7 - Comment obtenir la modulation d’un redressement portant sur le financement des r�gimes de protection sociale compl�mentaire d’entreprise ?
Johanna WEBERT
Avocate
Flichy Grang� Avocats
Charles LAPIERRE
Avocat
Flichy Grang� Avocats
Pour b�n�ficier du r�gime social de faveur pr�vu par le code de la s�curit� sociale, les r�gimes de protection sociale compl�mentaire d’entreprise doivent r�pondre � un certain nombre de conditions.
Le constat d’un manquement � la r�glementation conduit, en principe, � un redressement de l’ensemble des contributions patronales vers�es au financement du r�gime.
Il peut en aller diff�remment lorsque ce manquement porte sur le caract�re collectif et obligatoire du r�gime. En effet, si certaines conditions sont r�unies, le redressement peut �tre r�duit.
C’est sur cette question de la ��modulation�� du montant du redressement que revient un arr�t de la Cour de cassation du 1er�f�vrier 2024 (cass. civ., 2e ch., 1er f�vrier 2024, n� 22-12207 FB).
L’occasion de faire le point sur un dispositif qui peut permettre � l’employeur de r�duire�les cons�quences financi�res du contr�le.
Le contexte
Des conditions d’exon�ration strictes
Les contributions des employeurs au financement des r�gimes de protection sociale compl�mentaire peuvent �tre exon�r�es de cotisations sociales dans certaines limites (c. s�c. soc. art. L. 242-1).
Pour ce faire, les r�gimes doivent remplir plusieurs conditions cumulatives (c. s�c. soc. art. L. 242-1, II, 4�).
Parmi celles-ci, on trouve notamment�les deux conditions suivantes :
❶ Le caract�re collectif : la garantie doit �tre la m�me pour l’ensemble des salari�s, ou pour une partie d'entre eux sous r�serve qu'ils appartiennent � une cat�gorie dite � objective � (c. s�c. soc. art. R. 242-1-1 et R. 242-1-2).
Cinq crit�res limitatifs, list�s � l’article R. 242-1-1 du code de la s�curit� sociale, permettent de constituer ces cat�gories ��objectives��. On y retrouve notamment la distinction entre les cadres et les non-cadres r�sultant de l'application des articles�2.1 et 2.2 de l'accord national interprofessionnel du 17�novembre 2017 relatif � la pr�voyance des cadres (c. s�c. soc. art. R. 242-1-1).
❷ Le caract�re obligatoire : les salari�s de l’entreprise ont l’obligation de s’affilier et de cotiser au r�gime sous r�serve des cas de dispenses pr�vus par la loi ou l’acte instituant le r�gime.
Un risque de redressement important, accru par une l�gislation complexe
Si ces conditions ne sont pas r�unies, l’URSSAF est en principe fond�e � proc�der � un redressement sur le montant global des cotisations dues sur les contributions vers�es par l’employeur (c. s�c. soc. art. L. 133-4-8, I).
Dans certains cas, un tel redressement peut s’av�rer extr�mement s�v�re pour l’entreprise. En effet, le montant du redressement est le m�me quelle que soit la gravit� ou l’ampleur de l’erreur. Par exemple, l’absence de production de la dispense d’un seul salari� peut conduire � la remise en cause du r�gime social de faveur de l’ensemble des contributions patronales finan�ant le r�gime.
Qui plus est, la l�gislation est complexe et �volutive, ce qui accro�t le risque d’erreur pour l’entreprise.
Enfin, la logique d’un tel redressement s’�loigne de celle g�n�ralement suivie par l’URSSAF dont les r�int�grations portent g�n�ralement sur un champ circonscrit aux r�mun�rations concern�es par la mauvaise application du droit.
Depuis 2016, une possibilit� de ��modulation�� du redressement
Ces constats ont conduit le l�gislateur � introduire un temp�rament � cette r�gle pour les redressements relatifs � l’application des r�gles li�es au caract�re collectif et obligatoire des r�gimes de protection sociale compl�mentaire (loi 2015-1702 du 21 d�cembre 2015 de financement de la s�curit� sociale pour 2016, art. 12).
