Walt Disney: 8 idées reçues passées au crible par son biographe | Historia
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Vrai ou faux

Walt Disney: 8 idées reçues passées au crible par son biographe

Son nom est l’un des plus célèbres de l’histoire du divertissement : Walt Disney, avec ses œuvres et ses personnages, de Mickey à Mary Poppins, a marqué l’imaginaire de bien des générations. De nos jours, sa réputation est pourtant très écornée et bien des légendes, vraies ou fausses, circulent autour de lui. Pour Historia, Olivier Cotte, auteur d’une nouvelle biographie, fait le point sur plusieurs affirmations très répandues.

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Walt Disney examinant une bobine avec Mickey Mouse sur son bras, 1935. (Library of Congress/New York World-Telegram and the Sun Newspaper Photograph Collection/Wikimedia commons)

Par Pierre-Louis Lensel

Publié le 17 mai 2024 à 10:05

Walt Disney est d’origine française

Vrai, mais à nuancer. « Parmi les compagnons de Guillaume le Conquérant, partis s’emparer de l’Angleterre avec lui en 1066, figuraient Hugues et Robert d’Isigny, seigneurs d’Isigny-sur-Mer, près de Bayeux. En Angleterre, leur nom est adapté pour devenir «Disney». Bien plus tard, au XVIIe siècle, une branche de cette famille s’est installée en Irlande, puis, en 1834, plusieurs de leurs descendants montent sur un bateau à Liverpool, à destination de New York. Quand Walt Disney voit le jour, le 5 décembre 1901, le lien avec la France n’existe plus. De fait, sa culture est profondément nord-américaine. »

Très jeune, il combat pendant la Première Guerre mondiale

Faux. « Lorsque la guerre fait rage, il n’est qu’adolescent. Il a grandi dans une famille modeste et a beaucoup souffert de la violence de son père pendant l’enfance. Poussé par un fantasme du voyage et du combat intrépide, un peu à la Jack London, il rêve de partir à la guerre. Mais à 16 ans, il est trop jeune ! Il essaye alors de contourner les règles, y compris en falsifiant des papiers…
Quand, enfin, il parvient à traverser l’Atlantique, l’Armistice de 1918 est déjà signé. Il travaille pour la Croix-Rouge, aux services ambulanciers, qui ont encore un rôle à jouer. Il sert aussi de chauffeur pour des gradés ou transporte des marchandises. Au total, il reste environ un an en France, séjour dont il gardera un bon souvenir. »

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Il est un archétype du «self made man»

Plutôt vrai. « Deux points sont importants sur cet aspect. Le premier : sa famille n’a pas de fibre artistique particulière ; ce sont des fermiers, des manœuvres. De lui-même, il s’éloigne de son milieu d’origine, en affrontant bien des difficultés et, à ses débuts, de sérieux revers. Le second point : dans les années 1920, le monde de l’animation qu’il rejoint est encore peu développé, rudimentaire… Tout ou presque est à créer. En cela, la manière dont il bâtit sa carrière, puis son entreprise, fait de lui un pionnier de sa génération.
Disney, par bien des aspects, peut faire penser à Steve Jobs : ce sont tous les deux des personnalités au caractère difficile, des narcissiques, des obsessionnels, qui, au prix d’énormes efforts, ont promu une vision et des idées qui ont su conquérir le grand public. »

Il a inventé le personnage de Mickey le temps d’un voyage en train

Plutôt faux. « La légende raconte qu’en 1928, après un gros échec, Disney, dépité, s’en retourne chez lui en train et y dessine soudainement le personnage qui fera sa gloire. Les historiens s’accordent pour dire que c’est un récit enjolivé, voire mythifié. En promouvant cette histoire, on a sans doute voulu nourrir l'image d’un créateur surdoué, qui ne se laisse pas abattre et rebondit avec fulgurance. Il est possible que Disney, dans cette période, commence à imaginer un nouveau personnage, mais de là à concevoir quelque chose d’aussi élaboré que le sera Mickey, sachant qu’il n’est pas un dessinateur brillant, c’est peu crédible.

En fait, le modèle graphique de la célèbre souris est défini par Ub Iwerks, le collaborateur de Disney. Mais un personnage, ce n’est pas qu’une image. C’est aussi une psychologie, une expressivité et des actions dramatisées. C’est sans doute sur ces points-là que la force de Disney apparaît vraiment – même si, de ce point de vue, Mickey est loin d’être l’exemple le plus élaboré.

Son apport tient aussi à sa vision d’entrepreneur. Disney sait associer le son à ce nouveau personnage au moment de l’émergence du parlant – cela n’allait pas de soi, à l’époque, de faire parler un dessin. Il comprend comment utiliser les nouveaux procédés, avec une vraie idée de ce que va devenir le cinéma. Mickey devient un personnage assez fort pour lancer le studio Disney et établir une base économique viable, rendant possible la création d’un poids lourd hollywoodien en quelques années. »

Walt Disney était misogyne, d’extrême-droite, raciste, voire favorable aux nazis

À nuancer. « Toutes ces affirmations doivent être prises une par une pour essayer de faire la part des choses, en se méfiant des idées à l’emporte-pièce.

Est-il misogyne ? Il est certain que sa vision des femmes est très traditionnaliste : à ses yeux, leur rôle est avant tout d’être à la maison ou à des postes d’assistantes ou d’exécutantes. Sa femme, Lillian, a eu, je crois, énormément de patience et d’abnégation ! Il l’aime profondément, tout comme ses filles, mais peine à sortir d’un schéma conventionnel.

