Renaud Van Ruymbeke, le juge qui a dit non

par Valérie Lecasble |  publié le 11/05/2024

Indépendant et courageux, le juge d’instruction a enquêté contre vents et marées sur les grands scandales politico-financiers…

Il est le symbole d’une époque. Celle des années 1980 à 2 000 quand éclatent en France les grands scandales de la vie politique et financière. Renaud Van Ruymbeke, juge d’instruction mort d’un cancer à l’âge de 71 ans, faisait trembler les puissants.

L’affaire Boulin, du nom du ministre du Travail de Valéry Giscard d’Estaing retrouvé noyé dans un étang à la suite d’une transaction suspecte sur un terrain à Ramatuelle, le propulse à l’âge de 27 ans sur le devant de la scène politico-médiatique. Il enchaîne avec l’affaire Urba où, derrière des marchés publics truqués, surgit le financement occulte du Parti Socialiste dont le trésorier, Henri Emmanuelli, est inculpé. Dans les deux cas, à droite comme à gauche, Renaud Van Ruymbeke n’hésite pas à s’attaquer frontalement aux plus hauts dirigeants, au cœur du pouvoir. Une audace qui jusque-là n’avait pas cours dans les méthodes de la justice.

En 1996, il signe le fameux « appel de Genève » destiné à lutter contre la corruption. Grâce à la libération des marchés financiers, l’argent coule à flots. Hommes d’affaires et grands patrons en profitent pour détourner les millions, financer des opérations occultes et parfois s’enrichir sur le dos des entreprises. Nommé au pôle financier, Renaud Van Ruymbeke n’hésite pas à les traquer jusqu’au sommet de l’État.

Il est de toutes les grandes enquêtes. Il participe aux côtés de sa collègue Eva Joly à l’instruction de l’affaire Elf, qui symbolise alors les relations complexes de la Françafrique. Il fouille dans l’affaire Karachi, dont les ramifications mèneront au financement de la campagne d’Édouard Balladur. S’empare de l’affaire Kerviel, ce jeune golden boy qui a fait plonger la Société générale. Traque le couple Balkany à Levallois.`

L’affaire la plus obscure, celle des frégates de Taïwan, qui révèle des rétrocommissions sur la vente de matériels militaires, va le déstabiliser. Elle le mène en effet vers Clearstream, une chambre de compensation qui abriterait au Luxembourg des fonds détenus par des hommes politiques. La longue liste de noms contient ceux de Nicolas Sarkozy et de Dominique de Villepin. Après des années d’enquête, elle se révèlera… fausse, trafiquée par un informateur fantasque. Le juge termine sa carrière les ailes brisées et n’osera pas signer le renvoi devant le tribunal de Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bygmalion.

Avec quelques-uns de ses collègues, tels Éric de Montgolfier, Eva Joly ou Thierry Jean-Pierre, Renaud Van Ruymbeke fait partie d’une génération de juges d’instruction qui ont bouleversé les pratiques de la vie politique et économique française. Avant eux, on ne s’attaquait pas aux puissants, avec eux, on les cible systématiquement, sans hésiter à faire fuiter dans la presse les secrets de l’instruction pour faire pression. `

Parfois critiqués par l’establishment pour être allés trop loin, ils ont contribué à imposer de nouvelles méthodes de gouvernance faites de plus de transparence. Renaud Van Ruymbeke, par ailleurs, pianiste de talent, homme calme et élégant, qui rechignait à la détention provisoire, restera comme l’un des plus humanistes d’entre eux.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique