Éric Naulleau dans le JDD : George Orwell à Paris ou la naissance d’un écrivain
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Éric Naulleau dans le JDD : George Orwell à Paris ou la naissance d’un écrivain

ENQUÊTE. Avec « Orwell à Paris », Duncan Roberts nous plonge dans le Paris sordide d’avant le krach de 1929, quand le futur auteur de « 1984 » faisait la plonge pour survivre. Passionnant.

Éric Naulleau
Éric Naulleau
Éric Naulleau © VIM/ABACA

À un siècle de distance, pourquoi suivre les traces parisiennes d’un homme qui n’avait pas encore choisi de s’appeler George Orwell ? Et pourquoi vouloir retrouver la véritable identité de son compagnon de mistoufle, le Boris de Dans la dèche à Paris et à Londres, premier livre de l’auteur paru en 1933 ? Pour Duncan Roberts, tout commence dans les cuisines d’un restaurant australien : la « crasse repoussante » des lieux lui rappelle les descriptions faites par Orwell des établissements où il trimait du temps de son séjour dans la capitale française.

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De juin 1928 à décembre 1929, le futur écrivain explora l’envers du décor, les bas-fonds de certains palaces dont les noms furent changés par crainte de poursuites judiciaires. Pas de quoi décourager Roberts, sa minutieuse enquête rétablit la vérité des faits, des dates et des enseignes. Passionnant d’un bout à l’autre, Orwell à Paris vaut par sa reconstitution d’une ville qui ne sera plus jamais la même après le krach de 1929 et le départ d’une grande partie de la colonie américaine.

Par quelques hypothèses séduisantes aussi. Une tante d’Orwell vivait ainsi dans le 12e arrondissement, mariée à un militant espérantiste. Se pourrait-il que l’espéranto ait servi de modèle à la novlangue parlée dans 1984 ?

Et surtout par l’exploration de deux mondes parallèles, celui des archives en tous genres et celui de la communauté russe chassée par la révolution bolchevique, où l’enquêteur du temps passé finit par découvrir que Boris se nommait en réalité Anatole Kupper. Personnage dont le destin reste indissociable de l’extravagante épopée du corps expéditionnaire russe débarqué à Marseille en mars 1916 après avoir parcouru la moitié du globe.

D’abord triomphalement accueillies, ces troupes se changent bientôt en ennemis de l’intérieur : « Des rumeurs selon lesquelles le gouvernement de Lénine négocie un armistice avec l’Allemagne commencent à circuler. Bientôt, la France se retrouve dans la situation ubuesque d’avoir sur son sol des milliers de soldats qui ne sont plus, de fait, des alliés. Un double jeu s’engage alors : le gouvernement français tente de négocier le rapatriement des soldats avec les bolcheviques tout en envoyant des armes et des hommes pour aider ceux qui veulent les chasser du pouvoir. »

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Au milieu de cette confusion générale, Anatole Kupper disparaît dans la nature et apprend les diverses manières de survivre par mauvais temps, un savoir dont il fera bénéficier son colocataire quand tous deux goûteront de la vache enragée dans une chambre d’hôtel sordide de la rue du Pot-de-Fer. En dépit du formidable travail d’élucidation de Duncan Roberts, bien des questions restent sans réponse.

Pourquoi Orwell ne vint-il jamais chercher secours auprès de sa riche parente, pourquoi préféra-t-il s’adresser à « Ma tante » (l’autre nom du Mont-de-Piété) plutôt qu’à sa tante ? Anatole sut-il qu’il était devenu un personnage de roman ?

On voudrait le croire, mais « même si le Russe a pu, à l’occasion, passer devant une vitrine où l’un des livres de son ami était exposé, il n’aurait eu aucune raison de soupçonner que ce George Orwell était l’Anglais longiligne avec lequel il avait partagé des repas frugaux. Eric Blair était devenu l’écrivain qu’il avait voulu devenir à Paris ».


Orwell à Paris Duncan Roberts, Récit, Exils, 240 pages, 22 euros.

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