Michel Sapin : « Les cadeaux ne sont jamais gratuits »

Michel Sapin : « Les cadeaux ne sont jamais gratuits »

ENTRETIEN. Une interview de Noël de Michel Sapin, on en rêvait, comme on forme un vœu du Nouvel An. Adepte de l'autodérision, il a relevé le gant. Féroce et croustillant.

Propos recueillis par

Temps de lecture : 9 min

Avant que les SMS remplacent les courriers manuscrits, l'ancien ministre de l'Économie et des Finances avait coutume d'envoyer chaque année une carte de vœux agrémentée d'un conifère. Quand on lui a proposé cet entretien, ce proche de François Hollande, qu'on sait grand amateur d'humour, y a vu l'occasion de délivrer quelques coups d'aiguille bien sentis sur la gestion de crise d'Emmanuel Macron. « Les cadeaux, prévient-il, ne sont jamais gratuits. »

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Le Point : Michel Sapin, vous êtes une vieille branche de la politique, sans vous faire offense, quel regard portez-vous sur ces Marcheurs arrivés au pouvoir triomphants, avec l'ambition de ringardiser leurs prédécesseurs ?

Michel Sapin : Même sur de vieilles branches, il peut y avoir de jeunes pousses ! Il ne faudrait pas que ces jeunes pousses pensent qu'il n'y avait rien avant elles, pas d'autres arbres qui avaient poussé, agi et s'étaient confrontés à la neige, au vent et aux tempêtes. Toute nouvelle pousse est le produit d'une graine, qui est elle-même le produit d'un plus vieil arbre…

François Hollande non plus ne fait pas de cadeau à son successeur !

Avez-vous le sentiment qu'Emmanuel Macron a déposé quelque offrande que ce soit au pied du sapin de François Hollande lors des Noël précédents pour saluer non pas son action, mais au moins sa courtoisie et le remercier de lui avoir fait la courte échelle ? L'ancien président n'est pas dans la revanche, ce n'est pas dans son attitude, mais il n'est pas obligé non plus d'être dans l'oubli total.

Macron qui dîne avec ses rois mages – Jean Castex, Christophe Castaner, Richard Ferrand, etc. – en plein couvre-feu, c'est le fait du prince ?

Un président qui interromprait son action parce qu'il y a des risques sanitaires ne serait pas à la hauteur de sa tâche. Je ne suis absolument pas choqué qu'il poursuive ses activités et ses rendez-vous, dès lors qu'il le fait en respectant les règles de distanciation et les gestes barrières. L'arrêt de toute activité – c'est valable pour le gouvernement comme pour l'économie du pays – serait le pire de tout.

Face à la crise sanitaire, l'exécutif et son conseil scientifique se retrouvent-ils comme des lutins qui auraient perdu leur chemin ?

Pour traverser une forêt, même un lutin a besoin de repères. La difficulté qu'ont tous les gouvernants face au Covid-19, c'est qu'ils sont au milieu de la forêt et plus ils avancent, plus c'est dense, sombre, et moins ils comprennent ce qui se passe. Peut-être que cela va s'éclaircir, je l'espère, avec l'arrivée des vaccins. En attendant, le lutin se retrouve avec trente-six guides qui lui montrent trente-six directions différentes et des vérités scientifiques qui se contredisent. Raison pour laquelle il faut certes s'entourer d'avis scientifiques, mais toujours faire prévaloir la responsabilité politique. Cela implique de prendre des risques.

Sur une île déserte, qu’est-ce qui est essentiel ? Avoir un livre !

Les Français ont été soumis à des décisions aux apparences contradictoires et technocratiques : il y a peu, on pouvait acheter son sapin (pardon), mais pas les guirlandes. Le pays a-t-il été plongé en absurdie ?

Je suis bien placé pour savoir que le sapin est un bien essentiel ! Oui, nous sommes en absurdie, mais je n'en ferais pas porter la seule responsabilité aux gouvernants, qui sont ballottés entre des avis contradictoires. Ce dont les Français ont besoin, c'est de rationalité, de cohérence, d'appel à leur intelligence, là où on a commencé à faire appel à la peur en déclarant : « C'est la guerre ! » Il faut leur expliquer en quoi il serait plus dangereux d'être dans une salle de spectacle avec un public clairsemé que dans un grand magasin où la foule se presse. Pourquoi un livre serait plus dangereux et moins essentiel qu'une bouteille de vin ? Plus les crises sont profondes et porteuses d'incertitudes, plus il faut de sang-froid, de rationalité et ne jamais chercher à gouverner par la peur ni infantiliser les citoyens.

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Que dites-vous au monde de la culture, aux restaurants, bars et discothèques qui ont les boules (encore pardon) de ne pas pouvoir rouvrir ?

