

Robespierre est libéré de prison puis escorté par les sans-culottes

La soirée du 9 et la nuit sont marquées par une succession d’hésitations et de maladresses parfois confondantes. Hanriot veut ainsi aller délivrer les députés, sans attendre ses troupes. Tout seul ou presque. Il arrive aux Tuileries vers 18 heures et, évidemment, les gendarmes en faction le saisissent et l’envoient rejoindre les cinq députés arrêtés…
Robespierre est refusé à la prison du Luxembourg. Il est alors conduit à la mairie, quai des Orfèvres, où, sous les vivats des sans-culottes, il est officiellement libéré. Saint-Just, Couthon, Le Bas et Augustin Robespierre sont ensuite libérés chacun de leur prison à l’annonce qui arrive de la mairie. Augustin rejoint l’Hôtel de Ville, où siège la Commune, place de Grève. Il
constate une forte mobilisation de la Garde nationale (17 bataillons sur 30) avec 32 canons.
Maximilien refuse dans un premier temps de rejoindre l’Hôtel de Ville ; depuis la mairie, il envoie pourtant un billet à l’Hôtel de Ville demandant l’arrestation des députés traîtres.
En fait, plusieurs centaines d’hommes sont déjà devant la Convention, dirigés par Coffinhal, qui a délivré Hanriot – mais l’ordre de Robespierre, signé aussi par la Commune, n’arrive pas sur place. Et les émeutiers se retirent, triomphants, et reviennent à l’Hôtel de Ville. Les Conventionnels ont donc le temps d’une part de faire appeler des troupes fidèles (armée, Garde nationale de l’Ouest parisien) ; d’autre part, de faire mettre hors la loi les insurgés (ils pourront être exécutés sans jugement) ; enfin, de confier un commandement militaire à Barras, qui s’adjoint entre autres Bourdon de l’Oise et Tallien. Tous ceux qui, par la suite, revendiquent la gloire d’avoir fait tomber Robespierre…

Épilogue : la boucherie thermidorienne

La fin de la nuit voit Robespierre incapable de prendre les décisions efficaces à temps. Il laisse passer le créneau de quelques heures où il pouvait ordonner l’assaut sur la Convention avec une chance sérieuse de succès. Mais il ne peut s’y résoudre. Maximilien finit tout de même, à l’appel pressant de son frère et de la Commune, par venir à l’Hôtel de Ville, puis Le Bas, Saint- Just et enfin Couthon rejoignent les Robespierre.
Il est minuit. On débat longuement sur la liste des députés à arrêter, cependant que les troupes, mobilisées depuis plusieurs heures, s’impatientent et se retirent peu à peu. La place de Grève est vide quand, vers 2 heures, les troupes de la Convention l’envahissent sous la direction de Bourdon. Elles entrent dans l’Hôtel de Ville sans coup férir : le mot de passe leur a été communiqué par un aide de camp d’Hanriot.
Alors que Robespierre commence seulement à rédiger une proclamation appelant à l’insurrection, il voit les ennemis grimper l’escalier central, il voit Le Bas se suicider, il voit
son frère se jeter par une fenêtre, il voit le paralytique Couthon précipité dans l’escalier, il prend un pistolet pour ne pas être pris vivant ; un gendarme, Merda, parvient à détourner le canon. Seule la mâchoire de l’Incorruptible est fracassée. Saint-Just, hautain, s’est laissé arrêter sans résistance. Après que les blessés ont été soignés, les 22 hors-la-loi sont présentés au Tribunal révolutionnaire le matin du 10. Fouquier- Tinville enregistre leurs noms puis ils sont conduits à la guillotine. Robespierre, dernier à être exécuté, a hurlé de douleur quand le bourreau a retiré d’un coup sec la bande qui maintenait en place sa mâchoire. Dans les jours suivants, 107 robespierristes sont guillotinés : la plus grosse charrette de la Terreur est donc celle qui conduit l’Incorruptible à la mort.

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Note de l’auteur

« Les dernières heures de Robespierre ont fait l’objet d’innombrables témoignages, souvent contradictoires, que complètent les rapports de police, les procès-verbaux de la Convention, les articles de journaux… Nombre de débats restent ouverts, depuis les conditions exactes dans lesquelles Robespierre fut blessé à la mâchoire jusqu’à la nature du mouvement qui, à la Convention, le fit décréter d’accusation (coup plus ou moins préparé ? enchaînement d’improvisations ?). Au milieu de ces incertitudes, j’ai tenté de suivre cet homme qui part de chez les Duplay et pénètre à la Convention. »

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