Pour les contr�les engag�s depuis le 1er�janvier 2016, l’article L. 133-4-8 du code de la s�curit� sociale pr�cise que, par exception, l’URSSAF ��r�duit le redressement � hauteur d'un montant calcul� sur la seule base des sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif�� si certaines conditions sont r�unies. C’est ce qu’on appelle la modulation.
Le texte pr�voit que la modulation s’applique�:
-uniquement � certains manquements�;
-et si l’employeur reconstitue de mani�re probante les sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif.
C’est l’application de cette disposition qui �tait d�battue dans l’arr�t du 1er�f�vrier 2024.
Le redressement en cause dans l’arr�t du 1er�f�vrier 2024
En 2009, une soci�t� a mis en place une couverture ��Frais de sant頻 par d�cision unilat�rale.
Puis, en 2015, elle a adopt� une seconde d�cision unilat�rale portant sur la couverture ��Frais de sant頻, pour tenir compte de la mise en place d’un r�gime obligatoire dans la branche.
La nouvelle d�cision unilat�rale pr�voyait que les salari�s qui avaient fait le choix de ne pas adh�rer au r�gime de 2009 en application de l’article�11 de la loi du 31�d�cembre 1989 pouvaient choisir entre deux niveaux de garanties�:
-niveau 1�: des garanties correspondant au minimum conventionnel de branche qui ne couvraient que le salari�;
-niveau 2�: des garanties plus favorables que celles de la branche et permettant au salari� de couvrir �galement ses ayants droit.
Les autres salari�s qui avaient adh�r� au r�gime de 2009 n’avaient pas le choix et b�n�ficiaient n�cessairement des garanties de niveau 2.
Lors d’un contr�le op�r� en 2016, l’URSSAF a consid�r� que le r�gime n’�tait pas collectif. Elle a constat� que quatre salari�s avaient opt� pour les garanties de niveau 1.
Elle a r�int�gr� dans l’assiette des cotisations l’int�gralit� des contributions patronales finan�ant le r�gime de protection sociale compl�mentaire.
La soci�t� a contest� le redressement devant la Commission de recours amiable, puis devant les juridictions.
La cour d’appel de Poitiers a confirm� le redressement et rejet� la demande de modulation de l’employeur, car ce dernier ne reconstituait pas de mani�re probante les sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif (CA Poitiers, 16�d�cembre�2021, n��19/03110).
La soci�t� a alors form� un pourvoi en cassation.
Ce pourvoi a �t� rejet� par la Haute juridiction le 1er�f�vrier 2024 qui, apr�s avoir rappel� le principe selon lequel l’employeur doit reconstituer de mani�re probante le montant des sommes faisant d�faut pour b�n�ficier de la modulation, s’en est remis � l’appr�ciation souveraine de la cour d’appel (cass. civ., 2e ch., 1er f�vrier 2024, n� 22-12207 FB).
Cet arr�t donne l’occasion de revenir sur�:
-la n�cessit� pour l’employeur de reconstituer les sommes de mani�re probante pour s'en pr�valoir (voir �� 7-10 � 7-13)�;
-et le calcul du montant du redressement r�duit qui en d�coule (voir � 7-14).
Le p�rim�tre de la modulation
Uniquement pour certains manquements au caract�re collectif et obligatoire
L’article L. 133-4-8 du code de la s�curit� sociale ne s’applique que lorsque l’employeur contrevient au caract�re collectif et obligatoire du r�gime.
La m�connaissance d’une autre condition d’exon�ration ne permet donc pas de b�n�ficier de la modulation du redressement.