Les mots qui ont été choisis pour les désigner sont terribles. Pour un homme ou une femme de culture, être qualifié de non essentiel, c'est la pire des injures. Sur une île déserte, qu'est-ce qui est essentiel ? Avoir un livre ! Et dans une prison où l'on se retrouve seul en otage ? Avoir de la musique à écouter, plus encore qu'une bonne nourriture. Pourquoi le monde de la culture ne serait-il pas capable – il l'a montré – de se doter de règles sanitaires ?

Jean Castex porte le pompon, mais pas celui du Père Noël !

Quel regard portez-vous sur Jean Castex, qui a la désagréable mission de devoir enguirlander les Français à coups de restrictions et de couvre-feu ?

Si seulement les guirlandes étaient lumineuses et agréables à regarder, mais en plus elles changent tous les jours… Le poste de Premier ministre a toujours été un des plus insupportables de la Ve République, mais là, Jean Castex porte le pompon, mais pas celui du père Noël !

Les gouvernements sont contraints de vacciner la population avec peu de recul sur l'innocuité de ces remèdes. Est-ce qu'on ne met pas les rennes avant le traîneau ?

Tous ceux qui dispensent le doute sur la vaccination font reculer le traîneau. Il n'y a pas à avoir peur. On a besoin d'avancer face à l'épidémie. Personnellement, je me ferai vacciner dès que les soignants et les personnes les plus vulnérables l'auront été. À ma place et à mon tour.

Michel Sapin aime beaucoup l'humour... Et cela ne laisse pas insensible Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie de François Hollande.
 ©  SIPA / SIPASIPA
Michel Sapin aime beaucoup l'humour... Et cela ne laisse pas insensible Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie de François Hollande. © SIPA / SIPASIPA
Face à la crise économique, Macron s'est-il transformé en Père Noël qui distribue les cadeaux par milliards ?

C'est un Père Noël qui croit que sa hotte est sans fond et que personne ne paiera à la fin, alors que ce sont peut-être nos enfants qui devront payer. Je ne remets pas en question la nécessité dans la période que nous traversons d'avoir un État très actif, y compris sur le plan budgétaire, mais il ne faut pas donner à penser que tout ceci serait sans conséquence. Les cadeaux, les parents sont bien placés pour le savoir, ne sont jamais gratuits.

Les Français ne sont pas des dindes, ils savent qu'il faudra prendre des mesures difficiles pour solder la dette, sous peine de se faire enguirlander par nos partenaires européens… Faudra-t-il relever l'âge de départ en retraite, augmenter les impôts ? Vous avez été ministre de l'Économie, aiguillez-nous, Michel Sapin !

Le problème des aiguilles, c'est que ça pique. La première chose à faire est de retrouver de la croissance et d'éviter que trop d'entreprises se retrouvent au tapis avec des chômeurs à la clé, mais il faut aussi du sérieux budgétaire. Or, on dépense beaucoup et pas toujours sérieusement. En quoi était-il utile face à la pandémie d'accorder 20 milliards de baisses d'impôt à toutes les entreprises ? Aider celles qui souffrent, dans la restauration, la culture, les loisirs ou le tourisme, oui, mais pas toutes. On mesure aujourd'hui la gravité et l'injustice de la faute originelle d'Emmanuel Macron : le premier de cordée, le plus riche qu'il fallait récompenser en diminuant les impôts. La question des recettes va se poser rapidement. Je ne prendrai pas une aiguille de sapin pour dire qu'il faudra augmenter les impôts de tous les Français, mais plus de solidarité fiscale me paraît indispensable, afin que ceux qui ont le plus d'aisance contribuent davantage. Ça aurait dû faire partie des cadeaux de Noël.

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Le parcours du président va être semé d'embûches s'il veut être réélu. Ça sent le sapin, selon vous ?

Je n'ai jamais compris cette expression, même si j'en connais le sens… Le sapin est un des parfums agréables de Noël, dès lors bien sûr qu'on ne choisit pas un sapin artificiel. Je ne sais pas si ça sent le sapin ou pas pour Emmanuel Macron, mais l'enjeu pour lui va être de redonner de la confiance aux Français et de savoir se projeter dans l'avenir. La France n'a plus de chemin, elle ne sait plus où elle va. Le président doit retrouver sa boussole.

Il a opéré un virage régalien avec le projet de loi sur le séparatisme. En 2015, quand il était ministre de François Hollande, il déclarait que la France avait sa « part de responsabilité » dans le djihadisme. Il était un peu dur de la feuille, à l'époque ?

Le problème d'Emmanuel Macron, c'est qu'il ne part pas d'un socle de valeurs solides. Il est toujours dans l'adaptation aux situations et à ceux et celles qu'il a en face de lui. Sur ces questions de laïcité et de sécurité où tout est subtil, compliqué et déflagratoire, il lui manque une base de convictions. Sans cela, on ne peut pas avoir l'autorité nécessaire pour traiter ces sujets. On ne lutte pas contre l'insécurité en touchant aux libertés, mais avec des actes. De même, l'écologie, ce n'est pas changer la Constitution, mais des faits et des décisions.

