Guy de Maupassant et le prisonnier monégasque - Nice-Matin

Guy de Maupassant et le prisonnier monégasque

En 1883, le grand écrivain Maupassant concurrença le romancier Courteline en racontant sa version de l’histoire du condamné à mort à qui on n’arrivait pas à couper la tête!

Article réservé aux abonnés
André Peyregne Publié le 13/05/2024 à 14:02, mis à jour le 13/05/2024 à 14:02
Guy de Maupassant Photo DR

Le 14 avril dernier, nous avons publié dans cette rubrique une nouvelle de Courteline racontant l’histoire d’un condamné à mort qui n’avait pas pu être exécuté à Monaco... faute de guillotine. La même histoire a été reprise à sa façon par l’écrivain Guy de Maupassant - sans que l’on sache quel écrivain s’est inspiré de l’autre. Il existe toutefois une différence: chez Courteline, le condamné est l’auteur d’un triple meurtre, tandis que chez Maupassant, il n’a tué qu’une seule personne: sa femme.

Le récit de Maupassant a été publié dans le journal parisien "Gil Blas" à la date du 10 avril 1883 sous le pseudonyme de Maufrigneuse derrière lequel le rand écrivain se cachait. Nous en publions de larges extraits.

Ni bourreau ni guillotine

"Un jour, un Monégasque, dans un moment de colère, tua sa femme. La Cour suprême se réunit pour juger ce cas exceptionnel (jamais un assassinat n’avait eu lieu), et le misérable fut condamné à mort. Il ne restait plus qu’à exécuter le criminel. Alors une difficulté surgit. Le pays ne possédait ni bourreau ni guillotine. Que faire? Sur l’avis du ministre des Affaires étrangères, le prince entama des négociations avec le gouvernement français pour obtenir le prêt d’un coupeur de têtes avec son appareil. De longues délibérations eurent lieu au ministère à Paris. On répondit enfin en envoyant la note des frais pour déplacement des bois et du praticien. Le tout montait à seize mille francs. Sa Majesté monégasque songea que l’opération lui coûterait bien cher; l’assassin ne valait certes pas ce prix. Seize mille francs pour le cou d’un drôle! Ah, mais non! On adressa alors la même demande au gouvernement italien. Un roi, un frère ne se montrerait pas sans doute si exigeant qu’une République. Le gouvernement italien envoya un mémoire qui montait à douze mille francs. Douze mille francs! Il faudrait prélever un impôt nouveau, un impôt de deux francs par tête d’habitant. Cela suffirait pour amener des troubles inconnus dans l’État."

Une Principauté sans prison

"On songea à faire décapiter le gueux par un simple soldat. Mais le général, consulté, répondit que ses hommes n’avaient peut-être pas une pratique suffisante. Alors le prince convoqua de nouveau la Cour suprême et lui soumit ce cas embarrassant. On délibéra longtemps, sans découvrir aucun moyen pratique. Enfin le premier président proposa de commuer la peine de mort en celle de prison perpétuelle; et la mesure fut adoptée. Mais on ne possédait pas de prison. Il fallut en installer une, et un geôlier fut nommé, qui prit livraison du prisonnier. Pendant six mois tout alla bien. Le captif dormait tout le jour sur une paillasse dans son réduit, et le gardien en faisait autant sur une chaise devant la porte en regardant passer les voyageurs. Mais le prince est économe et se fait rendre compte des plus petites dépenses accomplies dans son État (la liste n’en est pas longue). On lui remit donc la note des frais relatifs à la création de cette fonction nouvelle, à l’entretien de la prison, du prisonnier et du veilleur. Le traitement de ce dernier grevait lourdement le budget du souverain. Il fit d’abord la grimace; mais quand il songea que cela pouvait durer toujours (le condamné était jeune), il prévint son ministre de la Justice d’avoir à prendre des mesures pour supprimer cette dépense. Le ministre consulta le président du tribunal, et tous deux convinrent qu’on supprimerait la charge de geôlier. Le prisonnier, invité à se garder tout seul, ne pourrait manquer de s’évader, ce qui résoudrait la question à la satisfaction de tous."