Exemple
Le redressement ne peut pas �tre r�duit si l’employeur ne respecte pas les modalit�s de mise en place vis�es � l’article L. 911-1 du code de la s�curit� sociale (accord collectif, r�f�rendum ou d�cision unilat�rale constat�e par un �crit remis � chaque salari�), ou si la contribution patronale se substitue � un �l�ment de salaire vers� par ce dernier au cours des 12 mois pr�c�dant la mise en place du r�gime.
De plus, la modulation ne s’applique que lorsque le motif du redressement repose�:
-sur l'absence de production d'une demande de dispense ou de tout autre document ou justificatif n�cessaire � l'appr�ciation du caract�re obligatoire et collectif ;
-sur un autre manquement, s’il ne r�v�le pas une m�connaissance d'une particuli�re gravit� des r�gles prises en application du sixi�me alin�a de l'article L. 242-1 (c. s�c. soc. art. L. 133-4-8).
Pas de modulation en cas de manquement d’une particuli�re gravit�
Les textes et la position de l'administration
En revanche, la modulation ne s’applique pas ��lorsque le manquement � l'origine du redressement r�v�le une m�connaissance d'une particuli�re gravit� des r�gles li�es au caract�re obligatoire et collectif des syst�mes de garanties de protection sociale compl�mentaire mentionn� [au sixi�me alin�a de l'article L. 242-1]��. Si l’URSSAF retient un tel manquement, elle doit en informer l’employeur ��dans le cadre de la proc�dure contradictoire pr�alable � la fin du contr�le�� (c. s�c. soc. art. L. 133-4-8, II).
Le texte ne pr�cise pas ce qu’est une m�connaissance d’une ��particuli�re gravit頻.
L’�tude d’impact du projet de loi de financement de la s�curit� sociale pour 2016 la d�finit comme une m�connaissance ��claire et directe, des textes r�glementaires tels qu’explicit�s par les circulaires minist�rielles, relatifs aux conditions d’application du caract�re collectif et obligatoire des garanties��.
Exemple
L’�tude d’impact indique que peut constituer un tel manquement�:
-le cas�d’une entreprise qui ne couvre que les cadres dirigeants�;
-celui d’un r�gime de retraite qui ne couvre que les salari�s dont les r�mun�rations sont sup�rieures � 8 fois la valeur du plafond de la s�curit� sociale�;
-ou le non-respect des r�gles relatives au respect des clauses d’anciennet�.
La fiche Protection sociale compl�mentaire du Bulletin officiel de la s�curit� sociale (BOSS) d�finit ce manquement comme celui ��qui contreviendrait aux r�gles �tablies � l’article R. 242-1-1 du code de la s�curit� sociale et d�taill�es aux chapitres 4 [caract�re obligatoire] et 5 [caract�re collectif] de la pr�sente rubrique, pr�cisant les conditions d’appr�ciation du caract�re obligatoire et collectif des garanties mises en place et d�finissant les crit�res de cat�gorie objective�� (BOSS, Protection sociale compl�mentaire, � 680, 01/05/2024).
Cette d�finition du BOSS peut se discuter.
Si tous les manquements aux r�gles pos�es par le code de la s�curit� sociale et aux positions de l’administration sont des m�connaissances d’une particuli�re gravit�, la modulation ne serait finalement applicable que lorsque le motif du redressement repose sur l'absence de production d'une demande de dispense ou de tout autre document ou justificatif n�cessaire � l'appr�ciation du caract�re obligatoire et collectif.
La jurisprudence
L’analyse des quelques jurisprudences rendues � cet �gard montre que la position des juges est plus proche de la lettre du texte de loi et de la recherche d’une gravit� d’une certaine importance.
Dans l’affaire qui a donn� lieu � l’arr�t du 1er�f�vrier 2024, l’URSSAF avait consid�r� que le manquement de la soci�t� constituait un manquement d’une particuli�re gravit� qui devait �carter l’application de la modulation. En effet, l’URSSAF relevait que deux syst�mes de garanties avaient �t� mis en place alors que la nouvelle d�cision unilat�rale de l’employeur pr�voyait un seul et unique coll�ge de b�n�ficiaires comprenant l’ensemble des salari�s.
