POINT DE VUE. « Mai 1968 - mai 2024 »
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POINT DE VUE. « Mai 1968 - mai 2024 »

« Le mouvement étudiant de soutien à la cause palestinienne peut-il être comparé à mai 68 ? » se demande le sociologue Michel Wieviorka. Pour en conclure que ce qui peut les rapprocher est moins décisif que ce qui les distingue.

Un rassemblement d’étudiants en soutien à la Palestine, le 2 mai dernier, place du Panthéon, à Paris.
Un rassemblement d’étudiants en soutien à la Palestine, le 2 mai dernier, place du Panthéon, à Paris. | AFP/STEPHANE DE SAKUTIN
  • Un rassemblement d’étudiants en soutien à la Palestine, le 2 mai dernier, place du Panthéon, à Paris.
    Un rassemblement d’étudiants en soutien à la Palestine, le 2 mai dernier, place du Panthéon, à Paris. | AFP/STEPHANE DE SAKUTIN

« Le mouvement étudiant de soutien à la cause palestinienne peut-il être comparé à mai 68 ? Une formule célèbre de Marx (à propos du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, en 1851) nous met en garde : « Hegel remarque quelque part que tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. »

En 1968, le climat général comportait une forte opposition à l’engagement américain au Vietnam. Mais quelles en étaient les implications géopolitiques ? Il y avait alors sinon une certaine cécité, du moins un paradoxe : la mobilisation en faveur des combattants communistes était portée par des militants dont beaucoup ne s’étaient jamais reconnus dans le Parti communiste, ou en étaient sortis sur sa gauche. Et dix ans plus tard, certains d’entre eux se sont retrouvés avec Bernard Kouchner (alors connu comme French Docteur), Alain Geismar (leader enseignant en mai 68), et les « nouveaux philosophes » pour lancer l’opération « Un bateau pour le Vietnam », dont l’objectif était de recueillir en mer de Chine les « boat people » fuyant le régime communiste du Vietnam. Il y a aujourd’hui aussi un aveuglement du mouvement en matière géopolitique : lié à l’Iran et à ses « proxys », le Hezbollah libanais, les Houtis du Yémen, le Hamas est islamiste, et pas seulement national.

Projection distordue

En 1968, la portée du mouvement étudiant, en France, était avant tout sociale et culturelle ; il ouvrait une « brèche » dans un système politique sclérosé, ont dit à chaud Edgar Morin, Claude Lefort et Cornelius Castoriadis. Il contestait la société de consommation, ou celle du spectacle, il voulait libérer la télévision à la botte du pouvoir, il mettait en cause l’université, ses « mandarins », et le mode de production et d’appropriation des connaissances. Il avait une forte dose d’utopie, se projetait avec confiance vers l’avenir – Alain Touraine a parlé de « communisme utopique » à son sujet –, il portait en lui les germes des mouvements féministes et écologistes des années suivantes. Rien de tel, aujourd’hui, ou bien peu : la contestation est essentiellement la projection distordue des problèmes du Proche-Orient sur le sol français.

De la critique au projet de destruction

Souligner l’injustice subie par le peuple palestinien depuis 75 ans, et la barbarie de la politique de Netanyahu après le 7 octobre 2023 est largement fondé. Cela cesse de l’être lorsque cela devient un soutien au Hamas au point de négliger l’attaque terroriste qui a déclenché la guerre israélienne à Gaza, et d’adopter le projet de destruction pure et simple de l’État hébreu : passer de la critique d’un gouvernement à la demande de suppression de l’État concerné, c’est franchir un cap ; refuser l’existence d’Israël, c’est demander pour l’État des Juifs un traitement exceptionnel. Or qui mettra en cause l’existence de la Corée du Nord du fait du dictateur Kim Jong-un, ou celle de l’Iran en raison de la brutalité des mollahs et des ayatollahs ? Sous couvert d’antisionisme, le mouvement actuel flirte avec l’antisémitisme. Celui de 1968 défilait en scandant « nous sommes tous des Juifs allemands » en soutien à Daniel Cohn-Bendit, le leader étudiant.

En mai 68, malgré les réticences des appareils communistes (PCF et CGT), les ouvriers avaient rallié massivement le mouvement et déclenché une grève impressionnante. La contestation actuelle ne mobilise guère au-delà de la jeunesse étudiante ; tout au plus est-elle soutenue par La France insoumise et l’extrême-gauche, et bénéficie-t-elle d’une sympathie contenue de la part de syndicats plus ou moins radicalisés.

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N’allons donc pas trop vite pour comparer 1968 et 2024 : ce qui les rapproche est moins décisif que ce qui les distingue. »

Michel Wieviorka. | ARCHIVES DANIEL FOURAY, OUEST-FRANCE
Michel Wieviorka. | ARCHIVES DANIEL FOURAY, OUEST-FRANCE

(*) Sociologue. Dernier ouvrage publié « La dernière histoire juive », novembre 2023, Denoël.

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