Cannes 2024. « Kinds of Kindness » : Yorgos Lanthimos voit triple

Les mauvais esprits, qui n'ont pas toujours tort, considèrent le Grec Yorgos Lanthimos comme le prototype du cinéaste de festival, un de ces experts en fictions alambiquées et « auteuristes » qui conçoivent avant tout leurs films pour séduire les sélectionneurs et les jurys des grandes manifestations cinématographiques. Lanthimos a récemment donné du grain à moudre à ses détracteurs avec « Pauvres créatures », indigeste et prétentieuse variation hallucinée autour de Frankenstein, couronnée par un Lion d'or à Venise en septembre dernier. Huit mois plus tard le cinéaste est déjà de retour avec « Kinds of Kindness », film bien plus stimulant et convaincant qui concourt pour la palme d'or. S'il l'emportait le 25 mai, ce serait bien sûr la première fois qu'un réalisateur rafle successivement les récompenses majeures dans les deux festivals. Nous n'en sommes pas là.

Dans cette fiction inclassable conçue en triptyque et dont le titre est évidemment ironique (rien de « gentil » chez Lanthimos), le cinéaste provocateur, toujours soucieux de surprendre, voire de choquer, aligne trois moyens-métrages, vaguement reliés entre eux par quelques thématiques et figures de style et interprétés par les mêmes acteurs, en tête de liste le trio Emma Stone, Jesse Plemons et Willem Dafoe.

Délire sur trois étages

Premier temps : un homme asservi à son patron dans tous les domaines de sa vie - sexe, alimentation, lectures… - décide de se rebeller quand son boss dictatorial exige qu'il se rende coupable d'un accident mortel. En vain, peut-être.

Second temps, un policier se réjouit de voir réapparaître son épouse libertine disparue en mer, mais il doute que cette dernière, prête à se couper un doigt pour plaire à sa « moitié », soit vraiment son épouse. Pas forcément à tort.

Troisième temps : une femme qui fréquente assidûment les morgues recherche un candidat idéal pour devenir un pseudo-gourou religieux. Et surveille avec un oeil attentif les héroïnes qui se jettent dans des piscines vides.

Dans des décors majoritairement urbains et réfrigérants, Yorgos Lanthimos, quelque part entre Quentin Dupieux et Todd Solondz, cinéaste américain auteur, dans les années 1990 et 2000, de comédies glaçantes et transgressives (« Bienvenue dans l'âge ingrat », « Happiness »), concocte une fable sur l'asservissement, l'identité flageolante, le fanatisme…

Comme toujours dans l'univers stylisé du trublion grec, les affèteries et les longueurs (le film dure 2 h 45, soit une bonne heure de trop) ne pointent pas toujours aux abonnés absents, mais cette fiction inventive où l'humour absurde et le vacillement existentiel avancent main dans la main entraîne le spectateur dans son étrangeté cocasse et inquiétante. Un film où un patron psychopathe offre à ses employés modèles des raquettes de tennis brisées par John McEnroe lors de ses plus grands matchs, ne peut pas être complètement raté. « Kinds of Kindness », dans son genre, est même plutôt réussi.