La cour d’appel a rejet� cette qualification�: � pas davantage qu’en premi�re instance, l’organisme social ne justifie s�rieusement le caract�re particuli�rement grave de l’atteinte port�e par la soci�t� au caract�re obligatoire et collectif du r�gime de pr�voyance dans la mesure o� en raison du nombre limit� des salari�s concern�s – soit 4 sur 80 –, l’impact sur le calcul de r�duction g�n�rale des cotisations reste modeste et o� les quatre salari�s vis�s non seulement n’�taient pas priv�s d’un r�gime de pr�voyance mais pouvaient bien au contraire opter pour la garantie la plus protectrice.�� (CA Poitiers, 16�d�cembre�2021, n��19/03110).
Dans une autre affaire, la cour d’appel d’Orl�ans a consid�r� que l’instauration d’une condition d’anciennet� de six mois dans un r�gime Frais de sant� m�connaissait le caract�re obligatoire du r�gime (car elle excluait d’office certains salari�s) mais ne constituait pas pour autant une m�connaissance d’une particuli�re gravit� (CA Orl�ans, 5�avril�2022, n��20/01008).
On peut regretter que le texte ne d�finisse pas plus pr�cis�ment la notion de m�connaissance d’une particuli�re gravit�. Cette notion est laiss�e � l’appr�ciation des inspecteurs et des juges en cas de contentieux, ce qui peut conduire � des solutions tr�s disparates en fonction des cotisants.
Autres cas d’exclusion de la modulation
La modulation ne s’applique pas non plus lorsque�l’irr�gularit� trouve son origine dans la volont� d'octroyer un avantage personnel ou une discrimination (c. s�c. soc. art. L. 133-4-8, III).
Il en va de m�me lorsque, dans la limite des cinq ann�es civiles qui pr�c�dent l'ann�e o� est initi� le contr�le�:
-l’irr�gularit� a d�j� fait l'objet d'une observation lors d'un pr�c�dent contr�le ;
-une situation de travail dissimul�, d’obstacle � contr�le ou d’abus de droit a �t� �tablie.
La modulation ne s’applique donc pas dans tous les cas.
Conseil pratique�: �tre vigilant sur la motivation de l’URSSAF
Le cas �ch�ant, il faut �tre particuli�rement vigilant sur la motivation retenue par l’URSSAF pour �carter la modulation.
❶ Si la motivation de l’URSSAF est contestable, l’employeur doit lui apporter des �l�ments pour qu’elle revienne �ventuellement sur sa position dans le cadre du contr�le voire de la p�riode contradictoire (voir �� 7-11 � 7-13).
Exemple
Dans un arr�t de la cour d’appel d‘Orl�ans du 18�janvier�2022, l’URSSAF avait consid�r�, lors du contr�le, que le manquement de l’employeur relevait d’une m�connaissance d’une particuli�re gravit� car il n’avait pas volontairement affili� des salari�s en CDD avant de revenir sur cette qualification pendant la phase contradictoire. En effet, l’employeur avait d�montr� qu’il n’avait pas exclu volontairement ces salari�s mais qu’ils avaient soit refus� d’adh�rer soit �t� affili�s apr�s la fin de leurs p�riodes d’essai (CA Orl�ans, 18�janvier�2022, n��19/00547).
❷ Si la r�alit� du manquement ne peut pas �tre contest�e, l’employeur doit se conformer aux remarques de l’URSSAF pour l’avenir.
Rappelons que si l’employeur ne se conforme pas � la position de l’URSSAF, celle-ci pourra lors d’un contr�le ult�rieur majorer le redressement de 10 % (si les observations effectu�es � l'occasion d'un pr�c�dent contr�le ont �t� notifi�es moins de six ans avant la date de notification des nouvelles observations constatant le manquement aux m�mes obligations) (c. s�c. soc. art. L. 243-7-6 et R. 243-18).
