La Mission : critique du Tom Hanks des hautes plaines sur Netflix
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La Mission : critique du Tom Hanks des hautes plaines sur Netflix

Par Antoine Desrues
10 février 2021
MAJ : 10 mars 2021
29 commentaires

De Vol 93 à Capitaine Phillips en passant par la saga Jason BournePaul Greengrass a passé sa carrière à ausculter les fractures géopolitiques d’un monde en pleine mutation, avec en son centre une Amérique en quête d’identité. Dès lors, il n’est pas si étonnant de voir le réalisateur quitter un instant le XXIe siècle pour recentrer ses thématiques phares au cœur d’un néo-western crépusculaire porté par Tom Hanks. Et même si sa sortie salle est sacrifiée par Universal au profit d’une distribution sur NetflixLa Mission ne perd rien (ou peu) de son ambition, signant au passage le renouveau bienvenu de son cinéaste.  

Photo Helena Zengel, Tom Hanks

Walker Texas Reader

Pour beaucoup, Paul Greengrass est l’un des fossoyeurs du cinéma d’action moderne. Issu du documentaire, le monsieur a façonné sa filmographie au travers d’une caméra à l’épaule immédiatement reconnaissable, souvent accompagnée d’un montage aussi elliptique que spatialement éclaté. Bien entendu, Hollywood a surtout profité de l’effet de style pour torcher des séquences de combats illisibles en quelques jours de tournage, mais Greengrass a toujours exploité ce filmage guérilla de manière réfléchie.

En multipliant les angles et les points de vue, son cinéma est devenu un pur kaléidoscope, la toile d’araignée d’un monde omniscient et ultra-connecté, mais qui a paradoxalement perdu tout sens de la focalisation. Ses personnages sont souvent trompés, voire aveuglés, en particulier dans Vol 93, où les responsables de l’aviation ne comprennent pas que les événements tragiques du 11 septembre sont en train de se réaliser sous leurs yeux.

 

photo, Tom Hanks, Helena ZengelWay doooooown we go

 

C’est pourquoi, en passant au western, Greengrass a trouvé une opportunité en or de revenir à une œuvre focalisée, consciente de l’héritage visuel du genre et de sa précision chirurgicale.

Adapté du roman Des nouvelles du monde de Paulette Jiles, La Mission se déroule cinq ans après la Guerre de Sécession (en 1870 précisément), et raconte l’histoire du Capitaine Jefferson Kyle Kidd, un “rapporteur public” qui sillonne le pays pour lire les journaux au peuple. Sur son trajet au cœur d’un Texas meurtri par sa défaite, il rencontre Johanna, une jeune fille d’origine allemande élevée par la tribu des Kiowa depuis son enlèvement. L’ancien militaire se décide à la ramener à sa famille, tout en apprenant à comprendre cette enfant abandonnée, qui n’a jamais appris l’anglais.

 

photo, Tom Hanks, Helena ZengelCowboy contre fake news

  

Press Tour

Avec ce postulat autour des jeunes disparus de l’Ouest, Greengrass signe un joli film sur la communication, et assure une filiation avec John Ford et son chef-d’oeuvre La Prisonnière du Désert (mais aussi le sous-estimé Les Deux cavaliers, traitant également des kidnappings amérindiens). Que les détracteurs du cinéaste se réjouissent : il s’est payé pour l’occasion un tripode et une grue, afin de déployer des travellings classieux et des compositions aussi sobres que magnifiques, épaulées par la photographie rugueuse de Dariusz Wolski (Dark City, Pirates des Caraïbes, Prometheus…).

Pour autant, le réalisateur n’en oublie pas les fondamentaux de son style, et sa caméra tremblotante intervient par à-coups, afin de marquer le parcours laborieux des États-Unis vers un État de droit, qui porte en lui les séquelles de la xénophobie.

 

photo, Tom Hanks, Helena ZengelLa plume est plus forte que le flingue (ou pas…)

 

Ainsi, le long-métrage accentue sa métaphore en prenant les atours d’un road-trip sinueux. À plusieurs reprises, Kidd et Johanna mettent en opposition la figure de la ligne à celle du cercle. Faut-il privilégier l’éternelle avancée ou revenir en arrière pour mieux progresser ? Forcément, Paul Greengrass pousse son héros à faire un choix significatif, qui termine de faire de La Mission un film en quête de résonnance avec l’Amérique contemporaine, et les bafouements de la démocratie sous l’ère-Trump.

Certes, il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil, mais le cinéaste évite de forcer une réflexion trop anachronique. Il croit suffisamment à son histoire pour développer ses personnages avec élégance au cours de péripéties tendues et de rencontres plus ou moins chanceuses. Cependant, c’est aussi ce déroulement très programmatique qui empêche l’ensemble de transcender sa note d’intention. Si la fusillade principale du métrage se montre intéressante et anxiogène, elle souffre tout de même des limites scénographiques de Greengrass dans un genre très exigeant en la matière.