Ces questions de laïcité tourmentent aussi la gauche, Mélenchon est-il le ravi de la crèche ?

S'il y a un rôle dans lequel je ne le mettrai jamais, c'est celui du ravi, même s'il peut parfois être content de lui ! Le ravi de la crèche, c'est l'innocent, et Jean-Luc Mélenchon n'a jamais eu de mots naïfs, il sait très bien ce qu'il dit. Les partis de gauche sont peut-être partagés, mais la gauche de gouvernement a des convictions fortes sur la laïcité : ni laïcité molle, ni laïcité intégriste. La gauche sociale-démocrate a su trouver le bon équilibre quand elle était en responsabilité, elle est parmi les mieux armées pour apporter des réponses fortes.

2022 à gauche : « Laissons faire la nature »

Le maire de Bordeaux Pierre Hurmic (EELV) a qualifié les sapins d'« arbres morts ». On espère que vous ne l'avez pas pris pour vous ! Les maires écologistes sont-ils en train de disqualifier leur parti pour diriger le pays à force d'outrances ?

La gauche doit être écologiste, c'est la première des solidarités vis-à-vis des générations futures, mais prenons garde de ne pas disqualifier cette noble cause avec des détails. Je peux vous dire que le sapin est un arbre bien vivant, et que les arbres sont aussi faits pour construire. En plus, c'est un bois tendre qui adoucit la vie, il n'a pas la dureté de l'ébène…

La « primaire citoyenne » de 2017 a conduit à la désignation de Benoît Hamon, à l'aile la plus à gauche du PS. Pour la présidentielle de 2022, la gauche doit-elle bûcher sur un nouveau système de départage ou laisser un candidat naturel émerger ?

La primaire a été un arbre superbe la première fois qu'on l'a utilisée, mais elle est devenue une broussaille dans laquelle tout le monde s'est perdu. Une primaire dans le contexte actuel risquerait d'être pervertie, par les ultras de gauche comme de droite sur les réseaux sociaux. Mieux vaut revenir à une vision raisonnable : il y a, dans une forêt, des arbres qui poussent ; parmi ces arbres, il y en a toujours un qui pousse plus vite et plus haut. Laissons faire la nature, même s'il faut que les arbres poussent vite, plus vite que le cycle naturel. Pour la clarté du débat politique, je souhaite aussi qu'un arbre pousse à droite et que la vie politique retrouve ses repères, que l'on sorte du « ni-ni », du « et-et », du « rien-rien ».

Quand vous voyez les partis de gauche qui partent en ordre dispersé pour 2022, ça vous met le moral dans les chaussettes ?

Oui, même si je suis un sapin qui porte des chaussettes roses !

Est-ce que François Hollande peut redevenir le roi des forêts ?

Je me souviens d'une photo de forêt qu'on m'avait envoyée avec des sapins du Jura, qui sont parmi les plus beaux. On voyait une grande pancarte qui indiquait comment trouver le sapin président. Le sapin président, c'est François Hollande. Ça ne veut pas dire qu'il doit de nouveau l'être demain, mais il fait partie de ces sapins qu'il faut respecter et dont il faut utiliser l'autorité, car ils sont des repères indispensables pour la gauche.

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Commentaires (92)

  • Aphroditechild

    Ah, M. Sapin à Bercy, fidèle ami de son Président "'normal" qui menait "sereinement" sa barque dans son Ministère avec à ses côtés un ex petit Ministre de l'Economie s'appelant E. Macron, bref, un "trio" très attachant qui se sont bien moqués pendant cinq années des Français. De grands apéros régulièrement le soir entre copains et copines socialistes sous le compte des contribuables alors que les "sans-dents" espéraient du socialisme le réconfort, le partage et la redistribution qui leur avaient été promis. Mais franchement, je ne comprends pas le manque d'humilité de ces ex Ministres qui s'en sortent sans aucune sanction d'avoir mis le pays dans un état de dette, de chômage, de désillusion et qui reviennent nous faire leur "show" avec leurs petites blagounettes insensées, sans aucune dignité.

  • dubato

    Ces deux mots vont bien ensemble, ils représentent les premières urgences auxquelles personne ne s'est vraiment attaqué. Mais qui le fera ? Pourra t il être élu ? Mais certainement pas réélu !

  • Rodolphe7

    Il ne sait même pas que l'arbre auquel il fait allusion "Le Président" est un épicéa et non pas un sapin.
    Un peu tard pour faire l'école forestière.
    Ce doit être assez dur de découvrir à la fin de sa vie qu'il l'a consacrée à un faussaire