En outre, la modulation ne pourra pas jouer si l’irr�gularit� a d�j� fait l'objet d'une observation lors d'un pr�c�dent contr�le (dans la limite des cinq ann�es civiles qui pr�c�dent l'ann�e o� est initi� le contr�le) (c. s�c. soc. art. L. 133-4-8).
❸ Si la modulation est susceptible de s’appliquer, encore faut-il que l’employeur reconstitue de mani�re probante les sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif.
C’est plus sp�cifiquement sur ce point que la Cour de cassation s’est prononc�e dans l’arr�t du 1er�f�vrier 2024.
La n�cessit� de reconstituer les sommes de mani�re probante
Pas de modulation sans reconstitution probante pr�alable par l’employeur
Le texte indique que la modulation ne peut jouer que ��sous r�serve que l'employeur reconstitue [les sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif] de mani�re probante�� (c. s�c. soc. art. L. 133-4-8, II).
Ce principe est rappel� par la Cour de cassation dans son arr�t du 1er�f�vrier 2024�: ��le redressement n’est calcul� sur une base r�duite qu’� la condition pr�alable que l’employeur reconstitue de mani�re probante le montant des sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif��.
Il ne suffit donc pas pour l’employeur de reconstituer les sommes, cette reconstitution doit �galement �tre ��probante��.
Concr�tement, l’employeur doit identifier le montant des contributions au financement du r�gime dont il aurait d� s’acquitter au titre des salari�s concern�s par le redressement, afin de respecter le caract�re collectif et obligatoire du r�gime (BOSS, Protection sociale compl�mentaire, � 670, 01/05/2024).
Cependant, le texte ne pr�cise pas les �l�ments que l’employeur doit produire. Le BOSS ne comporte pas plus de disposition en ce sens.
La Cour de cassation apporte un �clairage int�ressant � ce sujet dans l’arr�t du 1er�f�vrier 2024.
La cour d’appel de Poitiers avait rejet� la demande de modulation de l’employeur car elle consid�rait que la production d’un tableau mentionnant seulement l'identit� des salari�s, le financement patronal � garantie frais de sant� � et la r�gularisation base 100 plafonn�e n’�tait pas suffisante. La cour d’appel relevait que�:
-le tableau produit mentionne la part patronale de la garantie � l'exclusion des sommes faisant d�faut�;
-ni les conditions de la r�daction de ce tableau, ni l’identit� de son r�dacteur ne sont pr�cis�es et sa fiabilit� et son authenticit� ne sont confirm�es par aucune signature (notamment celle d’un expert-comptable par exemple) ;
-aucun justificatif n’est produit pour �tayer les �l�ments que contient le tableau (CA Poitiers, 16�d�cembre�2021, n��19/03110).
La Cour de cassation approuve l’arr�t d’appel et valide le redressement calcul� sur l’int�gralit� des contributions patronales finan�ant le r�gime.
On peut relever une autre affaire o� la cour d’appel a refus� la demande de modulation d’un redressement car l’employeur produisait uniquement les contrats de pr�voyance pour chacune des cat�gories de cadres et de non-cadres, un proc�s-verbal de la r�union ordinaire du comit� d’entreprise et les bulletins de salaire d’une seule salari�e, communiqu�s pour la premi�re fois en appel (CA Amiens, 29�novembre�2021, n��20/02362).
Que doit produire l’employeur�?
Nos recommandations
La r�ponse d�pend notamment � notre sens des caract�ristiques du r�gime de protection sociale compl�mentaire instaur� dans l’entreprise. En effet, il existe une grande vari�t� de r�gimes.
Par exemple�:
-les r�gimes peuvent b�n�ficier � l’ensemble des salari�s ou � une cat�gorie d’entre eux�;
-ils peuvent couvrir les salari�s uniquement ou �galement leurs ayants droit�;
-la cotisation du r�gime peut �tre exprim�e de mani�re forfaitaire (par exemple un pourcentage du plafond de la s�curit� sociale) ou proportionnelle au salaire.