Première édition de la nouvelle de Maupassant dans "Gil Blas" en 1883. Photo DR.

Pas de geôlier, il file au Casino

"Le geôlier fut donc rendu à sa famille, et un aide de cuisine du palais resta chargé simplement de porter, matin et soir, la nourriture du coupable. Mais celui-ci ne fit aucune tentative pour reconquérir sa liberté. Or, un jour, comme on avait négligé de lui fournir ses aliments, on le vit arriver tranquillement pour les réclamer; et il prit dès lors l’habitude, afin d’éviter une course au cuisinier, de venir aux heures des repas manger avec les gens de service, dont il devint l’ami. Après le déjeuner, il allait faire un tour, jusqu’à Monte-Carlo. Il entrait parfois au Casino risquer cinq francs sur le tapis vert. Quand il avait gagné, il s’offrait un bon dîner dans un hôtel en renom, puis il rentrait dans sa prison dont il fermait avec soin la porte, au dedans. La situation devenait difficile, non pour le condamné, mais pour les juges."

Une ultime solution

"La Cour se réunit de nouveau, et il fut décidé qu’on inviterait le criminel à sortir de Monaco. Lorsqu’on lui signifia cet arrêt, il répondit simplement: "- Je vous trouve plaisants. Eh bien, qu’est-ce que je deviendrai, moi? Je n’ai pas de moyens d’existence. Que voulez-vous que je fasse? J’étais condamné à mort. Vous ne m’avez pas exécuté. Je n’ai rien dit. Je fus ensuite condamné à la prison perpétuelle et remis aux mains d’un geôlier. Vous m’avez enlevé mon gardien. Je n’ai rien dit encore. "Aujourd’hui vous voulez me chasser du pays. Ah! mais non. Je suis prisonnier, jugé et condamné par vous. J’accomplis ma peine fidèlement. Je reste ici." Le prince eut une colère terrible et ordonna de prendre des mesures. On se remit à délibérer. Alors il fut décidé qu’on offrirait au coupable une pension de six cents francs pour aller vivre à l’étranger. Il accepta." Et c’est ainsi que, selon Maupassant, Monaco exerça son autorité.

Illustration de la nouvelle dans une édition de 1913. Photo DR.

Monaco vu par Maupassant

Au début de son récit, Maupassant fait cette description de Monaco: "Tous les Parisiens, ceux qui rentrent à Paris en cette saison, connaissent ce long chapelet de villes charmantes qui va de Marseille à Gênes. Il en est une particulièrement aimée ; mais celle-là est plus qu’une cité, c’est un royaume, un tout petit royaume. Perché sur un rocher fleuri, qui porte sur son dos un paquet de maisons blanches et son palais princier, le minuscule État de Monaco obéit à un souverain plus indépendant que le roi Makoko, plus autoritaire que S. M. Guillaume de Prusse, plus cérémonieux que feu Louis XIV de France. Sans peur des invasions et des révolutions, il règne en paix sur son heureux petit peuple, au milieu des cérémonies d’une cour où l’on fait encore la révérence. Il a son général et ses quatre-vingts soldats, son évêque, son clergé et toute la série des fonctionnaires à titres magnifiques qu’on doit toujours rencontrer autour des souverains absolus et convaincus de leur majesté..."

“Rhôooooooooo!”

Vous utilisez un AdBlock?! :)

Vous pouvez le désactiver juste pour ce site parce que la pub permet à la presse de vivre.

Et nous, on s'engage à réduire les formats publicitaires ressentis comme intrusifs.

Nice-Matin

Un cookie pour nous soutenir

Nous avons besoin de vos cookies pour vous offrir une expérience de lecture optimale et vous proposer des publicités personnalisées.

Accepter les cookies, c’est permettre grâce aux revenus complémentaires de soutenir le travail de nos 180 journalistes qui veillent au quotidien à vous offrir une information de qualité et diversifiée. Ainsi, vous pourrez accéder librement au site.

Vous pouvez choisir de refuser les cookies en vous connectant ou en vous abonnant.