« Va c’horf ‘ zo dalc’het/Met davedoc’h e nij va spered/Vel ul labous a-denn-askell/Nij da gavout e vreudeur a-bell »… devant une foule étonnée, enthousiaste et amusée par la prononciation notamment du « c’h », le général de Gaulle conquiert les Quimpérois par ces quelques vers en breton, en ce mois de février 1969. Il est venu défendre son référendum sur la régionalisation, pressentant bien que la Bretagne, à l’instar d’autres territoires, est en demande de décentralisation, mais également de reconnaissance de son identité culturelle.
Cette poésie en langue bretonne que le président de la République a déclamée est l’œuvre d’un certain… Charles de Gaulle. Il s’agit de son grand-oncle éponyme. On dit d’ailleurs que c’est pour lui rendre hommage que son prénom a été donné au futur général.
Né en 1837, dans le nord de la France, Charles de Gaulle, premier du nom, semblait prédestiné pour la carrière des lettres. Son père, Julien Philippe de Gaulle (le frère aîné d’Henri de Gaulle, le père du général) était en effet historien ; sa mère, Joséphine Maillot, écrivaine. C’est dans un milieu assez privilégié que le jeune Charles grandit. On conserve la trace de son passage au collège de Marcq-en-Barœul (59).
Paralysé, il apprend le breton
Les vers en breton prononcés par le général de Gaulle, à Quimper, en 1969, signifient « Mon corps est retenu/mais vers vous vole mon esprit/Comme l’oiseau à tire-d’aile/Vole pour retrouver ses frères au loin ». Une allusion à la terrible maladie de la poliomyélite qui frappe son grand-oncle à la fin de l’adolescence. La polio le laisse lourdement handicapé. À partir de ses vingt ans, il ne quitte plus que rarement son appartement parisien, rue de Vaugirard.
C’est dans ce quartier de Montparnasse, peuplé alors de nombreux Bretons, qu’il va se passionner pour la matière celtique. Il l’aurait découverte en lisant « L’épilogue à l’art chrétien » de François Alexis Rio. Originaire de Vannes, ce dernier avait épousé une Galloise et vécu de nombreuses années dans la principauté outre-Manche. Rio a également fait partie de l’organisation du premier voyage interceltique en 1838. Sous le patronage de Lamartine, une délégation bretonne se rend au pays de Galles. Elle comprend un jeune collecteur de chants et légendes traditionnelles, Théodore Hersart de La Villemarqué. De retour en Bretagne, en 1839, ce dernier publie son « Barzaz Breiz », qui devient très vite un succès d’édition.
Passionné par leurs écrits, le jeune de Gaulle se met à apprendre les langues celtiques, dont le breton et le gallois. Ne pouvant guère se déplacer, il entretient une correspondance active avec un certain nombre d’intellectuels bretons ou de passionnés de matière celtique et particulièrement La Villemarqué.
Poésie et fraternité bretonne
Le jeune homme se met à écrire des vers en langue bretonne. Il prend pour nom de plume, Barzh Bro C’hall, le « barde de la Gaule » ou « barde de la France ». Dans les années 1860, en relation avec La Villemarqué, il fonde et devient le secrétaire de la Breuriez Breiz, la « fraternité bretonne » qui devait être l’embryon d’un mouvement néo-druidique sur le modèle du populaire Gorsedd du pays de Galles. En raison du caractère de La Villemarqué, le projet n’a guère rassemblé que quelques personnes et n’a guère eu d’influence.
À partir de 1864, Charles de Gaulle commence à voir ses articles et ses textes publiés dans différents médias, comme la Revue de Bretagne et de Vendée, dirigée par Arthur de la Borderie. Charles de Gaulle s’inscrit alors dans le courant bretonniste qui met en avant l’histoire et la culture particulière de la Bretagne. Il est ainsi avec Henri Gaidoz et Henri De Charencey, le rédacteur de la première pétition en faveur de l’enseignement des langues régionales, remise au corps législatif en 1870, mais que la guerre contre la Prusse fait rapidement oublier.
N’ayant pas vraiment connu la Bretagne, Charles de Gaulle en a développé une image quelque peu idéalisée. Son catholicisme fervent a aussi influé sur sa perception de la péninsule et de sa culture. Mort en 1880, il n’a pas connu son neveu, né dix ans plus tard, à Lille, qui devait connaître le prestigieux destin que l’on sait et remettre à l’honneur, à la fin de sa carrière politique, son oncle celtisant quelque peu oublié, mais attachant.
L’appel... aux Celtes du monde entier
Bien que paralysé et ne quittant que peu son domicile parisien, Charles de Gaulle fait partie des personnalités qui ont œuvré au développement des relations interceltiques modernes. Outre l’étude des cultures celtes, il est l’un des premiers à développer un discours politique sur la question. En 1864, il lance ainsi un appel aux Celtes du monde entier, leur enjoignant de s’unir pour créer une sorte de confédération. Selon lui, elle doit tenir un congrès annuel, sur le modèle du festival gallois de littérature, l’Eisteddfod. Le tout a des accents très racialistes, bien dans le ton de l’époque. Un autre intellectuel, le Breton Ernest Renan, avait publié, en 1855, un ouvrage sur « La poésie des races celtiques ».
Dans ces années 1860, Charles de Gaulle entretient également une correspondance suivie avec plusieurs intellectuels gallois. C’est ainsi qu’il prend connaissance des embryons de colonies galloises en Argentine (Il existe encore aujourd’hui plusieurs milliers de locuteurs de gallois en Patagonie). Charles de Gaulle imagine alors y envoyer des Bretons, sans comprendre que les pasteurs gallois, à l’origine de cette migration, voient d’un mauvais œil l’arrivée de catholiques, même si ces derniers parlent une langue celtique… Finalement, le projet n’aboutira pas.
Charles de Gaulle sera enfin l’un des artisans du premier congrès celtique international qui se tient à Saint-Brieuc, en 1867. L’événement qui devait mettre en avant les idées panceltiques, est avant tout marqué par le début de la querelle sur l’authenticité des chants du Barzaz Breiz de La Villemarqué. Il s’achève dans une certaine confusion. Il faudra attendre une nouvelle génération, au début du XXe siècle, pour voir la création de congrès celtiques réguliers.