Concr�tement, l’employeur devra �tablir un tableau ou tout autre document avec l’identit� des salari�s concern�s par le manquement ainsi que le montant des contributions au financement du r�gime dont il aurait d� s’acquitter au titre de ces salari�s (ou celles dont il s’est acquitt� en trop).
Ce document devra selon nous s’accompagner d’explications sur le montant des contributions retenu. Par exemple�:
-si la cotisation est fonction du salaire, il faudra indiquer le salaire du salari� concern� par le manquement�;
-si la cotisation d�pend de la composition familiale, il faudra indiquer la situation familiale du salari� concern� par le manquement.
Ce document pourrait utilement faire l’objet d’une certification, voire �maner d’un tiers tel qu’un prestataire de paye, un expert-comptable ou encore un assureur comme le sugg�rait la cour d’appel de Poitiers en l’esp�ce. En pratique, cela conduit l’URSSAF � �tre plus sensible � ce type de justificatifs.
Le document devra �tre accompagn� de pi�ces justificatives.
Les pi�ces � communiquer dans tous les cas
L’employeur devra fournir a minima les �l�ments suivants.
❶ L’acte fondateur du r�gime et les contrats d’assurance, qui explicitent les caract�ristiques du r�gime et notamment le montant et la structure de la cotisation.
Pr�cisons que ces �l�ments sont syst�matiquement demand�s lors du contr�le (et figurent sur l’avis de contr�le). La non-production de ces �l�ments et notamment de l’acte fondateur, entra�ne de facto un redressement (et sans possibilit� de modulation).
Le BOSS pr�cise � cet �gard que l’employeur doit communiquer�:
-si le r�gime r�sulte d’un accord�: la copie de l’accord collectif et du r�c�piss� de d�p�t � la DREETS ;
-si le r�gime r�sulte d’un r�f�rendum�: la copie du projet d’accord propos� par le chef d’entreprise et du proc�s-verbal de ratification�;
-si le r�gime r�sulte d’une d�cision unilat�rale de l’employeur�: une copie de l’�crit remis aux salari�s et actant la d�cision unilat�rale et la preuve de la remise de cet �crit aux salari�s (document joint au bulletin de paie, remise en mains propres, envoi par courrier, transmission par courriel avec accus� de r�ception…).
En outre, dans tous les cas, l’employeur doit produire les �l�ments descriptifs compl�mentaires du syst�me de garanties (par exemple le contrat d’assurance) qui ne figurent pas dans les documents pr�c�dents (BOSS, Protection sociale compl�mentaire, �� 600 et s., 01/05/2024).
Ces documents devront �tre conserv�s pendant toute la p�riode d’application du r�gime et, en cas de suppression ou de modification de ce dernier, au moins pendant une p�riode de 3 ans � compter de la fin de l'ann�e civile au titre de laquelle cet �v�nement est survenu (c. s�c. soc. art. L. 244-3). Par prudence, ceux-ci pourraient �tre conserv�s 5 ans pour couvrir la prescription applicable en cas de constat d’une infraction de travail ill�gal par proc�s-verbal (c. s�c. soc. art. L. 243-11).
❷ Les bulletins de paie et la d�claration sociale nominative (DSN). L� encore, il s’agit d’�l�ments syst�matiquement demand�s lors des contr�les.
Le code du travail impose de conserver un double des bulletins de paye remis aux salari�s pendant cinq ans (c. trav. art. L. 3243-4), ce qui permet de couvrir la prescription triennale de droit commun des cotisations sociales.
❸ Les pi�ces � produire en plus d�pendront des caract�ristiques du r�gime et du manquement commis par l’employeur.
Par exemple, si la cotisation d�pend de la composition de la famille du salari� concern� par le redressement, une attestation sur l’honneur du salari� pourrait �tre produite.