 

photo, Tom Hanks, Helena ZengelLa migration des films vers Netflix : allégorie

 

Un bon Hanks-iolytique

De toute façon, malgré son allégeance à l’héritage du western classique, le cinéaste construit moins son film sur les paysages d’un Grand Ouest à défricher que sur les visages de ses comédiens. Là où des réalisateurs comme Sergio Leone ont marqué leur mise en scène par le contraste d’échelles et l’utilisation parcimonieuse du gros plan, Greengrass ramène La Mission à une échelle intime, à une relation père-fille permettant à deux êtres brisés de se reconstruire. Il sonde avec sensibilité la finesse de jeu de son casting, en particulier la révélation Helena Zengel, qui parvient à magnifiquement transmettre son lourd passé dans son regard.

Et bien entendu, le réalisateur profite, après Capitaine Phillips, de retrouver un Tom Hanks ici magistral (mais ne l’est-il pas toujours ?), afin d’infuser une bonne dose de douceur et d’espoir. L’acteur navigue dans le récit telle une force tranquille et bienveillante, moins rapporteur d’informations que médiateur reprenant à son compte la tradition orale antique. En poussant les gens à se faire leur propre opinion sur ses lectures, Kidd défend à sa manière le besoin d’une presse libre et multiple. De ce point de vue, le film n’est pas toujours très finaud sur sa dimension politique, surtout au cours d’une séquence maladroite nous criant à la gueule “Fake news !”.

 

photo, Tom HanksLes annonces gouvernementales auraient plus de gueule si on les confiait à Tom Hanks…

 

Néanmoins, Greengrass a la bonne idée de contrebalancer sa tribune démocrate en présentant avant tout son héros comme un bonimenteur, un homme de divertissement qui permet à son public de s’évader au travers d’histoires plus ou moins sordides. Le réalisateur capte alors avec pas mal de délicatesse les réactions d’une foule qui retrouve le sourire en ces temps difficiles d’après-guerre.

La prestance de Tom Hanks aide à marquer la compassion de cet homme conscient du véritable pouvoir de son métier, bien qu’il trace également un parallèle évident avec sa performance dans le nécessaire Pentagon Papers. Certes, Paul Greengrass n’a pas le brio de Steven Spielberg, mais il signe une œuvre qui jouit de son humilité et de sa sincérité, tout en se permettant de renouveler et d’épurer sa mise en scène. Une belle introspection pour un western crépusculaire, dont l’ampleur aurait mérité d’être sublimée par le grand écran.

La Mission est disponible sur Netflix à partir du 10 janvier 2021.

 

Affiche officielle

Rédacteurs :
Résumé

Eminemment politique, La Mission aurait pu sombrer dans le pensum lourdingue sur la liberté de la presse. S’il évite certains pièges, il est avant tout un néo-western inspiré et sec, porté par l’humanité et l’alchimie de son duo d’acteurs. Une belle surprise.

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Platine

Film plutôt réussi à mes yeux qui sait prendre le temps sans mettre trop de pathos. Dommage que certaines scènes viennent un peu plomber le scénario : les scènes de l’emballement, du nuage de poussière ou de la ville de tueurs de bisons auraient pu être mieux réalisées… Les acteurs, le traitement de l’image et les paysages sont par contre un véritable plus dans ce film ! 3/5

Fossoyeur ??

J’ai eu un haut le coeur en lisant ce commentaire  » pour beaucoup PG est le fossoyeur du cinéma d’action moderne ».. FOSSOYEUR ??? Mais qui a osé ou ne serait ce que pensé ça ? Fossoyeur lui l’hyper talentueux réalisateur de la série Jason Bourne qui a au contraire redonner ses lettres de noblesse à l’art de la réalisation à l’heure où le cinéma d’action a littéralement été détruit phagocyté par les bouillies numériques que sont les Avengers, les reboots remakes de Jurassic world, Terminator 5 6, j’en passe il suffit de regarder tous les gros films de ces 10/15 dernières années. Vous avez déjà essayé de revoir 2 fois un film Marvel ? C’est bien simple c’est impossible. Au contraire P. G ne goutte pas du tout de ce pain là, son credo c’est la tension qui va crescendo et la réalisation hyper ficelée, avec une caméra qui certes bouge mais permet d’épouser magnifiquement des récits dynamiques. Les Jason Bourne sont au contraire des pépites de film d’action, les derniers de l’ancienne ère. FOSSOYEUR Paul Greengrass ?? je comprends enfin l’expression j’aurais préféré me casser une jambe ce matin plutôt que de lire çà.

Alberto

Navet du début à la fin il y a mieux à faire, que de regarder une pareille purge.

Pat Rick

Un très beau film, une agréable surprise par contre je n’ai pas été aussi réceptif à la dimension politique de ce film.

Ckat kal

Certes le plaisir de retrouver Tom H est un peu gâcher, par un film conventionnelle, ou des le début on se doute que ses deux là vont avoir des soucis, mais que la fin sera bonne. Mais historiquement grand intérêt pour le traitement du Sud par le Nord après la guerre, et de voir aussi que jamais le Sud n’a accepté la défaite, jusqu’à nos jours.