Mathilde Mauté, la femme damnée de Verlaine

Pour l’histoire littéraire, elle est la « misérable fée carotte », « la princesse souris » de Paul Verlaine. Cela parce que les amis du poète ont, après sa mort, présenté Mathilde Mauté comme la responsable de ses malheurs, oubliant ce qu’elle avait eu à subir de la part d’un homme tourmenté, alcoolique et violent.

 

Née le 17 avril 1853 dans un milieu bourgeois et lettré, Mathilde Mauté rencontre Paul Verlaine à l’âge de 14 ans, par l’intermédiaire de son demi-frère, le musicien Charles de Sivry.

Si, au premier abord, elle le trouve « laid et mal habillé », comme elle l’écrira dans son autobiographie, elle tombe sous le charme des poèmes qu’il lui écrit. Verlaine, désireux d’une vie rangée, demande sa main dès le mois d’août 1869. La noce se tient un an plus tard, le 11 août 1870. Installés chez les parents Mauté, ils semblent au départ complices.

 

Cette  lune de miel « devait durer sans nuage quatorze mois », écrira Mathilde, le temps que débarque dans la vie de son époux un trublion aux airs de grand poète : Arthur Rimbaud.

 

À partir de septembre 1871, la vie du couple se trouve, en effet, bouleversée par l’influence que le jeune Ardennais exerce sur Verlaine. Alors qu’il ne buvait presque plus, l’auteur des Fêtes galantes rentre désormais ivre chez lui – quand il rentre. Il est violent avec sa femme et leur nouveau-né, Georges. Voici venu, pour l’épouse, « un an d’enfer et de souffrances continuelles », jusqu’à la fuite de Verlaine en Belgique, en juillet 1872. 

 

Si elle tente d’abord de ramener son époux à la raison, allant à Bruxelles pour le convaincre de rentrer, elle se résout finalement à la séparation définitive. Elle ne le reverra plus jamais. Aidée par ses parents, elle se consacre alors à l’éducation de Georges avant de se remarier, en 1886, avec l’ingénieur Auguste Delporte. 

Paul Verlaine semble appartenir à son passé lorsque Edmond Lepelletier, grand ami du poète, publie en 1907 un ouvrage intitulé Paul Verlaine, sa vie, son œuvre. Mathilde Mauté, désormais épouse Delporte, y est décrite comme une « petite personne sèche, querelleuse et acariâtre ».

Offusquée, elle décide de partager sa vérité dans son propre livre : Mémoires de ma vie.

Un an de paradis, un an d'enfer et de souffrances continuelles, voilà ce que furent mes deux années de mariage. Que s'était-il passé ? Quelles furent les causes de mon malheur, de ma vie brisée et, plus tard, de la triste et aventureuse existence de Verlaine ? Rimbaud ! l'absinthe !

Partant du postulat de Lepelletier, selon lequel elle aurait été le bourreau et Paul Verlaine la victime, elle raconte sa vie de femme délaissée, battue et humiliée. Elle revient ainsi sur cette époque de sa vie :

Pendant des années, elle ne réussit pas à trouver d’éditeur, même si certains passages sont publiés dans la presse. Sur le point d’y parvenir, elle renonce, afin de préserver son fils des critiques véhémentes lancées par les clans Verlaine et Rimbaud.

Finalement, ce n’est qu’en 1935, vingt-et-un ans après la mort de Mathilde, que l’ouvrage est publié aux éditions Flammarion. Pourtant, il ne sert toujours pas vraiment sa cause puisque François Porché, biographe de Verlaine, se charge de rédiger une préface assassine, dans laquelle il présente le récit à venir comme étant l’œuvre « d’une petite fille de 14 ans ». Au moins, reconnaît-il que les attitudes violentes de Verlaine à son égard n’étaient pas inventées.