Quand faut-il produire ces �l�ments�?
La Cour de cassation rappelle que la reconstitution des sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif par l’employeur est une condition pr�alable � la mise en œuvre de la modulation.
Ces �l�ments devraient donc �tre communiqu�s lors du contr�le de l’URSSAF au moment de la discussion sur la mise en œuvre de la modulation. Ils pourraient l’�tre aussi lors de la phase contradictoire o� l’employeur dispose d’un d�lai de 30 jours qui peut �tre port� � 60 jours pour r�pondre le cas �ch�ant � la lettre d’observations (c. s�c. soc. art. R. 243-59).
Une production plus tardive expose l’employeur au rejet de ses pi�ces et donc � l’impossibilit� d’invoquer la modulation. En effet, la Cour de cassation autorise les juges du fond � �carter des d�bats toutes les pi�ces qui n’auraient pas �t� communiqu�es durant la p�riode contradictoire (cass. civ., 2e ch., 7 janvier 2021, n� 19-19395 D). Il est donc recommand� de faire preuve d’une grande vigilance sur les remarques faites par l’inspecteur au cours de la proc�dure de contr�le, et d’anticiper au plus t�t la recherche des �l�ments qui permettront de reconstituer les sommes de mani�re probante. On peut d’ailleurs regretter que la charte du cotisant contr�l� dont l’employeur a connaissance avant le contr�le (sauf hypoth�se de travail dissimul�) ne fasse pas r�f�rence � ce dispositif et � ses modalit�s de mise en œuvre (c. s�c. soc. art. R. 243-59).
Pr�cisons que c’est l’URSSAF qui appr�ciera le caract�re probant du chiffrage. Le BOSS pr�cise � cet �gard qu’ ��en cas d’accord sur le diff�rentiel propos� par l’employeur, l’inspecteur proc�de au redressement des contributions dues au titre des salari�s concern�s, sur la base d’un montant correspondant � la reconstitution par l’employeur�� (BOSS, Protection sociale compl�mentaire, � 670, 01/05/2024).
Si l’URSSAF consid�re que les conditions de la modulation ne sont pas r�unies ou que la reconstitution n’est pas probante, le cotisant pourra toujours contester cette position devant la Commission de recours amiable, puis les tribunaux.
Le calcul du redressement r�duit
Si le chiffrage de l’employeur est accept� par l’URSSAF, le redressement r�duit sera calcul� de la mani�re suivante�:
-lorsque le motif du redressement repose sur l'absence de production d'une demande de dispense ou de tout autre document ou justificatif n�cessaire � l'appr�ciation du caract�re obligatoire et collectif, le redressement r�duit est fix� � hauteur d’1,5 fois les sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif�;
-lorsque le motif du redressement repose sur un autre motif et que le manquement � l'origine du redressement ne r�v�le pas une m�connaissance d'une particuli�re gravit� des r�gles d’exon�ration de la contribution, le redressement r�duit est fix� � hauteur de 3 fois les sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif.
� noter
Le montant du redressement ne peut en tout �tat de cause �tre sup�rieur � celui r�sultant de l'assujettissement de l'ensemble des contributions de l'employeur au financement du r�gime (c. s�c. soc. art. L. 133-4-8, II).
La cour d'appel d'Orl�ans a rendu � cet �gard un arr�t int�ressant, dans lequel l’URSSAF avait �cart� le calcul du redressement � modul� �, car le montant obtenu �tait sup�rieur � celui r�sultant de l'assujettissement de l’ensemble des contributions patronales au r�gime, mais n’avait pas communiqu� � l’employeur le d�tail du calcul de ce redressement � modul� �. La cour d’appel annule le redressement au motif que ��la cotisante n’a pas �t� en mesure de v�rifier le bien-fond� de l’application de la r�gle pr�vue � l’article L. 133-4-8 du code de la s�curit� sociale�� (CA Orl�ans, 18�janvier�2022, n��19/00547).