Est-il d’extrême-droite ? Je me méfie du terme, car il pousse à poser un regard anachronique. Ajoutons que la réponse diffère selon la période de la vie de Disney. Au départ, il est issu d’une famille modeste, de culture socialiste. Puis, à mesure qu’il réussit, il passe du camp démocrate au camp républicain, tel qu’on pouvait l’entendre dans l’Amérique des années 1930 et 1940. C’est un homme prude et à l’aise avec des valeurs traditionnelles – guère religieux, toutefois. Il rejoint notamment la très controversée Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals, dont le but avancé est de défendre Hollywood contre les infiltrations fascistes et communistes – en fait, plus nettement les secondes que les premières. On y trouve des personnes aussi diverses que John Wayne, Victor Fleming, Ronald Reagan ou Barbara Stanwyck. Disney en est le premier vice-président, dès 1944, et il lui arrive d’avoir des propos très durs, par exemple sur les syndicats. Ce qui est sûr, c'est qu'il est profondément conservateur et patriote.

Est-il raciste et, plus précisément, antisémite ? De manière générale, on peut lui reprocher un grand manque de représentativité dans ses œuvres, ce qui est assez général à cette époque d’Hollywood. Pour ce qui est de l’antisémitisme, il faut examiner les arguments à charge et à décharge. Certes, il a fréquenté des antisémites, notamment au sein du groupement que j’évoquais plus tôt. Il est vrai, aussi, qu’il peut, sur ce sujet, faire montre d’une grave ignorance. Il reprend des idées toutes faites, sans le recul indispensable, comme lorsqu’une terrible caricature est utilisée dans la première version des Trois petits cochons (1933). Mais je ne crois pas qu'on puisse le considérer antisémite lui-même. Il travaille quotidiennement avec de nombreux collaborateurs juifs, qui sont très proches de lui. On peut remarquer aussi qu'il fera des dons importants à des œuvres de charité juives, et l’association B’nai B’rith le nommera ‘homme de l’année’ en 1955.

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Enfin, est-il un sympathisant nazi ? Quand il voyage en Europe en 1935, il ne mesure pas la gravité de ce qu’il s’y passe. Il reçoit par ailleurs Leni Riefenstahl, cinéaste officielle de la propagande nazie, pour une visite du studio Disney, en 1938. Avec une grande naïveté, il ne voit pas la guerre qui couve. Il ne souhaite pas que le conflit éclate. Une fois que les États-Unis y prennent part, à partir de fin 1941, il mesure son erreur et réagit en patriote : il participe à l’effort de guerre, notamment par des films de propagande, parfois financés de sa poche, quitte à ce que ce soit à perte, et s'en prend à Hitler et au Troisième Reich. Il ne souhaite absolument pas la victoire des nazis ! »

C’était un patron d’entreprise inventif et efficace, mais très dur

Vrai, mais ça dépend de l’époque. « Au départ, jusqu’au début des années 1930, quand il est entouré de petites équipes, il tente de construire un petit havre de paix tout en dirigeant les choses. Il est encore influencé par la tradition socialiste et communautariste de son père. Puis, à mesure qu’il devient un grand patron, il change de culture politique. Ayant eu des mauvaises expériences, il vit dans la peur qu’on le trahisse et, si cette crainte paraît, il peut vite se montrer coriace. Quand la pression augmente sur ses épaules, il a un caractère parfois terrible.

En 1941, une grande grève éclate dans le studio, liée à un ras le bol concernant les conditions de travail et les salaires trop inégaux. Il le prend très mal et se met à poursuivre d’un ressentiment très personnel ceux qui se sont opposés à lui – toujours cette obsession de la trahison, qui dénote sans doute un problème d’ordre psychologique. Son management est particulièrement dur lors d’un passage à vide pour le studio, au début des années 1940, lié à l’échec de projets dans lesquels il s’est investi intimement.

Quand ses affaires reprennent et qu’il est de nouveau passionné, notamment grâce aux films en prise de vues réelles, comme Vingt mille lieues sous les mers ou Mary Poppins, ou au développement des parcs d’attraction, il reprend une figure plus attentionnée et nettement plus humaine. »

Il est la personnalité qui a reçu le plus d’Oscars

Vrai. « Il a gagné 26 Oscars. Pour lui, ce genre de récompenses est important : il cherche clairement la reconnaissance de ses pairs. Il a d’ailleurs peut-être encore plus de plaisir à être applaudi par la profession que par le public. En fait, dès sa jeunesse, avant le succès, quand il travaille pour d’autres, il s’amuse à peaufiner longuement sa signature, ce qui témoigne de son besoin de voir son nom reconnu. »

Il s’est fait cryogéniser, ce qui témoigne de son obsession pour la mort

Faux. « La mort l’obsède, c’est certain : il va le moins possible aux enterrements, il refuse qu’on évoque devant lui le sujet de la finitude, et, en même temps, il suffit de regarder ses films pour voir que ce thème est très présent. En revanche, quand il disparaît, en 1966, il est incinéré et non pas cryogénisé ! Certes, il s’est intéressé au sujet de la cryogénisation, mais cela s’inscrivait dans son intérêt général pour la science et les nouvelles technologies, rien de plus.

Alors on peut se demander : comment expliquer une légende urbaine si tenace ? Le mythe a été développé sans beaucoup de vérification dans des journaux, qui se sont ensuite copiés les uns les autres. Et, comme le public n’avait pas le désir de perdre une icône si puissante, il a entretenu ce désir d’immortalité… »

A noter :

Olivier Cotte vient de publier Walt Disney, l’homme qui rêvait d’être un enfant, chez Perrin. Plus d'informations : olivier-cotte.com

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