Il faudra donc s’attarder sur la r�daction de la lettre d’observations, voire de la r�ponse de l’URSSAF aux observations de l’employeur pendant la p�riode contradictoire, et ne pas h�siter � demander des explications � l’URSSAF si les calculs ne sont pas explicit�s.
Exemple
Cet exemple est issu du BOSS (BOSS, Protection sociale compl�mentaire, � 710, 01/05/2024).
Un employeur d’une entreprise de 100 salari�s en couvre 96 au titre de la pr�voyance sant�, � hauteur d’un montant annuel de 600�€ par salari�. Cependant, du fait de l’absence de couverture de 4 salari�s, le r�gime ne satisfait pas les crit�res d'exemption pendant 1 exercice.
Selon l’origine de l’erreur, le montant du redressement peut varier de 3 600�€ � 57 600�€.
Cas ❶ : l’anomalie provient d’une erreur formelle ou de l’absence de fourniture de justificatif.
Dans ce cas, d�s lors que l’employeur reconstitue le montant qu’il aurait d� verser au titre des 4 salari�s non couverts, le redressement est �gal � 1,5 fois le montant des contributions qui auraient �t� dues.
Ainsi, la couverture par salari� �tant de 600�€, et 4 salari�s n’�tant pas couverts, la contribution n�cessaire pour aboutir � une couverture compl�te de tous les salari�s s’�l�ve � 2 400�€. Le montant redress� sera alors de 3 600�€.
Cas ❷ : l’anomalie provient d’une erreur qui n’est ni formelle ni d’une particuli�re gravit�.
Dans ce cas, d�s lors que l’employeur reconstitue le montant qu’il aurait d� verser au titre des 4 salari�s non couverts, le redressement est �gal � 3 fois le montant des contributions qui auraient �t� dues.
Ainsi, la couverture par salari� �tant de 600�€, et 4 salari�s n’�tant pas couverts, la contribution n�cessaire pour aboutir � une couverture compl�te de tous les salari�s s’�l�ve � 2 400�€. Le montant redress� sera alors de 7 200�€.
Cas ❸ : l’anomalie provient d’une erreur d’une particuli�re gravit�, d’une discrimination, d’une absence de fourniture des �l�ments permettant � l’inspecteur de reconstituer les sommes manquantes, ou d’une absence de mise en conformit� � la suite d’un pr�c�dent contr�le.
Dans ce cas, l’int�gralit� du r�gime sera remise en cause et l’employeur devra acquitter des cotisations sur la totalit� des contributions vers�es � ce r�gime, soit un redressement de l'assiette de cotisations de 96 � 600�€ = 57 600�€.
En conclusion
Pour conclure, la mise en œuvre de la modulation suppose�:
-d’abord, que le manquement constat� permette la mise en œuvre de la modulation ;
-ensuite, que l’employeur reconstitue de mani�re probante le montant des sommes faisant d�faut ou exc�dant les contributions n�cessaires pour que la couverture du r�gime rev�te un caract�re obligatoire et collectif.
L’URSSAF b�n�ficie toutefois d’une certaine latitude dans la mise en œuvre de cette proc�dure dans la mesure o� il lui revient d’appr�cier si :
-le manquement � l’origine du redressement r�v�le ou non une m�connaissance d'une particuli�re gravit� des r�gles li�es au caract�re obligatoire et collectif des r�gimes de protection sociale compl�mentaire�;
-le chiffrage de l’employeur est probant ou non.
Il est donc recommand� de faire preuve de la plus grande vigilance lors de la mise en place du r�gime (et de bien conserver toutes les preuves de la mise en place) et de son suivi notamment pour ce qui est des dispenses d’adh�sion (et l� encore de bien conserver tous les justificatifs) pour �viter un d�bat sur l’application de la modulation.
Les positions et opinions �mises dans cette rubrique n'engagent que leur auteur.